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lilly et ses livres
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17 février 2009

La cloche de détresse ; Sylvia Plath

resize_4_Gallimard ; 270 pages.
Traduction de Michel Persitz.
V.O. : The Bell Jar. 1963.

« Un mauvais rêve.

Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve.

Un mauvais rêve. »

Je ne sais pas vraiment comment aborder ce roman. L’histoire racontée par La cloche de détresse est  tellement vraie que j’ai même du mal à parler de « roman ». Après tout, les critiques s’accordent à dire que l’auteur y a mis énormément d’elle-même. Un mois seulement après la publication du livre, elle se donnait la mort. Je crois qu’on peut aller encore plus loin. Dans ce livre, Sylvia Plath a mis énormément de nous tous.

Erzébeth disait de ce livre qu’il l’avait blessée. Je suis dans la même situation. Je n’ai jamais été dépressive, je n’en suis jamais arrivée aux mêmes extrémités que l’héroïne, mais je pourrais être elle. Ce livre nous fait réaliser à quel point on est vulnérable, à quel point on marche sur des œufs sans même le réaliser. Esther se sent nulle, qui n’en a jamais fait autant ? Il ne se passe rien de particulier, et l’on comprend difficilement comment la situation d’Esther, qui semble pourtant assez commune, peut dégénérer comme cela. Je trouve que c’est effrayant. Est-ce que tout dérape quand Esther réalise à New York que l’on est qui l’on est où que l’on soit ?

« Des filles comme ça me rendent malade. Je suis tellement jalouse que j’en perds la parole. Pendant dix-neuf ans je n’ai pas mis les pieds hors de la Nouvelle-Angleterre si ce n’est pour une ballade à New York. C’était ma première grande chance, mais j’étais là, vautrée dans mon fauteuil, la laissant filer comme de l’eau entre mes doigts. »

Etre un individu qui aime le calme et qu’il faut traîner ou piéger pour l’attirer dans les endroits branchés n’est pas toujours facile à vivre, j’en sais quelque chose. Et partir à l’aventure, changer de décor, ne modifie rien. Les jeunes filles lauréates du concours sont chouchoutées, on leur ouvre des portes, mais contrairement aux autres, Esther ne voit là que des futilités. Sa dernière soirée à New York, elle la passe à offrir au vent ces vêtements qui ne sont pas elle.

Elle pense là où les autres prennent ce qui vient, et voilà son drame. Elle cherche à définir ce qu’est le bonheur, et elle réalise que ses souhaits sont en totale contradiction :

« Névrosée ! ah ! ah ! ah ! … J’ai laissé échapper un rire plein de dédain : ‘Si c’est être névrosée que de vouloir au même moment deux choses qui s’excluent mutuellement, alors je suis névrosée jusqu’à l’os. Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement… »

Esther est un être à part, hors de son époque et de son sexe. J’ai lu que ce livre était considéré comme féministe. Je rejette ce terme pour parler de ce livre, parce qu’il est réducteur, et pourrait donner lieu à une interprétation stupide du parcours d’Esther. Elle veut vivre et n’y parvient pas, elle veut avoir le droit de choisir même si elle ne sait pas le faire. Elle refuse la maternité, le rôle de la gentille épouse, mais elle ne pense qu’à son propre bien être.

« C’était une des raisons pour lesquelles je ne voulait pas me marier. La dernière chose que je souhaitais, c’était bien la sécurité infinie et être l’endroit d’où part la flèche… Je voulais des changements, du nouveau, je voulais tirer moi-même dans toutes les directions, comme les fusées du 4 Juillet. »

Un tel être ne peut qu’étouffer quand il est confronté à une existence morose. Il erre de déception en déception, jusqu’à ce que qu’il en arrive à un point où il ne peut même plus être déçu. Car il n’a plus la moindre chose à attendre. Quand Esther rentre de New York, elle a une réponse négative à sa demande de cours d’été. Puis, plus rien. Triomphe alors l’impression d’être totalement inutile, qui est née à New York :

« J’ai commencé par additionner les choses que je ne savais pas faire. »

Cette phrase semble banale, mais lorsque l’on commence à s’engager sur cette voie, il est impossible que tout s’achève bien. Surtout quand on est Esther, et que l’on pense sérieusement ce que l’on fait :

« - Comme les cadavres que tu dissèques ! Comme les gens que tu te figures guérir ! Ils sont aussi poussière qu’il est possible d’être poussière. Je suis persuadée qu’un bon poème dure plus longtemps qu’une centaine de tes clients mis bout à bout…

Et bien sûr, Buddy ne trouvait rien à répondre à ça, parce que c’était l’absolue vérité. Les gens ne sont faits avec rien de plus que de la poussière, je ne voyais pas du tout pourquoi soigner ces tas de poussière vaudrait mieux qu’écrire des poèmes dont les gens se souviendraient, qu’ils se réciteraient quand ils seraient tristes, malades ou insomniaques… »

Esther sombre, tombe tellement bas qu’elle ne peut plus descendre encore. On l’emmène, on la soigne avec les moyens du bord (les électrochocs, un peu comme si elle était une criminelle, et c’est d’ailleurs ce qu’elle est pour les autres, sa mère en tête). 

On la recolle, on la rafistole, on l’aide à se persuader que tout va bien. J’ai peur que ce ne soit pas le cas :

« Il y aurait un trou noir de six pieds de profondeur, creusé dans la terre dure. Une ombre en épouserait une autre, le sol étrangement jaune de notre localité refermerait la blessure ouverte dans sa blancheur. Une autre chute de neige effacerait toutes les traces récentes sur la tombe de Joan.

J’ai respiré un grand coup, et j’ai écouté le vieux battement de mon cœur.

Je vis, je vis, je vis. »

 

La cloche de détresse n’est pas un livre qui vous fait sombrer de bout en bout. C’est un livre qui ne plonge dans aucun extrême. Je ne sais pas comment l’exprimer correctement, mais le lecteur ne passe pas un sale quart d’heure. Il trouve des refuges qui ne sont d’aucun secours à Esther, mais qui permettent au lecteur de l’accompagner, et de ressentir les choses peu à peu. On en ressort sonné, nauséeux, parce que l’on n’a rien vu venir, et c’est ce qui fait les grands livres.

plath_1_
Sylvia Plath et son mari, Ted Hughes (1956)

Un immense merci à Erzébeth pour cette découverte (si tu arrêtes tes bêtises avant ce soir, je ne te dénonce pas). Fashion et Levraoueg, j’espère que vous tremblez maintenant…

Anne aussi a aimé.

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Commentaires
L
Lena : c'est vrai que ce que l'on retient surtout de Sylvia Plath est sa mort. Le suicide crée souvent la légende, mais comme pour Virginia Woolf, les choses sont bien plus compliquées je pense (je ne connais pas du tout Plath).
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L
Bonjour,<br /> <br /> Tombée au hasard sur cette critique de Sylvia Plath, je ne peux que l'approuver. J'y ajoute mon opinion personnelle.<br /> Pendant un temps, "La cloche de détresse" n'a été considéré que comme "psychologiquement intéressant", certains l'ont lu pour se régaler de la dépression d'une femme, en voir les dessous, les hauts et les bas. Mais je ne crois pas qu'un roman qui touche autant de monde puisse se réduire à cela. Parce que pour moi, ce que Sylvia Plath décrit, c'est la vie, n'en déplaise à certains. La vie qui ne tient pas à grand chose, s'échappe. C'est la beauté de tout petits instants, immense, qui ne parvient pas à combler l'Homme et qui s'enfuit. Il suffit de lire ses descriptions de New York de nuit pour comprendre. Juste quelques lumières, une ambiance, un sentiment fugace. Tout au long de ce roman, Sylvia Plath écrit sa perception du monde. Et je me refuse à croire que cette femme n'était que la désespérée que l'on voudrait nous montrer. Son suicide ne change rien. Peut-être que ce qui nous touche autant dans ce livre, c'est qu'elle a décrit ce que l'on arrive pas à saisir, une impression, un lieu qui nous émeut sans que l'on puisse définir pourquoi. Sylvie Doizelet, qui a préfacé l'édition française des "Arbres d'hiver" (ed. Gallimard) a écrit que toute sa vie, Sylvia Plath a voulu écrire un roman sans y parvenir. Parce que seul un roman pouvait lui apporter la plénitude qu'elle recherchait. Un roman, c'est maîtriser le temps, le temps de ses personnages et ainsi de l'écriture. Sylvia Plath a écrit un roman, a maîtrisé son temps, et elle est partie, tâche accomplie.<br /> <br /> Je suis peut-être indécrottablement romanesque mais n'est-ce pas le propos ici ? On ne saura jamais vraiment pourquoi Sylvia Plath s'est tuée. Seule compte l'oeuvre qu'elle laisse derrière elle.
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P
je reviendrai te dire et de toute façon, je publirai mon billet! Et ce n'est pas parce que j'aime moins que toi un livre que tu as adoré que je ne vais plus suivre tes conseils, crois-moi!! :)
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L
Pimpi : j'espère que la rencontre sera belle, pas comme pour Emily Pearl (sinon, tu ne suivras plus jamais mes conseils ;o))
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P
Bonne nouvelle, Lilly, je viens de le trouver en VO et je suis ressortie de la librairie avec le livre dans les mains. Je redoute la lecture, mais elle ne devrait pas tarder, je pense... merci déjà maintenant de me l'avoir fait découvrir!!!
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