Une Histoire de la lecture - Alberto Manguel
"Chaque lecteur invente ses lectures, ce qui n'est pas mentir ; mais chaque lecteur peut aussi mentir, imposer délibérément au texte la soumission à une doctrine, à une loi arbitraire, à des avantages personnels, à la loi des propriétaires d'esclaves ou à l'autorité des tyrans."
La lecture n'est pas seulement une activité solitaire, pratiquée par des solitaires myopes. A côté de cette réalité, il y en a d'autres, beaucoup plus universelles, qu'Alberto Manguel nous dévoile.
Avec la lecture vient la société. Elle organise le temps, donne de l'expérience par procuration, et sanctionne l'appartenance d'individus à une communauté (on rejoint ici Noam Chomsky selon lequel la lecture et la pensée ne peuvent s'organiser individuellement mais via des connaissances et symboles intelligibles dans un contexte sociétal donné).
C'est un caméléon qui s'est adapté. Orale lorsque les individus illettrés étaient majoritaires, elle est surtout silencieuse de nos jours.
La lecture façonne, car elle est cumulative. C'est pour cela qu'on ne lit jamais deux fois le même livre (et donc qu'on ne tourne jamais réellement la dernière page, ni ne lit jamais le même texte que son voisin). C'est aussi la raison pour laquelle la traduction ou le livre audio ne sont rien de plus grave que des trahisons via un tiers quand une lecture originale aurait été une interprétation de notre fait.
La lecture est un pouvoir et un espoir. Les régimes totalitaires et les groupes dominants veulent l'anéantir, la restreindre ou la réinterpréter malhonnêtement s'il le faut. Mais elle est aussi porteuse de la sauvegarde de l'humanité, ainsi qu'en témoignent les détenus conteurs ou les minorités qui créent leur littérature.
Alberto Manguel est trop brillant pour viser une quelconque exhaustivité et être l'ancien disciple de Borges a laissé des traces (voire des tocs et des angoisses). Alors, entre histoire du livre et andecdotes personnelles, il nous comble de réflexions personnelles et de considérations philosophiques dans un ensemble étonnamment ordonné.
C'est la troisième année que je lis un livre d'Alberto Manguel après Je remballe ma bibliothèque et La Bibliothèque, la nuit (mon favori) grâce au Mois de l'Amérique Latine. Une tradition passionnante.
Babel. 432 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
1996 pour l'édition originale.