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lilly et ses livres
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17 avril 2021

Le Tumulte des flots - Yukio Mishima

Mishima"Dans l’après-midi la lumière du soleil qui s’abaissait fut coupée par le mont Higashi et les environs du phare furent dans l’ombre. Un faucon tournoyait dans le ciel clair au-dessus de la mer. Du haut du ciel il repliait une aile, puis l’autre comme pour les essayer, et au moment où l’on croyait le voir tomber, il se retirait brusquement vers l’arrière et planait, les ailes immobiles."

Shinji vit sur la petite île d'Utajima avec sa mère et son petit frère. Ils sont pauvres, comme la plupart des habitants de l'île. Chef de famille depuis la mort de son père pendant la guerre, Shinji est un pêcheur sérieux et un grand nageur. Sa mère, à l'image des autres femmes, plonge pour cueillir des algues.
La tranquilité d'Utajima est troublée un soir par l'apparition d'une inconnue. C'est Hatsue, la fille de l'homme le plus aisé de l'île, qui fait son retour.

Lorsqu'on se penche sur la littérature japonaise, on croise inévitablement le nom de Yukio Mishima. Auteur mondialement apprécié, il est aussi connu pour ses idées nationalistes et sa fin tragique par seppuku, après un coup d'Etat raté.
Le Tumulte des flots est un livre prometteur, mais je suis contente de lire qu'il n'est pas le plus représentatif de l'oeuvre de Mishima car sa fin s'est révélée un peu décevante.

C'est un livre très beau, poétique, sur l'éveil amoureux et la puissance de la nature. Il fait la part belle à la simplicité, opposant l'excitation et l'oppulence de la ville au dénuement d'Utajima, où les habitants ignorent le vol, s'organisent pour entretenir les biens communs et respectent la supériorité des éléments. Chacun, mère, jeune gens, homme, a son rôle à tenir et le fait sans rechigner.

"Contrairement aux milieux bourrés de tant d’excitations dans lesquels vit la jeunesse des villes, à Utajima on ne trouvait pas un établissement avec billard mécanique, pas une seule buvette, une seule serveuse. Le seul rêve bien simple du garçon était seulement de posséder un jour un bateau à moteur et de faire du cabotage avec son jeune frère."

La rencontre entre Shinji et Hatsue est dans la lignée de cette vision des choses. Leurs sentiments, l'attirance physique qu'ils éprouvent sont simples et purs.
Malheureusement pour eux, des considérations financières et la jalousie vont venir menacer leur bonheur. Utajima est un paradis, mais un paradis humain. J'ai particulièrement aimé le personnage de Chiyoko, la fille du gardien du phare. Convaincue de sa laideur, principale responsable presque malgré elle des malheurs de Shniji, il s'agit du personnage le plus touchant du roman.

Cette fille qui, par raison, n’avait jamais eu une aventure à Tôkyô, espérait chaque fois qu’elle retournait dans l’île que quelque chose de merveilleux lui arriverait, quelque chose qui changerait complètement le monde où elle vivait.

Même si ce livre nous conte une histoire plutôt sérieuse, l'auteur parsème son récit de petites touches d'humour bienvenues. Il va même jusqu'à conclure son roman d'une façon qui m'a semblé un peu trop en décalage avec le reste. Peut-être que mes attentes étaient trop précises également. Je rêvais de bruit et de fureur, j'ai bien croisé un typhon (de loin la scène la plus remarquable du roman), mais de façon trop furtive.

Une lecture qui n'a pas été complètement convaincante, mais Yukio Mishima vaut assurément le détour.

Folio. 256 pages.
Traduit par Gaston Renondeau.
1954 pour l'édition originale.

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26 mars 2020

Drame de chasse - Anton Tchekhov

drameUn rédacteur en chef reçoit la visite d'un certain Ivan Kamychov qui lui remet le manuscrit de ce qu'il appelle un roman. Il laisse cependant entendre que son texte a une dimension autobiographique.

Un juge d'instruction, Serguéï Pétrovitch Zinoviev, jeune et beau garçon reçoit, après deux ans sans le voir, l'invitation du comte Karnéïev. Bien qu'il le méprise, Zinoviev n'a jamais pris la peine de refuser son amitié au noble propriétaire terrien. Ainsi se rend-il sur son domaine où, accompagné du comte, de son intendant Ourbénine et d'un invité hostile, il voit pour la première fois la jeune fille en rouge.
Lors de leur rencontre avec la jeune fille en rouge, Zinoviev, Karnéïev et Ourbénine sont envoûtés par elle. Vivant avec son père sénile, la jeune Olga va accorder sa main au vieil intendant de façon irréfléchie. Ses actions ultérieures et celles de ses deux autres prétendants vont précipiter tous les personnages vers leur perte.

Unique roman d'Anton Tchekhov et publié en feuilleton, Drame de chasse est présenté comme étant un roman policier. La préface précise que c'est surtout une parodie du genre.
Ainsi, si vous cherchez une enquête policière palpitante, je ne suis pas certaine que vous serez contenté avec ce livre dont Tchekhov, sous les traits du rédacteur en chef, avertit dès le début qu'il s'agit d'une oeuvre médiocre.

Union mal assortie de Vassili Poukirev"Ce récit n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Il comporte bien des longueurs, bien des aspérités... L'auteur a un faible pour les effets et les phrases clinquantes... On sent bien que c'est la première fois de sa vie qu'il écrit, d'une main novice, inexpérimentée."

En effet, j'ai beau être bon public, il n'est pas difficile de deviner le pot aux roses bien avant la fin et Tchekhov n'est vraiment pas dans la nuance avec Drame de chasse.
La critique du "beau monde" est sévère. Les nobles passent les messes à discuter, organisent des orgies, sont ignorants de tout, hypocrites. Le domaine du comte est dans un état de délabrement indigne, le comte est grossier et son apparence physique ridicule.
Le seul personnage semblant digne de respect est le médecin, ami de Zinoviev, homme honnête et malheureux en amour. Tchekhov exerçant la même profession, il n'est pas étonnant qu'il ait accordé son indulgence à ce personnage en particulier.
J'ai eu de gros espoirs, pensé trouver dans la description de cette société une certaine complexité. Le narrateur et son ancienne conquête, Nadia, semblent être de nouveaux Eugène et Tatiana. Olga pourrait être autre chose qu'une écervelée. Le médecin, dont le nom m'échappe déjà, pourrait ne pas être présent uniquement parce que Tchekhov crée un personnage de cette profession dans chacune de ses oeuvres. Malheureusement, l'auteur semble avoir été déterminé à proposer une intrigue médiocre.

Un roman assez inégal, qui m'a tour à tour intriguée, passionnée puis lassée.

Babel. 316 pages.
Traduit par André Markowicz et Françoise Morvan.
1884-1885.

Un billet qui s'inscrit dans le Mois de l'Europe de l'Est de Patrice, Eva et Goran.

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21 février 2022

La Débâcle - Emile Zola

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Avant-dernier opus des Rougon-Macquart, La Débâcle s’étend de la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu'à la Commune. Alors qu'à Paris, la propagande tente de maintenir l’illusion d’une victoire imminente, sur le front les rumeurs n'en finissent pas de se contredire. Laissés pour compte, affamés, les soldats français s'organisent comme ils peuvent. Parmi eux, Jean Macquart et Maurice Levasseur, se lient d'une profonde amitié.

Grande fresque historique dénonçant la guerre avec fermeté, ce roman mêle à la fois les tragédies collectives et les drames individuels. Fait notable chez Zola, il n'y a pas de personnage haïssable dans les rangs français (l'auteur avait choisi son camp). Si l'on occupe longuement le champ de bataille, le romancier nous montre aussi les conséquences de la guerre sur tout un territoire. Villes et champs sont dévastés et jonchés de cadavres puants, les animaux sont massacrés en même temps que les hommes, les populations brutalisées et financièrement saignées par les vainqueurs.

Avec son style toujours très visuel, Zola nous fait assister à des scènes inoubliables de chevaux débandés, de blessés amputés à la chaîne. Plus tard, les massacres de la Commune sont difficilement soutenables, et l'auteur nous offre un final le long de la Seine à la fois sublime et terrible dans Paris incendié.

Comme toujours avec cet auteur, on ressort bouleversé et impressionné. Ce livre intègre la liste de mes Zola préférés, ce qui n'est pas peu dire.

Folio. 663 pages.
1892 pour l'édition originale.

10 avril 2021

La Papeterie Tsubaki - Ito Ogawa

ito ogawaAprès la mort de l'Aînée, Hatoko est revenue à Kamakura pour tenir la papeterie familiale. Ses clients lui achètent généralement des articles de bureau, mais requièrent aussi ses services d'écrivain public pour des demandes particulières et souvent délicates.

Cela fait quelques années que je vois passer les livres d'Ito Ogawa sur les blogs et les réseaux sociaux. J'ai profité de la perspective du Mois du Japon pour la découvrir.

La Papeterie Tsubaki est un livre sur un métier tombé en désuétude, celui d'écrivain public.
De nos jours, la plupart des Occidentaux savent écrire. Nous n'utilisons d'ailleurs plus tellement nos stylos puisque la correspondance est de plus en plus électronique.
Pourtant, qui n'aime pas recevoir du courrier ? Certaines circonstances méritent particulièrement que l'on prenne le temps de montrer que nous n'avons pas fait les choses à la va-vite. Dans une société aussi policée que le Japon, c'est encore plus vrai.
A travers les rencontres que son héroïne fait dans sa papeterie, Ito Ogawa révèle l'art d'écrire. Qui, mieux qu'un écrivain public connaît l'importance du choix des mots, de l'encre, du timbre, ou même du papier ?

En tant que novice, aussi bien en ce qui concerne la littérature japonaise que dans la connaissance de l'histoire de l'écriture, j'ai sans doute davantage adhéré à ce livre qu'un lecteur averti le ferait. Cela dit, je dois reconnaître qu'il ne m'en reste déjà plus grand chose.
Les personnages sont sympathiques mais sans originalité et l'auteur creuse trop peu son histoire pour qu'elle soit réellement émouvante.

Un livre à découvrir pour passer un doux moment, mais qui ne marquera pas mon parcours de lectrice.

Moka est nettement plus convaincue que moi. Lewerentz partage mon avis.

Le Livre qui parle. 6h50.
Lu par Peggy Martineau.
2016.

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17 mai 2021

La Maison dans laquelle -Mariam Petrosyan

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" [...] j'avais compris que le goût des habitants de la Maison pour les histoires à dormir debout n'était pas né comme ça, qu'ils avaient transformé leurs douleurs en superstitions, et que ces superstitions s'étaient à leur tour muées, petit à petit, en traditions. Et les traditions, surtout lorsque l'on est enfant, on les adopte immédiatement. Si j'étais arrivé ici il y a quelques années, peut-être que je trouverais banal de communiquer avec les morts."

Autant parce que ce livre est impossible à résumer que pour préserver le plaisir de la découverte, je ne vous dirai pas grand chose de l'histoire qu'il raconte. Sachez seulement qu'il existe une maison dont les murs sont recouverts d'inscriptions manuscrites et certaines fenêtres murées. Ses habitants sont des adolescents livrés à eux-mêmes la plupart du temps, répartis dans des groupes où la hiérarchie est stricte. Ils ne se font appeler que par le surnom qu'on leur a attribué. L'Extérieur n'existe plus, il est interdit d'en parler.

Il est rare de croiser un livre offrant tant de niveaux de lecture, tous parfaitement réussis de surcroît. La Maison dans laquelle est un roman qui ressemble à un conte macabre. C'est aussi une immersion dans un institut où tous les habitants paraissent fous. On peut voir ce livre comme la description d'un monde qui ne laisse pas de place aux personnes handicapées et qui préfère les tenir à la marge. Enfin, c'est une métaphore de la condition humaine, à laquelle nous espérons tous échapper en nous racontant des histoires et en accumulant des souvenirs qui finissent par ne plus rien nous rappeler.

Cette ambivalence contamine les personnages, perçus par différents narrateurs. Pour démêler le vrai du faux (s'ils existent), on ne peut compter ni sur l'Aveugle, chef implacable et adolescent pathétique à la fois, ni sur l'éducateur tour à tour clairvoyant et drogué aux mystères de la Maison. Les personnages parlent par énigmes, et l'on se demande si c'est pour dissimuler leurs crimes ou bien leurs traumatismes.
Les amitiés (s'il s'agit bien de ça) sont étranges mais indéfectibles. Les liens entre les habitants sont tels que la parole est souvent inutile. On tombe sous le charme de ces jeunes qui semblent avoir tant vécu, effrayés à l'idée de grandir, et capables de la violence la plus pure comme de faire preuve d'une solidarité exceptionnelle.

Dès le premier chapitre, on est happé par cette histoire qui nous rappelle à quel point la lecture est un plaisir et un refuge. J'ai craint un essoufflement, une mauvaise direction, qui aurait gâché ce parfait instant de lecture. Mais rien n'est venu rompre le charme. Il y a du Lewis Carroll, du Jorge Luis Borges, du J.M. Barrie et même du Kazuo Ishiguro dans ce livre, et en même temps il est unique.

La Maison dans laquelle est un chef d'oeuvre, une lecture labyrinthique ficelée avec un soin méticuleux. Vous y serez partagé entre un sentiment de malaise, des éclats de rire (oui !), de la terreur et des larmes.

"Dès qu'ils le voyaient, les éducateurs se mettaient à compter machinalement les années qui les séparaient de la retraite. Ses voisins de chambrée rêvaient de l'étrangler. Putois avait neuf ans, et au cours de cette brève existence, il avait déjà eu le temps de commettre bien des forfaits."

Laissez-vous glisser dans ce livre.

Monsieur Toussaint Louverture. 1070 pages.
Traduit par Raphaëlle Pache.
2009 pour l'édition originale.

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27 juin 2021

Le Cercle fermé - Jonathan Coe

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« Eh bien... eh bien, ça s’appelle Agitation, et ça parle des événements politiques des trente dernières années, et de leur rapport avec... les événements de ma propre vie, je dirais. »

Les Anglais s'apprêtent à fêter le nouveau millénaire sous l'égide de leur charismatique premier ministre, Tony Blair. Claire rentre en Angleterre, où elle retrouve son ex-mari, Philip et leur fils Patrick. Avant cela, elle s'est rendue en Normandie et a mis un terme à son attente desespérée de sa soeur disparue depuis presque trente ans. A Birmingham, elle croise par hasard Benjamin Trotter. Devenu comptable alors que tous le voyaient écrivain, sa vie sentimentale est un désastre. Son frère, l'imbuvable Paul, n'a pas eu ses hésitations et fait partie de la vague montante de jeunes députés travaillistes.  

Après mon coup de coeur pour Bienvenue au club, je ne pouvais pas résister à l'envie de découvrir la suite des aventures de ses personnages.

Et si, d'adolescents prometteurs, nous étions condamnés à ne devenir que des adultes décevants ? Les idéaux et les principes très arrêtés de notre jeunesse volent souvent en éclats face à la réalité d'une routine abrutissante ou d'une rencontre réveillant des choses que l'on croyait disparues depuis longtemps. Il est frappant d'observer que les adolescents d'autrefois ressemblent beaucoup à leurs parents.

" Je dois repartir. De zéro. Et je dois commencer par faire ce qu’il y a de plus dur au monde, ce que j’ai refusé de faire toutes ces années : abandonner tout espoir. "

Alors que le précédent tome décrivait les prémices du thatcherisme, Jonathan Coe analyse ici la politique blairiste, qui détricote les services publics et conduit la Grande-Bretagne à participer à l'intervention en Irak sans l'aval des Nations-Unies. L'Angleterre du début du troisième millénaire, c'est aussi les programmes de télé-réalité, repoussant toujours plus loin les limites de la médiocrité. Les vraies nouvelles idoles ne sont pas les jeunes députés dotés d'une conseillère médiatique (ce n'est pas vraiment un mal) et encore moins les scientifiques permettant des découvertes majeures. Il ne faudrait tout de même pas aborder les vrais problèmes et pointer les vrais coupables.
Autre sujet d'importance qui gangrène le pays, le racisme.

" Je veux dire, le racisme est partout, mais il n’est pas proclamé. Si tu veux du racisme, va dans l’Angleterre profonde et incruste-toi dans un dîner du Rotary. Tu trouveras tout un tas de gens, anglais, blancs, bourgeois, qui fondamentalement n’aiment pas les Noirs, qui n’aiment personne en dehors de leur petit monde, mais qui sont bien lotis, qui mènent leur vie comme ils l’entendent et qui donc n’ont pas besoin de passer à l’acte, à part peut-être en lisant le Daily Mail et en déblatérant entre eux au bar après une partie de golf. Ça, c’est du racisme. Alors que les gens dont tu parles, ceux qui s’organisent, qui vont dans des manifs et qui provoquent des bagarres, ceux qui en parlent ouvertement... ça, c’est autre chose. Ce sont aussi des victimes. Des perdants. Leur peur et leur sentiment d’impuissance sont si forts qu’ils sont incapables de les dissimuler. En fait, c’est même pour ça qu’ils font des choses pareilles : ils veulent qu’on sache qu’ils ont peur. "

Plus sournoise, une frange de l'extrême-droite n'est plus ouvertement aussi violente qu'auparavant, mais invite à une communion avec la ruralité loin de "la société moderne urbanisée, décadente et multiculturelle" (je n'y avais jamais pensé).

Un roman moins jouissif que Bienvenue au club, qui alliait les registres à la perfection, mais une observation toujours aussi pertinente et cynique (voire prémonitoire) de l'Angleterre et de ses habitants.

Folio. 549 pages.
Traduit par Jamila et Serge Chauvin.
2004 pour l'édition originale.

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30 mai 2022

Tormento - Benito Pérez Galdós

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Madrid, 1867. Don Francisco Bringas est un fonctionnaire mal payé. Son épouse essaie de tirer le meilleur parti de leurs relations afin de leur assurer un certain train de vie et de protéger l'avenir de leurs enfants. Parmi les serviteurs de la famille se trouve Amparo, une orpheline aussi belle que dévouée, que les Bringas ont promis de ne pas abandonner. Lorsqu'un parti très avantageux pour la jeune fille se présente, la jalousie de Madame Bringas et un ancien secret déshonnorant menaçent l'union projetée.

C'est peu dire que la littérature de langue espagnole n'est pas très présente sur ce blog. Il a fallu qu'Ingannmic et Goran lancent leur Mois Latino-Américain pour que cette catégorie prenne un peu d'ampleur. Je n'avais jamais entendu parler de Benito Pérez Galdós avant que l'éditeur me propose de découvrir ce recueil, mais la comparaison avec Dickens et Balzac a eu raison de ma méfiance.

Ce livre se lit un peu comme une pièce de théâtre, une forme d'autant plus logique qu'elle est utilisée par Benito Pérez Galdós dans certains chapitres. L'auteur dresse un portrait très sarcastique de la société madrilène à la veille de la révolution de 1868, où tout est fondé sur un paraître d'autant plus absurde que tous ses membres se connaissent suffisamment pour que personne ne soit dupe. Galdós affame les enfants, transforme le respectable Bringas en fée d'intérieur, ce qui rend la lecture du roman très drôle. Malgré cela, il nous présente aussi à travers le personnage d'Amparo une société où la moindre faiblesse de jeunesse peut ruiner tout espoir.

Tormento est trop court, et la comédie trop présente, pour que le drame nous emporte comme peuvent le faire les romans des auteurs du XIXe les plus reconnus, mais j'ai hâte de lire le deuxième roman du recueil pour découvrir s'il contient des informations sur le devenir des personnages que j'ai quittés de façon trop abrupte à mon goût. Et j'espère qu'un éditeur prendra la peine de traduire les oeuvres les plus célèbres de Benito Pérez Galdós qui semblent incontournables.

Je remercie les Editions du Cherche Midi pour l'envoi de ce livre.

Le Cherche Midi.
Traduit par Sadi Lakhdari.
2022.

Source: Externe

6 mai 2022

La Tache - Philip Roth

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Alors que l'affaire Lewinsky défraie la chronique, Coleman Silk, respectable professeur de lettres classiques juif et ancien doyen de la faculté de lettres de l'université d'Athena, est accusé d'avoir tenu des propos racistes par deux étudiants n'ayant jamais assisté à ses cours. Ce scandale est une opportunité pour ses rivaux, en particulier Delphine Roux, la nouvelle doyenne. Même ses amis ne se bousculent pas pour le défendre. L'épouse de Silk ne survivra pas au scandale.
Deux ans plus tard, encore aigri au point d'avoir demandé à Nathan Zuckerman d'écrire un livre sur l'affaire, l'ancien universitaire désormais retraité reçoit un courrier l'accusant d'entretenir une relation abusive avec une femme de ménage de l'université âgée de trente-quatre ans.

Ce roman, pensé comme une suite de J'ai épousé un communiste, est d'une actualité brûlante tout en me semblant moins pertinent que d'ordinaire (pardon Philip). Le parallèle avec la chasse aux sorcières est à nuancer parce que les jeux de pouvoir sont bien différents. Quelle que soit la portée des discours antiracistes et féministes ou de leurs dérives, ils ne sont pas portés par des gouvernants (ou alors par opportunisme électoral, et donc à la merci d'un retournement de veste qui ne manquera pas d'intervenir). Le harcèlement et la cancel culture sont avant tout des armes servant les groupes dominants. Une Delphine Roux est au mieux une exception, plus probablement encore un pur personnage de papier, quoi qu'en disent les petits chéris terrorisés par le soit-disant "islamo-gauchisme".

En revanche, il serait réducteur et périlleux de considérer ce livre comme un simple pamphlet réactionnaire et provocateur. Si Coleman Silk ne peut être considéré comme un cas général, il n'en est pas moins un drame individuel scandaleux. Nous sommes peu de choses face au caractère définitif d'une étiquette. Les individus sont bien plus complexes que ce que n'importe quelle idéologie tente de nous faire croire, et cela vaut aussi pour les chevaliers blancs autoproclamés.

Et puis, quand bien même j'ai grincé des dents, Roth nous présente comme à son habitude des personnages principaux d'une intensité et d'un réalisme incroyables. A l'image d'Ira Ringold et Seymour Levov, Coleman Silk a mené une vie pleine d'espérance, a bâti son rêve américain avant de le voir s'effondrer. Est-on condamné à se piéger soi-même ?

Folio. 479 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
2000 pour l'édition originale.

31 mai 2022

Premier amour - Ivan Tourgueniev

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Lors d'une soirée entre amis, Vladimir Petrovitch lit le récit de sa rencontre avec Zinaïda, la fille d'une princesse ruinée, lorsqu'il avait seize ans. Eblouissante, la jeune fille s'entoure d'une nuée d'admirateurs espérant être son futur époux. Vladimir Petrovitch, fortement épris, ne tarde pas à soupçonner que Zinaïda aime un homme et cherche à l'identifier.

J'ai découvert la littérature russe avec ce livre il y a une quinzaine d'années. Le rebondissement final m'avait suffisamment marquée pour que je veuille le relire afin de déterminer si j'avais été aussi naïve que le narrateur. Je dois admettre que oui, qu'iil suffit d'un peu de cynisme et de résignation à l'égard de la nature humaine pour voir le problème arriver à des kilomètres.

Cette constatation de ma défunte et navrante nature fleur bleue mise à part, la redécouverte de cette nouvelle initiatique a été un enchantement. A ceux qui ont peur des auteurs russes, je conseille la lecture de Tourguniev. Il est moins survolté qu'un Tolstoï, moins perturbé qu'un Dostoïevski, tout en étant passionnant et propriétaire d'une très belle plume.

En peu de pages, nous plongeons dans cette intrigue de campagne et rencontrons la communauté dont est entouré le narrateur : ses riches parents qui ont fait un mariage de raison, leurs nouvelles voisines (Zinaïda et sa très vulgaire mère), ainsi que les vieux célibataires (cosaque, médecin, comte...) essayant d'obtenir les faveurs de la jeune princesse. 

Les rapports entre Vladimir Petrovitch et son père sont également très réussis. L'incompréhension entre les membres d'une famille est un thème cher à Tourgueniev, et même s'il ne s'agit pas de politique comme dans Pères et Fils, l'attitude du père du narrateur envers son fils est déterminante pour la construction de ce dernier.

Je suis bien plus friande de pavés que de nouvelles, mais celle-ci fait partie des exceptions.

Librio. 96 pages.
1860 pour l'édition originale.

Source: Externe

20 avril 2021

Normal People - Sally Rooney

rooneyMarianne et Connell sont originaires d'une petite ville du nord-ouest de l'Irlande. Bien que Marianne soit issue d'une famille très aisée, elle n'a aucun ami dans le lycée qu'ils fréquentent. Ce n'est pas le cas de Connell, le fils de la femme de ménage, après lequel toutes les filles courent. Durant leur année de terminale, les deux adolescents entament une relation amoureuse, que Connell exige de tenir secrète.
L'année suivante, Marianne et Connell se retrouvent à Trinity College. A Dublin, c'est Marianne dont on recherche la compagnie et qui séduit les hommes, tandis que Connell vit dans un appartement exigu et doit travailler pour financer ses études.

Je mentirais en disant que j'ai détesté ce livre. Je l'ai lu en deux jours et j'étais pressée de le retrouver entre chaque pause. Pourtant, objectivement, le succès de ce livre, en particulier dans le secteur adulte, est assez incompréhensible.
Sur la forme tout d'abord, on ne peut que remarquer l'absence totale de style de l'auteur. Les phrases sont courtes et banales. Les personnages sont des caricatures jusque dans leurs vêtements. Ils boivent comme des trous, fument comme des pompiers, et vomissent quand ils se sentent coupables (que celui qui a déjà vu quelqu'un faire ça ailleurs qu'à la télé lève la main).

Sur le fond ensuite, on ne peut que déplorer la superficialité de l'histoire. Tout va très vite puisqu'on balaie en trois cents pages très aérées une relation de plusieurs années.
Sally Rooney nous rapporte presque uniquement des dialogues entre Marianne et Connell, et c'est là que le bât blesse. Si l'on finit par avoir une idée de la relation entre ces deux jeunes gens (assez intéressante au demeurant), tous les autres sujets abordés comme la maltraitance, l'amour de la littérature, la difficulté de s'élever socialement, sont à peine développés.
Je trouve de plus en plus que les auteurs masculins ne savent pas créer des personnages féminins convaincants, originaux, qui sortent des fantasmes habituels. Ce livre est la preuve que les autrices ne sont pas toujours plus douées. J'attends avec impatience que l'on me présente un jeune homme qui, comme Connell, tire d'Emma de Jane Austen une leçon de vie...

"Un soir, la bibliothèque a fermé au moment précis de sa lecture d’Emma où l’on croit que Mr Knightley va épouser Harriet, et après avoir refermé le livre il est rentré chez lui dans un étrange état d’agitation émotionnelle. Il rit de lui-même, de se laisser prendre aux rebondissements de ce genre de romans. Ce n’est pas très sérieux, intellectuellement, de s’inquiéter pour des personnages de fiction qui décident de se marier. Mais il n’y peut rien : la littérature l’émeut."

A part à la toute fin du roman (et encore, c'est d'une banalité affligeante et utilisé pour clôturer le livre), nous n'avons aucune démonstration du talent de Connell pour l'écriture.

A aucun moment, les discussions entre les personnages ne mettent en valeur les questions soulevées par l'auteur. Marianne boude lorsque Connell dépasse les bornes. Elle ne le confronte jamais, bien qu'il se soit permis de dissimuler leur relation par peur d'entacher sa réputation. A l'inverse, lorsque Marianne décroche une bourse dont elle n'a pas besoin, Connell ne lui dit à aucun moment que son attitude est la définition même de l'égoïsme. C'est au lecteur de remplir les manques.

La deuxième moitié du livre est un peu plus intéressante, puisque Connell questionne sa relation avec Marianne, sa dépendance vis-à-vis de lui et son envie de se sentir normal. Pour sa part, Marianne découvre l'envers de ses amitiés et prend davantage sa vie en main, surtout avec son ultime décision (même si je ne suis pas convaincue que c'est ce que l'auteur voulait montrer). Malgré tout, il n'y a pas de réelle rupture avec le début du roman.

Ce livre n'est donc pas la meilleure pioche si vous aimez les campus novels. Dans le même genre, chez le même éditeur et en nettement plus réussi, je vous conseille Le Roman du mariage de Jeffrey Eugenides. Pour ma part, n'étant pas à une contradiction près, je vais rapidement visionner la série qui l'adapte et dont j'ai entendu le plus grand bien.

Editions de l'Olivier. 320 pages.
Traduit par Stéphane Roques.
2018 pour l'édition originale.

20 octobre 2006

Northanger Abbey ; Jane Austen

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Edition 10/18 ; 286 pages.
6,90 euros.

"Jane Austen jugeait désuet l'engouement de son héroïne Catherine Morland pour les terrifiants châteaux moyenâgeux de Mrs Radcliff et les abbayes en ruine du préromantisme anglais. Parodie du roman gothique, satire pleine de saveur de la société anglaise qui prenait ses eaux à Bath, Northanger Abbey est aussi le roman très austénien du mariage et très moderne du "double jeu ". "

Vous allez dire que je commence à vous agacer avec ma Jane Austen... Mais je vous assure que vous auriez tort de ne pas essayer de lire ses livres. Ses livres sont plein d'humour, ses personnages sont extrêmement attachants, son style est unique et très agréable, c'est émouvant, mais sans aucune mièvrerie. En fait, quand on lit un roman de cette auteure, on ne peut qu'être réconcilié avec la littérature classique, et cela nous ouvre de belles perspectives.

Dans Northanger Abbey, l'héroïne, Catherine Morland, se rend à Bath avec des amis de ses parents pour la chaperonner. Il s'agit d'une jeune fille qui n'a rien d'extraordinaire, mais qui se passionne pour les romans gothiques, très prisés par la gent féminine de la fin du XVIIIe siècle. Lors d'un bal, elle rencontre le charmant Mr Tilney, dont elle tombe amoureuse, comme n'importe quelle jeune fille naïve. Il possède de nombreux attraits, dont celui de vivre dans une demeure au nom délicieusement gothique, Northanger Abbey.
A Bath, elle retrouve également son frère, accompagné de l'un de ses amis, le fier et frivole Mr Thorpe. Ce dernier a une soeur, qui est toujours pleine d'enthousiasme, et qui jure aussi souvent que possible qu'elle est une femme parfaitement indépendante, ainsi qu'une grande connaisseuse de la gent masculine qu'elle se plaît à dédaigner. Cependant, elle ne semble pas indifférente au charme du frère de Catherine, inclination qui est partagée du reste.

Ce livre est écrit de façon assez différente des autres romans de Jane Austen. Celle-ci se moque souvent de la naïveté de son héroïne, même si elle éprouve pour elle un grand attachement. Catherine est en fait une jumelle d'Emily, l'héroïne de Les mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe. Elle rêve de vivre des aventures terrifiantes, et son séjour dans la demeure des Tilney permet à son imagination de déborder.
Le lecteur est souvent interpellé par Jane Austen, qui le fait donc participer à cette histoire. C'est extrêmement plaisant, et pourtant, il fallait une certaine habileté pour y parvenir.
C'est aussi dans ce livre que j'ai trouvé les personnages les plus détestables d'Austen (avec Lady Susan bien entendu). La "bonne" société de Bath contient des personnages faux, et qui dévorent les individus naïfs tels Catherine et son frère.

Ce roman est mon préféré de l'auteur, avec Persuasion. Il est vif, délicieusement ironique, comme tous les textes de Jane Austen, et les clins d'oeil qu'il fait au livre d'Ann Radcliffe, que j'ai adoré, le mettent un peu à part dans l'oeuvre de l'auteur (même s'il est vrai que Raison et Sentiment parle aussi de littérature, en se moquant du romantisme).

28 janvier 2007

Eureka Street ; Robert McLiam Wilson

2264027754Édition 10/18 ; 544 pages.
8,50 euros.

" L'auteur de Ripley Bogle nous entraîne à Belfast, sa ville natale, pour un roman foisonnant, à la fois tragique et hilarant. Qu'a donc trouvé Chuckie Lurgan, gros protestant picoleur et pauvre, qui à trente ans vit toujours avec sa mère dans une maisonnette d'Eureka Street ? Une célébrité cocasse et quelques astuces légales mais immorales pour devenir riche. Que cherche donc son ami catholique Jake Jackson, orphelin mélancolique, ancien dur et coeur d'artichaut ? Le moyen de survivre et d'aimer dans une ville livrée à la violence terroriste aveugle. Et qu'a donc trouvé Peggy, la mère quinquagénaire de Chuckie ? Le bonheur, tout simplement, grâce à une forme d'amour prohibée, donc scandaleuse dans son quartier protestant. Et, pendant ce temps-là, un inconnu couvre les murs de Belfast d'un mystérieux graffiti : OTG, écrit-il, OTG. "

Attention, chef d'oeuvre. Robert Mac Liam Wilson nous plonge dans le Belfast d'il y a quelques années (si j'ai bien compté, ça se passe en 1994), avec ses tensions entre protestants et catholiques, républicains et unionistes. Ses héros, surtout Jake et Chuckie, se débrouillent comme ils peuvent au milieu de ces rues taguées des sigles des différentes organisations terroristes, parmi lesquelles le mystérieux OTG, et rythmées par les attentats. Ils sont un peu pommés au début, à la recherche d'un emploi paisible et lucratif. Ils attendent également l'amour, jusqu'à l'arrivée de Max, accompagnée de l'insupportable Aoirghe. Leur quotidien est raconté avec beaucoup d'humour pendant environ la moitié du livre. Il est fait de politique, de violence et d'amitié. Chuckie, le protestant d'Eureka Street (qui vénère une photo de lui et du pape) tombe amoureux de Max. Jake, quant à lui, rate tous ses coups ou presque, et possède un talent incroyable pour se faire tabasser. Il en arrive à sympathiser avec son chat (avec lequel il entretient une relation hilarante, surtout pour les "chatophobes" comme moi) et un gamin des rues, Roche. Ce livre au ton léger est un roman engagé politiquement. La première chose que l'on se demande lorsqu'on rencontre quelqu'un, c'est s'il est protestant ou catholique, républicain ou unioniste. On le juge en fonction. Jake est méprisé par Aoirghe, parce qu'il veut simplement qu'on lui fiche la paix. Elle, avec ses idéaux républicains, elle représente les excès catholiques. Les protestants ne sont pas épargnés non plus. Parce que les torts sont des deux côtés.
Le grand coup de maître de Robert McLiam Wilson est de savoir mesurer avec précision les attentes de son lecteur. Au milieu du livre, alors que l'on commence à se demander où l'auteur veut nous amener, nous avons la réponse.
Les descriptions de l'attentat de Fountain Street font froid dans le dos, et nous rappellent que les victimes sont des êtres humains, qui avaient des projets, des proches, et surtout l'envie de continuer à vivre. Lorsque l'on lit le chapitre relatant l'attentat de Fountain Street, on y voit toute la barbarie du monde, ceci d'autant plus que l'auteur adopte un ton détaché qui ne nous épargne rien. Les corps déchiquetés, les vies brisées, ça n'est pas excusable. Chacun a beau se brosser les dents une fois le soir venu, le monde ne sera plus jamais le même. Pourtant, l'esprit humain parvient à se faire à cette routine. Aujourd'hui, c'est en bref que les journaux télévisés nous disent que des dizaines de personnes meurent chaque jour en Irak dans des attentats. Nous sommes troublés quelques instants, puis nous pensons à autre chose. Il s'agit pourtant d'êtres humains, sacrifiés de façon totalement aléatoire au nom de principes vagues. Les terroristes justifient leurs actes en affirmant agir pour le bien de ceux qu'ils tuent. Dans ce livre, c'est la réalité qui est exposée, et elle n'est pas justifiable.
Pourtant, on peut éprouver de la sympathie pour les revendications de l'IRA. Mais le "La fin justifie les moyens" lancé par Aoirghe à Jake sonne davantage comme un manque d'arguments que comme une position assumée. D'ailleurs, cette jeune femme m'a horripilée tout le long du livre. J'ai beaucoup aimé que Jake dise tout le mal qu'il pensait d'elle avec son élégance naturelle. Ceux qui ont lu le livre comprendront que la fin m'a quelque peu embêtée...
Ce n'est pas seulement la violence terroriste qui est décrite dans ce livre, c'est toute la vie de Belfast. Ses habitants, ses rues, ses moeurs, son atmosphère. La ville est à la fois semblable au reste du monde (la violence n'est pas une invention locale, les gens pommés sont partout...), et un endroit extraordinaire. Certes, le langage employé est cru, sarcastique, drôle, mais il est juste de la première à la dernière page. Et c'est sans doute la principale qualité de ce livre ; malgré ses histoires invraisemblables, il est vrai.

7 novembre 2008

La dame en blanc ; Wilkie Collins

resize_5_Le Masque ; 476 pages.
Traduction de L. Lenoir. 1860.
Titre Original : The Woman in White.

J'ai conscience de m'exposer à des représailles sévères avec la rédaction de ce billet, mais tant pis. La Dame en blanc était un livre qui avait tout pour me plaire, Wilkie Collins un auteur dont j'avais pu apprécier la plume, et Céline, qui partage souvent mes goûts, avait été soufflée par ce roman. Après cette lecture, je suis perplexe. J'ai même attendu quelques jours pour voir si mon avis bougeait, mais non...

Walter Hartright, un jeune professeur de dessin, rencontre à la veille de son départ chez deux nouvelles élèves, une étrange femme vêtue de blanc. Celle-ci est effrayée, et le quitte après avoir obtenu son aide. Il apprend un peu plus tard dans la soirée que la dame en blanc s'est échappée d'un asile.
Arrivé chez Mr Fairlie, l'oncle de l'une de ses deux élèves, il rencontre Marian Halcombe, soeur aînée bienveillante de Miss Fairlie, qui devient vite une amie et une alliée. Quand il voit Laura Fairlie, il en tombe amoureux. Mais celle-ci ressemble étrangement à la dame en blanc qu'il a croisée à Londres.

Côté défauts, j'ai trouvé que ce livre avait un côté profondément gnangnan. Ca peut sembler étrange pour quelqu'un qui a trouvé l'héroïne de Les mystères d'Udolphe attachante, mais cette Laura, je l'aurais étranglée avec sa bonté stupide et ses états d'âme exaspérants. Elle plonge la tête la première dans son malheur, et le seul moment où j'ai eu une (fausse) joie la concernant, c'est lorsqu'elle se rend à Londres chez son oncle. L'antipathie profonde que j'ai éprouvé pour ce personnage joue certainement beaucoup dans mon appréciation finale d'ailleurs.
Autre chose qui m'a gênée, le côté brouillon du livre. Certaines parties sont excellentes, d'autres arrivent beaucoup trop vite, et bonjour les situations invraisemblables (ce n'est pas un procédé nouveau, certes) ! Franchement, le coup du type qui enferme une jeune fille, puis décide d'épouser le sosie de cette dernière (comme si c'était la seule cruche du pays qu'il puisse trouver), ça m'a beaucoup fait rigoler. J'ai globalement lu ce livre avec avidité, Wilkie Collins n'est pas considéré comme un maître du suspens pour rien, mais les révélations et la résolution des problèmes m'ont déçue.
Là où Wilkie Collins est excellent, c'est pour dresser les portraits des méchants. L'ambiance est malsaine, et j'ai beaucoup pensé à Mary Elizabeth Braddon sur ce point. On enrage devant le comportement du comte, qui se joue non seulement de Marian mais aussi de nous. Ce personnage est fouillé, sa personnalité n'est jamais dévoilée, et Wilkie Collins laisse planer le doute sur la présence d'une quelconque bonté chez cet homme. Sir Percival est profondément antipathique, mais il se révèle davantage manipulé qu'autre chose. J'avais presque pitié pour lui à la fin. Leurs actions, très habiles, accentuent encore plus la complexité de leur caratère. 

Sacrée déception donc. J'ai encore un livre de cet auteur en stock, donc je relirai sûrement Wilkie Collins, mais ça ne sera pas pour tout de suite.

7 décembre 2008

Le voyage dans le passé ; Stefan Zweig *spoilers*

51kw2haF1vLGrasset ; 172 pages.
Traduction de Baptiste Touverey. 1976.
V.O. : Die Reise in die Vergangenheit.

Inédite en français jusque là, Grasset a entrepris de traduire cette nouvelle de Stefan Zweig, qui raconte les retrouvailles de deux amants, séparés par le travail et la guerre. Ils se sont connus quand il était le secrétaire particulier de son époux à elle. Ils se sont aimés secrètement et de façon presque platonique durant les quelques jours précédant le départ de Louis pour l'Amérique, et elle lui a promis d'être à lui à son retour, quand il le désirerait. Son absence devait initialement durer deux ans, le premier conflit mondial les aura finalement faits patienter neuf longues années, soit "quatre mille nuits".  Elle est veuve, lui s'est finalement marié et est père de famille.

Cette nouvelle est un véritable bijou, un de plus de la part de Zweig, qui sait décrire les sentiments amoureux avec une habilité peu commune. Ayant déjà lu l'auteur, je m'attendais un peu à des retouvailles contrariées. Cependant, j'ai quand même été surprise par la justesse avec laquelle nos deux amants sont décrits. Ils ont conservé le goût d'inachevé de leur histoire, mais neuf ans ont passé, et la réalité les frappe de plein fouet lorsqu'ils réalisent qu'ils ne peuvent reprendre leur relation là où ils l'ont laissée. Il luttait pour son indépendance quand ils se sont connus, et c'est l'extrême lucidité dont elle faisait preuve à son égard qui l'avait conquis. Au Mexique, il est devenu un personnage respectable, et elle est désormais presque une vieille dame. Les souvenirs qui finissent par leur remonter ne sont que ceux qui présageaient de l'échec de leurs retrouvailles. Ainsi, ces mots de Verlaine qu'elle avait lus à Louis :

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres cherchent le passé

C'est incroyable que ces quelques mots, glissés dans les réflexions de Louis, puissent contenir autant de sens.

Magnifique.

A noter que le texte français est suivi de la version allemande. L'avis de Fashion.    

5 décembre 2008

De pierre et de cendre ; Linda Newbery

resize_5_Phébus ; 400 pages.
Traduction de Joseph Antoine. 2006.
V.O. : Set in Stone.

Ne vous fiez pas au titre digne d'un vulgaire roman à l'eau de rose de de ce livre, ce serait un grand tort. Je l'ai découvert sur un blog, impossible de savoir lequel (car Allie me jure que ce n'était pas le sien), mais je n'y pensais plus jusqu'à ce qu'il tombe dans mon panier. Le résumé de la quatrième de couverture rendra folles au moins Cryssilda, Madame Charlotte, Isil et Lou, car il rappelle furieusement La dame en blanc. N'ayant pas apprécié ce dernier, j'ai hésité au moins un quart de seconde avant de voir que Charlotte Brontë était aussi citée, et de me dire que ça n'avait pas l'air mal du tout quand même. 

Impossible de ne pas remarquer l'hommage à la littérature anglaise du XIXe siècle lorsqu'on lit ce livre qui se déroule en 1898. Linda Newbery n'a même pas pris la peine (ou si peu) de changer le nom des deux soeurs dont le maître de dessin (!) Samuel Godwin doit s'occuper lorsqu'il se rend à Fourwinds, engagé par le père des jeunes filles. Son premier contact avec Marianne, la plus jeune, est déroutant. La jeune fille pousse un cri terrible dans la nuit avant d'appeler Samuel à son secours. La gouvernante, Charlotte Agnew, qui a connu un parcours très similaire à celui d'une certaine Jane Eyre, lui explique dès lors que Marianne est en proie à certains accès de folie. Quant à Juliana, l'aînée des Miss Farrow, elle se remet doucement d'une maladie.
Très vite, Samuel, qui est fasciné par Marianne, commence à soupçonner de terribles secrets liés au sculpteur qui avait été chargé de réaliser les quatre oeuvres, quatre vents correspondant aux points cardinaux, qui devaient trôner dans le parc de Fourwinds. Or si le Vent du nord, celui de l'est et celui du sud sont bien exposés, Marianne est convaincue que le Vent d'ouest se promène, et que le calme ne pourra se faire que losqu'on l'aura retrouvé. Charlotte, bien que présente depuis plus longtemps dans la demeure, va elle aussi finir par mener une chasse aux secrets.

Les premiers chapitres de ce roman m'ont déconcertée. La dame en blanc était tellement présent dans mon esprit que je me demandais si l'auteur allait m'offrir un récit qui soit plus qu'un hommage au roman de Wilkie Collins. Linda Newbery a même conservé l'utilisation de différents personnages pour narrer l'histoire. Inutile de faire durer le suspens, on entre rapidement dans une nouvelle demeure, dont les mystères sont suffisants à chasser les éléments étrangers au livre de Linda Newbery.
Les personnages auxquels sont confrontés Samuel et Charlotte sont fascinants. Ceci d'autant plus que l'auteur nous met dans la tête de personnages qui sont assez aisément induits en erreur.
Une fois embarqué, il est presque impossible de se détacher du livre. Les rebondissements ne sont pas forcément très bien menés, mais comme Charlotte et Samuel, plus on avance et plus on se dit que ce n'est pas possible.
De plus, les thèmes abordés sont variés (même si je ne peux pas tous les exposer pour ne pas vous spoiler), et contribuent à rendre De pierre et de cendre captivant. 

Dans le même genre, j'ai quand même préféré Le treizième conte. Mais je ne peux que vous engager à lire De pierre et de cendre, qui est une très bonne lecture victorienne.

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4 janvier 2009

La Fille du capitaine ; Alexandre Pouchkine

resize_4_Le Livre de Poche ; 222 pages.
Traduction de Vladimir Volkoff.
1836.

Lettre P du Challenge ABC :

Le 1er janvier, j'ai rassemblé tous les livres que j'ai choisis pour mon challenge "classiques", et pendant quelques minutes, j'ai été horrifiée : rien ne me tentait... Il faut dire que je viens de passer une semaine avec Philip Pullman ( je vous en reparle très vite), et je ne savais pas si je pourrais apprécier une autre ambiance. Pouchkine m'a été conseillé pour compléter ma liste de livres à lire en 2009, alors j'ai ouvert La Fille du capitaine sans savoir de quoi il s'agissait.

Russie, 1773. Après avoir reçu une éducation plutôt succincte, Piotr Andréïtch Griniov est confié par son père, un ancien grand soldat, aux soins d'un vieil ami, qui doit faire de lui un combattant de Catherine II. Son vieux serviteur l'accompagne, et tous deux se rendent au fort de Bélogorsk (où les envoie l'ami du père de Piotr), où son supérieur et sa femme l'accueillent comme leur propre fils. Bien que le fort n'offre pas les loisirs dont Piotr pensait jouir à Saint Petersbourg (où il désirait faire son apprentissage de soldat avant que son père ne l'expédie dans un endroit plus dur), il se sent très vite à l'aise avec ses nouveaux compagnons, et son affection pour la fille de son supérieur se transforme très vite en amour.
Mais le rebelle Pougatchov attaque les forts de la tsarine, et menace celui où se trouve Piotr. 

 

Pour commencer, j'ai deux scoops à vous annoncer :
- Un roman russe peut être drôle : bon, ce n'est pas le livre le plus euphorique de la Terre, mais certains passages, particulièrement avec le valet de Piotr, sont extrêmement amusants.
- Un roman russe peut bien se terminer : désolée de vous gâcher le suspens, mais je ne m'y attendais pas le moins du monde. Et puis, tout est relatif, tout ne va pas non plus pour le mieux dans le meilleur des mondes. 
En revanche, j'ai pu vérifier avec délice que les noms des personnages russes sont impossibles à retenir... Les personnages de La Fille du capitaine ont la bonne idée de tous s'appeler Ivan, donc il faut retenir leurs autres noms. Sans parler des surnoms dont les russes sont très friands je crois... Moi qui ai prévu de lire Guerre et Paix, je sens que je vais déguster !

A part ça, j'ai bien aimé ce livre, mais je n'ai pas été subjuguée non plus. J'ai beaucoup aimé les personnages qui font ce livre, particulièrement Pougatchov, Shvabrine et la femme du capitaine. Ce sont des personnalités fortes, complexes, qui donnent lieu à des scènes cocasses, et dont la détermination est à toute épreuve.
Autre élément très appréciable, le contexte historique. Je n'y connais rien à l'Histoire de la Russie, mais j'adore l'Histoire en général, alors quelques bribes sont toujours bonnes à prendre. D'autant plus que je compte lire d'autres romans russes cette année, et je trouve qu'il est toujours bon d'avoir quelques bases.
Mais j'ai eu du mal à me mettre dans l'ambiance. J'ai trouvé le style assez froid (j'aimerais vraiment lire le russe...), l'histoire un peu trop rapide. J'aurais aimé voir davantage la Russie, vivre un peu plus avec les personnages. J'aime les pavés, et certains livres ont besoin de beaucoup de pages pour me captiver réellement. Je crois que La Fille du capitaine en fait partie. 

Une bonne lecture donc, pas totalement convaincante, mais qui me conforte dans mon envie de découvrir les auteurs russes !   

Les avis de Papillon et Majanissa.

16 janvier 2009

Les Contes de Beedle le Barde ; J.K. Rowling

resize_2_Gallimard ; 127 pages.
Traduction de Jean-François Ménard.
V.O. : The Tales of Beedle the Bard. 2008.

Je suis complètement débordée en ce moment, donc je m'excuse d'être encore plus lente que d'habitude à répondre aux commentaires... J'essaie de me tenir à jour dans mes billets, mais même mes lectures sont complètement désordonnées. Je lis trois livres en même temps, et je suis très ennuyée : deux d'entre eux mériteraient toute mon attention. Si je vous dis qu'il s'agit de A tale of two cities et de Titus d'Enfer, vous comprendrez aisément mon embarras... 

Histoire de me changer les idées, je vais vous parler d'une lecture récente que j'ai plutôt appréciée. Contrairement à beaucoup d'autres fans de la saga Harry Potter, je n'attendais pas vraiment ce livre comme le Messie. J'ai adoré les sept tomes de la saga, et j'avais peur qu'un simple petit ouvrage d'une centaine de pages (écrites en très gros et très très aérées) ne soit guère capable de me convaincre. Je ne m'apprête pas à vous annoncer que je tiens là LE livre des décennies à venir, mais Les Contes de Beedle le Barbe mérite qu'on s'attarde dessus.

Il s'agit d'un recueil de cinq contes pour enfants sorciers, écrits à la manière des contes merveilleux traditionnels que nous connaissons. Dès l'introduction, J.K. Rowling nous replonge dans le monde qu'elle a créé en nous resituant Beedle le Barbe, et en ajoutant quelques anecdotes, comme le fait que la traduction est de Hermione Granger, à partir des runes anciennes. Chaque texte est suivi de notes du professeur Dumbledore, qui lui aussi remet en contexte les contes. Personnellement, le conte qui m'a le plus plu est La fontaine de la bonne fortune, la fin m'a beaucoup fait rire.
Il est certain que ce recueil ne révolutionne pas le genre, que J.K. Rowling tombe dans des travers qu'elle avait pourtant évités jusque là (je pense notamment à l'acharnement sur les Malfoy, on avait compris que la plupart des membres de cette famille avaient des idées nauséabondes), et qu'il vaut mieux être un (jeune) amateur de Harry Potter pour apprécier, mais c'est bien sympa à lire comme ça quand même...

 

19 janvier 2009

L'Eglise des pas perdus ; Rosamund Haden

resize_4_Le Livre de Poche ; 283 pages.
Traduction de Judith Roze. 2003.
V.O. : The tin church.

C'est Lou, son billet superbe et très enthousiaste, et sa gentillesse, qui m'ont amenée à me jeter sur ce livre. J'ai eu un peu de mal avec le début, assez flou, mais l'histoire est tellement prenante que j'ai finalement avalé la totalité de ce roman d'une traite.

Catherine King vit en Afrique du Sud, dans la ferme familiale, au début du XXe siècle. Alors que les Noirs sont considérés comme des êtres inférieurs, Catherine est inséparable de la fille de la cuisinière, Maria. Elles ont fait le voeu d'être toujours amies, mais elles sont bientôt séparées.
En effet, Mme King, ayant découvert les infidélités de son époux, décide de rentrer en Angleterre en emportant ses filles. Catherine reviendra vingt ans plus tard, après avoir appris la mort de son père. Elle est restée très attachée à son enfance, et veut renouer avec Maria.
Quand Catherine arrive, la propriété a été rachetée par un couple, Tom et Isobel Fyncham. Lui aime par dessus tout voler, et apprécie sa nouvelle vie, mais son épouse s'ennuie, et a quitté la maison depuis déjà un moment lorsque Catherine revient à Hébron. Cette dernière et Tom tombent presque immédiatement amoureux, et Catherine ne sait pas comment gérer à la fois ses nouveaux sentiments, ses retrouvailles avec une Maria un peu jalouse de son affection, et les incertitudes qui planent autour d'Isobel. Le tout sous le regard malfaisant des mégères des alentours...

C'est étrange. J'ai noté pas mal de choses plutôt dérangeantes au cours de ma lecture de L'Eglise des pas perdus. J'ai souvent eu des impressions de déjà-vu notamment. Quelques personnages semblent très prévisibles au premier abord (je pense à Isobel et Tom, dont le couple ressemble vraiment à du pré-mâché). La construction me semblait compliquée de façon injustifiée, avec ces aller-retours dans le temps, ces voix d'enfants sorties de nulle part.
Pourtant, il faut absolument continuer (de toute façon, cette histoire est tellement envoûtante qu'il est impossible de reposer le livre et de l'oublier), parce que tous ces défauts ne sont que des impressions au final. Car les personnages se révèlent beaucoup plus complexes qu'il n'y paraissait, tout comme les thèmes abordés. En fait, j'ai trouvé ce livre vrai, parce qu'il ne se contente pas d'évoquer seulement une amitié au temps de l'apartheid, mais des êtres humains avec leurs drames, leurs peurs, leurs faiblesses. Le tout dans une atmosphère très particulière, à la fois angoissante, magique et enfantine, qui est tout de même ancrée dans la réalité coloniale (j'ai trouvé les scènes entre les commères très réussies, et j'irais bien faire un tour dans les paysages de l'Afrique du Sud de cette époque). J'ai trouvé le changement de rythme opéré au milieu du livre très astucieux. Après nous avoir plongé dans la vie à Hébron, avoir mis en place les différents points à éclaircir, la tension atteint son maximum, et nous sommes tenus en haleine jusqu'à la fin, qui n'est absolument pas décevante !   
J'ai trouvé les dernières lignes très belles et très émouvantes. Elles ne révèlent pas l'intrigue, donc je les mets ici :

"Devant la porte, une troisième petite fille agite les bras.
     "Attendez-moi", crie-t-elle, et elle se met à courir, dévalant la pente pour les rattraper. Derrière elle, ses cheveux noirs flottent au vent."

En cherchant les avis, je vois que je suis comme Lou : j'ai désormais des envies de lire des ouvrages sur l'époque de la colonisation et sur l'Afrique en général.

Les avis de Praline, Malice, Amanda... (et bien d'autres)
Et encore merci à Lou pour cette très jolie découverte !

17 février 2009

La cloche de détresse ; Sylvia Plath

resize_4_Gallimard ; 270 pages.
Traduction de Michel Persitz.
V.O. : The Bell Jar. 1963.

« Un mauvais rêve.

Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve.

Un mauvais rêve. »

Je ne sais pas vraiment comment aborder ce roman. L’histoire racontée par La cloche de détresse est  tellement vraie que j’ai même du mal à parler de « roman ». Après tout, les critiques s’accordent à dire que l’auteur y a mis énormément d’elle-même. Un mois seulement après la publication du livre, elle se donnait la mort. Je crois qu’on peut aller encore plus loin. Dans ce livre, Sylvia Plath a mis énormément de nous tous.

Erzébeth disait de ce livre qu’il l’avait blessée. Je suis dans la même situation. Je n’ai jamais été dépressive, je n’en suis jamais arrivée aux mêmes extrémités que l’héroïne, mais je pourrais être elle. Ce livre nous fait réaliser à quel point on est vulnérable, à quel point on marche sur des œufs sans même le réaliser. Esther se sent nulle, qui n’en a jamais fait autant ? Il ne se passe rien de particulier, et l’on comprend difficilement comment la situation d’Esther, qui semble pourtant assez commune, peut dégénérer comme cela. Je trouve que c’est effrayant. Est-ce que tout dérape quand Esther réalise à New York que l’on est qui l’on est où que l’on soit ?

« Des filles comme ça me rendent malade. Je suis tellement jalouse que j’en perds la parole. Pendant dix-neuf ans je n’ai pas mis les pieds hors de la Nouvelle-Angleterre si ce n’est pour une ballade à New York. C’était ma première grande chance, mais j’étais là, vautrée dans mon fauteuil, la laissant filer comme de l’eau entre mes doigts. »

Etre un individu qui aime le calme et qu’il faut traîner ou piéger pour l’attirer dans les endroits branchés n’est pas toujours facile à vivre, j’en sais quelque chose. Et partir à l’aventure, changer de décor, ne modifie rien. Les jeunes filles lauréates du concours sont chouchoutées, on leur ouvre des portes, mais contrairement aux autres, Esther ne voit là que des futilités. Sa dernière soirée à New York, elle la passe à offrir au vent ces vêtements qui ne sont pas elle.

Elle pense là où les autres prennent ce qui vient, et voilà son drame. Elle cherche à définir ce qu’est le bonheur, et elle réalise que ses souhaits sont en totale contradiction :

« Névrosée ! ah ! ah ! ah ! … J’ai laissé échapper un rire plein de dédain : ‘Si c’est être névrosée que de vouloir au même moment deux choses qui s’excluent mutuellement, alors je suis névrosée jusqu’à l’os. Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement… »

Esther est un être à part, hors de son époque et de son sexe. J’ai lu que ce livre était considéré comme féministe. Je rejette ce terme pour parler de ce livre, parce qu’il est réducteur, et pourrait donner lieu à une interprétation stupide du parcours d’Esther. Elle veut vivre et n’y parvient pas, elle veut avoir le droit de choisir même si elle ne sait pas le faire. Elle refuse la maternité, le rôle de la gentille épouse, mais elle ne pense qu’à son propre bien être.

« C’était une des raisons pour lesquelles je ne voulait pas me marier. La dernière chose que je souhaitais, c’était bien la sécurité infinie et être l’endroit d’où part la flèche… Je voulais des changements, du nouveau, je voulais tirer moi-même dans toutes les directions, comme les fusées du 4 Juillet. »

Un tel être ne peut qu’étouffer quand il est confronté à une existence morose. Il erre de déception en déception, jusqu’à ce que qu’il en arrive à un point où il ne peut même plus être déçu. Car il n’a plus la moindre chose à attendre. Quand Esther rentre de New York, elle a une réponse négative à sa demande de cours d’été. Puis, plus rien. Triomphe alors l’impression d’être totalement inutile, qui est née à New York :

« J’ai commencé par additionner les choses que je ne savais pas faire. »

Cette phrase semble banale, mais lorsque l’on commence à s’engager sur cette voie, il est impossible que tout s’achève bien. Surtout quand on est Esther, et que l’on pense sérieusement ce que l’on fait :

« - Comme les cadavres que tu dissèques ! Comme les gens que tu te figures guérir ! Ils sont aussi poussière qu’il est possible d’être poussière. Je suis persuadée qu’un bon poème dure plus longtemps qu’une centaine de tes clients mis bout à bout…

Et bien sûr, Buddy ne trouvait rien à répondre à ça, parce que c’était l’absolue vérité. Les gens ne sont faits avec rien de plus que de la poussière, je ne voyais pas du tout pourquoi soigner ces tas de poussière vaudrait mieux qu’écrire des poèmes dont les gens se souviendraient, qu’ils se réciteraient quand ils seraient tristes, malades ou insomniaques… »

Esther sombre, tombe tellement bas qu’elle ne peut plus descendre encore. On l’emmène, on la soigne avec les moyens du bord (les électrochocs, un peu comme si elle était une criminelle, et c’est d’ailleurs ce qu’elle est pour les autres, sa mère en tête). 

On la recolle, on la rafistole, on l’aide à se persuader que tout va bien. J’ai peur que ce ne soit pas le cas :

« Il y aurait un trou noir de six pieds de profondeur, creusé dans la terre dure. Une ombre en épouserait une autre, le sol étrangement jaune de notre localité refermerait la blessure ouverte dans sa blancheur. Une autre chute de neige effacerait toutes les traces récentes sur la tombe de Joan.

J’ai respiré un grand coup, et j’ai écouté le vieux battement de mon cœur.

Je vis, je vis, je vis. »

 

La cloche de détresse n’est pas un livre qui vous fait sombrer de bout en bout. C’est un livre qui ne plonge dans aucun extrême. Je ne sais pas comment l’exprimer correctement, mais le lecteur ne passe pas un sale quart d’heure. Il trouve des refuges qui ne sont d’aucun secours à Esther, mais qui permettent au lecteur de l’accompagner, et de ressentir les choses peu à peu. On en ressort sonné, nauséeux, parce que l’on n’a rien vu venir, et c’est ce qui fait les grands livres.

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Sylvia Plath et son mari, Ted Hughes (1956)

Un immense merci à Erzébeth pour cette découverte (si tu arrêtes tes bêtises avant ce soir, je ne te dénonce pas). Fashion et Levraoueg, j’espère que vous tremblez maintenant…

Anne aussi a aimé.

9 mars 2009

Sanctuaire ; William Faulkner

sanctuaire_1_Folio ; 375 pages.
Traduit par R.N. Raimbault et Henri Delgove, revu par Michel Gresset.
V.O. Sanctuary. 1931.

C'est en lisant les quelques pages dépourvues de ponctuation de Titus d'Enfer que j'ai été prise d'une folle envie de reprendre ce livre que j'avais feuilleté durant un cours magistral soporifique il y a quelques mois (Peake et Faulkner n'ont absolument rien en commun, c'est juste moi...). 

De ce livre je pensais connaître l'intrigue, mais en fait les résumés que j'avais lus évoquent tous des événements qui interviennent très tard dans le récit. Je pense notamment au fameux épi de maïs que j'ai attendu pendant si longtemps que je me demandais si je ne me trompais pas de livre...
Des crimes sont bien commis, mais ils ne sont pas présentés de façon traditionnelle. Dans Sanctuaire, Faulkner étudie une fois de plus la noirceur et la déchéance des habitants du sud des Etats-Unis, à partir du viol d'une jeune fille et du meurtre d'un homme, qui entraînent l'arrestation d'un innocent. Cet état lamentable du sud apparaît d'autant plus clairement ici que l'un des personnages nous fait espérer un dénouement plutôt positif. Au lieu de cela, on a droit à un ouvrage qui se clôture de façon pour le moins ironique et insatisfaisante.

Je crois que je n'avais jamais perçu une telle noirceur dans les livres de Faulkner. Il ne juge pas, les personnages ne valent pas mieux les uns que les autres (sauf peut-être Benbow, mais il n'a clairement rien à voir avec le monde qu'il veut réformer), et je crois que là est bien ce qu'il y a de pire. Tous ces gens sont corrompus, débauchés, se contaminent mutuellement et s'enfoncent toujours plus profond dans la déchéance humaine. Et c'est comme ça. Certaines scènes sont absolument terribles, mais j'étais plutôt prête à rire tellement on est tombé bas.
En effet, en parallèle, l'auteur est plus qu'ironique, et l'hypocrisie de la société est parfaitement mise en valeur. Etre trafiquant d'alcool au moment de la Prohibition semble bien moins grave que de vivre avec quelqu'un (et d'en avoir un enfant) sans être marié. Cela vous place aussi en bonne position lorsqu'il s'agit de retrouver l'auteur d'un meurtre et d'un viol.   
Sanctuaire est le livre de Faulkner que j'ai lu avec le plus d'avidité. La chronologie bouleversée et les informations qui arrivent un peu au compte-goutte rendent le roman encore plus captivant, je trouve que c'est encore plus flagrant que dans les autres romans de l'auteur que j'ai lus. Il faut attendre la fin du livre afin de connaître la totalité de l'histoire, et de pouvoir confirmer ce qui avait jusque là été surtout suggéré. Bon, j'ai quand même eu du mal avec quelques passages. Je suis quelqu'un qui a besoin qu'on lui explique clairement les choses et qui croyait connaître l'histoire, aussi ai-je lu plusieurs dizaines de pages avant de comprendre qui avait été tué (c'est très étrange de connaître le nom du meurtrier mais pas avec certirude celui de la victime), mais c'était entièrement ma faute.

Je crois que j'ai encore plus aimé ce livre que Le bruit et la fureur (Edit du 31/03/09, en fait non), et je suis convaincue que je le relirai. Difficile de croire que Faulkner ne l'a écrit que pour l'argent...

Les avis de Sylvie, de Thom et de Roxane.

5 avril 2009

Le coeur est un chasseur solitaire ; Carson McCullers

untitledLe Livre de Poche ; 448 pages.
Traduit par Marie-Madeleine Fayet.
The Heart is a Lonely Hunter. 1940.

Je ne sais même plus ce qui m'a poussée à me procurer ce roman. Son titre sans doute, et quelques très bons avis lus je ne sais plus trop où.

Nous sommes dans une petite ville du sud des Etats-Unis. Mr Singer, un sourd-muet bienveillant et très discret, reçoit les confidences de plusieurs personnes aussi blessées que lui. Mick d'abord, est une gamine qui joue à la fois les garçons manqués et les mamans pour ses petits frères. Elle aime la musique, et rêve d'un ailleurs. Le docteur Copeland est un Noir engagé, qui n'est pas parvenu à transmettre ses idéaux à ses enfants, mais qui espère des jours meilleurs. Biff est un patron d'un café très seul et plein de sentiments qu'il ne devrait pas éprouver pour sa survie, et Mr Blount est convaincu d'être le gardien d'un message particulier pour l'espèce humaine.
Nous les suivons, ainsi que leurs proches, à travers des étés trop chauds et des hivers glaciaux.

Voilà encore un très beau roman américain. Difficile de croire qu'il a été écrit par une jeune fille de seulement vingt-deux ans tellement il cerne le coeur humain et tellement il met à jour la résignation de son auteur face au destin de chacun de nous.
L'individu apparaît en effet très seul dans ce roman. L'amour, ou ce qui s'en rapproche, n'est jamais retourné. Ni l'envie, ni l'espoir. Tous les personnages que nous suivons sont des rêveurs, des individus qui croient que le meilleur est encore possible. Ils veulent vivre, faire éclater leurs sentiments, mais leur réunion ne donne que le silence. Le muet, celui sur lequel circulent toutes sortes de légendes traduisant la fascination qu'il inspire, et qui fait (bien involontairement) croire à ses compagnons que le mot possibilité existe, ne donne que l'illusion d'une communication. Mick, Blount, Copeland et Biff lui donnent chacun un rôle, une identité, mais ils ne réalisent même pas qu'ils parlent seuls. Et quand ces quatre là se trouvent réunis, ils tombent à leur tour dans un mutisme profond, éventuellement précédé par des cris exprimant leurs désaccords.
Le seul qui semble avoir inconsciemment compris sa situation est donc Mr Singer. Il ne se confie pas, et s'il écrit à Antonapoulos, le fait qu'il n'envoie pas ses lettres montre qu'il sait qu'au fond, il ne le fait que pour lui même.
En raison de cette solitude absolue à laquelle est condamné le coeur humain, tout semble vain, et ce qui semble donner un sens à l'existence n'est qu'éphémère. Voir Antonapoulos, croire en la musique ou en d'autres idéaux, ne permet que de se tromper soi même. Tous nos compagnons finissent par devenir de plus en plus transparents, et il devient vite évident qu'ils ne tarderont pas à s'oublier eux-mêmes. Au loin, on entend le bruit de la Seconde Guerre mondiale. 
Pourtant, bien que très lent (même trop parfois) et plutôt déprimant, sans doute afin d'accentuer le caractère vain de l'existence, ce roman n'a rien de monocorde, et nous fait passer par toute une palette d'émotions. Il nous prend d'abord délicatement, nous fait aimer tous ces personnages. Surtout Mick bien sûr, cette gamine dans laquelle il est difficile de ne pas voir des échos de soi même. Beaucoup de situations, qui n'ont parfois rien de risible en elles-mêmes, ne peuvent faire que sourire. On se révolte aussi face à toutes ces injustices. On espère, et finalement on est déçu. On le savait dès le début, mais on n'y peut rien, on espérait quand même.      

Un livre profondément pessimiste donc, mais qui n'en est pas moins un très beau roman. Je ne suis vraiment pas sûre de le relire un jour, mais je retrouverai certainement l'auteur. 

Les avis de Papillon, Tamara et Kalistina.   

4 juillet 2009

Voyage au bout de la nuit ; Louis-Ferdinand Céline

resize_2_Folio ; 505 pages.
1932.

Parmi les romanciers qui me terrorisent, Céline occupe une place de choix. Voyage au bout de la nuit est acclamé par à peu près tout le monde, de nombreuses remarques relatives au style ou encore à l'ambiance du livre circulent et contribuent à faire de ce texte un épouvantail. Quant à la bête en elle même : 500 pages écrites en tout petit (d'ailleurs, si Folio réduit encore la police, je propose Voyage au bout de la nuit pour une prochaine chaîne de livres)...
Toutefois, vous me connaissez, je suis une blogueuse de parole, et je mets un point d'honneur à réaliser les défis que je me lance (hum), donc j'ai pris une grande inspiration, et je me suis lancée à la découverte de cette oeuvre.

Résumer cette oeuvre est très difficile. Disons simplement que nous suivons Bardamu, un jeune homme qui correspond à l'idée que l'on se fait d'un raté, dans la nuit humaine.

Il m'a fallu deux semaines pour achever cette lecture, mais quelle fin ! Ne vous en faîtes pas, je vais vous barber avec le style de Céline, mais la fin de Voyage au bout de la nuit m'a tellement impressionnée que c'est par là que je vais commencer. Les pérégrinations de Bardamu à la guerre, puis en Afrique et en Amérique se déroulent et s'achèvent de façon parfaitement naturelle. Mais à partir du moment où Bardamu s'installe à Rancy, même si la misère humaine est toujours décortiquée avec autant de brio, je voyais la fin se rapprocher dangereusement, en me demandant si j'allais avoir droit à une conclusion qui ne me laisserait pas sur le trottoir. Non seulement ça n'a pas été le cas, mais en plus les derniers événements donnent une telle puissance et un tel sens à tout le reste que Voyage au bout de la nuit restera un immense souvenir debbd82ed50350bb3597933445577434d414f4541_1_ lecture pour moi. En fait, à ce moment là, je me suis sentie un peu comme face à Lumière d'août il y a un an. Le texte de Céline est linéaire, mais à l'image de celui de Faulkner, on ne peut l'apercevoir qu'une fois la lecture achevée.
Attention, je ne suis pas en train de dire que j'ai compris le quart du tiers de la moitié de ce qui est contenu dans Voyage au bout de la nuit. Il va même falloir que je me documente sérieusement, parce que je veux en savoir plus à propos de ce texte. Toutefois, j'ai suffisamment goûté ma lecture pour me prendre une formidable gifle.
Outre les aspects de la construction que je viens d'évoquer, j'ai savouré la prose de Céline comme je l'avais rarement, voire jamais fait. Le texte semble avoir été écrit à la va vite, le récit de Bardamu est parsemé de fautes de langue qui le rendent parfois difficilement compréhensible, mais tout a en réalité été soigneusement pensé. J'ai voulu noter les phrases qui me frappaient, mais j'ai vite réalisé qu'il me faudrait recopier le texte en intégralité. Voyage au bout de la nuit est un livre qui transpire d'intelligence. Chaque phrase fait mouche, l'argot devient poésie, le sombre devient comique. Dans le même esprit, Bardamu, ce raté, et même Robinson, ce double raté, semblent finalement les seuls à avoir pris la mesure de la situation.
On m'avait dit que Céline vomissait le monde des hommes avec ce livre, je me suis contenté de le trouver vrai. L'absurdité de beaucoup de choses dans l'existence, la recherche de l'habitude et de la conformité plutôt que du bien être, la politique de l'autruche, ça ne vous rappelle vraiment rien ?
Je vais m'arrêter là, parce que j'ai vraiment honte de mon billet. Je vous livre quelques unes des citations que je n'ai pu m'empêcher de relever :

"Mentir, baiser, mourir. Il venait d'être défendu d'entreprendre autre chose. On mentait avec rage au-delà de l'imaginaire, bien au-delà du ridicule et de l'absurde, dans les journaux, sur les affiches, à pied, à cheval, en voiture. Tout le monde s'y était mis. C'est à qui mentirait plus énormément que l'autre. Bientôt il n'y eut plus de vérité dans la ville."

"Le monde ne sait que vous tuer comme un dormeur quand il se retourne le monde, sur vous, comme un dormeur tue ses puces. Voilà qui serait certes mourir bien sottement, que je me dis, comme tout le monde, c'est-à-dire. Faire confiance aux hommes, c'est déjà se faire tuer un peu."

"La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi."

"Elle leur cache tout la vie aux hommes. Dans le bruit d'eux-mêmes ils n'entendent rien. Ils s'en foutent. Et plus la ville est grande et plus elle est haute et plus ils s'en foutent. Je vous le dis moi. J'ai essayé. C'est pas la peine."

"Le train est entré en gare. Je n'étais plus très sûr de mon aventure quand j'ai vu la machine. Je l'ai embrassée Molly avec tout ce que j'avais encore de courage dans la carcasse. J'avais de la peine, de la vraie, pour une fois, pour tout le monde, pour moi, pour elle, pour tous les hommes.
C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir.
Des années ont passé depuis ce départ et puis des années encore... J'ai écrit souvent à Detroit et puis ailleurs à toutes les adresses dont je me souvenais et où l'on pouvait la connaître, la suivre Molly. Jamais je n'ai reçu de réponse.
La Maison est fermée à présent. C'est tout ce que j'ai pu savoir. Bonne, admirable Molly, je veux si elle peut encore me lire, qu'elle sache bien que je n'ai pas changé pour elle, que je l'aime encore et toujours, à ma manière, qu'elle peut venir ici quand elle voudra partager mon pain et ma furtive destinée. Si elle n'est plus belle, eh bien tant pis ! Nous nous arrangerons ! J'ai gardé tant de beauté d'elle en moi et pour au moins vingt ans encore, le temps d'en finir.
Pour la quitter il m'a fallu certes bien de la folie et d'une sale et froide espèce. Tout de même, j'ai défendu mon âme jusqu'à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais, j'en suis certain, jamais tout à fait aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m'a fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d'Amérique. "

"Derrière la Pérouse, c'est la grande ruée du ciel. Une abominable débâcle, il en arrive tournoyants des fantômes des quatre coins, tous les revenants de toutes les épopées... Ils se poursuivent, ils se défient et se chargent siècles contre siècles. Le Nord demeure alourdi longtemps par leur abominable mêlée. L'horizon se dégage en bleuâtre et le jour enfin monte par un grand trou qu'ils ont fait en crevant la nuit pour s'enfuir."

" Mais si! qu'il lui a répondu. Que j'en ai du courage! et sûrement bien autant que toi !... Seulement moi si tu veux tout savoir... Tout absolument... Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi !... Tout!... L'amour surtout !... Le tien aussi bien que celui des autres... Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? Ça ressemble à faire l'amour dans des chiottes! Tu me comprends-t-y à présent ?... Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l'effet d'insultes si tu veux savoir... Et tu t'en doutes même pas en plus parce c'est toi qui es une dégueulasse parce que tu t'en rends pas compte... Et tu t'en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante!... Ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres... Tu trouves ça régulier... Ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours... Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !... Tu m'entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille... leur dégueulasse d'amour !... Tu tombes de travers !... T'arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !... Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères ?... T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe?... De tout ce qu'on voit?... Ou bien c'est-y que tu vois rien ?... Je crois plutôt que tu t'en fous !... Tu fais la sentimentale pendant que t'es brute comme pas une... Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?... Ça passe alors ?... Pas à moi !... Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que t'as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte... Tu cherches à savoir ce qu'il y a entre toi et moi ?... Eh bien entre toi et moi, il y a toute la vie... Ça te suffit pas des fois ? "

Les avis de Wictoria, Roxane, Julien et Thom.
Lu dans le cadre du défi Blog-o-trésors que j'achève ainsi.

25 juillet 2009

Nuit et Jour ; Virginia Woolf

7933_medium_1_Flammarion ; 405 pages.
Traduit par Catherine Naveau.
Night and Day. 1919.

Courage, il s'agit du dernier roman de Virginia Woolf que j'avais emporté en vacances. Certes, j'ai vraiment eu envie de m'en procurer d'autres, mais il existe des villages dans lesquelles on ne trouve pas la moindre librairie...

Katherine Hilbery est la fille unique d'un couple de l'aristocratie londonienne. Sa vie se partage entre sa contribution à la rédaction d'une biographie de son célèbre grand-père et ses activités domestiques et mondaines. Un après-midi, l'un des protégés de son père, Ralph Denham, se rend chez les Hilbery. La rencontre entre les deux jeunes gens est chaotique, mais Ralph décide de faire de Katherine une obsession. Ils se revoient quelques temps plus tard lors d'une soirée chez Mary Datchet, une jeune femme écartelée entre sa soif de liberté et son affection pour Ralph. Katherine est alors accompagnée de William Rodney, qui souhaite l'épouser.

Nuit et Jour est le second roman de Virginia Woolf, et même s'il est certainement fort bon dans l'absolu, et captivant presque de bout en bout, je pense que c'est le roman de l'auteur le moins abouti.
Sa construction est étonnament classique. Les pensées des personnages ne dominent pas l'ensemble, qui comporte également de très nombreux dialogues, énormément d'humour et de fraîcheur. Il serait réducteur de ramener l'intrigue à quelques relations amoureuses (comme je l'ai fait dans mon résumé). Il existe un véritable combat dans ce roman, entre deux époques (politique, littérature, moeurs, travail, religion). Virginia Woolf dresse un portrait aiguisé des questions que se posent les classes bourgeoises anglaises, alors que le vingtième siècle commence.
Cela se répercute notamment sur les conduites des deux personnages féminins principaux. Mary et Katherine sont, comme les autres héroïnes de Woolf, à la recherche de réponses sur elles-mêmes. Mary représente la femme indépendante, issue d'une modeste famille campagnarde, qui cherche à ne pas se laisser influencer par son environnement et ses propres démons, désireux de la faire revenir vers un rôle plus traditionnel. Quant à Katherine, elle est moins attachante qu'une Rachel, mais j'ai l'impression que Virginia Woolf aimait, dans ses premiers romans, créer des héroïnes qui, au début de leur histoire, ne lui ressemblent pas encore. Rachel n'aime pas Jane Austen, Katherine n'a carrément "aucune disposition pour la littérature", et éprouve même "une antipathie naturelle pour l'introspection" tandis qu'elle se passionne pour les mathématiques.
A première vue donc, les deux figures féminines principales de ce roman sont totalement opposées, et permettent de confronter des conceptions qui le sont tout autant. Je délire certainement (et en plus je me fais du mal en disant cela), mais au fur et à mesure de ma lecture, j'ai trouvé ce qui ne tient pas debout dans ce livre. Virginia Woolf a créé deux personnages un peu caricaturaux qui pourraient finalement être les différentes facettes d'une seule personne. Cela aurait permis d'éviter la cure d'amaigrissement subie par l'intrigue dans la dernière partie, qui voit Mary s'effacer au profit de Katherine, et sans doute pour le pire. Je suis pire que fleur bleue, et la réunion des amants est généralement le point culminant de ma lecture quand les livres s'y prêtent. Dans Nuit et Jour, les réflexions et les doutes de Katherine quant à ses affections, sont naturels, et dévoilent une personnalité complexe, qui refuse de s'engager pour satisfaire d'autres désirs que les siens. Cependant, ils sont tellement étirés que, si je ne parlais pas d'un auteur que j'adore, je dirais que l'on frôle la nunucherie (je sens que je vais avoir droit à des insultes mais tant pis). De plus, comme je l'ai noté plus haut, il me semble que les ambitions de Virginia Woolf sont bien plus larges au début du roman. Mais dans la dernière partie, on fait durer le plaisir et apparaître un personnage à la dernière minute pour que tout se finisse bien dans le meilleur des mondes, et cela sonne faux. 
En fait, je trouve que ce livre sonde de nombreuses pistes, mais avec maladresse. Woolf nous livre une histoire fort agréable, drôle, qui ravirait sans aucun doute beaucoup de lecteurs si un éditeur avait la bonne idée de rééditer Nuit et Jour. Mais ses tentatives de capter l'univers, comme dans ses autres romans, tombent un peu à plat.

Allie évoque aussi ce roman.

27 septembre 2009

Lolita ; Vladimir Nabokov

LolitaFolio ; 501 pages.
Traduit par E.H. Kahane.
1955
.

Lettre N du Challenge ABC 2009 :

C'est un long monologue que nous livre Lolita, écrit par un homme qui tente d'expliquer ses actes aux juges que constituent à la fois les individus qui exercent cette profession mais aussi les lecteurs.
Humbert Humbert débute par son enfance, et par celle par qui, nous dit-il, tout a commencé. Elle s'appelait Annabelle, ils étaient enfants, ils se sont aimés, puis il l'a perdue. Dès lors, Humbert Humbert cherche un type particulier de jeunes filles, pas forcément très jolies, pas forcément remarquables par la plupart des gens, mais qui correspondent à sa définition des nymphettes.
Il se marie tout de même à l'âge adulte, puis divorce avant de se rendre aux Etats-Unis. Là-bas, il est interné quelques temps pour des troubles psychologiques. A sa sortie, un concours de circonstances l'amène à prendre pension chez une certaine Mrs Haze. C'est là qu'il voit pour la première fois celle qui deviendra sa plus grande obsession, la fameuse Lolita.

Comme tout le monde, je connaissais ce que l’on dit toujours lorsqu'on évoque le plus célèbre roman de Vladimir Nabokov, à savoir qu’il raconte l’histoire d’un homme d’âge mûr qui tombe amoureux d’une nymphette, Dolorès Haze, douze ans. A première vue, il n’y a pas de raison de chercher plus loin la raison pour laquelle les éditeurs américains refusèrent le texte en 1955. Pourtant, si Lolita est un chef d’œuvre, c’est parce que chaque fibre de ce roman provoque délibérément le lecteur, et pas nécessairement en faisant appel à la relation Humbert Humbert/Lolita.

Lolita nous entraîne en effet dans une histoire où le sarcasme, la mauvaise foi et le délire sont rois. Nabokov n’épargne aucune exagération à son lecteur. Je pense notamment au moment où là mère de Lolita, qui vient de découvrir la personnalité d’Humbert Humbert est éliminée en se faisant réduire le crâne en bouillie. Notre narrateur ainsi libéré peut aller récupérer sa Lolita, et en faire sa maîtresse dans un établissement appelé Les Chasseurs Enchantés, sans doute rempli de personnes bien pensantes. Avec elle, il parcourt l’Amérique, toujours plus vers l’ouest comme un pionnier, et peut intenter un procès à la société de consommation, aux apparences, à la psychiatrie (ce n’est pas Sylvia Plath qui le contredira), etc...

« Je me surprends à penser aujourd’hui que notre voyage n’avait fait que souiller de longs méandres de fange de ce pays immense et admirable, cette Amérique confiante et pleine de rêves, qui n’était déjà plus pour nous, rétrospectivement, qu’une collection de cartes écornées, de guides disloqués, de pneus usés –et des sanglots de Lo dans la nuit, chaque nuit, chaque nuit, dès que je feignais de dormir. »

Lolita est aussi un hymne à la littérature. Humbert Humbert n’est qu’un surnom, son histoire est un récit écrit. Il se protège dernière Poe et sa Virginia pour défendre son amour, la préface du livre est une fausse. On peut aussi voir dans cette œuvre un pastiche des contes de fées, et plus particulièrement du Petit Chaperon Rouge, avec le Grand Méchant Loup et la petite fille qui se fait croquer*. Le texte entier est de toute façon une pure merveille. Quand on prononce le titre « Lolita », il est bien difficile de ne pas ajouter la suite de l’incipit du roman tellement il fait partie de la mélodie. Nabokov joue avec les mots, leur donne une dimension poétique humoristique puis de plus en plus tragique.
Pour preuve, mon stock de mouchoirs a sérieusement souffert durant la dernière partie du livre. Les masques tombent un peu, le propos se fait moins assuré, et on a du mal à s’y retrouver. On pleure pour Lolita, Lolita la manipulatrice qui n’est qu’une enfant, dont on ne connaîtra jamais les pensées, mais qui a été brisée par son existence et qui n’a plus aucun repère.


« Il m’a brisé le cœur. Toi, tu n’as brisé que ma vie. »

Et puis on pleure aussi pour Humbert Humbert, cet homme détestable, qui finit par devenir pathétique. Nabokov avait bien calculé sont coup, car en donnant la parole à un narrateur tel que H.H., qui écrit pour se réhabiliter mais aussi peut-être pour les raisons qu'il énonce à la fin du roman, dans ses dernières lignes, il est impossible pour le lecteur de ne pas finir par ressentir de l'empathie pour le "monstre" de l'histoire. La confrontation entre poésie et perversité est irrésistible, et j'ai refermé le livre complètement piégée par l'auteur et son héros.


"Il était indispensable que H.H. subsiste deux ou trois mois de plus afin qu'il te fasse vivre à jamais dans l'esprit des générations futures. Ainsi subsistent les aurochs et les anges, tel est le secret des pigments immuables, tels sont les sonnets prophétiques, tel est le refuge de l'art. Et c'est la seule immortalité que je puisse partager avec toi, oh, ma Lolita."

Je parle très mal de ce livre, mais il m’a véritablement bouleversée. Alors bien sûr, Lolita est un roman sulfureux, même aujourd’hui. Mais pour le lecteur qui parvient à prendre un peu de recul, c’est la découverte d’un chef d'oeuvre qu'il y a au bout.


Les avis d'Erzébeth, Dominique, Essel, Le Livraire, et d'autres sur Blog o Book.


Les plus attentifs d’entre vous se souviennent peut-être que j’ai lu, au début de l’année, un livre de Francis Garnung, La pomme rouge. En relisant mon billet sur ce dernier texte, je réalise à quel point les parcours de François et d’Humbert Humbert sont semblables quand débutent leurs récits. Tous deux ont perdu leur premier amour, tiennent les rênes de l'histoire. Y avait-il des études sur les pédophiles leur donnant un profil type ? Les auteurs se sont-ils influencés (ça paraît étrange) ? Quelqu'un a t-il une explication ?

* Il se peut aussi que Ne le dites pas aux grands d'Alison Lurie, que j'ai lu juste après, me fasse un peu délirer.

2 octobre 2009

Les Papiers de Jeffrey Aspern ; Henry James

0f862c41d54686a48179ff38a7a3df27_500x500_1_J'ai découvert Les Papiers de Jeffrey Aspern dans le cadre des lectures un peu fantastiques que je fais depuis quelques temps. La préfacière des Contes et récits d'Hawthorne le cite, et il n'en fallait pas plus pour me convaincre.
En fait, il n'y a pas de surnaturel dans cette histoire. Juste des êtres à l'esprit particulièrement aiguisé (ce qui est déjà suffisant chez un auteur comme James).

Jeffrey Aspern, un poète très célèbre au XIXe siècle, déchaîne les passions même après sa mort. L'un de ses admirateurs consacre ainsi son temps à rechercher des indices lui permettant de retrouver, de saisir Aspern. Accompagné par un autre passionné, il parvient à mettre à jour nombre d'événements de la vie du poète, mais il reste insatisfait. En effet, il sait qu'une vieille femme, Mrs Bordereau, établie à Venise, a été le grand amour d'Aspern, et qu'elle possède nombre de documents inédits et remplis d'informations.
Mais Mrs Bordereau refuse de céder ces documents, niant jusqu'à leur existence. Pour parvenir aux papiers d'Aspern, le narrateur imagine donc de s'introduire chez la vieille dame et la nièce de cette dernière en prenant pension chez elles.

Les Papiers de Jeffrey Aspern n'a pas la force du Tour d'écrou ou de Daisy Miller, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce texte.
Il parle d'art, d'héritage, d'amour d'un personnage, et de ce que cela implique. "Hypocrisie, duplicité, voilà mon unique chance. J'en suis bien fâché, mais il n'y a pas de bassesse que je ne commette pour l'amour de Jeffrey Aspern." On a tous égoïstement été horrifié d'apprendre que tel auteur (ou son entourage) avait détruit des documents dévoilant des aspects de sa personne qu'il désirait ne pas partager, parce que certains individus sont pour nous presque des proches. Notre narrateur (qui lui n'assume pas même son vrai nom) est en même temps assez contradictoire. Il veut tout obtenir parmi les documents de l'objet de son étude, mais il a du mal à accepter les éléments qui ne collent pas avec son idée personnelle d'Aspern. Ainsi, la personnalité de Mrs Bordereau le perturbe beaucoup. Elle cache ses yeux (vanité ou symbole peut-on se demander), ne dissimule pas son besoin d'argent, ce qui la rend différente de l'image que le narrateur avait de la femme aimée d'Aspern.
Notre narrateur n'est pas un personnage très sympathique, et il a en face de lui une vieille dame qui semble également pleine de ressources. "Elle était une si subtile vieille sorcière qu'on ne savait jamais quelle attitude prendre avec elle." Entre eux, la nièce de Mrs Bordereau, l'insignifiante Tina, qui mène une existence morne auprès d'une tante qui l'affectionne de façon étrange et qui tombe très vite sous le charme de son pensionnaire. La psychologie de ces trois individus est parfaitement exposée, et constitue le noyau central du roman. Tous révèlent, dans cette lutte acharnée pour leur propre bien-être, une personnalité bien plus consistante (et sans doute pathétique) qu'au premier abord. La fin est cruelle, assaisonnée d'une ironie encore plus rageante.
Le tout se déroule dans l'étouffant été vénitien, avec ses palais parfois en ruines et ses gondoles. L'endroit idéal pour assister au spectacle donné en l'honneur des papiers d'Aspern.

Les avis de Dominique et Papillon.

Le Livre de Poche ; 188 pages.
Traduit par M. Le Corbeiller.
The Aspern Papers. 1888

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