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lilly et ses livres

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20 janvier 2023

Un coeur si blanc - Javier Marias

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"Car bien que les mots soient si nombreux et si bon marché, si insignifiants, rares sont ceux qui sont capables de n’y prêter aucune attention. On leur donne de l’importance. Ou non, mais on les a entendus."

Juan vient d'épouser Luisa, traductrice et interprète comme lui pour de grandes institutions internationales. Depuis, il se sent perturbé sans parvenir à distinguer la source de son malaise. Est-ce à cause de l'attitude de son père lors de son mariage ou bien suite à des événements plutôt anodins ?

Un coeur si blanc est un roman déstabilisant. Il s'ouvre sur une scène de suicide décrite avec une précision chirurgicale avant de nous embarquer à La Havane et dans des réflexions sur le métier d'interprète qui laissent le lecteur, qui s'attend à lire la chronique d'un mariage tout neuf, perplexe. Mêlant tragédie shakespearienne, folkore et ancêtres de papier des applications de rencontre, ce livre fonctionne avec un système d'échos dont on ne perçoit la présence qu'une fois notre lecture achevée.

S'il ne craque pas, le lecteur découvre ainsi un livre passionnant qui l'amène à se questionner sur ce qui change le cours d'une vie. "Aucun homme n'est une île", et c'est ce qui caractérise la réalité de la condition humaine. Tous, nous avons senti dans notre dos le souffle d'individus, qui tels Lady MacBeth, ont provoqué des changements radicaux dans notre existence. Nous-mêmes, nous avons parfois été ces instigateurs de changement.

Le mariage est nécessairement un état favorisant des bouleversements, ce qui est d'autant plus dangereux qu'il va de ce fait détruire en partie la raison pour laquelle ses membres se sont unis.

"les deux contractants exigent l’un de l’autre une abolition ou neutralisation, l’abolition de celui que l’autre était et dont il s’était épris ou dont il avait peut-être vu les avantages, car l’amour n’est pas toujours préalable, il se révèle parfois plus tard, parfois n’apparaît ni avant ni après."

Doit-on tout se dire ? Le peut-on ? Se dit-on autre chose que ce qui ne compte pas ? Et en même temps, si aucun mot n'est posé sur une situation et si plus personne ne sait que cette situation a existé, est-elle réelle ?

"Ainsi, ce que nous voyons et entendons finit par ressembler et même par se confondre avec ce que nous n’avons pas vu ni entendu, ce n’est qu’une question de temps, ou bien suffit-il que nous disparaissions."

Si Javier Marias aime les longues phrases et les digressions qui n'en sont pas vraiment, il n'y a rien d'ennuyeux dans ce livre. L'auteur mêle à merveille la gravité de ses propos avec un ton grinçant voire cynique. Il se paie les hommes politiques au langage abscons, les traducteurs-interprètes (dont il était) aux puériles querelles de clochers, ou encore le mariage avec ses nombreux paradoxes. Chaque détail, même les vidéos de charme ou le billet tendu à des musiciens de rue, cherche à résoudre le questionnement du narrateur.

Une rencontre fracassante avec cet auteur grâce à Lou qui m'a offert ce livre il y a de très nombreuses années.

Folio. 392 pages.
Traduit par Anne-Marie Geninet et Alain Keruzoré.
1992.

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14 janvier 2023

Sodome et Gomorrhe - Marcel Proust

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" La règle [...] est que les durs sont des faibles dont on n'a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu'on veuille d'eux ou non, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse. "

Le narrateur se rend à la soirée du Prince et de la Princesse de Guermantes sans savoir s'il est réellement invité ou victime d'une mauvaise farce. Apercevant Swann, il apprend des nouvelles déconcertantes concernant la position de ses relations au sujet de l'Affaire Dreyfus. C'est toutefois M. de Charlus qui lui réserve la plus grande des surprises. En effet, le narrateur l'aperçoit dans une situation équivoque avec un autre homme.
Plus tard, il retourne à Balbec, où l'absence de sa grand-mère se fait cruellement ressentir. M. de Charlus et Albertine sont aussi de la partie. Avec les Verdurin et les Cottard, ils se côtoient aussi bien dans les soirées mondaines que dans leurs nombreux trajets en train.

Lire Sodome et Gomorrhe a été un plaisir de bout en bout. J'ai déjà évoqué à quel point l'humour de Proust me touche, dans ce tome l'auteur nous propose des quiproquos hilarants. Si l'Affaire Dreyfus était omniprésente dans les tomes précédents, c'est l'homosexualité, celle du M. de Charlus  et celle que le narrateur soupçonne chez Albertine, qui occupe le devant de la scène ici. Elle n'est pas considérée de la même façon à Paris et à Balbec, et mêlée à la vie mondaine, on fait semblant de ne pas la voir.

Ce livre contient aussi les habituelles réflexions de l'auteur sur la nature humaine. Les pages concernant le deuil de la grand-mère du narrateur sont particulièrement émouvantes. Il soupçonnait déjà que l'on n'a pas la même apparence en fonction de qui nous voit, il découvre aussi que sa grand-mère bien-aimée lui avait dissimulé des incidents graves pour le préserver.

Si son comportement avec Albertine est loin de lui faire honneur, c'est aussi l'occasion pour le narrateur de réaliser les paradoxes contenus dans les liens d'affection. La jalousie, la vanité et la vulgarité ont de nombreuses occasions de s'imiscer dans les relations humaines tant les individus sont généralement peu sûrs d'eux. 

"C'est d'ailleurs le propre de l'amour de nous rendre à la fois plus défiants et plus crédules, de nous faire soupçonner, plus vite que nous n'aurions fait une autre, celle que nous aimons, et d'ajouter foi plus aisément à ses dénégations."

La séduction obsède le narrateur, indissociable selon lui du temps qui passe et qui emporte tout.

" On peut quelquefois retrouver un être mais non abolir le temps."

De nouveau, ce tome s'achève sur un coup de théâtre rendant nécessaire la lecture de la suite de l'histoire. La Prisonnière étant le tome sur lequel j'ai lu le plus d'avis mitigés, j'ai un peu d'appréhension mais je sais que je ne résisterai pas longtemps.

Le Livre de Poche. 765 pages.
1921-1922.

11 janvier 2023

Le Rêve d'un homme ridicule - Fiodor Dostoïevski

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J'ai fini et commencé l'année avec deux très brefs textes russes. Le second est le dernier Dostoïevski qui s'ennuyait dans ma PAL russe.* Le Rêve d'un homme ridicule est l'histoire d'un individu désespéré ayant décidé de se supprimer d'un coup de révolver. Cependant, alors qu'il rentre chez lui le jour choisi pour accomplir son acte, il se heurte à une petite fille qui le supplie de l'aider. 

Il y a (selon moi) chez Dostoïevski du très bon comme du très médiocre, et malheureusement ce très court texte appartient plutôt à la seconde catégorie. C'est un conte de Noël à la Dickens sans l'émerveillement enfantin de ce dernier et avec les tourments existentiels d'un Tolstoï en fin de vie. Tout ce que j'aime (non).

Dostoïevski étant tout sauf un écrivaillon, ce texte n'est pas complètement raté. Ca avait même plutôt bien commencé avec des réflexions passionnantes sur le suicide (je vous assure). Le narrateur entre dans une colère noire lorsqu'il s'aperçoit que, bien qu'ayant décidé de se supprimer, tout ne lui est pas indifférent. Il s'interroge sur la relativité de la culpabilité et sur l'existence des autres par rapport à soi-même, de quoi alimenter bien des conversations.

L'auteur m'a cependant complètement perdue dans la deuxième partie du livre, à savoir le fameux rêve, où le héros a une révélation mystique qui lui donne la force de vivre ainsi qu'une mission. Même les quelques allusions à la passion du personnage pour la douleur (on est chez Dostoïevski après tout) et au caractère meurtrier des religions en général n'ont rien pu faire pour moi.

Espérons que ma prochaine rencontre avec l'auteur soit plus concluante...

*(il y en a bien un autre dans le volume de la Pléïade des Frères Karamazov, mais il est à mon conjoint donc ça ne compte pas).

Babel. 58 pages.
Traduit par André Markowicz.
1877 pour l'édition originale.

7 janvier 2023

Mon Frère féminin - Marina Tsvetaeva

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"Ecoutez-moi, Vous n'avez pas à me répondre. Vous n'avez qu'à m'entendre. C'est une blessure droit au coeur que je Vous porte, au coeur de Votre cause, de Votre croyance, de Votre corps, de Votre coeur."

Que se passe-t-il lorsque, dans un couple formé de deux femmes, le désir d'enfant s'immisce ? Ce dernier est-il compatible avec l'amour passionnel ? Pourquoi fait-on parfois des choses dont on sait par avance qu'elles vont nous blesser ? Est-ce la malédiction du poète de voir la réalité dans toute sa cruauté ?

Mon Frère féminin est une lettre écrite par Marina Tsvetaeva en réponse à Pensées d'une amazone de Natalie Clifford Barney, livre introuvable en librairie. C'est donc avec un peu d'appréhension que j'ai entamé cette lecture, puisque Natalie Clifford Barney est une illustre inconnue pour moi, tout juste entraperçue dans Je serai le feu de Diglee.
Ce texte m'a pourtant touchée et passionnée. C'est finalement une histoire universelle que nous raconte Marina Tsvetaeva, qui fait de cette missive à la fois une lettre directe, une analyse d'oeuvre et une nouvelle dans laquelle elle s'approprie les personnages.

J'ai parfois jugé Tsvetaeva un peu immature à la lecture de Vivre dans le feu. Elle est également victime des préjugés de son époque puisqu'elle considère ici que les femmes, même lesbiennes, préfèrent la maternité à l'amour.
Toutefois, la beauté de la plume de la poétesse a pris le pas sur le reste. Elle décrit superbement la passion :

"[Les amants] n'ont pas le temps pour l'avenir qu'est l'enfant, ils n'ont pas d'enfants parce qu'ils n'ont pas d'avenir, ils n'ont que le présent qu'est leur amour et leur mort toujours présente."

"L'amour de par lui-même est l'enfance. Les amants sont des enfants. Les enfants n'ont point d'enfants."

Puis le désamour et la vieillesse :

"Quitter l'infécond pour son frère fécond est autre chose que quitter l'éternelle inféconde pour l'ennemi éternellement fécond. Là je ne dis adieu qu'à un homme, ici je dis adieu à toute la race, toute la cause, toutes les femmes en une seule.

"Penchant fatal et naturel de la montagne vers la vallée, du torrent vers le lac...
La montagne, vers le soir, reflue entière vers la cime. Le soir, elle est cime. On dirait que ses torrents la remontent à rebours. Le soir elle se reprend."

Parfois, se laisser simplement porter par les mots.

Le Livre de Poche. 71 pages.
1932.

4 janvier 2023

La Supplication : Tchernobyl, Chronique du monde après l'Apocalypse - Svetlana Alexievitch

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"Plus d'une fois, j'ai eu l'impression de noter le futur."

Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, une explosion se produit à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Dix ans plus tard, Svetlana Alexievitch compile les témoignages d'individus, surtout Biélorusses (les plus touchés par l'explosion), directement impactés par la catastrophe : liquidateurs, habitants, enfants, scientifiques, réfugiés, responsables... Pour "reconstituer les sentiments et non les événements".

On a reproché à Svetlana Alexievitch de ne pas écrire des livres qui relevaient de la littérature puisque ses ouvrages sont des recueils de témoignages. C'est avec cette interrogation (mais sans a priori négatif) que j'ai débuté ma lecture, et je crois que les critiques ont une nouvelle fois fait preuve d'ignorance et d'absence de réflexion en disant cela.

La littérature, il me semble que c'est dire l'indicible, trouver les mots là où ils n'existent pas encore. Tchernobyl n'a pas de précédent. Tout au plus des comparaisons : les guerres qui ont traumatisé les personnes interrogées, Hiroshima et Nagasaki, la menace nucléaire qui occupait les esprits dans le contexte de la Guerre Froide. Mais un accident de cette ampleur, c'est bien plus que ce que ce terme courant peur exprimer. Ca a l'impact d'une guerre sans en être une.

" Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl. Justement de ce que nous connaissons peu. De ce dont nous ne connaissons presque rien. Une histoire manquée : voilà comment j’aurais pu l’intituler. "

Laisser les répétitions, ordonner les témoignages, laisser le lecteur faire son cheminement, c'est bien le travail d'un écrivain. Cela m'a rappelé Charlotte Delbo, qui avant Alexievitch, a su dire l'horreur tout en sortant aussi la beauté et la volonté de vivre qui s'y cache parfois (et à quoi bon l'art si ce n'est pour s'adresser à l'humanité ?).

La Supplication est un livre éprouvant. Nous voyons le sacrifice d'hommes dont le nombre exact, sans doute très élevé, est tenu secret. Certains meurent presque aussitôt. Les "Tchernobyliens" font peur même aux médecins tant leur agonie est horrible. Les populations sont sacrifiées au nom de la paix civile. Beaucoup de témoignages évoquent les animaux, abandonnés sur place et souvent exterminés par les patrouilles militaires.
L'exil est une épreuve de plus, parfois insurmontable. Les évacués font peur. Le retour est décevant.

"— Nous ne sommes pas rentrés chez nous. En fait, nous sommes revenus cent ans en arrière. Un correspondant de presse s’étonnait de tout ceci : nous moissonnons avec une faucille, nous fauchons avec une faux, nous battons le grain avec des fléaux directement sur l’asphalte."

C'est aussi un livre révoltant puisque se pose évidemment la question de la responsabilité. L'absence de protection des liquidateurs et des soldats est presque totale. L'ignorance des autorités ne peut être invoquée, les livres sur les radiations et le nucléaire en général se volatilisant immédiatement des bibliothèques après la catastrophe. La corruption bat son plein au point que des quantités phénoménales de matériel radioactif sont sortis de la zone contaminée et revendus.

"Le bordel russe habituel. C’est ainsi que nous vivons... On rayait des listes, on vendait des choses... D’un côté c’est dégoûtant, mais de l’autre... Allez tous vous faire foutre ! "

La résignation des Slaves est souvent invoquée comme la raison principale de leur attitude. La foi (et la peur) envers le régime soviétique permettent de contenir les protestations, rappelant les pires heures du stalinisme. "C’est à ce moment que j’ai réellement compris pour la première fois ce qu’avait été l’année 1937. Comment tout cela avait pu se passer..." "Parce que, dès que l’on perd la foi, on n’est plus un participant, on devient un complice et l’on perd toute justification. Je le comprends si bien."
La colère est pourtant présente, chez les scientifiques comme chez les particuliers :

"Il est courant de dire : peuple saint, gouvernement criminel... Je vous dirai tout à l’heure ce que j’en pense, de notre peuple et de moi-même..."

"Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu’on veut nous faire oublier cela."

L'autrice ne cache pas l'enthousiasme qui animait certains jeunes soldats envoyés sur place, la passion morbide pour les scénarios catastrophes. Elle interroge aussi des individus ayant fuit la guerre dans des régions de ce pays qui n'en est pas vraiment un, et trouvé refuge dans la zone contaminée.

"Les gens me posent des questions et s’étonnent. L’un d’eux m’a posé la question tout de go : est-ce que j’aurais emmené mes enfants dans un endroit où sévirait la peste, ou le choléra ? Mais moi, je connais la peste ou le choléra. Je sais ce dont il s’agit. Mais, la peur dont on parle, ici, je ne la connais pas. Je ne l’ai pas dans ma mémoire..."

Un livre bouleversant permettant de prendre conscience de l'ampleur des changements qu'a connu le monde au cours du XXe siècle et dont la catastrophe de Tchernobyl n'est qu'une manifestation.

"Nous savons maintenant que nous pouvons boire du thé autour d’une table, parler et rire sans nous apercevoir que la guerre a commencé... Que nous n’allons même pas nous rendre compte de notre propre disparition..."

J'ai lu. 249 pages.
Galia Ackerman et Pierre Lorrain.
1997 pour l'édition originale.

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31 décembre 2022

Bilan littéraire 2022

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Avec la fin de l'année vient le traditionnel bilan littéraire. Cette année, il est satisfaisant pour moi à plus d'un titre.

J'ai lu 108 livres en 2022 : 32 mangas/bandes-dessinées, 76 romans/essais/biographies et mémoires/livres de poésie. Si j'en crois Goodreads, malgré ses imprécisions, cela représente environ 34 000 pages. 
Même si je ne cours pas après un nombre précis, je suis contente de constater que j'ai pu faire de nombreuses découvertes, et parmi elles certaines me marqueront longtemps :

La littérature anglo-saxonne est toujours très représentée avec Les Forestiers de Thomas Hardy, Le Pays du Dauphin Vert d'Elizabeth Goudge, le premier cahier du Journal d'Anaïs Nin, le troisième volet de l'Autobiographie en mouvement de Deborah Levy et Pastorale américaine de Philip Roth (auteur le plus lu avec Proust cette année). Il manque sur la photo Anne de Green Gables qui a enchanté mon été et une partie de mon automne avec l'adaptation Netflix, Le Carnet d'or de Doris Lessing et la bande-dessinée Jours de sable sur le Dust Bowl.

Du côté de la France, Marguerite Yourcenar m'a éblouie avec Mémoires d'Hadrien et Pierre Loti en a fait autant avec Pêcheur d'Islande. Diglee a sorti de l'oubli des poétesses fabuleuses avec son recueil Je serai le feu. Mon évasion de Benoîte Groult m'a fait découvrir plus en profondeur la femme brillante et passionnante qu'était cette grande féministe. Enfin, du côté de la non fiction, je me suis passionnée pour Une Histoire érotique de la psychanalyse de Sarah Chiche, Mes vies secrètes de Dominique Bona, ainsi que les albums Les Zola et ceux la relation entre Céleste Albaret et Marcel Proust (celui de Chloé Cruchaudet est chez une amie).

Les russophones confirment mon inclination à leur égard avec Les Carnets de la Maison des morts de Dostoïevski et ma découverte longtemps repoussée de Svetlana Alexievitch, dont La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'Apocalypse, que je viens de finir, est un immense coup de coeur.

Pour les autres destinations, mes retrouvailles avec Jón Kalman Stefánsson ont été une réussite, Ingeborg Bachmann fait une entrée fracassante parmi mes figures littéraires les plus intrigantes. Dans les bulles, j'ai adoré l'adaptation graphique du Journal d'Anne Frank, ainsi qu'un manga, Les Carnets de l'Apothicaire.

Quelques déceptions ont émaillé mon parcours : Kafka sur le rivage a probablement été ma dernière tentative d'aimer Murakami, Les Chroniques de San Francisco et Là où chantent les écrevisses n'ont pas été à la hauteur de mes espérances, et j'espère que ma prochaine lecture de George Sand sera moins imparfaite qu'Elle et Lui.

J'avais décidé en début d'année de m'attaquer enfin à ma pile à lire (la fameuse PAL), qui n'en est plus une chez moi depuis longtemps puisque mes achats compulsifs réguliers rendent impossible de faire tenir les livres en question à un seul endroit. J'ai commencé par les compter pour cesser de me voiler la face et suis arrivée au nombre de 469. 

Plusieurs mesures ont alors été prises :

- Cesser d'acheter des livres que je ne lis pas immédiatement : Cet objectif est plutôt atteint puisque ce sont douze livres non lus achetés/reçus cette année qui me restent sur les bras au 31 décembre. Parmi eux, seuls deux sont des achats de ma part et trois sont des cadeaux reçus à Noël. J'ai acheté/reçu 24 livres lus sans délai
- Lire les livres de ma bibliothèque : Une résolution imparfaitement tenue puisque seuls 40% de mes lectures environ étaient des livres déjà présents chez moi. Cela m'a cependant permis de voir que de nombreuses pépites se cachent sur les rayons de mes bibliothèques puisqu'une très grande majorité de mes coups de coeur de l'année sont des livres achetés il y a longtemps.
- Désherber et donner des livres (souvent offerts) que je ne lirai probablement jamais : Ils sont peu nombreux, mais j'ai réussi à en sortir quelques-uns.
Pour la première fois depuis plus de quinze ans, ma Pile à Lire finit donc l'année plus légère que la précédente avec à peine 406 titres (j'ai vraiment honte, mais on a tous nos vices).

Pour 2023, la diminution de ma PAL reste un objectif. Je rempile donc pour le challenge de Maghily avec #ensortir23en2023.

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En 2022, j'avais fait une pile de 22 livres. J'en ai lu 12, ce qui est médiocre mais moins que ce que j'aurais imaginé. Je souhaite toujours lire les titres de cette pile, ce qui me fait environ 35 livres que je projette de sortir de ma bibliothèque.

Par ailleurs, j'ai quelques envies supplémentaires. J'espère finir La Recherche, dont j'ai repris la lecture depuis le mois de juin et pour laquelle il me reste trois titres à découvrir. Je compte aussi lire deux Zola, me pencher sur les quelques recueils de poésie qui prennent la poussière depuis mille ans tout en haut de ma bibliothèque, participer au Mois de l'Amérique Latine (je n'aurais jamais cru dire cela il y a quelques années), le Mois Anglais, Les Feuilles allemandes et Les Classiques sont fantastiques. Et puis, surtout, le plaisir !

Comme chaque année, j'achève ce bilan en vous souhaitant les plus douces dernières journées de 2022 et en espérant que 2023 sera à la hauteur de vos espérances.

28 décembre 2022

Le Berger de l'Avent - Gunnar Gunnarsson

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 " Si l’homme a un rôle à tenir, un seul peut-être, c'est de tenter de trouver un sens à ce qui n’en à pas, de refuser de jeter le gant, de combattre son destin, et même la mort jusqu'à ce qu'elle le pénètre et l’atteigne au cœur, définitivement. "

Pour la vingt-septième fois, Benedikt part le premier dimanche de l’Avent chercher les moutons égarés dans les pâturages hostiles des terres intérieures de l’Islande, accompagné de son fidèle chien et de son courageux bélier.

La session mensuelle des Classiques c'est fantastique nous embarquait au Grand Nord, l’occasion rêvée de sortir ce texte on ne peut plus de saison recommandé il y a quelques années par Dominique et Marilyne.
Malgré le faible nombre de pages et le caractère pudique de Benedikt, les mots de l’auteur soulèvent assez le voile de mystère qui entoure le personnage pour le rendre aussi émouvant que bien des héros de plusieurs centaines de pages.
Pourquoi cette détermination ? Pourquoi cette fuite ? A moins qu’au contraire, Benedikt rende visite à ses rêves enfouis :

" Était-ce à cause d’eux qu’il revenait ici chaque hiver ? Pour voir s’ils s’étaient dissous, si la terre les avait absorbés ? "

Impossible de ne pas penser à Stefánsson, auteur de la postface, en découvrant ce texte tant il est évident que Le Berger de l’Avent lui a servi d’inspiration. Le facteur que nous croisons très brièvement ici pourrait aisément avoir été repris pour La Tristesse des anges. La beauté de l’écriture, ainsi que les réflexions sur la condition humaine et ses rapports avec la nature, ont aussi certainement inspiré Stefánsson.

Une pépite qui a pour seul défaut de nous mettre l’eau à la bouche alors que les autres textes de Gunnarsson sont introuvables...

Zulma. 96 pages.
Traduit par Gérard Lemarquis et María S. Gunnarsdóttir.
1936 pour l'édition originale.

Source: Externe

3 décembre 2022

Le Pigeon - Patrick Süskind

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Le Pigeon est une longue nouvelle mettant en scène Jonathan Noël, quinquagénaire ayant vécu une existence presque invisible, pour les autres et pour lui-même, à partir de son départ pour Paris il y a trente ans. Installé dans une chambre de bonne, petite mais familière, il occupe un poste de vigile dans une agence bancaire. Tout vacille lorsqu'à la veille de devenir définitivement propriétaire de ses sept mètres carrés, un pigeon s'introduit dans le couloir qui dessert son domicile. 

A partir d’un événement mineur qui prend des proportions absurdes et en peu de pages, l’auteur nous livre un récit aussi énigmatique que prenant. 
Qui est le pigeon dans cette histoire ? Que symbolise-t-il ? Jonathan Noël s’est coulé dans une existence lisse et rassurante après les traumatismes de son enfance. Il n’a jamais dérangé personne, ne semble jamais remarqué par quiconque tant il est fiable. N’est-il pas passé à côté de sa vie ? Est-ce son passé qui ressurgit ? A moins que tout ceci ne soit qu’une "banale" histoire de phobie... 

En lisant les premières pages, je m’attendais à une nouvelle dans la lignée d’un Kafka ou d’un Gogol. Sans aller jusque-là, voilà un texte qui se dévore avec plaisir et curiosité. Des retrouvailles réussies avec Patrick Süskind.

Le Livre de Poche. 96 pages.
Traduit par Bernard Lortholary.
1987 pour l'édition originale.

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30 novembre 2022

Malina - Ingeborg Bachmann

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"Ma vie est finie, car il s’est noyé dans le fleuve au cours du transport, celui qui était ma vie. Je l’ai aimé plus que ma vie."

Dans une rue de Vienne, "Moi" est partagée entre deux hommes, Malina, le compagnon rassurant, et Yvan, l’amant. "Moi" tente d’écrire. Des lettres, dont elle écrit d’innombrables versions, des journaux, un livre aussi. Mais les mots ne viennent pas, les phrases sont interrompues. Où va-t-on ?

L’existence d’Ingeborg Bachmann a été marquée par le nazisme de son père, ainsi que par sa liaison tragique avec Paul Celan, poète rescapé de la Shoah. Ce dernier se jettera dans la Seine, elle périra par le feu. Cécile Ladjali a tiré de cette histoire son roman Ordalie, qui m'a fait découvrir Bachmann

Malina est une plongée dans l’âme de cette écorchée vive, dans ses émotions extrêmes et contradictoires. Ce n’est pas un texte facile. Autriche oblige, la psychanalyse imprègne le texte, mais Bachmann étant poétesse, nous échappons aux poncifs du genre, laissant la place à de sublimes passages où la symbolique des mots (souvent nébuleuse, certes) embarque le lecteur dans des tourbillons éprouvants qui le laissent déboussolé.
Bien que l’autrice prétende poser son cadre et présenter ses personnages, la narratrice ne se dévoile que par bribes. De plus, la chronologie est brouillée et "moi" semble s’enfoncer toujours plus loin dans les eaux troubles de ses pensées.

"Il n'y a pas d'unité de mesure pour ce temps où d'autres s'insèrent, il n’y a pas de mesure pour le non-temps où se joue ce qui ne fut jamais dans le temps."

Simone de Beauvoir a montré que les femmes tirent leur valeur de l’homme. Qu’il soit en chair et en os, fantasmé, prêt de nous ou qu’il nous accorde à peine un regard, ce dernier est une énergie, une validation. La narratrice de Malina est une application remarquable de ce phénomène. Malina et Ivan semblent être des amarres de prime abord, mais des amarres qui se révèlent autoritaires. Ils la consument. Exiger d'une personne qu'elle ne vous soit pas dévouée, c'est encore la diriger.

"Moi" cherche à se sauver, à être sauvée. Elle est hantée par la Deuxième Guerre mondiale et ses horreurs, et par son enfance (à moins que l'un symbolise l'autre).

"Je suis dans la chambre à gaz, la plus grande chambre à gaz du monde, et seule dedans. Contre le gaz, on ne se défend pas."

Refusant certaines conclusions, elle ne se complait cependant pas dans le statut de victime ou de soumise. Elle s'indigne contre les accusations de consentement dans les crimes commis contre elle. Elle écrit frénétiquement, cherche une voix, échoue, puis recommence.

"Presque toujours, c'est au moment précis où l'on voudrait apercevoir ou saisir quelque chose, l'Oral ou le mot pour le dire, qu'on culbute."

Une plume incroyable, dont je trouve des échos chez Virginia Woolf ou Clarice Lispector, même si Bachmann a sa propre tonalité.

Points. 280 pages.
Traduit par Philippe Jacottet.
1973 pour l'édition originale.

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5 novembre 2022

Le Côté de Guermantes - Marcel Proust

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Alors qu'il déménage avec ses parents, le narrateur se prend d'admiration pour la duchesse de Guermantes. Une admiration sincère, bien qu'éphémère et non exclusive. Cela lui permet toutefois, aidé de son ami Robert de Saint-Loup, de pénétrer dans l'intimité de cette grande famille.

Le Côté de Guermantes est une chronique mondaine très détaillée (au point, je dois l'admettre, d'être assez assommante par moments). On retrouve heureusement ici l'humour du narrateur qui m'avait séduite et surprise dans le premier tome et qui était moins présent dans le deuxième. Cela donne une saveur exquise aux interminables conversations auxquelles nous sommes associés. Chacun joue un rôle. L'Affaire Dreyfus, qui traverse tout le livre, est le prétexte idéal pour que chacun réaffirme une solidarité familiale, un basculement dans l'ordre des choses ou même une prise de distance.

Autour de ces mondains gravitent des milieux leur offrant du divertissement et du ravissement pour leurs yeux, leurs oreilles. Revoyant la Berma, le narrateur est ébranlé dans ses précédentes conclusions. Plus tard, le médecin de sa grand-mère tient involontairement un discours valant le détour.

L'esprit acéré du narrateur n'épargne personne, y compris lui-même. Proust exprime merveilleusement bien le tiraillement de la vie des l'homme entre la permanence et la fugacité des choses. On a beau prendre des résolutions, changer n'est pas chose aisée. Par ailleurs, bien que l'on sache en théorie combien les moments précieux et les gens qu'on aime ne sont pas éternels, on ne peut s'empêcher d'agir comme si c'était le cas.

Des retrouvailles réussies avec Proust dans le cadre des Classiques c'est fantastique. Je poursuis avec Sodome et Gomorrhe.

Le Livre de Poche. 733 pages.
1920-1921 pour l'édition originale.

Source: Externe

 

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