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lilly et ses livres

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13 septembre 2009

La Maison aux sept pignons ; Nathaniel Hawthorne

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Gallimard ; 348 pages.
Traduit par Claude Imbert et Marie Elven.
The House of the Seven Gables. 1851
.

Voilà un livre qui occupait ma bibliothèque depuis ma découverte de Nathaniel Hawthorne l'année dernière. C'est suite à ma lecture de Malpertuis de Jean Ray (dont je vous parle bientôt) que j'ai eu envie de me replonger dans cet auteur qui me semble de plus en plus fascinant.

La Maison aux sept pignons débute en Nouvelle-Angleterre, au XVIIe siècle. Le colonel Pyncheon est alors l'un des personnages les plus influents de la région, et sa volonté d'établir une dynastie portant son nom ne supporte aucune contradiction. Ainsi, lorsqu'il jette son dévolu sur la terre de Matthew Maule, un homme modeste qui a dégagé un coin de forêt pour s'établir, il est persuadé d'obtenir ce qu'il veut. Le bras de fer s'achève sur l'échafaud, où Maule doit être exécuté après avoir été reconnu coupable de sorcellerie. Ses dernières paroles sont pour le colonel Pyncheon, qui a orchestré la fin de son rival. Maule lui promet de façon solennelle qu'il périra en buvant du sang.
L'orgueilleux homme n'en tient aucun compte, et demande au fils de sa victime de lui bâtir une demeure somptueuse à l'emplacement même où se trouvait la terre des Maule. C'est ainsi qu'est bâtie la maison aux sept pignons, qui ne tarde pas à révéler que la malédiction des Maule la hante. Le jour où le colonel décide de convier tous les habitants de la région pour parader devant eux dans sa nouvelle demeure, il est retrouvé mort dans son fauteuil, du sang lui coulant de la bouche.
Les générations qui suivent seront également poursuivies par le mauvais sort. La source de Maule, qui coule dans leur jardin, est empoisonnée, la maison tombe en désuétude, et les Pyncheon perdent peu à peu de leur grandeur, sous le regard du portrait sévère du colonel trônant dans la demeure qu'il n'a pas eu le temps d'occuper.
Au XIXe siècle, il n'y a plus qu'un fantôme qui hante la vieille bâtisse : la vieille Hepzibah, si myope que son visage est parcouru en permanence d'une horrible grimace qui la rend encore plus laide qu'elle n'est. Son seul ami est un jeune photographe, Holgrave, qui habite l'un des pignons de la maison. Dépourvue de tout argent, Hepzibah est contrainte, alors que débute le livre, à ouvrir une épicerie dans le sein de sa maison. Il y a bien son oncle, le juge Pyncheon, l'image vivante de son cruel ancêtre, qui voudrait lui offrir de l'argent pour tenir son rang, mais Hepzibah refuse toute aide de sa part. Dans les jours qui suivent, Phoebé, une jeune cousine d'Hepzibah, arrive chez la vieille dame. Elle est imitée très vite par Clifford, le frère d'Hepzibah, qui vient d'être libéré après trente années passées en prison pour le meurtre de son oncle.

Dans une langue somptueuse*, qui décrit aussi bien les merveilles de la nature que la misère des âmes,250px_Nathaniel_Hawthorne_1_ Nathaniel Hawthorne étudie l'héritage que l'on reçoit nécessairement de ses ancêtres, le fil qui relie "un passé lointain au présent qui déjà s'éloigne de nous", et qu'il aimerait bien pouvoir rompre. Il utilise ici une famille, mais l'on ne peut que songer à faire un parallèle avec la jeune Amérique qui possède déjà un lourd passé empreint de puritanisme et d'immuable à l'époque d'Hawthorne. En effet, La Maison aux sept pignons, bien que plus fantaisiste et ensoleillé que La Lettre écarlate, est un roman très engagé. La critique du puritanisme, de son hypocrisie, et de l'idée de classes supérieures, est grinçante. C'est l'auteur lui même qui se charge de narrer son histoire, ce qui donne un caractère à la fois désinvolte et assumé au livre. La Chasse aux sorcières dont a été victime Matthew Maule est l'occasion d'une vive critique des autorités religieuses et laïques. "Ce fut l'un des martyrs de cette terrible illusion qui devrait nous montrer, entre autres leçons, que les classes influentes et ceux qui prennent la tête du peuple sont capables des mêmes erreurs et des mêmes passions que les foules les plus frénétiques. Prêtres, juges, hommes d'Etat - les plus sages, les plus calmes, les plus saints personnages du temps - aux meilleures places devant les potences, furent les premiers à applaudir à cette oeuvre sanguinaire, et les derniers à reconnaître leur misérable erreur."
La conséquence de toute cette folie est un gâchis immense. La vieille Hepzibah, qui a un nom et une personnalité qui m'ont un peu fait penser à Dickens, est murée dans sa demeure délabrée, et ne parvient plus à en franchir le seuil, quand son aïeul imaginait un destin de seigneur pour les siens. La culpabilité est trop grande. "Ils ne pouvaient pas s'enfuir : le geôlier avait bien pu laisser la porte entrouverte, et se cacher pour les voir fuir, au seuil ils avaient senti sa poigne ! Car il n'est de pire cachot que son propre coeur, ni de plus inexorable geôlier que soi-même !" 
Il y a eu d'autres drames avant celui d'Hepzibah. Celui d'Alice tout d'abord, qui un jour a jeté des graines entre deux pignons, donnant ainsi naissance au "bouquet d'Alice", avant d'être victime de la haine entre les Maule et les Pyncheon. Quant à Clifford, le frère d'Hepzibah, c'est brisé qu'il rentre chez lui après sa libération. Amoureux du beau et de la lumière, c'est en Phoebé qu'il retrouve la force de vivre.
On oscille entre ombre et lumière dans ce roman. Les très nombreuses descriptions pleine de poésie et souvent d'humour m'ont donné le sentiment d'être dans une maison magique inoffensive. Les premiers pas d'Hepzibah en tant que marchande sont touchants, tout comme l'apétit pantagruélique du jeune Ned Higgins. Mais la cruauté et les sarcasmes ne sont jamais loin (le chapitre XVIII est à la fois abominable et jouissif) et donnent des accents gothiques à ce roman, rappelant ainsi au lecteur la malédiction qui pèse sur la maison aux sept pignons.

Alors bien sûr, La Maison aux sept pignons n'a pas la puissance de La Lettre écarlate. J'aurais aimé une fin plus tragique, et ne pas deviner tous les secrets de cette demeure avant qu'ils ne soient expliqués. Cela ne m'a pas cependant empêché d'en savourer chaque ligne.

* en VF en tout cas, je n'ai malheureusement pas osé tenter la version anglaise.

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11 septembre 2009

Paulina 1880 ; Pierre Jean Jouve

P1130654Folio ; 245 pages.
1925
.

Je ne sais plus pourquoi j'en suis venue à acheter Paulina 1880 de Pierre Jean Jouve, mais je sais que je m'attendais à trouver une histoire effrayante et sulfureuse. Cela vient sans aucun doute de la merveilleuse quatrième de couverture de mon édition, qui est la reproduction de la page 235 (sur 246 !), et qui a pour caractéristique de dévoiler tous les mystères du livre...

Paulina Pandolfini est la fille d'un noble milanais. Chérie et surprotégée par un père qui l'aime plus qu'il ne le devrait, elle passe une enfance insouciante et heureuse. "Paulina courait le long des petits canaux sur l'herbe nouvelle, et dans l'eau jusqu'aux cuisses en avril elle mangeait des fleurs à pleine bouche. Elle se croyait aimée par le vent comme certaines créatures mythologiques, elle connaissait les légendes des paysans ou les histoires des anciens dieux, faisait parler les arbres, devenait dryade, et croyait même intriguer avec un faune dans la plus grande des bandite, celle de Torano où une très sombre cipressaia descendait sur le lac de Côme."
Mais l'adolescence arrivant, le corps de Paulina se transforme. C'est avec vanité que la jeune fille considère ses nouveaux atouts, et elle ressent bientôt un désir de séduction exacerbé. Elle a dix-neuf ans lorsque le comte Cantarini, un ami de la famille mal marié, lui fait tourner la tête. Ils deviennent amants dans le plus grand secret. "Gravement, avec la douceur et la force d'un ange, il l'aimait. Elle inanimée flottait comme Ophélie dans des eaux lointaines. La voix qui les réveilla, après le jugement, leur dit qu'à partir de cette nuit ils étaient scellés l'un à l'autre dans la foi, la volupté et la détresse."
A la mort de Mario Giuseppe Pandolfini puis de la femme de Michele, un union légitime devient possible. Mais Paulina est une femme trop passionnée et trop tourmentée pour accepter une situation sans vagues.

Voilà un texte très curieux. Je ne sais pas si c'est le cadre italien ou la fin tragique qui me fait penser une telle idiotie, mais Paulina 1880 semble s'inscrire dans les codes de nombreuses histoires d'amour mythiques, comme Roméo et Juliette. Certes, ce n'est pas ici aussi fin et poussé que dans le chef d'oeuvre dont nous parlait récemment Erzébeth, mais tout le monde n'a pas le talent de Judith Arnold*.
Plus sérieusement, Paulina 1880 est un récit composé de 119 tableaux mettant en scène l'oscillation de Paulina entre amour charnel et amour mystique. J'ai trouvé ce texte un peu trop austère, malgré toute la poésie de la plume de Jouve, pour le considérer comme étant réellement moderne, mais les interrogations de Paulina vont plus loin que celles s'une simple pleurnicheuse. Il s'agit d'une femme obsédée par le lien physique qui cherche sa place, qu'elle soit dans les bras de son amant terrestre ou dans ceux de son amant mystique. Elle va jusqu'à se faire physiquement mal, au grand effroi de la mère supérieure du couvent où elle se réfugie quelques temps, puis jusqu'à commettre l'irréparable pour atteindre l'apaisement face à l'hypocrisie des hommes et de la religion.
Le métier de poète de Jouve transparaît entre ces pages, et permet de donner un caractère passionné et douloureux au texte. Certains chapitres sont juste enchanteurs. 

Paulina 1880 est un roman lent, avec très peu de dialogues, qui m'a ennuyée par moments, et que j'aurais situé à une date bien antérieure à sa publication. Je pense aussi ne pas y avoir compris grand chose, mais il a toutefois su me toucher et m'intriguer. Je l'ai lu d'une traite.

Sylvie en parle bien mieux que moi.

* pour les visiteurs non habitués de la blogosphère qui sauteraient au plafond en lisant ces mots, je plaisante...

8 septembre 2009

Mon Enfant de Berlin ; Anne Wiazemsky

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Gallimard ; 246 pages.
2009
.

Ecrire un roman sur ses parents est certainement difficile. Ecrire un roman sur l'amour de ses parents l'est sûrement encore plus. Cela nécessite une capacité à prendre du recul importante que je n'ai retrouvée à aucun moment dans Mon Enfant de Berlin.

Le roman débute en 1944, dans le sud de la France, où Claire est infirmière pour la Croix-Rouge. Avec ses compagnes, elle est dehors en permanence, à la recherche de blessés, quel que soit leur camp. Elle est une jeune femme indépendante, déterminée à se rendre utile et à cesser d'être "la fille de François Mauriac" aux yeux de tous.
Quand la guerre s'achève en France, elle redoute de rentrer à Paris, dans l'appartement bourgeois de ses parents, et de devoir embrasser un simple destin de femme en épousant Patrice, son fiancé, qui a passé toute la guerre en tant que prisonnier en Allemagne. 

Il y avait vraiment de quoi faire avec ce texte, mais je me suis ennuyée pendant la quasi-totalité des 250 pages qui composent ce livre, habitée en permanence par l'impression de lire une histoire gentillette écrite par une enfant qui refuse de considérer ses parents autrement que comme des héros.
Durant les cent premières pages, Anne Wiazemsky nous dresse le portrait d'une femme volontaire dans l'Europe détruite de l'après Seconde Guerre mondiale. Claire Mauriac nous décrit un continent qui doit mettre sa confiance dans de très jeunes femmes, pour se rendre sur les lieux des combats, conduire des ambulances sur de très grandes distances, et aussi remonter le moral des soldats. Quand vient la paix, tous s'attendent à ce que Claire, la petite bourgeoise, la fille du grand Mauriac, rentre sagement chez elle. Mais Claire a été transformée par ces années de guerre, et son enthousiasme n'est pas près de s'éteindre. Elle trouve le courage de rompre avec son fiancé malgré tout ce qu'il a enduré, et part pour Berlin, où les Alliés commencent à ne plus s'entendre, où les Allemands vivent dans des conditions misérables, et où Claire trouve enfin quelqu'un qui ignore qui est son père.
Cette première partie est la plus intéressante, même si elle est écrite dans un style que j'ai trouvé au mieux complètement plat, au pire très mièvre, et qui m'a beaucoup agacée.
A partir du moment où Wia arrive, je n'ai presque plus rien trouvé d'intéressant dans ce livre. Pire, j'ai réalisé que cette figure de femme forte que nous décrivait l'auteur dans la première partie s'intégrait en fait dans le processus d'idéalisation des parents d'Anne Wiazemsky. Comme je l'ai dit, il y a beaucoup d'aspects abordés dans ce livre. Mais tous servent à montrer combien Claire et Wia sont formidables, et relèvent dès lors de l'anecdotique. Des Allemandes se font enlever les enfants qu'elles ont eu de Français, c'est pour montrer que Claire a le courage d'en cacher une pour lui éviter ce sort cruel. Les Russes rendent les négociations de prisonniers très difficile, mais heureusement, Wia est un charmeur et un diplomate hors pair.    
Anne Wiazemsky est habitée par une pudeur, naturelle vis-à-vis de parents, problématique vis-à-vis de personnages. Quand j'ai compris que Wia serait toujours le plus beau, le plus fort, et Claire toujours la plus jolie, la plus indépendante, j'ai aussi compris que l'auteur ne nous racontait pas davantage que l'histoire (idéalisée) de ses parents. Les personnages évoqués ont existé, figurent pour certains dans les remerciements, et je pense que l'auteur n'a pas su se détacher de leur réalité.
Il y a bien quelques pistes évoquées qui m'ont intéressée, comme la situation politique en France, les menaces contre Mauriac, les accusations portées contre Wia, le décalage social entre Claire et Wia. Mais le tout m'a paru insipide. Je n'ai pas ressenti l'espoir et la volonté de vivre après l'horreur dont parle Olga, parce que je n'ai pas vu l'horreur dans ce livre.

Une grosse déception donc, qui ne me donne pas du tout envie de retrouver Anne Wiazemsky dans mes prochaines lectures.

Clarabel, Alice, Cathe et Sylire ont aimé sans réserve.

Challenge du 1% littéraire : 3/7.

6 septembre 2009

Terre des affranchis ; Liliana Lazar

terreGaïa ; 197 pages.
2009
.

Nous sommes en Roumanie, sous le régime de Ceausescu. Le village de Slobozia est situé près de La Fosse aux Lions, un lac maudit, où de nombreux Turcs se sont noyés lors de tentatives d'invasion au XVIe siècle, et où pêcher est interdit, sous peine de mort, car les moroï (ou morts-vivants) habitent ce lieu. 
Pourtant, le jeune Victor Luca entretient un lien d'amour avec ce lieu, qui emporte son père violent. Plus tard, quand le jeune homme tue pour la première fois une jeune fille, c'est encore La Fosse aux Lions qui détourne les chiens de Victor. Ce dernier est victime de pulsions meurtrières, qui l'obligent à se terrer dans la maison qu'il partage avec sa mère et sa soeur pendant plus de vingt ans.
D'abord convaincu qu'il est condamné à l'Enfer, Victor finit par trouver un moyen d'expier son crime en recopiant des textes de l'Église catholique, distribués clandestinement par le prêtre du village, opposant au régime.

Terre des affranchis est un premier roman dépaysant, intriguant et riche.
Avec ce livre, le lecteur est d'abord amené à penser qu'il va lire un conte effrayant.  Victor se fera t-il prendre ? Va t-il réussir à se pardonner ses actes ? Il est traqué, d'abord par tout le village, puis par le policier du village, et même par la police communiste, qui recherche l'auteur des copies de livres religieux que le régime tente de faire disparaître. 
Ce texte est en fait bien plus complexe. Liliana Lazar crée une ambiance entre nature et civilisation, entre superstition, religion et foi politique, pleine de contradiction et d'hypocrisie, sans doute assez proche de ce qui devait régner sous Ceausescu. Le sorcier côtoie le curé et le politicien, parfois dans un seul corps, sans que personne ne puisse rien dire. Les traditions roumaines se superposent sans oser se combattre en plein jour. Les persécutions de religieux se font en silence. Le père Illie est torturé puis tué, avant d'être déclaré en fuite par les autorités. Dans un système où personne n'a jamais rien fait, il est d'autant plus facile pour les bourreaux de l'époque de Ceausescu de se faire passer pour des résistants de la première heure une fois le communisme anéanti.
Les pulsions meurtrières de Victor trouvent ainsi un espace dans lequel elles peuvent s'exprimer presque en toute sécurité. Les cadavres de La Fosse aux Lions sont attribués à la malédiction qui entoure le lac, et dans ce monde que chacun pense maîtriser, la menace ne peut venir que de l'extérieur. Je ne vais pas aller plus loin pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n'ont pas encore lu ce livre, mais l'aveuglement et l'amnésie des gens est à la fois impressionnant et parfaitement logique. Chacun cherche faussement sa rédemption.   
Beaucoup de descriptions ponctuent ce livre pour nous faire pénétrer à Slobozia, souvent avec succès. Nous baignons véritablement dans une ambiance pleine de croyances. J'ai tout de même trouvé que certaines explications étaient un peu lourdes, et que l'on m'expliquait parfois longuement des façons de faire roumaines uniquement pour que je puisse bien tout comprendre.   

Je n'ai pas eu un coup de coeur pour ce livre (contrairement à Télérama, je n'ai vu ni Barbey d'Aurevilly ni Bram Stoker* à travers ces pages), mais il s'agit d'une bonne surprise qui m'a fait sortir de mes lectures habituelles. Une romancière à suivre.   

Anne-Sophie, Cathulu, Lael et Béné ont adoré ou aimé ce livre.

Challenge 1% de la Rentrée Littéraire 2009 : 2/7.
* Heureusement, en ce qui concerne ce dernier...

2 septembre 2009

Ordalie ; Cécile Ladjali

5175020da6fa0f243cc12c429b2b9137_300x300_1_Actes Sud ; 201 pages.
2009
.

Comme l'année dernière, j'ai décidé de participer au challenge organisé par Levraoueg, qui consiste à lire 1% des nouveautés de la rentrée littéraire. Ceux qui lisent régulièrement ce blog savent que l'actualité littéraire et moi ne sommes pas souvent en harmonie, mais une fois par an, ça ne peut pas faire de mal. J'ai donc jusqu'à août 2010 pour vous présenter sept des textes publiés en ce moment. Mon premier choix s'est naturellement porté sur Cécile Ladjali, dont j'ai adoré Les Vies d'Emily Pearl et aimé Les Souffleurs.

Nous sommes en 1989. Le Mur de Berlin vient de tomber, et Zakharian pense à Ilse, sa cousine, qu'il a passionnément aimée durant toute sa vie.
Il est âgé d'une dizaine d'années quand ses parents sont tués dans un bombardement allié sur Berlin, durant la Deuxième Guerre mondiale. Recueilli par son oncle et sa tante, il va désormais partager le quotidien de ses cousins Otto, Lotte, et surtout Ilse, en Autriche.
Après la guerre, Ilse étudie la philosophie, fréquente les intellectuels de son époque, rêve de créer un monde meilleur, et devient une figure majeure de la littérature germanophone de son époque. Et puis surtout, elle rencontre Lenz, un poète juif apatride détruit par la guerre, qu'elle ne cessera jamais d'aimer. "Ilse et Lenz étaient trop semblables pour s'entendre ou pour envisager de mener une vie commune. Je pense qu'il aurait fallu pour cela une certaine insouciance qui jamais ne fut une composante de leurs caractères respectifs. La poésie les rongeait et ne leur laissait aucune place pour le coeur d'autrui, la compassion ou l'empathie. L'amour comporte ces dimensions. Mais je me trouve bien ridicule à philopsopher sur l'amour quand je sais de quoi je suis capable."
Zak ne pourra qu'être le témoin impuissant de cette passion destructrice entre les deux poètes. Toujours présent aux côtés de sa cousine, afin de grappiller un peu de son attention, il se nourrira seulement des souffrances des acteurs et victimes de cette histoire, ainsi que de celles de Rachel, sa petite voisine, qui aime Zak comme ce dernier aime Ilse.

Ordalie est un roman très bien ficelé, qui me fait toujours plus apprécier Cécile Ladjali, qui se renouvèle de roman en roman tout en gardant quelques sujets de prédilection (l'obsession des mots notamment).
Ilse et Lenz, ce sont en fait Ingeborg Bachmann et Paul Celan, deux poètes majeurs de l'après-guerre profondément blessés, qui se sont nourris l'un de l'autre, dans leurs oeuvres et dans leurs vies. Ordalie utilise leurs écrits pour dévoiler leur passion mais aussi une Europe détruite de l'après guerre confrontée à des choix. En suivant cet amour décrit par un narrateur plus pathétique qu'appréciable, nous traversons en effet l'Europe et les dilemmes de l'après guerre grâce à un jeu de miroirs habilement mis en place par Cécile Ladjali.
Ilse ne renonce jamais vraiment à Lenz. Lui se marie, avec une femme qui ne pourra jamais prendre la placebachmann_celan_1_ d'Ilse, mais avec laquelle il peut fonder une famille. En ce qui concerne le reste, le gouffre qui sépare les deux amants est le même. Après la guerre, il y a ceux qui, comme Ilse, croient encore au pouvoir des mots, tentent de le raviver, et de créer quelque chose de nouveau. La vision de Lenz et de Zak est beaucoup plus pessimiste, même si c'est pour des raisons opposées. Zak, malgré la fascination qu'exerce sa cousine sur lui, demeure nostalgique de l'époque nazie. Quant à Lenz, la guerre l'a laissé incapable d'espérer. Il se détourne de la politique, dédaigne les groupes littéraires qu'il juge snobs et vains. Pour les deux hommes, le verdict est sans appel : "Ilse s'était acharnée à vouloir faire fleurir les pierres", alors que "le coeur de l'humanité avait cessé de battre depuis sept ans."
La guerre n'est jamais mise au premier plan dans ce récit, qui se concentre exclusivement sur les personnages d'Ilse et de Lenz. Pourtant, à travers eux, c'est toute l'Histoire qui apparaît, et donne à cette biographie romancée d'un amour tourmenté une nouvelle dimension.

Paul Celan s'est donné la mort en 1970. Ingeborg Bachmann est morte brûlée vive trois ans plus tard, à Rome, dans l'incendie de sa chambre d'hôtel.

Je recommande plus que chaudement !

Challenge 1% de la Rentrée Littéraire 2009 : 1/7.
Photo : Ingeborg Bachmann et Paul Celan en 1952.

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30 août 2009

Le Gardien du Feu ; Anatole Le Braz

le_braz_1_Liv'Editions ; 254 pages.
1900
.

C'est Wictoria qui m'a donné envie de découvrir cet auteur que je ne connaissais jusque là que de nom.

1876. Goulven Dénès est le gardien du phare de Gorlébella (ou phare de la Vieille), au large de la pointe du Raz, en Bretagne. Ils sont trois à se relayer dans ce lieu coupé de tout, toujours deux dans le phare et un à terre.
Le récit débute alors que Goulven a enfermé sa femme Adèle et Louarn, l'un de ses collègues, dans une chambre du phare. Il a appris quelques temps auparavant que celle qu'il adorait le trompait avec l'homme auquel il a offert une position. Sa vengeance est à la hauteur de sa souffrance, et il laisse ses prisonniers mourir de faim.
La Gardien du Feu est l'histoire de sa vie par lui-même.

Voilà un livre étrange dont j'ai apprécié la lecture, même si j'avoue que je m'attendais à être davantagesecouée.
Il nous fait remonter dans le temps, à une époque où la Bretagne était considérée comme une terre vaste, divisée en pays ayant des coutumes diverses, voire incompatibles. En épousant Adèle, une Trégorroise, Goulven est avertiPointe_du_Raz qu'il pourrait bien le regretter. Surtout qu'ils poussent l'audace jusqu'à se rendre sur la pointe du Raz, là où tout est embrumé, où l'on regarde les étrangers d'un air étrange, et où les légendes ne prédisent rien de bon.
Ceci donnait au livre un côté sympathique mais sans plus. Durant la première partie de ma lecture, j'avais du mal à me fondre réellement dans l'ambiance, et à comprendre l'intérêt que présentait réellement ce texte.
En fait, je suis complètement entrée dans le jeu d'Anatole le Braz, qui manipule la narration et la connaissance qu'il a des mystères de sa Bretagne pour tromper le lecteur, et lui faire lire au premier degré un récit bien plus noir et original qu'il n'y paraît. La fin du livre se lit avec un oeil neuf, douloureusement, parce notre regard n'est plus détourné et que l'on connait déjà l'issue du calvaire conté par un Goulven qui n'entend plus que sa haine. Contrairement à Wictoria, je n'ai aucun doute sur ce qu'il s'est réellement passé, même si l'on ne peut effectivement que le deviner.

Yvon a également lu ce texte. Il existe une adaptation de ce roman en bande dessinée, appréciée par La Liseuse

24 août 2009

Cosmos ; Witold Gombrowicz

41111E7C12LFolio ; 220 pages.
Traduit par Georges Sedir.
1964
.

Le narrateur, brouillé avec sa famille, décide de louer une chambre dans un village avec Fuchs, un autre jeune homme en quête d'apaisement. Les choses commencent mal, avec la découverte par les deux hommes d'un moineau pendu, vraisemblablement par un adulte, à proximité de la pension de famille où ils décident de louer une chambre. Dans le même temps, notre narrateur décèle un lien entre la bouche de Catherette, la servante, et celle de Léna, la fille des propriétaires de la maison.

Les points de départ de cette histoire sont complètement absurdes, et j'imagine que vous avez haussé les sourcils en lisant mon résumé. Pourtant, j'ai compris en lisant Cosmos pourquoi tout le monde sauf moi connaît Gombrowicz depuis toujours. J'ai adoré Les Envoûtés, Cosmos est une révélation.
Je pense que je suis loin d'avoir compris ce texte, mais il m'a captivée de bout en bout. Ici, tout est encore plus travaillé, plus subtil que dans Les Envoûtés. Ce dernier texte a été écrit avant tout pour distraire un large public, et c’est l’intrigue, aux multiples rebondissements, qui donnait du rythme à l’ensemble.
Cosmos est un roman dans lequel il ne se passe presque rien, mais qui donne exactement le sentiment inverse grâce à l'écriture de Gombrowicz. Il règne une ambiance malsaine dans ce texte, et la plume de Gombrowicz prend un plaisir évident à tendre le récit et à jouer avec l'absurde afin de renforcer cette impression. Il martèle les réflexions répétitives de son narrateur, crée des personnages qui usent étrangement du langage, s’attache à creuser tous les détails, et nous fait pénétrer dans une réalité totalement tronquée, car vue à travers les yeux d’un individu perturbé. Les points de départ de cette histoire semblent absurdes car il ne s'agit que d’infimes détails, mais ils permettent à Gombrowicz de construire une analyse très fine de la psychologie humaine.
L'infiniment petit domine, mais il prend des proportions énormes quand on le voit à travers les obsessions de notre narrateur. Un moineau pendu devient un véritable crime, de simples mouvements des mains deviennent suspects, des traits sur les murs deviennent des flèches indiquant d’autres méfaits, et le lecteur se laisse embarquer le plus naturellement du monde dans cette sorte de roman policier sans éléments liés rationnellement, sans victime et sans meurtrier. A quoi bon tout cela ? A montrer que les interprétations d’un seul individu, victime d’ennui (comme le suggère Fuchs), de délires obsessionnels, et de désir passionnel et glauque, peuvent lier entre eux des événements indépendants, faire exploser un cocon, et manipuler à merveille le lecteur.
Il y a sans doute beaucoup plus dans ce livre, mais il faudra certainement que j’approfondisse davantage ma connaissance de Gombrowicz pour le voir. Les auteurs que j'apprécie le plus sont ceux qui semblent avoir des obsessions que l'on retrouve d'un livre à l'autre. Ils me donnent la sensation de chercher des réponses qu'ils ne trouvent jamais, et en bonne curieuse, j'ai envie de chercher avec eux. Gombrowicz doit être de ceux-là. Ainsi, comme dans Les Envoûtés, la correspondance entre les éléments, les personnes et les événements occupe une place capitale, et ce qui est orphelin lui déplaît profondément.

J'ai peur de vous donner l'impression que ce texte est un joyeux n'importe quoi, ou qu'il s'agite beaucoup pour pas grand chose. C'est totalement faux. Il y a quelques semaines, je ne connaissais même pas Witold Gombrowicz de nom, mais Cosmos fait déjà partie de mes livres favoris.

Levraoueg a aussi aimé tout en étant déconcertée. Dominique nous livre diverses interprétations de ce grand roman.

19 août 2009

Sorties Poches

Deux livres que je n'ai pas vraiment compris, mais que je recommande chaudement malgré tout, viennent de sortir en poche.

ailleurs

Ailleurs, de Julia Leigh.

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Les Souffleurs de Cécile Ladjali, qui vient de sortir un nouveau texte. Mon billet.

15 août 2009

Les Envoûtés ; Witold Gombrowicz

resize_6_Folio ; 468 pages.
Traduit par Albert Mailles, Hélène Wtodarczyk et Kinga Fiatkowska-Callebat.
1939
.

Nous sommes en Pologne à la fin des années 1930. La noblesse terrienne est en crise, et doit se résoudre à des solutions "dégradantes" pour survivre. Walczak, un jeune homme de vingt ans, est ainsi engagé comme professeur de tennis pour la jeune Maya Okholowska, dont la mère prend des pensionnaires pour conserver Polyka son domaine.
Dans le train qui l'amène chez ses nouveaux employeurs, Walczak rencontre Skolinski, un vieux professeur, qui est pour sa part déterminé à découvrir les trésors que renferme Myslotch, le château proche de Polyka, dont le maître a perdu la raison, et est à la merci de Kholawitski, le fiancé de Maya.
La rencontre entre Maya et Walczak est explosive. Ils sont tous deux bourrés de défauts qui les rendent peu sympathiques a priori. Très vite, leur entourage perçoit entre eux une ressemblance indéniable et inexplicable. Ils se cherchent, se cognent (dans tous les sens du terme), et commettent des actes qu'ils ne s'expliquent pas.
En parallèle, la lutte s'engage très vite à Myslotch entre Skolinski et Kholawitski, pour découvrir les secrets du vieux prince, et notamment celui de la Vieille Cuisine, dans laquelle une serviette remue inexplicablement, et où plusieurs y ont laissé la raison.

J'ai complètement adoré ce livre passionnant de bout en bout. Il mélange tous les genres de façon admirable. C'est son ambiance désuète et quelque peu gothique qui m'a d'abord séduite. Myslotch est une demeure captivante, délabrée, entourée d'une végétation sauvage qui l'isole, et pourvue de passages secrets. Le surnaturel a par ailleurs envahit les lieux suite à des drames dont plus personne ne se souvient.

"La nuit tombait et couvrait déjà les feuillages de son voile. Une lune démesurée émergea au-dessus des prés. Des chiens aboyèrent au loin. Walczak, interrogeant les ténèbres grandissantes, ne pouvait réprimer une étrange inquiétude. Soudain il pensa qu'il rêvait..."

Le mystère ne s'arrête pas là puisque le lecteur est également amené à s'interroger sur le lien qui unit Maya et Walczak, la jeune aristocrate et le prodige du tennis. Il semble bien que la proximité du château y soit pour quelque chose, mais même à Varsovie, où les deux jeunes gens ont fuit après s'être violemment battus pour mieux se retrouver ensuite, ils semblent faits l'un pour l'autre. Kholawitski est blessé, les pensionnaires de Polyka sont choqués mais se régalent d'un tel scandale, et les deux principaux intéressés sont eux aussi perplexes. D'autant plus que des crimes pour lesquels Maya et Walczak se soupçonnent mutuellement sont commis.
Amours, fantômes, envoûtements, meurtres, luttes de pouvoir, étude psychologique, bouleversements sociaux, tout est réuni pour donner lieu à un roman foisonnant servi par une très belle écriture. La fin du livre, retrouvée seulement en 1986, est un peu prévisible, mais mon côté fleur bleue n'a pas résisté.

Un gros coup de coeur, qui me donne très envie de découvrir davantage la littérature polonaise.

Praline a également été conquise. Sentinelle a moins aimé. 

12 août 2009

Le Proscrit ; Sadie Jones

resize_6_Buchet Chastel ; 377 pages.
Traduit par Vincent Hugon.
The Outcast. 2008.

J'attends depuis des mois que Fashion s'impatiente de ne pas revoir son livre, et qu'elle m'envoie le Docteur pour le récupérer. En vain...*

Angleterre, 1957. Lewis vient de sortir de prison, et il décide de rentrer à Waterford, chez son père et sa belle-mère, là où tout le monde voudrait l'avoir oublié. Deux ans plus tôt, alors qu'il n'avait que dix-sept ans, Lewis a incendié l'église du village.
Nous suivons dès lors le fil de sa vie, depuis le retour de Gilbert, son père, du front de la Deuxième Guerre mondial, alors que Lewis n'a que sept ans. Trois ans plus tard, sa mère, une femme aimante, et originale selon la communauté de Waterford, se noie sous les yeux impuissants de Lewis. Gilbert se remarie quelques mois plus tard avec Alice, une jeune femme qui ne parviendra pas plus que son époux à établir un lien avec l'enfant, qui va peu à peu être mis à l'écart par les autres, jusqu'à ce qu'il commette un crime. "Lewis était pour elle pareil à un oiseau blessé. Et les oiseaux blessés finissaient toujours par mourir."  

Les Anglais ont vraiment un don pour savoir écrire des romans passionnants, oppressants, même lorsqu'au départ, le sujet n'était pas particulièrement original.
L'hypocrisie de la société, la peur de l'autre, le besoin de se trouver des boucs émissaires et d'en créer sont des éléments que l'on retrouve dans nombre de romans, mais c'est malgré tout une histoire particulièrement intense que nous livre Sadie Jones. Ce livre est douloureux et sa lecture n'est pas souvent agréable, car les personnages que l'on voit évoluer sont pour beaucoup au bord de l'étouffement. Il fait gris en permanence, et l'explosion finale semble de plus en plus inévitable. Rien n'est dit, aucune tentative de parler d'autre chose que du temps qu'il fait n'aboutit. Les personnages, qui s'expriment tour à tour, vont de malentendu en malentendu. C'est particulièrement visible entre Lewis, son père et sa belle-mère, mais chez les Carmichel, la situation est tout autant tendue. L'alcoolisme, la mort, les coups, la maladie, tout se fait en secret. Dire la vérité est donc le pire des crimes. "Frapper sa femme avait quelque chose d'irrationnel et leur avait toujours paru honteux à tous les deux, tandis que corriger sa fille, même avec une grande sévérité, appartenait au domaine des comportements admis. Peut-être Kit ne s'en porterait-elle que mieux. Claire ne voulait simplement pas voir ça."
Par conséquent, un personnage comme Lewis est tout simplement intolérable, d'autant plus que la petite Kit Carmichel est amoureuse de lui, et que sa famille lui a donné de nombreuses raisons de se rebeller. Le parcours de ce garçon, qui passe d'une enfance avec une mère aimante à un foyer froid se développe logiquement sous les regards dédaigneux des bourgeois de Waterford et impuissants du lecteur. Lewis est près à tourner la page et à rentrer dans le rang, mais il fait trop peur aux autres, qui ne tardent pas à le cataloguer, et finalement à le pousser à réagir exactement à l'opposé de ce qu'ils voulaient.

Un très beau roman qu'il est difficile de lâcher une fois commencé.

Les avis de Fashion (qui ajoute une vidéo du teaser, qui rappelle furieusement Expiation de Ian McEwan je trouve, mais qui donne bien le ton), de Cathulu, de Lily, de Cuné, de Clarabel, d'Amanda et de Tamara.

*merci quand même !

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