lilly et ses livres

12 mars 2023

Purge - Sofi Oksanen

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1992. Les Soviétiques se retirent d'Estonie après des décennies d'occupation à peine entrecoupées par l'invasion nazie. Aliide est une vieille femme vivant seule à la campagne. Son mari est mort et sa fille, installée en Finlande, ne vient presque plus la voir. Elle espère que les procès engagés pour le recouvrement des terres va la dédommager des pertes dues au communisme. Lorsqu'elle trouve Zara, une jeune femme originaire de Vladivostok, dans la cour de sa maison, son passé lui revient à la figure.

J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Tout d'abord, en raison du style de l'autrice. L'écriture de Purge n'est pas particulièrement remarquable, mais elle souffre d'un manque de fluidité qui rend la concentration du lecteur difficile. Au bout d'une centaine de pages (sur plus de quatre cents), j'ai heureusement réussi à trouver le tempo.

L'histoire elle-même n'est pas exempte de lourdeurs. Les chapitres se déroulant en 1991-1992 ne sont pas ce qui fait la force de cette histoire alors qu'ils sont très nombreux. Par ailleurs, si je comprends la volonté de l'autrice de montrer la nature humaine dans ce qu'elle a de plus nauséabond, je crois que les histoires de rivalité féminine commencent à me lasser profondément. Ce procédé est si courant qu'il a un fort goût de facilité.

Malgré ces défauts, j'ai énormément apprécié l'aspect historique de ce livre. Retrouver l'Estonie, ce pays dont l'identité a été si difficile à construire en raison des géants qui n'ont que rarement respecté ses frontières, a été passionnant. Il n'y a pas ici la magie de L'Homme qui savait la langue des serpents (ni le talent de conteur d'Andrus Kivirähk), mais les habitants sont amenés à choisir entre le bourreau soviétique et l'envahisseur nazi. Ce qui paraît évident en termes de morale à des Occidentaux ne l'est pas pour des Estoniens. Un changement de perspective important pour bousculer nos certitudes qui reposent souvent sur une vision très autocentrée de l'histoire.

Une première participation au Mois de l'Europe de l'Est d'Eva et Patrice qui n'est clairement pas parfaite, mais étrangement j'ai le sentiment que cette histoire ne s'effacera pas de sitôt de ma mémoire.

Le Livre de Poche. 429 pages.
Traduit par Sébastien Cagnoli.
2008 pour l'édition originale.

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15 février 2023

Notre part de nuit - Mariana Enriquez

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Après la mort de sa femme Rosario, Juan quitte Buenos Aires avec son fils Gaspard. Ils traversent l'Argentine pour retrouver leurs proches. En pleine dictature, ce ne sont pas les militaires qui sont les plus dangeureux. Le coeur de Juan est en très mauvais état malgré son jeune âge, et s'il se rend dans la famille de sa femme, c'est pour mieux fuir ou affronter ses horribles membres.

Notre part de nuit est un livre difficile à évoquer parce que trop en dévoiler gâcherait votre plaisir et qu'il s'agit d'un texte qui ne se refuse aucun genre. Roman d'horreur dont le personnage principal rappelle le Pistoléro de Stephen King, ce livre évoque aussi les crimes de la dictature argentine et nous offre une plongée dans le Mal qui obsède les poètes lus inlassablement par Juan.

Tous les individus que nous croisons sont fascinants. Une seule n'est que monstruosité (ce qui donne lieu à des rencontres difficilement soutenables), les autres ont au moins quelques failles qui les ont parfois conduits à briser ce qu'ils avaient de plus cher. Leurs relations sont complexes, faites de cruauté et de violence. Le doute instillé par le fanatisme contamine et emprisonne même ceux qui souhaitent le plus mettre un terme à une série de sévices, de massacres et de sacrifices. Et pourtant, Notre part de nuit est aussi une magnifique d'amour entre un père très imparfait et son fils.

Polyphonique et faisant des va-et-vient sur plusieurs décennies, de l'Argentine à Londres en passant par le Nigéria, le roman est construit de manière à ne révéler ses mystères qu'au compte-goutte. A l'exception de deux passages un peu long, j'ai été hypnotisée du début à la fin et je sais déjà que je me replongerai un jour dans cet univers.

La littérature hispanophone, qui ne m'a pas intéressée le moins du monde jusqu'à ces dernières années, a fini par me conquérir complètement.

Editions du sous-sol. 759 pages.
Traduit par Anne Plantagenêt.
2021.

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09 février 2023

La Bibliothèque, la nuit - Alberto Manguel

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"Comment pouvons-nous espérer, nous, lecteurs, tenir entre nos mains le cycle du monde et du temps, alors que le monde excédera toujours les marges d'une page et que tout ce que nous pouvons constater, c'est le moment définitif défini par un paragraphe ou un vers, en choisissant, selon la formule de Blake, "des objets de vénération dans des contes poétiques" ? "

Trouver un sens au monde qui nous entoure est une obsession à laquelle les bibliothèques tentent de répondre. Une entreprise que nous savons vaine, mais "il m'a semblé que cette quête était valable en elle-même", nous dit Alberto Manguel. A ses côtés, nous plongeons dans l'histoire des bibliothèques et nous questionnons sur ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Ces lieux existent souvent, ont parfois disparu (à cause du fanatisme ou de la négligence humaine) ou ne sont présents que dans notre mémoire (laquelle finira inévitablement par flancher).

A tous ceux qui pensent que l'érudition est un moyen légitime d'écraser l'autre, je recommande la lecture d'Alberto Manguel. Secrétaire de Borges, bibliophile, directeur de la Bibliothèque Nationale d'Argentine et bien d'autres choses, il ne perd jamais de vue la raison qui l'anime. Ses seules remarques méprisantes sont pour des pairs hautains.

Bien qu'il s'agisse d'un essai, ce livre se lit comme un roman d'aventure palpitant. A travers des anecdotes personnelles et des informations historiques beaucoup plus générales (et jamais ennuyeuses), Manguel nous embarque dans le temps et dans l'espace. Il nous transmet son amour des livres et de la lecture (qui ne cessent jamais d'exister, même au plus profond de l'horreur), sa confiance dans la patience illimitée des textes non lus (rassurante pour les grands lecteurs qui culpabilisent devant leurs trop nombreux achats).

" Il se peut qu'il n'existe aucun livre, aussi bien écrit qu'il soit, qui puisse alléger d'une once la douleur des tragédies d'Irak ou du Rwanda, mais il se peut aussi qu'il n'existe aucun livre, si atrocement écrit qu'il soit, qui ne puisse apporter une épiphanie au lecteur qui lui est destiné. "

Notre époque tend à nous conforter dans nos certitudes et à nous éloigner les uns des autres, Manguel nous montre d'une part que cette tendance n'est pas nouvelle et d'autre part qu'il est possible de saluer les avancées d'une personne (Melvil Dewey, Leibniz) tout en montrant les limites de ses travaux avec bienveillance.

Face à internet, l'auteur est très prudent. Une bibliothèque est une vision, un renoncement, ce qui est aussi bien un déchirement qu'une défense contre le n'importe quoi que serait une bibliothèque qui contiendrait tout (or "l'accumulation des connaissances n'est pas la connaissance"), qui privilégierait la rapidité plutôt que la réflexion et ne se conjuguerait qu'au seul présent.

" Citer, c'est faire usage de la bibliothèque de Babel ; citer, c'est réfléchir ce qui a déjà été dit et si nous ne le faisons pas, nous parlons dans un vide où nulle voix humaine ne peut produire un son. "

 Bouclant la boucle comme le disciple de Borges qu'il est, ce que Manguel nous montre avant tout est l'harmonie qui existe entre les livres et les hommes, les uns et les autres se contenant mutuellement.

"L'encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c'est le monde même."

Passionnant.

Babel. 372 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2006.

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30 janvier 2023

Jours de travail : Les Journaux des Raisins de la colère - John Steinbeck

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" Personne ne connaît mon absence de facilité comme moi je la connais. "

Les Raisins de la colère étant le livre qui m'a le plus marquée en 2020, il fallait absolument que je lise un jour le journal tenu par Steinbeck lors de sa rédaction et présenté de façon (comme toujours merveilleuse) par Dominique il y a quelques temps.

Le processus d'écriture du livre occupe évidemment une place centrale dans ces journaux. Steinbeck se contraint à un travail rigoureux et régulier (le même nombre de pages chaque jour). Il ne cache pas ses doutes, ses difficultés, ses frustrations. Il parle des personnages comme s'ils étaient réels.

" Ces gens doivent être intensément en vie tout le temps."

Malgré la tentation de l'oisiveté, qui le guette, il veut écrire un livre à la hauteur de ses ambitions.

"Il faut que ce soit un bon livre. Il doit l'être tout simplement. Je n'ai pas le choix. Il faut que ce soit, de loin, le meilleur truc que j'aie jamais tenté."

Peu à peu, certains éléments se mettent en place. La scène finale (inoubliable) apparaît à l'auteur assez rapidement. L'épouse de l'auteur est également un personnage central dans la réalisation du livre. C'est elle qui trouve le titre et met au propre le texte de Steinbeck.

Déjà célèbre, il suit la tournée de ses oeuvres précédentes, la faillite de son premier éditeur. Il se rend à Hollywood pour y travailler.

En plus de l'écriture de son livre, Steinbeck cherche à agir pour les individus qui lui inspirent ses personnages. Le spectre du nazisme l'angoisse, l'argent qu'il a gagné a éloigné certains de ses proches.Avec son épouse, ils découvrent puis achètent un ranch, le plus bel endroit que Steinbeck a vu, dit-il (et peut-être des paysages qui lui ont inspiré certaines de ses oeuvres ultérieures ?). La publication du livre, qui recontre un immense succès, lui vaut des ennemis. La menace de ces gens puissants pèse sur Steinbeck.

"Les deux derniers jours, j'ai eu des prémonitions de mort tellement fortes que j'ai brûlé toutes sortes de correspondances sur des années. J'ai une telle horreur des gens qui pourraient les fouiller, mettre la pagaille dans mon passé tel qu'il est."

Une immersion passionnante dans le quotidien de Steinbeck pour la session mensuelle des "Classiques c'est fantastique".

Pavillons Poche. 250 pages.
Traduit par Pierre Guglielmina.

Source: Externe

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26 janvier 2023

Washington Square - Henry James

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" C'était trop grave ; toute ma vie en a été bouleversée. "

Médecin réputé, Austin Sloper n'a cependant pas pu empêcher le décès de son fils ni la perte de sa brillante épouse, dont la mort en couches l'a laissé seul avec une fille médiocre, Catherine. En grandissant, cette dernière confirme sa faiblesse d'esprit et de caractère. Lorsque Morris Townsend, un jeune homme ayant dilapidé son peu de fortune, commence à courtiser la jeune fille, cette dernière tombe sous son charme, encouragée par sa tante. Le Docteur Sloper ne partage pas l'opinion des deux femmes et est bien décidé à empêcher le mariage, quitte à léser cruellement Catherine. 

Voilà un roman que j'ai dévoré avec une avidité rare, profitant de chaque minute disponible pour le retrouver. Henry James s'y montre d'une ironie qui rappelle une certaine Jane Austen, même si l'héroïne ne bénéficie pas de la présence opportune d'un prétendant mieux ajusté. C'est donc le cynisme habituel de James qui l'emporte, pour mon plus grand plaisir, je dois le reconnaître, tant la psychologie des personnages est finement exposée.

On pourrait craindre, en lisant la trop bavarde quatrième de couverture, qu'il ne s'agit que d'un conte cruel, mais aussi mince que soit l'intrigue a priori, Henry James nous offre une étude de ses quatre personnages principaux si complexe qu'il est bien difficile de déterminer avec certitude qui sont les gagnants et les perdants, les malins et les imbéciles dans ce livre. Plus qu'une histoire d'amour ratée entre un probable coureur de dot et une jeune fille naïve, Washington square est aussi le portrait d'un homme, obtus et égoïste (sûrement en partie inspiré par le frère de l'auteur), d'une veuve idéaliste espérant pimenter sa terne existence et d'une jeune fille prématurément jugée par tous les autres. Trop occupés par leur propre existence, les trois individus pressant Catherine de se soumettre à leur volonté ne réalisent à aucun moment ce qui se joue réellement devant leurs yeux.

Comme toujours chez James, la fin est aussi frustrante que savoureuse.

Une merveille.

10/18. 283 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.


20 janvier 2023

Un coeur si blanc - Javier Marias

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"Car bien que les mots soient si nombreux et si bon marché, si insignifiants, rares sont ceux qui sont capables de n’y prêter aucune attention. On leur donne de l’importance. Ou non, mais on les a entendus."

Juan vient d'épouser Luisa, traductrice et interprète comme lui pour de grandes institutions internationales. Depuis, il se sent perturbé sans parvenir à distinguer la source de son malaise. Est-ce à cause de l'attitude de son père lors de son mariage ou bien suite à des événements plutôt anodins ?

Un coeur si blanc est un roman déstabilisant. Il s'ouvre sur une scène de suicide décrite avec une précision chirurgicale avant de nous embarquer à La Havane et dans des réflexions sur le métier d'interprète qui laissent le lecteur, qui s'attend à lire la chronique d'un mariage tout neuf, perplexe. Mêlant tragédie shakespearienne, folkore et ancêtres de papier des applications de rencontre, ce livre fonctionne avec un système d'échos dont on ne perçoit la présence qu'une fois notre lecture achevée.

S'il ne craque pas, le lecteur découvre ainsi un livre passionnant qui l'amène à se questionner sur ce qui change le cours d'une vie. "Aucun homme n'est une île", et c'est ce qui caractérise la réalité de la condition humaine. Tous, nous avons senti dans notre dos le souffle d'individus, qui tels Lady MacBeth, ont provoqué des changements radicaux dans notre existence. Nous-mêmes, nous avons parfois été ces instigateurs de changement.

Le mariage est nécessairement un état favorisant des bouleversements, ce qui est d'autant plus dangereux qu'il va de ce fait détruire en partie la raison pour laquelle ses membres se sont unis.

"les deux contractants exigent l’un de l’autre une abolition ou neutralisation, l’abolition de celui que l’autre était et dont il s’était épris ou dont il avait peut-être vu les avantages, car l’amour n’est pas toujours préalable, il se révèle parfois plus tard, parfois n’apparaît ni avant ni après."

Doit-on tout se dire ? Le peut-on ? Se dit-on autre chose que ce qui ne compte pas ? Et en même temps, si aucun mot n'est posé sur une situation et si plus personne ne sait que cette situation a existé, est-elle réelle ?

"Ainsi, ce que nous voyons et entendons finit par ressembler et même par se confondre avec ce que nous n’avons pas vu ni entendu, ce n’est qu’une question de temps, ou bien suffit-il que nous disparaissions."

Si Javier Marias aime les longues phrases et les digressions qui n'en sont pas vraiment, il n'y a rien d'ennuyeux dans ce livre. L'auteur mêle à merveille la gravité de ses propos avec un ton grinçant voire cynique. Il se paie les hommes politiques au langage abscons, les traducteurs-interprètes (dont il était) aux puériles querelles de clochers, ou encore le mariage avec ses nombreux paradoxes. Chaque détail, même les vidéos de charme ou le billet tendu à des musiciens de rue, cherche à résoudre le questionnement du narrateur.

Une rencontre fracassante avec cet auteur grâce à Lou qui m'a offert ce livre il y a de très nombreuses années.

Folio. 392 pages.
Traduit par Anne-Marie Geninet et Alain Keruzoré.
1992.

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14 janvier 2023

Sodome et Gomorrhe - Marcel Proust

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" La règle [...] est que les durs sont des faibles dont on n'a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu'on veuille d'eux ou non, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse. "

Le narrateur se rend à la soirée du Prince et de la Princesse de Guermantes sans savoir s'il est réellement invité ou victime d'une mauvaise farce. Apercevant Swann, il apprend des nouvelles déconcertantes concernant la position de ses relations au sujet de l'Affaire Dreyfus. C'est toutefois M. de Charlus qui lui réserve la plus grande des surprises. En effet, le narrateur l'aperçoit dans une situation équivoque avec un autre homme.
Plus tard, il retourne à Balbec, où l'absence de sa grand-mère se fait cruellement ressentir. M. de Charlus et Albertine sont aussi de la partie. Avec les Verdurin et les Cottard, ils se côtoient aussi bien dans les soirées mondaines que dans leurs nombreux trajets en train.

Lire Sodome et Gomorrhe a été un plaisir de bout en bout. J'ai déjà évoqué à quel point l'humour de Proust me touche, dans ce tome l'auteur nous propose des quiproquos hilarants. Si l'Affaire Dreyfus était omniprésente dans les tomes précédents, c'est l'homosexualité, celle du M. de Charlus  et celle que le narrateur soupçonne chez Albertine, qui occupe le devant de la scène ici. Elle n'est pas considérée de la même façon à Paris et à Balbec, et mêlée à la vie mondaine, on fait semblant de ne pas la voir.

Ce livre contient aussi les habituelles réflexions de l'auteur sur la nature humaine. Les pages concernant le deuil de la grand-mère du narrateur sont particulièrement émouvantes. Il soupçonnait déjà que l'on n'a pas la même apparence en fonction de qui nous voit, il découvre aussi que sa grand-mère bien-aimée lui avait dissimulé des incidents graves pour le préserver.

Si son comportement avec Albertine est loin de lui faire honneur, c'est aussi l'occasion pour le narrateur de réaliser les paradoxes contenus dans les liens d'affection. La jalousie, la vanité et la vulgarité ont de nombreuses occasions de s'imiscer dans les relations humaines tant les individus sont généralement peu sûrs d'eux. 

"C'est d'ailleurs le propre de l'amour de nous rendre à la fois plus défiants et plus crédules, de nous faire soupçonner, plus vite que nous n'aurions fait une autre, celle que nous aimons, et d'ajouter foi plus aisément à ses dénégations."

La séduction obsède le narrateur, indissociable selon lui du temps qui passe et qui emporte tout.

" On peut quelquefois retrouver un être mais non abolir le temps."

De nouveau, ce tome s'achève sur un coup de théâtre rendant nécessaire la lecture de la suite de l'histoire. La Prisonnière étant le tome sur lequel j'ai lu le plus d'avis mitigés, j'ai un peu d'appréhension mais je sais que je ne résisterai pas longtemps.

Le Livre de Poche. 765 pages.
1921-1922.

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11 janvier 2023

Le Rêve d'un homme ridicule - Fiodor Dostoïevski

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J'ai fini et commencé l'année avec deux très brefs textes russes. Le second est le dernier Dostoïevski qui s'ennuyait dans ma PAL russe.* Le Rêve d'un homme ridicule est l'histoire d'un individu désespéré ayant décidé de se supprimer d'un coup de révolver. Cependant, alors qu'il rentre chez lui le jour choisi pour accomplir son acte, il se heurte à une petite fille qui le supplie de l'aider. 

Il y a (selon moi) chez Dostoïevski du très bon comme du très médiocre, et malheureusement ce très court texte appartient plutôt à la seconde catégorie. C'est un conte de Noël à la Dickens sans l'émerveillement enfantin de ce dernier et avec les tourments existentiels d'un Tolstoï en fin de vie. Tout ce que j'aime (non).

Dostoïevski étant tout sauf un écrivaillon, ce texte n'est pas complètement raté. Ca avait même plutôt bien commencé avec des réflexions passionnantes sur le suicide (je vous assure). Le narrateur entre dans une colère noire lorsqu'il s'aperçoit que, bien qu'ayant décidé de se supprimer, tout ne lui est pas indifférent. Il s'interroge sur la relativité de la culpabilité et sur l'existence des autres par rapport à soi-même, de quoi alimenter bien des conversations.

L'auteur m'a cependant complètement perdue dans la deuxième partie du livre, à savoir le fameux rêve, où le héros a une révélation mystique qui lui donne la force de vivre ainsi qu'une mission. Même les quelques allusions à la passion du personnage pour la douleur (on est chez Dostoïevski après tout) et au caractère meurtrier des religions en général n'ont rien pu faire pour moi.

Espérons que ma prochaine rencontre avec l'auteur soit plus concluante...

*(il y en a bien un autre dans le volume de la Pléïade des Frères Karamazov, mais il est à mon conjoint donc ça ne compte pas).

Babel. 58 pages.
Traduit par André Markowicz.
1877 pour l'édition originale.

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07 janvier 2023

Mon Frère féminin - Marina Tsvetaeva

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"Ecoutez-moi, Vous n'avez pas à me répondre. Vous n'avez qu'à m'entendre. C'est une blessure droit au coeur que je Vous porte, au coeur de Votre cause, de Votre croyance, de Votre corps, de Votre coeur."

Que se passe-t-il lorsque, dans un couple formé de deux femmes, le désir d'enfant s'immisce ? Ce dernier est-il compatible avec l'amour passionnel ? Pourquoi fait-on parfois des choses dont on sait par avance qu'elles vont nous blesser ? Est-ce la malédiction du poète de voir la réalité dans toute sa cruauté ?

Mon Frère féminin est une lettre écrite par Marina Tsvetaeva en réponse à Pensées d'une amazone de Natalie Clifford Barney, livre introuvable en librairie. C'est donc avec un peu d'appréhension que j'ai entamé cette lecture, puisque Natalie Clifford Barney est une illustre inconnue pour moi, tout juste entraperçue dans Je serai le feu de Diglee.
Ce texte m'a pourtant touchée et passionnée. C'est finalement une histoire universelle que nous raconte Marina Tsvetaeva, qui fait de cette missive à la fois une lettre directe, une analyse d'oeuvre et une nouvelle dans laquelle elle s'approprie les personnages.

J'ai parfois jugé Tsvetaeva un peu immature à la lecture de Vivre dans le feu. Elle est également victime des préjugés de son époque puisqu'elle considère ici que les femmes, même lesbiennes, préfèrent la maternité à l'amour.
Toutefois, la beauté de la plume de la poétesse a pris le pas sur le reste. Elle décrit superbement la passion :

"[Les amants] n'ont pas le temps pour l'avenir qu'est l'enfant, ils n'ont pas d'enfants parce qu'ils n'ont pas d'avenir, ils n'ont que le présent qu'est leur amour et leur mort toujours présente."

"L'amour de par lui-même est l'enfance. Les amants sont des enfants. Les enfants n'ont point d'enfants."

Puis le désamour et la vieillesse :

"Quitter l'infécond pour son frère fécond est autre chose que quitter l'éternelle inféconde pour l'ennemi éternellement fécond. Là je ne dis adieu qu'à un homme, ici je dis adieu à toute la race, toute la cause, toutes les femmes en une seule.

"Penchant fatal et naturel de la montagne vers la vallée, du torrent vers le lac...
La montagne, vers le soir, reflue entière vers la cime. Le soir, elle est cime. On dirait que ses torrents la remontent à rebours. Le soir elle se reprend."

Parfois, se laisser simplement porter par les mots.

Le Livre de Poche. 71 pages.
1932.

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04 janvier 2023

La Supplication : Tchernobyl, Chronique du monde après l'Apocalypse - Svetlana Alexievitch

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"Plus d'une fois, j'ai eu l'impression de noter le futur."

Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, une explosion se produit à la centrale nucléaire de Tchernobyl. Dix ans plus tard, Svetlana Alexievitch compile les témoignages d'individus, surtout Biélorusses (les plus touchés par l'explosion), directement impactés par la catastrophe : liquidateurs, habitants, enfants, scientifiques, réfugiés, responsables... Pour "reconstituer les sentiments et non les événements".

On a reproché à Svetlana Alexievitch de ne pas écrire des livres qui relevaient de la littérature puisque ses ouvrages sont des recueils de témoignages. C'est avec cette interrogation (mais sans a priori négatif) que j'ai débuté ma lecture, et je crois que les critiques ont une nouvelle fois fait preuve d'ignorance et d'absence de réflexion en disant cela.

La littérature, il me semble que c'est dire l'indicible, trouver les mots là où ils n'existent pas encore. Tchernobyl n'a pas de précédent. Tout au plus des comparaisons : les guerres qui ont traumatisé les personnes interrogées, Hiroshima et Nagasaki, la menace nucléaire qui occupait les esprits dans le contexte de la Guerre Froide. Mais un accident de cette ampleur, c'est bien plus que ce que ce terme courant peur exprimer. Ca a l'impact d'une guerre sans en être une.

" Ce livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl. Justement de ce que nous connaissons peu. De ce dont nous ne connaissons presque rien. Une histoire manquée : voilà comment j’aurais pu l’intituler. "

Laisser les répétitions, ordonner les témoignages, laisser le lecteur faire son cheminement, c'est bien le travail d'un écrivain. Cela m'a rappelé Charlotte Delbo, qui avant Alexievitch, a su dire l'horreur tout en sortant aussi la beauté et la volonté de vivre qui s'y cache parfois (et à quoi bon l'art si ce n'est pour s'adresser à l'humanité ?).

La Supplication est un livre éprouvant. Nous voyons le sacrifice d'hommes dont le nombre exact, sans doute très élevé, est tenu secret. Certains meurent presque aussitôt. Les "Tchernobyliens" font peur même aux médecins tant leur agonie est horrible. Les populations sont sacrifiées au nom de la paix civile. Beaucoup de témoignages évoquent les animaux, abandonnés sur place et souvent exterminés par les patrouilles militaires.
L'exil est une épreuve de plus, parfois insurmontable. Les évacués font peur. Le retour est décevant.

"— Nous ne sommes pas rentrés chez nous. En fait, nous sommes revenus cent ans en arrière. Un correspondant de presse s’étonnait de tout ceci : nous moissonnons avec une faucille, nous fauchons avec une faux, nous battons le grain avec des fléaux directement sur l’asphalte."

C'est aussi un livre révoltant puisque se pose évidemment la question de la responsabilité. L'absence de protection des liquidateurs et des soldats est presque totale. L'ignorance des autorités ne peut être invoquée, les livres sur les radiations et le nucléaire en général se volatilisant immédiatement des bibliothèques après la catastrophe. La corruption bat son plein au point que des quantités phénoménales de matériel radioactif sont sortis de la zone contaminée et revendus.

"Le bordel russe habituel. C’est ainsi que nous vivons... On rayait des listes, on vendait des choses... D’un côté c’est dégoûtant, mais de l’autre... Allez tous vous faire foutre ! "

La résignation des Slaves est souvent invoquée comme la raison principale de leur attitude. La foi (et la peur) envers le régime soviétique permettent de contenir les protestations, rappelant les pires heures du stalinisme. "C’est à ce moment que j’ai réellement compris pour la première fois ce qu’avait été l’année 1937. Comment tout cela avait pu se passer..." "Parce que, dès que l’on perd la foi, on n’est plus un participant, on devient un complice et l’on perd toute justification. Je le comprends si bien."
La colère est pourtant présente, chez les scientifiques comme chez les particuliers :

"Il est courant de dire : peuple saint, gouvernement criminel... Je vous dirai tout à l’heure ce que j’en pense, de notre peuple et de moi-même..."

"Je veux témoigner que ma fille est morte à cause de Tchernobyl. Et qu’on veut nous faire oublier cela."

L'autrice ne cache pas l'enthousiasme qui animait certains jeunes soldats envoyés sur place, la passion morbide pour les scénarios catastrophes. Elle interroge aussi des individus ayant fuit la guerre dans des régions de ce pays qui n'en est pas vraiment un, et trouvé refuge dans la zone contaminée.

"Les gens me posent des questions et s’étonnent. L’un d’eux m’a posé la question tout de go : est-ce que j’aurais emmené mes enfants dans un endroit où sévirait la peste, ou le choléra ? Mais moi, je connais la peste ou le choléra. Je sais ce dont il s’agit. Mais, la peur dont on parle, ici, je ne la connais pas. Je ne l’ai pas dans ma mémoire..."

Un livre bouleversant permettant de prendre conscience de l'ampleur des changements qu'a connu le monde au cours du XXe siècle et dont la catastrophe de Tchernobyl n'est qu'une manifestation.

"Nous savons maintenant que nous pouvons boire du thé autour d’une table, parler et rire sans nous apercevoir que la guerre a commencé... Que nous n’allons même pas nous rendre compte de notre propre disparition..."

J'ai lu. 249 pages.
Galia Ackerman et Pierre Lorrain.
1997 pour l'édition originale.