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lilly et ses livres
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12 janvier 2010

Drôle de temps pour un mariage ; Julia Strachey

julia117 pages ; La Petite Vermillon.
Traduit par Anouk Neuhoff.1932
.

Julia Strachey était la nièce de l'historien Lytton Strachey, grand ami de Virginia Woolf. C'est par ce biais qu'elle a rencontré cette denière et son mari, Leonard. En 1932, les Woolf publient Cheerful Weather for the Wedding, à la Hogarth Press.

C'est la fin de l'hiver, et Dolly Thatcham va se marier. Elle épouse un diplomate de huit ans son aîné, qui l'emmènera en Amérique du Sud à la fin de la journée. La maison de sa mère, une veuve dépassée par les événements et plutôt antipathique, est en ébullition. Tout le monde attend la mariée, qui se prépare, en se disputant, au milieu des petits tourments imprévus, comme la couleur des chaussettes du cousin Robert, étudiant à Rugby, ou la présentation du buffet froid.
De ce groupe se dégagent deux personnages. Dolly, tout d'abord, qui se saoule tout en s'habillant. Pour se détendre, mais aussi pour faire face à ce mariage avec un homme qui n'est pas celui qu'elle imaginait. Elle se souvient de celui qui la promenait en bateau l'été précédent. Celui qui attend dans le petit salon l'occasion de lui parler, de lui avouer son amour.

J'ai ouvert ce livre en m'attendant à savourer un petit livre bourré de charme anglais, et j'ai trouvé une pépite.
Julia Strachey écrit remarquablement bien, et j'ai cru parfois voir l'ombre Virginia Woolf en lisant ce livre. Ce récit est fait de tableaux et de reflets.Julia_strachey_1_

"La lumière, qui filtrait de la serre avec sa kyrielle de pots de fougères feuillues sur leurs socles en fil de fer, était d'un ver étincelant.
Assis là sur le canapé, élégamment vêtu d'un costume de tweed, Joseph aurait pu être une statue taillée dans la pierre verte, tant ses cheveux blonds, son visage, sa bouche, ses yeux, ses poignets et ses mains étaient immobiles, et verts."

L'agitation de la maison entrecoupe ces descriptions. Les personnages crient, se disputent, se répètent, se courent après. Joseph prend un malin plaisir à contrarier Mrs Thatcham, Tom est inquiet à l'idée que d'autres élèves de Rugby se trouvent à la cérémonie, et prie son frère de changer de chaussettes. La nostalgie et la défaite imprègnent cette journée. Elle est froide, ratée et amère, quels que soient les consolations que trouvent les personnages.

Elle se mit à repenser à certains incidents, notamment lors d'un grand dîner à l'hôtel, à Malton. Il y avait eu une discussion à propos d'un biscuit croustillant à base de mélasse, qui ressemblait à une dentelle rigide de couleur brune, et qu'on appelait "croquant". "Quoi, tu n'as jamais goûté de croquants ! s'était écrié Joseph à côté d'elle, la dévisageant sous son grand chapeau d'été. Mais tu dois absolument y goûter ! Tu les adorerais ! " Or, en réalité, à travers sa physionomie, et principalement ses yeux, Joseph proclamait de tout son être, avec une ferveur violente, non pas "Tu les adorerais", mais "Je t'adore".

Il s'agit d'un très court texte, mais Julia Strachey est de ceux qui parviennent à exprimer beaucoup en seulement quelques pages, avec toute la délicatesse et la subtilité du monde.

Titine a écrit un billet qui dit tout ce que je pense de ce livre. InColdBlog a été déçu, mais Manu et Cathulu (dont je n'arrive pas à ouvrir le blog...) ont été conquises.

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5 avril 2010

Plus jamais d'invités ! ; Vita Sackville-West

9782253126287_G_1_Le Livre de Poche ; 213 pages.
Traduit par Micha Venaille. 1953
.

Séance de rattrapage pour ce livre, lu il y a déjà plusieurs mois, mais qui vaut le détour. De Vita Sackville-West j'avais déjà dévoré Toute passion abolie, un texte plein de charme. Le Livre de Poche a eu la très bonne idée de nous offrir un nouveau roman d'elle il y a quelques mois, que je me suis empressée de découvrir.

Rose Mortibois, mariée depuis plus de vingt ans à Walter, un mari qui lui offre tout le confort matériel qu'elle peut souhaiter mais qui semble n'aimer que son chien, Svend, décide d'inviter sa soeur, le mari de cette dernière ainsi que leur fils qui revient des Indes, pour le week-end de Pâques. Gilbert, le frère de Walter, est présent également, ainsi que Juliet Quarles, une amie des Mortibois plutôt extravagante.
Les conversations entre ces individus qui se côtoient finalement peu d'ordinaire, ou alors de façon superficielle, vont faire voler en éclat la tranquillité de ce week-end à la campagne.

Ce qui m'a plu dans ce roman est sa légèreté feinte. Vita Sackville-West nous surprend en effet avec ses personnages, qui se révèlent peu à peu bien différents de ce que l'on imaginait au premier abord.
Dick et Lucy sont bien plus coincés que Rose et Walter en réalité. Rose est une femme honteuse de sa condition, et le contrat imposé par Walter la blesse bien plus qu'elle ne veut se l'avouer. Dick est plutôt en retrait. Quant à Lucy, qui donne l'impression d'être une femme ouverte en ménage et libre d'esprit, elle se retrouve finalement dans le rôle d'une bigote coincée, à côté de la plaque et ridicule. La scène où Rose lui parle d'un communiste et imagine qu'elle lui annonce qu'elle ne va pas à l'église pour Pâques est irrésistible. Seul Walter reste inatteignable, mais il est tout de même à l'image de tous ces gens "biens" qui peuplent le roman, à savoir une image qui se brise dès que l'on y regarde de plus près. Cette mise à jour des vrais visages des personnages du livre est favorisée par un point de vue changeant ainsi que par un usage recours appuyé aux dialogues.
C'est là qu'intervient Gilbert, le frère de Walter, image du savant un peu fou et décalé, qui n'en peut plus de voir sa belle-soeur malmenée.

"-Pauvre Rose, ce n'est pas une vie ! D'abord ce cocon qui ne se laisse pas approcher. Puis une chrysalide toute raide sur son lit, enfin un papillon qui s'envole jusqu'au Palais de Justice où vous ne pouvez plus le poursuivre avec vos bouillottes et votre arrow-root."

Les thèmes abordés par ce roman qui semble un peu léger sont pourtant très sérieux. La sexualité, la religion, les relations conjugales et filiales, le pourquoi de l'existence imprègnent les dialogues entre les personnages.

Il ne s'agit pas d'un roman extraordinaire, mais j'y ai trouvé une histoire attachante peuplée de personnages que j'aurais apprécié voir davantage dévoilés.

L'avis de Papillon.

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7 août 2010

Les Boucanières ; Edith Wharton

9782757818879Points ; 511pages.
Traduit par Gabrielle Rolin. 1938.
Achevé par Marion Mainwaring
.

L'histoire débute aux Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle, alors que les familles St. George, Elmsworth et Closson séjournent à Saratoga. C'est ainsi que Nan, et Virginia St. George, Mabel et Lizzy Elmsworth, et Conchita Closson, deviennent les meilleures amies du monde. Elles sont jeunes, belles et pleines de vie. Cependant, le grand monde les snobe, jugeant leurs origines insuffisantes à en faire des membres de la haute société new-yorkaise.
L'arrivée de Miss Tesvalley, parente de Dante Gabriel Rossetti, qui doit être la gouvernante de Nan, après avoir travaillé pour diverses familles de l'aristocratie anglaise, et le mariage de Conchita Closson avec un fils cadet de marquis britannique, convainquent Mrs St. George et Mrs Elmsworth d'aller en Angleterre avec leurs filles, en espérant y obtenir davantage de succès.
C'est ainsi que les Anglais voient débarquer quatre Américaines, qui ne tardent pas à les fasciner et à les terrifier. En effet, si Conchita Closson n'a épousé qu'un fils cadet désargenté et volage, ses quatre compagnes rencontrent des succès qui scandalisent bien davantage les Anglais (ce qui donne lieu à des scènes souvent cocasses).
De leur côté, nos cinq amies, d'abord éblouies par ce nouveau monde, ne vont pas tarder à connaître quelques désillusions, et à révéler un tempérament calculateur bien éloigné de leur spontanéité première. 

Si vous cherchez à découvrir Edith Wharton, ou tout simplement une lecture fraîche et intelligente afin de profiter de vos vacances, ce livre est pour vous. Il n'est pas parfait (notamment en raison de la fin rédigée par un autre auteur que Wharton), et il n'est pas aussi émouvant que Chez les heureux du monde, mais il se lit avec avidité et délice.
Comme à son habitude, Edith Wharton attache beaucoup d'importance au contexte dans lequel elle place son récit, et ce dernier lui sert avant tout à élaborer une réflexion sur les rapports entre l'Ancien Monde et le Nouveau, sur l'organisation des sociétés occidentales, leurs moeurs, la place de l'amour, de la sexualité et du mariage.
Rejetées aux Etats-Unis, les cinq boucanières prennent leur revanche en s'introduisant au fil des années au sein de la plus haute noblesse britannique. Celle qui "réussit" le mieux est la jeune Nan St. George, qui épouse un duc. Cependant, contrairement à ses amies (à l'exception peut-être de Conchita), Nan n'avait rien calculé. Pourtant, la désillusion sera au moins aussi grave que celle de ses amies. Émue par des ruines et une ambiance romantique, elle s'est simplement contenté de croire que l'homme qui déambulait dedans était nécessairement bon. Son mari se révèle finalement obsédé par l'ordre (ce qui est symbolisé par son obsession des horloges, qui doivent absolument être à l'heure), et lorsque Guy Thwarte, un homme qu'elle avait innocemment aimé de façon très éphémère quelques années plus tôt,  réapparaît, l'absurdité de son mariage et l'impossibilité pour elle de tenir son rang (et donc notamment de donner à son mari un maximum de fils) lui deviennent insupportables.

"Cette jeune femme qui, selon toute apparence, était aujourd'hui (depuis deux ans), Annabel Tintagel avait été auparavant Annabel St. George et la personnalité d'Annabel St. George, son visage, sa voix, ses goûts et dégouts, ses souvenirs, ses sautes d'humeur constituaient une petite réalité vacillante qui, bien que proche de la nouvelle Annabel, n'en faisait pas partie, ne se fondait pas, pour former une Annabel centrale, avec la doublure étrangère qui, dans la chambre Corrège de Longlands, face aux jardins privés de la duchesse, aspirait à n'être qu'une personne. A certains moments, la quête de sa véritable identité l'inquiétait ou la décourageait à tel point qu'elle était heureuse d'y échapper pour remplir automatiquement les devoirs de sa nouvelle condition. Mais pendant les intervalles, elle s'acharnait à se chercher et ne se trouvait pas."

 

Face à ces révélations, Nan est très seule. En effet, personne ou presque (et certainement pas sa propre soeur), ne peut concevoir que bonheur et réussite sociale puissent être totalement distincts, et encore moins que l'on puisse sacrifier cette dernière pour obtenir le premier.

Ce livre n'a pu être achevé par l'auteur, qui décède en 1937, alors que la fin n'existe encore que sous forme de notes. C'est donc Marion Mainwaring qui termina l'écriture du roman, et je trouve malheureusement que cela se sent. J'ai trouvé que la fin était plutôt artificielle. Même si tout est loin d'être rose (le roman est quand même d'Edith Wharton), le ton change et les ramifications avec le reste du livre manquent de naturel à mon goût.

Malgré tout, je le répète, j'ai absolument adoré cette lecture, et le personnage de Nan en particulier.

L'avis de Cécile.

Merci à Titine d'avoir organisé son jeu-concours avec les éditions Points. Cette lecture entre par ailleurs dans le cadre du challenge Edith Wharton.

13 septembre 2009

La Maison aux sept pignons ; Nathaniel Hawthorne

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Gallimard ; 348 pages.
Traduit par Claude Imbert et Marie Elven.
The House of the Seven Gables. 1851
.

Voilà un livre qui occupait ma bibliothèque depuis ma découverte de Nathaniel Hawthorne l'année dernière. C'est suite à ma lecture de Malpertuis de Jean Ray (dont je vous parle bientôt) que j'ai eu envie de me replonger dans cet auteur qui me semble de plus en plus fascinant.

La Maison aux sept pignons débute en Nouvelle-Angleterre, au XVIIe siècle. Le colonel Pyncheon est alors l'un des personnages les plus influents de la région, et sa volonté d'établir une dynastie portant son nom ne supporte aucune contradiction. Ainsi, lorsqu'il jette son dévolu sur la terre de Matthew Maule, un homme modeste qui a dégagé un coin de forêt pour s'établir, il est persuadé d'obtenir ce qu'il veut. Le bras de fer s'achève sur l'échafaud, où Maule doit être exécuté après avoir été reconnu coupable de sorcellerie. Ses dernières paroles sont pour le colonel Pyncheon, qui a orchestré la fin de son rival. Maule lui promet de façon solennelle qu'il périra en buvant du sang.
L'orgueilleux homme n'en tient aucun compte, et demande au fils de sa victime de lui bâtir une demeure somptueuse à l'emplacement même où se trouvait la terre des Maule. C'est ainsi qu'est bâtie la maison aux sept pignons, qui ne tarde pas à révéler que la malédiction des Maule la hante. Le jour où le colonel décide de convier tous les habitants de la région pour parader devant eux dans sa nouvelle demeure, il est retrouvé mort dans son fauteuil, du sang lui coulant de la bouche.
Les générations qui suivent seront également poursuivies par le mauvais sort. La source de Maule, qui coule dans leur jardin, est empoisonnée, la maison tombe en désuétude, et les Pyncheon perdent peu à peu de leur grandeur, sous le regard du portrait sévère du colonel trônant dans la demeure qu'il n'a pas eu le temps d'occuper.
Au XIXe siècle, il n'y a plus qu'un fantôme qui hante la vieille bâtisse : la vieille Hepzibah, si myope que son visage est parcouru en permanence d'une horrible grimace qui la rend encore plus laide qu'elle n'est. Son seul ami est un jeune photographe, Holgrave, qui habite l'un des pignons de la maison. Dépourvue de tout argent, Hepzibah est contrainte, alors que débute le livre, à ouvrir une épicerie dans le sein de sa maison. Il y a bien son oncle, le juge Pyncheon, l'image vivante de son cruel ancêtre, qui voudrait lui offrir de l'argent pour tenir son rang, mais Hepzibah refuse toute aide de sa part. Dans les jours qui suivent, Phoebé, une jeune cousine d'Hepzibah, arrive chez la vieille dame. Elle est imitée très vite par Clifford, le frère d'Hepzibah, qui vient d'être libéré après trente années passées en prison pour le meurtre de son oncle.

Dans une langue somptueuse*, qui décrit aussi bien les merveilles de la nature que la misère des âmes,250px_Nathaniel_Hawthorne_1_ Nathaniel Hawthorne étudie l'héritage que l'on reçoit nécessairement de ses ancêtres, le fil qui relie "un passé lointain au présent qui déjà s'éloigne de nous", et qu'il aimerait bien pouvoir rompre. Il utilise ici une famille, mais l'on ne peut que songer à faire un parallèle avec la jeune Amérique qui possède déjà un lourd passé empreint de puritanisme et d'immuable à l'époque d'Hawthorne. En effet, La Maison aux sept pignons, bien que plus fantaisiste et ensoleillé que La Lettre écarlate, est un roman très engagé. La critique du puritanisme, de son hypocrisie, et de l'idée de classes supérieures, est grinçante. C'est l'auteur lui même qui se charge de narrer son histoire, ce qui donne un caractère à la fois désinvolte et assumé au livre. La Chasse aux sorcières dont a été victime Matthew Maule est l'occasion d'une vive critique des autorités religieuses et laïques. "Ce fut l'un des martyrs de cette terrible illusion qui devrait nous montrer, entre autres leçons, que les classes influentes et ceux qui prennent la tête du peuple sont capables des mêmes erreurs et des mêmes passions que les foules les plus frénétiques. Prêtres, juges, hommes d'Etat - les plus sages, les plus calmes, les plus saints personnages du temps - aux meilleures places devant les potences, furent les premiers à applaudir à cette oeuvre sanguinaire, et les derniers à reconnaître leur misérable erreur."
La conséquence de toute cette folie est un gâchis immense. La vieille Hepzibah, qui a un nom et une personnalité qui m'ont un peu fait penser à Dickens, est murée dans sa demeure délabrée, et ne parvient plus à en franchir le seuil, quand son aïeul imaginait un destin de seigneur pour les siens. La culpabilité est trop grande. "Ils ne pouvaient pas s'enfuir : le geôlier avait bien pu laisser la porte entrouverte, et se cacher pour les voir fuir, au seuil ils avaient senti sa poigne ! Car il n'est de pire cachot que son propre coeur, ni de plus inexorable geôlier que soi-même !" 
Il y a eu d'autres drames avant celui d'Hepzibah. Celui d'Alice tout d'abord, qui un jour a jeté des graines entre deux pignons, donnant ainsi naissance au "bouquet d'Alice", avant d'être victime de la haine entre les Maule et les Pyncheon. Quant à Clifford, le frère d'Hepzibah, c'est brisé qu'il rentre chez lui après sa libération. Amoureux du beau et de la lumière, c'est en Phoebé qu'il retrouve la force de vivre.
On oscille entre ombre et lumière dans ce roman. Les très nombreuses descriptions pleine de poésie et souvent d'humour m'ont donné le sentiment d'être dans une maison magique inoffensive. Les premiers pas d'Hepzibah en tant que marchande sont touchants, tout comme l'apétit pantagruélique du jeune Ned Higgins. Mais la cruauté et les sarcasmes ne sont jamais loin (le chapitre XVIII est à la fois abominable et jouissif) et donnent des accents gothiques à ce roman, rappelant ainsi au lecteur la malédiction qui pèse sur la maison aux sept pignons.

Alors bien sûr, La Maison aux sept pignons n'a pas la puissance de La Lettre écarlate. J'aurais aimé une fin plus tragique, et ne pas deviner tous les secrets de cette demeure avant qu'ils ne soient expliqués. Cela ne m'a pas cependant empêché d'en savourer chaque ligne.

* en VF en tout cas, je n'ai malheureusement pas osé tenter la version anglaise.

8 octobre 2008

La lettre écarlate ; Nathaniel Hawthorne

resize_9_Flammarion ; 310 pages.
Traduction de Marie Canavaggia.1850.
Titre original : The Scarlet Letter.

J'ai commencé à lire Nathaniel Hawthorne il y a seulement quelques jours. Sylvie a écrit un très beau billet sur l'un de ses contes, Le voile noir, et j'ai donc saisit cette opportunité de découvrir cet auteur dont j'ai tant entendu parler. J'ai beaucoup aimé, du coup j'ai couru acheté La lettre écarlate, l'ouvrage de référence d'Hawthorne, qui est aussi considéré comme le premier roman américain, dans la mesure où il se détache des traditions littéraires du Vieux Continent.

Je pense que tout le monde sait plus ou moins de quoi il s'agit, mais comme un résumé ne fait jamais de mal, allons-y : Nous sommes au milieu du XVIIe siècle, dans une colonie de puritains établie sur le site de ce qui deviendra Boston. Hester Prynne a mis au monde une petite fille, alors même que son époux est disparu depuis deux ans. Après trois mois passés en prison, elle est condamnée à être exposée sur la place publique et à porter à jamais un A écarlate sur son sein, afin de marquer son péché. Ce même jour, son mari reparaît, et voyant le sort réservé à son épouse, jure de se venger sur le "complice" de cette dernière, bien qu'Hester refuse de dévoiler le nom du père de son enfant : "Je chercherai cet homme comme j'ai cherché la vérité dans les livres, comme j'ai cherché l'or dans l'alchimie."

Je sens que je ne vais pas faire dans l'originalité, mais j'ai adoré ce roman. L'ambiance est plombante au possible, les personnages, tous autant qu'ils sont, donnent parfois envie de leur coller des baffes, mais ce livre ne s'en lit pas moins d'une seule traite.
J'avais énormément d'a priori concernant les personnages, car l'intrigue n'était absolument plus un mystère pour moi tellement on m'avait parlé de ce livre. A part la fin, mais j'y reviendrai. Finalement, je n'ai pas ressenti d'avis totalement tranché sur tel ou tel personnage. Le vieux mari est décrit comme le Diable, et je l'ai haï plus d'une fois. Mais en même temps, il est à plaindre ce viellard plein de haine. De même, Hester et son amant font preuve d'une telle résignation, d'un tel désir d'expiation, que je n'ai pu m'empêcher de les trouver aussi méprisables que les autres dans certains de leurs actes.
Car La lettre écarlate est un livre dans lequel la question du Bien et du Mal se pose sans cesse. Il n'y a pas de retour en arrière, on ignore tout de ce qui s'est produit avant le jour où Hester s'est retrouvée sur la potence. Nous ne voyons que l'après, la confrontation entre principes "moraux" et amour interdit. D'où la jolie petite Pearl qui se tranforme aussi en "lutin du mal", ou encore des passages presque féériques, qui contiennent également de sombres présages. Du coup, j'ai navigué entre espoir et déception tout au long de ma lecture, tout en sachant très bien qu'une telle histoire ne pouvait avoir la fin que je désirai lire. Mais tout de même, quelle fin ! Je n'en dit pas plus, il faudra que vous alliez voir ça vous-mêmes.

Un très beau livre donc, court mais puissant, que je vous conseille absolument !*

Les avis de Sylvie et Praline (qui n'a pas aimé).

*Par contre, je suis heureuse de ne pas avoir lu ce roman en anglais. Après ma lecture de Le voile noir, j'avais déjà noté que Nathaniel Hawthorne était certainement difficile d'accès en VO, je pense sincèrement que j'ai bien fait.

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24 janvier 2011

Orlando ; Virginia Woolf

orlandoLe Livre de Poche. 317 pages.
Traduit par Catherine Pappo-Musard.
1928
.

Il me reste encore un roman de Virginia Woolf à découvrir, mais je ne pense pas me tromper en disant qu'elle a écrit encore et encore le même livre, cherchant inlassablement à trouver la manière d'exprimer ce qu'elle recherchait avec l'écriture.

L'histoire d'Orlando est pourtant à première vue inhabituelle. Orlando est en effet un jeune gentilhomme de l'ère élisabéthaine, inexpérimenté, coureur de jupons, et en même temps en proie à de véritables crises de mélancolie. Après un chagrin d'amour, il part pour la Turquie, puis vit avec les Bohémiens, revient en Angleterre, rencontre Pope, Swift et Addison, se marie deux fois, a un enfant avant d'atterrir à l'époque édouardienne. Entre temps, il sera devenu femme, et aura vécu plus de trois siècles.

Comment capter celui dont on écrit l'histoire ? Cette question taraude Virginia Woolf dans toute son œuvre. Elle se met ici dans la position d'un véritable biographe, et expose avec le plus grand sérieux ses difficultés à écrire l'histoire d'Orlando, en raison d'un manque de documentation mais surtout des innombrables facettes qui constituent un être humain.

"Il est indéniablement vrai que les meilleurs praticiens de l'art de vivre, souvent des gens anonymes d'ailleurs, réussissent à synchroniser les soixante ou soixante-dix temps différents qui palpitent simultanément chez tout être humain normalement constitué, si bien que lorsque onze heures sonnent, tout le reste carillonne à l'unisson et, ainsi, le présent n'est pas une rupture brutale et n'est pas non plus totalement oublié au profit du passé. De ceux-là, nous pouvons dire sans mentir qu'ils vivent précisément les soixante-huit ou soixante-douze années qui leur sont allouées sur la pierre tombale. Des autres, nous savons que certains sont morts même s'ils déambulent parmi nous ; d'aucuns ne sont pas encore nés même s'ils respectent les apparences de la vie ; d'autres encore sont vieux de plusieurs siècles, même s'ils se donnent trente-six ans. La durée de vie réelle d'une personne, quoi qu'en dise le D.N.B., est toujours sujette à caution. Car c'est une tâche ardue d'être à l'heure ; rien ne dérègle le mécanisme comme de le mettre en contact avec un art quelconque ; et c'est peut-être son amour de la poésie qui est à blâmer quand on voit Orlando perdre sa liste et s'apprêter à rentrer chez elle sans sardines, ni sels de bain, ni botillons."

De ce fait, elle accorde à son personnage son véritable temps, celui qu'il a pris pour déployer tout son être, et justifie ainsi ce qui pourrait sembler anormal dans le livre qu'elle écrit. Le livre commence certes au XVIe siècle, mais elle n'a fait qu'écrire sur sa propre époque.

Il a été dit qu'Orlando était en fait une lettre d'amour à Vita Sackville-West, avec laquelle Virginia Woolf a entretenu une relation amoureuse. Certains détails attestent sans doute de cette expérience, et expliquent la grande place de la sexualité dans ce roman (on trouve aussi un petit épagneul, mais là je pars dans le hors-sujet, rassurez-vous), toutefois il s'agit d'un texte qui a bien plus d'intérêt qu'une déclaration d'amour à une personne. Virginia Woolf reprend en effet ici plusieurs thèmes qui lui sont chers, comme la place des femmes, et développe son idée des innombrables facettes caractérisant l'individu dont je viens de parler.
Dès le début, Orlando est incertain quant à sa sexualité. Il a plusieurs aventures avec des femmes, mais il prend d'abord l'une d'entre elles pour un homme avec lequel il regrette de ne pouvoir satisfaire le désir qu'il lui inspire. Par la suite intervient le changement de sexe d'Orlando, qui devient une femme alors qu'elle est encore ambassadeur et qu'elle vient de se marier. Malgré cela, le travestissement est encore abordé, par le biais du personnage d'Orlando, mais pas seulement. Chez Woolf, on est, point barre. Mais la société est là pour tenter de poser des barrières contre la nature profonde des individus.
Malgré son ton souvent badin, et une histoire qui semble loufoque à première vue, la révolte de l'auteur contre ces principes inacceptables est perceptible. Après son changement de sexe, si les réactions d'Orlando sont drôles, elle ne se retrouve pas moins dans une situation délicate. Rentrée en Angleterre,
elle subit la remise en cause de nombre de ses droits maintenant qu'elle n'est "que" femme.

"Et c'est le dernier juron auquel j'aurai droit", songea-t-elle, "dès que j'aurai posé le pied sur le sol de l'Angleterre. Et je ne pourrai plus assommer un homme, le traiter de menteur en face, ni tirer mon épée et la lui passer à travers le corps, je ne pourrai plus siéger parmi mes pairs, porter une couronne ducale, marcher en procession, condamner à mort, conduire une armée, ni caracoler le long de Whitehall sur mon destrier, ni arborer soixante-douze médailles différentes sur la poitrine. Dès que je serai en Angleterre, j'en serai réduite à servir le thé et à demander à ces messieurs s'ils trouvent ça à leur goût. Vous sucrerai-je ? Un nuage de crème ? "

Dans l'écriture, qui est l'un des grands thèmes qui traversent le roman, Orlando se heurte aussi à des désillusions, qui sont renforcées lorsqu'elle devient femme. Orlando en a fait l'un des deux objectifs majeurs de son existence. Ses rencontres avec les grands hommes lui inspirent cependant des déceptions, leur vivacité d'esprit étant contrebalancée par des attitudes indignes de leur génie. De son côté, elle passera trois siècles à écrire son poème Le Chêne, et à le garder sur elle, et n'est jamais satisfaite de son travail. Il lui sera finalement arraché pour la publication.

Virginia Woolf semble beaucoup s'amuser avec ce livre. Elle intervient souvent, en prenant un ton des plus sérieux cachant une ironie mordante pour appuyer son propos. J'avais déjà tenté une lecture d'Orlando il y a quelques années, mais ce livre m'avait déroutée. Aujourd'hui il me semble qu'il est effectivement l'un des romans les plus difficiles à appréhender de l'auteur, mais c'est à nouveau une lecture incontournable.1718394131

Vous pouvez lire d'autres billets sur ce roman chez Titine, Delphine, ainsi que sur l'ancien blog d'Erzébeth. Canthilde n'a pas aimé.

Je rajoute le logo du Challenge nécrophile, que je débute ainsi.

20 septembre 2010

Le Clan des Otori, I : Le Silence du Rossignol ; Lian Hearn

9782070302581Folio ; 371 pages.
Traduit par Philippe Giraudon.
2002
.

Tomasu, un adolescent membre de la communauté des Invisibles, dans un Japon ancien et imaginaire, vit paisiblement avec sa mère, son beau-père et ses soeurs. Mais cette communauté est méprisée par Iida le plus important chef de guerre Tohan. Un soir, alors qu'il rentre dans son village, il découvre que les siens ont été massacrés. Repéré, il offense Iida en personne, avant de s'enfuir. Dans sa course, il rencontre sire Shigheru, un seigneur Otori, qui le place sous sa protection et le ramène chez lui où il lui donne un nouveau nom, Takeo.
Là-bas, il se trouve mêlé à des intrigues de palais, mais découvre également ses origines et les étonnantes facultés qui en découlent. Il rencontre également l'amour, à travers la belle Kaede, et le désir de vengeance, qui lui était jusqu'alors défendu.

Heu... Vous m'aviez bien dit que cette série était géniale, non ? Juste pour que les choses soient claires, voici un extrait savoureux, bien écrit, auquel il est impossible de résister. Kaede vient de rencontrer Takeo, et il lui a fait un effet dingue :

"Quand le garçon fut hors de vue, elle eut l'impression d'avoir perdu une part d'elle-même. Elle rentra à l'auberge avec Shikuza, qu'elle suivit comme une somnambule. En regagnant sa chambre, elle tremblait comme sous l'effet d'une fièvre violente."

Très franchement, le traitement des relations amoureuses est vraiment moyen dans ce livre, et cela sans doute en raison de la faiblesse du traitement du personnage de la jeune fille, que j'ai trouvé à la fois contradictoire et caricatural. Kaede a été négligée depuis son enfance, mais elle fait preuve d'une très grande lucidité d'esprit et d'une capacité à encaisser les chocs remarquable malgré tout, sans oublier d'être nunuche à souhait, à la fois femme affirmée et princesse en détresse (et le pire est que l'on va forcément se farcir cette intrigue amoureuse dans les tomes suivants... sauf si Lian Hearn en élimine un, mais je vais y revenir).
Au niveau du reste du récit, je suis davantage convaincue, même si je n'ai malheureusement pas ressenti le coup de coeur que j'attendais. Lian Hearn développe ainsi longuement les valeurs et les traditions des cultures qu'elle décrit. Celles-ci ont une importance de premier plan, d'autant plus que la magie a sa place  dans ce livre, et c'est ainsi que Takeo découvre peu à peu ses origines. Si j'ai trouvé que l'intrigue peinait à décoller, cet aspect est bien traité et crée une ambiance un peu onirique et poétique.
De plus, l'auteur ne s'enfonce finalement pas entièrement dans une histoire facile et prévisible. La violence de certaines scènes en témoigne, on ne fait pas que se regarder dans le blanc des yeux quand on est amoureux (ou pas), et la fin est loin de ressembler à celle des contes de fées. Même si encore une fois, la séparation des deux amoureux, est un aspect traité un peu trop facilement.   

Le tout est donc plutôt sympathique, permet de se dépayser un peu, mais est surtout assez creux.  Sur un support différent, mais dans un genre assez proche et beaucoup plus réussi, j'avais été envoûtée par Princesse Mononoke d'Hayao Miyazaki. La série de Lian Hearn s'arrête là pour moi...

L'avis de Lou, complètement opposé au mien (ça change !).

 

28 octobre 2011

"Longtemps je me suis demandé si je devais me coucher de bonne heure"

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En début d'année, j'ai découvert Malika Ferdjoukh en fanfare avec l'excellentissime Quatre soeurs. Les échos que j'avais eu de ce nouveau livre de l'auteur étaient assez tièdes, et j'avoue que la couverture rose et le résumé m'inquiétaient un peu. En fait, il ne m'a fallu que quelques pages pour que je comprenne que j'allais de nouveau passer un merveilleux moment.

Willa Ayre a seize ans, et comme toutes les adolescentes, elle se trouve banale, ennuyeuse et pas très jolie. Pourtant, Iago, le frère de Fran, sa meilleure amie, qui fait craquer toutes les filles, est fou d'elle depuis quelques mois. Le soir de l'anniversaire de Fran, dans l'hôtel particulier de la famille, Iago est distant. Willa fait alors la connaissance d'un jeune homme étrange passionné de films d'horreur, Edern Fils-Alberne, qui lui propose de l'engager pour jouer de la musique avec sa petite soeur, Marni, qui aime autant la musique que Willa.
C'est ainsi que la jeune fille découvre la demeure des Fils-Alberne, Fausse Malice, qui abrite les enfants de la famille et leurs deux domestiques depuis la mort des parents dans des circonstances tragiques.
Dans le même temps, Willa voit sa vie chamboullée par des tentatives d'assassinat répétées à son encontre.

Si je vous dis que ce livre est un roman presque policier, à la fois intelligent, drôle et émouvant, je sens que le rose et le mot "amour" de la couverture vont continuer à clignoter devant vos yeux. Vous avez terriblement tort. Bien sûr, il est question d'amour dans ce livre, et l'on a la classique jeune fille discrète qui fait tomber tous les sexy men. Pourtant, dès les premières pages, on savoure surtout l'humour de Malika Ferdjoukh, et les innombrables références littéraires et cinématographiques qui parsèment le livre.
On retrouve aussi pas mal de choses qui faisaient déjà le charme de Quatre soeurs. La vieille maison un peu branlante et hantée (même si les moyens financiers des Fils-Alberne sont très différents de ceux des Verdelaine), les objets curieux, les animaux, les noms à coucher dehors (surtout chez les garçons). On a même une apparition de Valéry Clotilde, le policier qui faisait craquer Charlie.
Les parents de Willa ne sont pas en reste, entre le père aux multiples conquêtes et la mère qui s'occupe des élections de miss à travers tout le pays, métier beaucoup plus dangereux qu'on pourrait le croire...
Au niveau des garçons, même si Iago est plus appétissant au premier abord, j'ai adoré la description d'Edern par Fran :

"Quand on était petits, c'était lui le plus sympa de nous tous. Il relâchait les mouches qu'on attrapait. Il pleurait aux enterrements de lézards et de mites."

Et puis, une fille qui laisse l'amour de sa vie prendre un peu d'avance, parce qu'elle a absolument besoin de s'acheter une crêpe au sucre et à la neige, moi je trouve ça irrésistible.
Alors, oui, l'enquête est un peu cousue de gros fils blancs, mais elle contient des moments que j'ai beaucoup appréciés (les peurs nocturnes de Marni m'ont retournée quand j'ai tout compris). Et la dernière révélation m'a vraiment surprise.

Je ne mettrais pas tout à fait ce livre au niveau de ma précédente lecture de l'auteur, mais j'ai lu ce livre d'une seule traite, et je me suis régalée à chaque page. C'est un coup de coeur.

Stephie, Cathulu et Clarabel ont aussi été conquise par ce livre doudou.

Flammarion. 401 pages.
2011.

25 avril 2011

Les Chouans - Honoré de Balzac

21374719Les Chouans est le premier grand roman de Balzac. Ecrit en 1828, il s'agit d'un roman historique (et plein d'autres choses), qui revient sur la Révolution française et les troubles liés à cette époque.
Nous sommes en 1799. Bonaparte est alors Premier consul, et Fouché, ministre de la police, l'aide dans sa lutte contre les royalistes. Les chouans ont  en effet repris la lutte dans l'ouest de la France, menés par le jeune marquis de Montauran, surnommé le Gars.
Marie de Verneuil est envoyée en Bretagne pour séduire le chef des blancs et le livrer aux républicains. Evidemment, les choses ne se passent pas comme prévu. Dès la première rencontre, Marie et Montauran tombent amoureux. Corentin, émissaire de Fouché, qui accompagne Marie et qui espère l'épouser, est furieux, tout comme la redoutable Mme du Gua, qui lorgne sur Montauran. Les deux jalous étant les personnages les plus charismatiques et les plus féroces du livre, je vous laisse imaginer les coups tordus auxquels on a droit.

Ce livre dormait dans ma bibliothèque depuis des années, et après ma lecture, j'ai vraiment du mal à me l'expliquer (c'est pas comme si j'avais une PAL d'une taille effrayante).
Je ne sais pas si c'est le meilleur roman de Balzac, sa structure est parfois un peu bancale, au point qu'il faut souvent être très attentif pour repérer les changements de personnage ou de camp. Pourtant, il est déjà porté par un souffle romanesque incroyable. Comme souvent, je me suis beaucoup amusée en lisant les descriptions des personnages. Les hommes de Hulot, le chef militaire des bleus, nous offrent un spectacle impressionnant : 

"Quelques-uns des paysans, et c'était le plus grand nombre, allaient pieds nus, ayant pour tout vêtement une grande peau de chèvre qui les couvrait depuis le col jusqu'aux genoux, et un pantalon de toile blanche très grossière, dont le fil mal tondu accusait l'incurie industrielle du pays. Les mèches plates de leurs longs cheveux s'unissaient si habituellement aux poils de la peau de chèvre et cachaient si complètement leurs visages baisés vers la terre, qu'on pouvait facilement prendre cette peau pour la leur, et confondre, à la première vue, ces malheureux avec les animaux dont les dépouilles leur servaient de vêtement. Mais à travers ces cheveux l'on voyait bientôt briller leurs yeux comme des gouttes de rosée dans une épaisse verdure; et leurs regards, tout en annonçant l'intelligence humaine, causaient certainement plus de terreur que de plaisir. Leurs têtes étaient surmontées d'une sale toque en laine rouge, semblable à ce bonnet phrygien que la République adoptait alors comme, emblème de la liberté."

La première description de Corentin vaut aussi le détour, d'autant plus que Balzac semble lui même hilare en nous dépeignant son costume.
Avec ce roman, nous sommes au coeur de la guerre que se livrent les royalistes et les républicains, avec tous les coups bas, tous les comportements opportunistes et toutes les horreurs que cela suppose. Et bien que l'on soit plutôt épargnés au niveau des descriptions sanglantes, j'ai vraiment eu du mal à me concentrer sur l'exécution sommaire qui intervient à la fin du roman et qui précipite les événements. En revanche, j'ai adoré le début du roman, avec la première opposition entre chouans et bleus, et l'apparition du Gars. C'est très réussit.
L'histoire d'amour entre le Gars et Marie de Verneuil est bien sûr au coeur du roman. Mon côté fleur bleue a été comblé par cette relation passionnée qui naît en l'espace de trois minutes. J'ai enragé à chaque difficulté rencontrée, et pleuré toutes les larmes de mon corps à la fin (bon, j'exagère un peu). Mais les personnages qui ont le plus retenu mon attention sont plutôt les personnages périphériques. Marche-à-terre, Corentin, Mme du Gua (j'aimerais vraiment savoir qui elle est réellement, Balzac sous-entend qu'elle a déjà fait des siennes), Galope-Chopine sont en effet beaucoup plus actifs et intriguants.

En résumé, voilà un roman que j'ai lu d'une traite. Il est assez différent de ce que j'ai pu lire de l'auteur jusqu'à présent, mais je recommande sans hésitation.

D'autres avis chez Emeralda et Whiterose.

Honoré de Bazac. Les Chouans. 1829. 508 pages.

17 juillet 2011

Beach Music - Pat Conroy

9782253144519-GOn ne peut pas fréquenter la blogosphère littéraire et ne pas connaître Pat Conroy. En fait, on ne peut même pas fréquenter la blogosphère littéraire et ne pas avoir envie de lire Pat Conroy. Cuné a trop harcelé tout le monde avec son Patounet chéri (elle a même organisé un Patounet Swap il y a quelques temps) pour que l'on puisse passer au travers des mailles du filet.
Autant vous dire que je flippe à mort à l'heure actuelle, parce que je suis beaucoup moins subjuguée que je ne l'aurais cru. J'ai changé d'adresse, quitté tout le monde, investi dans des gardes du corps et des alarmes. Mais comme je suis une bonne blogueuse, je vais quand même vous en dire un peu plus sur Beach Music.

Jack McCall s'est installé à Rome après le suicide de sa femme, Shyla. Elevé en Caroline du Sud, il a coupé tous les ponts avec son passé après avoir gagné la garde de sa fille, que ses beaux-parents voulaient lui enlever.
Des années plus tard, sa belle-soeur débarque à Rome en hissant le drapeau blanc. Il reçoit aussi un message annonçant que sa mère, Lucy, est sur le point de mourir. Enfin, Mike, un ami d'enfance qui a fait carrière à Hollywood, lui offre un gros paquet d'argent pour écrire un scénario sur leur histoire et celle de leurs familles.
Difficile dans ces conditions de ne pas se retourner sur son passé.

Je vais commencer par les bons points du livre, car j'ai quand même passé une bonne semaine en sa compagnie. Déjà, Pat Conroy tient le lecteur en haleine. J'adore l'ambiance Vieux Sud, alors je n'ai pas vu passer les neufs cent et quelques pages que compte ce livre. Il y a aussi des moments extraordinaires, comme lorsque Jack et trois de ses frères plongent nus dans l'eau glacée sous les yeux de toute la ville, ou lorsque Lucy et Leah se battent pour la survie des tortues carets. L'intrigue est enfin servie par beaucoup d'humour, qui contrebalance la tristesse de la vie de tous ces gens. D'une manière générale, les dialogues sont travaillés, et beaucoup de scènes sont très fortes et très poétiques.
J'ai quand même du mal à être complètement enthousiaste. Déjà, la construction pose problème. Pat Conroy nous livre des récits (souvent épouvantables) sur l'Holocauste, les années soixante, la vie de chacun des personnages, mais je n'ai pas trouvé le fil conducteur de cette fresque. Trouver pourquoi Shyla, qui hante toute l'histoire, s'est suicidée ? Cet aspect du livre m'a beaucoup gênée. J'y vois surtout un prétexte pour raconter l'histoire des Fox. Réconcilier Jack avec son passé ? Réaliser qu'en fait, les frères c'est pas si mal, que l'on aime follement sa maman et sa Caroline du Sud ? Sans doute, mais j'aurais aimé que ce soit plus subtil.
Ca part beaucoup trop dans tous les sens, et ça donne un aspect bricolé à l'ensemble. J'ai eu beaucoup de mal avec la grossièreté du trait dans la description des personnages et dans des moments clés du récit. Alors, on a l'alcoolique, le père violent, les victimes de l'Holocauste, la suicidée, le traître, le prêtre assassin reconverti... Le tout ponctué d'un aspect très mielleux sur la fin du livre. Pour reprendre les termes de Célestine, chacun a fait ce qu'il pouvait faire, donc embrassons-nous tous. Mouais. Le pardon final à Capers est grotesque, et ponctue un faux procès qui l'est tout autant. De la même manière, l'attentat de l'aéroport, quelqu'un peut m'expliquer ? La pêche à la baleine qui tourne mal* ? Et mon moment préféré : George et Ruth, témoins du mariage final ?
Même le personnage de Jack, pourtant attachant, est souvent mal traité. Quand il renoue avec son passé, on s'attend aux pires secrets concernant tout le monde. Il hait sa famille, sa belle-famille, ses amis, mais dès qu'ils apparaissent, à l'exception de Capers, tout n'est qu'amour et humour... Je croyais la vie un peu plus compliquée que ça.

Je suis un peu de mauvaise foi, parce que je n'aurais jamais tenu presque mille pages si c'était nul, mais je suis frustrée. Frustrée parce que j'avais des attentes énormes concernant ce roman, et parce que j'ai attendu jusqu'à la fin que le déclic se fasse, que le début du roman tienne ses promesses. Il y avait vraiment de quoi faire un livre magnifique, mais au final on passe juste un bon moment, ponctué de quelques bonds lors des scènes invraisemblables.

Je ne renonce pas à Pat Conroy, et je pense qu'un jour je prendrais le temps de lire Le Prince des Marées. En attendant, vous pouvez voir chez Mademoiselle Swan que ce livre en a subjugué plus d'un. J'ai même retrouvé l'avis de Cuné.

* En fait, j'ai adoré le début du chapitre sur la pêche à la baleine (enfin, une bestiole du genre). Mais pourquoi en faire autant ?

Le Livre de poche. 924 pages.
Traduit par Françoise Cartano.

1 avril 2012

Arlington Park - Rachel Cusk

60265267"Tous les hommes sont des assassins, pensa Juliet. Tous. Ils assassinent des femmes. Ils prennent une femme et, petit à petit, ils l'assassinent."

Le hasard fait bien les choses. Comme je vous l'ai dit, Le Magazine Littéraire vient de publier un numéro consacré à Virginia Woolf. Je ne l'ai que feuilleté pour l'instant, mais dans la bibliographie sélective que propose le magazine, dans la rubrique "Autour de Mrs Dalloway", on trouve Arlington Park de Rachel Cusk. Le roman que je viens de dévorer en fait.

Juliet, Maisie, Amanda, Christine et Solly sont des femmes mariées et mères de famille bourgeoises, vivant de nos jours à Arlington Park, une banlieue de Londres. Elles travaillent un peu pour certaines, mais leur principale fonction est celle de ménagère. Nous les suivons durant une journée, tour à tour, jusqu'à leur réunion le soir, chez Christine.

Ce livre est une merveille. J'ai été complètement hapée dès la première page, et cette description de la pluie qui tombe sur Arlington Park. La référence à Virginia Woolf existe déjà, et l'écriture de Rachel Cusk est incroyable, au point de rendre ce simple phénomène métérologique à la fois inquiétant et excitant.
Il nous permet de pénétrer dans la vie des personnages, et de découvrir Juliet, puis les autres, dont la vie de famille s'accorde bien avec le temps maussade.
Pour être honnête, il ne se passe presque rien durant ces 260 pages. On se contente de suivre le quotidien et les pensées de chacune de ces femmes coincées dans leur rôle d'épouse et de mère. De plus, elles ne sont même pas attachantes. Elles aiment médire des autres, ont des idées navrantes sur le monde qui les entoure (idées qu'elles tiennent sûrement de leur mari ou de la télé), et mériteraient des baffes pour leur incapacité à se bouger les fesses. Même la forme est étrange. Ce n'est ni tout à fait un roman ni un recueil de nouvelles.
Pourtant, ce portrait acide du mariage et de la vie bourgeoise est fascinant. Ces femmes sont plus ou moins conscientes de leur condition. C'est encore plus frappant avec Solly et Amanda, qui peuvent voir dans une soeur, une étudiante ou une locataire le reflet de ce qu'elles sont devenues et celui de ce qu'elles auraient pu être. Elles frémissent en voyant ces électrons libres, tout en les jalousant au fond d'elles mêmes.

"Pendant un moment, Amanda avait vécu dans la crainte que Susannah ne devienne célèbre, mais maintenant elle avait trente-cinq ans et Amanda sentait qu'elle pouvait quitter sa soeur des yeux, bien que, chaque fois qu'elle la voyait, il semblât que Susannah avait trouvé une nouvelle façon d'être belle. Elle résonnait dans l'austérité de la maisonnée Clapp bien après son départ ; elle suggérait que la vie devrait moins tendre vers un ordre meurtrier et plus dans la direction du risque et de la fantaisie."

Malgré cela, elles continuent à admirer et servir un mari qui les humilie un peu plus chaque jour, qui ne lève le petit doigt qu'à contrecoeur, et qui est bien plus prompt à repprocher un appel téléphonique au moment de préparer le repas, ou une tenue peu recherchée, qu'à reconnaître que coucher deux enfants fait aussi partie de ses obligations. J'ai pesté, eu du mal à me dire que ces histoires se passaient bien à notre époque. Pourtant, même si évidemment Rachel Cusk force un peu le trait pour servir son propos, je dois reconnaître que beaucoup des attitudes décrites dans ce livre ne me sont pas si étrangères (je les connais en tant qu'observatrice, hein ! ). Elle assoie aussi son propos dans le temps, puisque Juliet évoque les enfants Brontë et leurs parents, un couple dans lequel le mari était tyrannique.

"Elle se rappelait avoir lu quelque part que Patrick Brontë avait en plus déchiré en lambeaux une robe de sa femme, des années plus tôt. C'était une belle robe, qui datait d'avant son mariage. C'était la seule jolie chose qu'elle possédait. Elle la conservait dans un coffre fermé à clé à l'étage. Il avait pris la clé et avait découpé la robe en petits morceaux avec des ciseaux. Oh, c'était un véritable meurtrier."

J'ai pu voir que ce livre était souvent comparé à Desesperate Housewives, et que cela avait créé des déceptions. Heureusement pour moi, j'ai toujours trouvé cette série bien moins provocatrice et subtile qu'on ne le dit (avec beaucoup de mauvaise foi, je n'ai jamais eu l'envie de la suivre de façon continue). Ici, on grince des dents plus qu'on ne rit, j'imagine que pas mal de gens pourraient se sentir visés, mais c'est bien meilleur. 

D'autres avis chez la livrophile, Cathe, Clarabel et Valériane.

Points. Traduit par Justine de Mazères.
2006 pour l'édition originale.

25 octobre 2011

Hunger Games - Suzanne Collins

hunger-games_suzanne-collinsPour prouver sa domination sur les douze districts, le Capitole organise chaque année la Moisson. Ainsi, un garçon et une fille de chaque district sont sélectionnés pour participer aux Hunger Games, un jeu de télé-réalité dans lequel les participants s'affrontent jusqu'à la mort dans une arène où ils doivent aussi trouver de quoi se nourrir et un abri pour dormir. Le dernier survivant remporte le jeu.
Katniss vit dans le district Douze, le plus défavorisé. Elle nourrit sa mère et sa petite soeur, Prim, en braconnant avec son ami Gale. Mais le jour de la Moisson, le nom de Prim est tiré au sort. Katniss décide alors de prendre sa place. Le garçon sélectionné pour le district Douze est Peeta, le fils du boulanger. Il a permis à Katniss de ne pas mourir de faim autrefois, mais seul un participant peut gagner la partie.

Enorme coup de coeur pour le premier volet de la trilogie de Suzanne Collins. J'avais à peine entamé sa lecture que je ne pouvais plus m'arrêter de lire. A partir de l'entrée des participants dans le jeu, c'était encore pire. J'avais succombée au voyeurisme le plus honteux, que le roman dénonce clairement, même si c'est loin d'être ce qui est le plus mis en avant ou ce qui fait le plus le charme de l'histoire. Bien sûr, un tel jeu de téléréalité peut sembler irréaliste, mais quand on voit certains programmes télévisés et leur succès, on peut se demander si les gens seraient capables de résister à l'appel du sang au cas où la fiction deviendrait réalité.
Dans l'arène, c'est un peu le retour de Lord of the flies, les alliances se forment, et les candidats laissent s'exprimer leur instinct de survie. Certains meurtres sont terriblement tristes, et j'avais beau savoir dès le début que mon héroïne allait s'en sortir (le suspens ne tient pas dans l'originalité de l'histoire), je me demandais dans quel état, et ce que les autres allaient se faire subir entre eux.
Mais j'ai aussi aimé ce livre grâce à son histoire d'amour pas du tout banale, ni facile (hum !). Mon coeur balance entre Gale et Peeta, mais je savoure chaque moment où ils sont évoqués quand même. Peeta, qu'il n'est pas toujours simple de cerner, surtout au début, et qui n'est pas autant le chevalier en armure que ce que l'on croyait au début (ce qui lui permet peut-être de ne pas basculer du côté obscur). Et Gale, plus sauvage, qu'on devrait revoir rapidement. Si je ne vois pas forcément l'intérêt d'une suite en ce qui concerne le jeu, je sais déjà que je succomberai pour connaître le fin mot du triangle amoureux.

Un excellent roman jeunesse, pour adolescents et grands adolescents (voire très grands adolescents) !

Vous pouvez vous rendre chez Cuné, Laël, Caro[line], Stephie, Praline, Kalistina..., vous verrez que c'est un incontournable.

En plus, un film doit bientôt sortir !!

12 novembre 2008

L'homme démasqué ; Thomas Hardy

51QIH7ptHQLLe Serpent à Plumes ; 84 pages.
Traduction de Diane de Margerie.
Titre Original : Barbara of the house of Grebe.

Elizabeth Gaskell me plaisant seulement à petites doses depuis que j'ai commencé Cranford, j'ai décidé de m'offrir une parenthèse avec Thomas Hardy qui m'a très récemment enchantée avec Far from the madding crowd. C'est chez Cryssilda, l'une des organisatrices du Victorian Swap auquel je me suis inscrite, que j'ai pioché cette lecture.

Alors qu'elle est courtisée par Lord Uplandtowers, Barbara Grebe s'enfuit avec celui qu'elle aime (un jeune homme sans rang), au cours d'un bal organisé par ses parents. Le mariage est heureux durant quelques semaines, puis Mr Willowes, afin d'achever son éducation et de devenir digne de son épouse, part pour le continent. Il y reste près d'un an et demi, et lorsqu'il revient, son visage a été ravagé par les brûlures d'un incendie. Or, il était autrefois un homme d'une remarquable beauté, et sa femme est paralysée d'horreur lorsqu'elle le revoit.

A nouveau, j'ai été séduite par Thomas Hardy. Ce livre s'attache à dénoncer la superficialité qui conduit certains au mariage, en mettant à nouveau en scène des situations qui ont dû faire grincer bien des dents lorsque Hardy a publié ses écrits, d'autant plus que l'auteur manie très bien le cynisme lorsqu'il s'agit de parler de bonheur conjugal.
Hardy fait d'ailleurs preuve d'une très grande maîtrise tout au long de ce texte finalement très court. L'ambiance est malsaine. On a l'impression d'être en permanence dans des lieux où la lumière a du mal à pénétrer. La personnalité des personnages, qui est très bien croquée par l'auteur, ajoute à cette ambiance gênante. Lord Uplandtowers m'a beaucoup plu par exemple.
Quant à la chute, elle est très bien trouvée, et expose une nouvelle fois et avec beaucoup d'ironie la position de Thomas Hardy face aux mariages.

En résumé, une nouvelle qui n'a certes pas le charme de Far from the madding crowd, mais qui n'en est pas moins un vrai bonheur de lecture.

Même si je ne peux pas m'empêcher d'arranger la chose à ma sauce, comme d'habitude, j'ai entrepris d'accompagner Lou, Isil et Cryssilda dans leur découverte de romans victoriens en attendant les paquets du swap. En voilà une autre de faite !

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19 février 2013

Les confessions de Mr Harrison - Elizabeth Gaskell

elizabeth-gaskell-les-confessions-de-mr-harrisonAmis lecteurs, j'ai une bonne nouvelle ! Mes démêlés avec l'informatique étant (je l'espère) terminés, je vais enfin pouvoir vous prouver que j'ai pris de bonnes résolutions, et qu'on trouvera plus de billets sur ce blog que l'année dernière.

Et en ce mois de février lugubre, je vous propose un retour aux sources avec un petit bijou d'humour anglais. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu Elizabeth Gaskell, et j'avais oublié à quel point c'était plaisant.

Mr Harrison, un jeune médecin, reçoit chez lui l'un de ses amis. Ce dernier charmé par l'épouse de son compagnon, lui demande de lui faire le récit de sa rencontre avec sa femme. C'est ainsi que nous nous retrouvons à Duncombe, où le jeune Dr Harrison doit s'établir comme médecin. Son arrivée provoque l'émulation de tout le village, rempli de vieilles filles, de veuves et de jeunes filles à marier.

Alors évidemment, nous sommes loin de Nord et Sud. Le lecteur n'est pas emporté, comme lorsqu'il suit les aventures de Margaret Hale et de John Thornton, par un souffle romanesque formidable.
Cette fois, nous sommes en pleine campagne, dans un cercle composé essentiellement de femmes dont le principal loisir est de cancaner. L'arrivée de cet homme parachuté dans une société qu'il ne connaît pas et tous les malentendus qui s'ensuivent m'ont fait rire du début à la fin. Le docteur Harrison est un homme naïf, bon, qui ne connaît pas grand chose aux femmes, et qui agit sans réaliser les conséquences que ses actes pourraient avoir. Les habitantes de Duncombe n'ont probablement pas beaucoup d'occupations. Elles vivencranford460t à la campagne, s'ennuient, et sont prêtes à voir du romanesque partout où il pourrait se cacher. L'arrivée d'un beau jeune homme célibataire (qui en plus aime Austen, Dickens et Thackeray) est donc un merveilleux prétexte pour lancer la chasse au mari.
Elizabeth Gaskell s'est clairement amusée à écrire ce petit livre. Son style est rythmé, ses phrases remplies d'humour, et elle use même d'onomatopées pour retranscrire le ridicule de certains dialogues entre femmes. Cependant, pas de panique, elle reste hors des frontières de la méchancetés.

Ce livre n'est sans doute pas la meilleure étude existante d'une petite communauté campagnarde de l'Angleterre du XIXe siècle. Emma, de Jane Austen, dont je vous parlerai bientôt, est un livre beaucoup plus fin. Cependant, en cas de coup de fatigue, voilà une lecture parfaite pour se requinquer.

A noter que ce livre a été mêlé à d'autres de l'auteur pour donner la délicieuse mini-série BBC Cranford (2008), avec un casting bien connu des adeptes d'adaptations de romans anglais.

Vous pouvez trouver de nombreux billets sur ce livre chez Titine, Lou et bien d'autres encore sur la blogsphère.

Points. 156 pages.
Traduit par Béatrice Vierne
.
1851.

28 février 2013

Emma - Jane Austen

EmmaLorsque j'ai découvert Jane Austen, ça a été une révélation. Je me suis enfilé la totalité de ses romans, et j'en ai profité pour voir toutes les adaptations que je pouvais trouver. Emma a été un peu maltraité cependant. C'est le dernier roman de l'auteur que j'ai lu, alors que je commençais à me lasser. Par ailleurs, j'ai regardé l'une de ses adaptations avant de découvrir le livre, chose qui me gâche systématiquement le plaisir de la lecture. Je gardais donc un mauvais souvenir de Miss Woodhouse. Mais alors que nous venons de fêter les deux cents ans de la publication d'Orgueil et Préjugés, je me suis dit qu'il était temps de me réconcilier avec elle.

Emma Woodhouse est une jeune fille riche de vingt et un an. Bien que plutôt intelligente et pleine de bonne volonté, elle a toujours été trop gâtée. Seul son beau-frère et voisin, Mr Knightley, lui trouve des défauts et se permet de les lui faire remarquer. Lorsque sa gouvernante, la "pauvre Miss Taylor", décide de se marier, Emma se retrouve seule avec son père hypocondriaque. Pour tromper son ennui, la jeune fille jette son dévolu sur Harriet Smith pour en faire sa compagne et l'un des objets de sa carrière d'entremetteuse.

Il est intéressant de lire un auteur à plusieurs années d'intervalle. En effet, contrairement à mes premières lectures des livres de Jane Austen, ce qui a le plus retenu mon attention ne sont pas les aventures de l'héroïne et de ses nombreux prétendants. Cet aspect du livre m'a plutôt ennuyée en fait, mais je vais y revenir. Ce qui fait le grand intérêt d'Emma, c'est la peinture de la petite société de Highbury et de tous les personnages qui la composent. Emma, pour commencer, est une héroïne très emma_1_1_austenienne. Elle a beau être riche contrairement à ses consoeurs, elle est surtout aussi imparfaite qu'elles. En effet, Emma est bornée, sûre de son rang et de ce qu'elle fait. Or, son intérêt pour Harriet relève davantage du caprice que d'un souci réel pour la jeune fille, et elle se montre donc très mauvaise enseignante.

"Les projets qu'Emma nourrissait en vue de meubler l'esprit de sa jeune amie à grand renfort de lectures et de conversations instructives n'avaient encore jamais dépassé le stade de quelques premiers chapitres, et l'intention de poursuivre le lendemain. Bavarder était chose plus facile qu'étudier. Il était plus distrayant d'abandonner son imagination à des rêves concernant l'avenir d'Harriet que de s'attacher à cultiver son intelligence ou de l'appliquer à des sujets concrets."

Elle peut aussi se montrer vaniteuse, même si c'est plus pour ses amis que pour elle-même, comme lorsqu'elle refuse l'idée d'une union entre Harriet et Mr Martin.
Jane Austen se montre encore plus féroce à l'égard des autres personnages, qui sont assez nombreux à occuper le devant de la scène. Mr Woodhouse et sa fille aînée, Isabelle, passent leur temps à craindre pour leur bien-être et celui de leurs proches. Le mari d'Isabelle, qui est aussi le frère cadet de Mr Knightley, est doté de davantage de bon sens, mais son caractère lunatique gâche sa personnalité. Parmi les amis des Woodhouse, la plupart sont aimables, mais à l'image de Mr Woohouse, surtout "mentalement inactifs", pour reprendre une expression de l'auteur. Ainsi, Harriet S30145252mith est charmante, mais naïve et incapable de penser par elle-même tant elle est occupée à boire les paroles d'Emma. A travers elle, Jane Austen se moque une nouvelle fois du romantisme et des héroïnes passionnément amoureuse d'un homme tant qu'elle n'en ont pas aperçu un autre sur lequel reporter toute leur affection. Miss Bates est tout aussi humble et gentille, mais ses interminables monologues feraient perdre patience à Jane Bennet en personne. Quant à Jane Fairfax, le point de vue d'Emma qui est adopté par la romancière nous la rend moins remarquable qu'elle ne l'est en réalité.
 D'autres personnages sont ridicules ou détestables, voire les deux. Mr Elton est un pasteur doté de tous les défauts les plus méprisables sous ses airs de gentilhomme. Son épouse n'est pas en reste avec ses grands airs et son hypocrisie. Quant à Frank Churchill, le séducteur de ces dames, j'avoue avoir du mal à lui pardonner son caractère égoïste et manipulateur.
En fin de compte, seuls Mrs Weston et Mr Knigthley nous permettent de ne pas désespérer de l'humanité en lisant Emma.
Tous ces personnages forment une petite société où il est nécessaire de prendre sur soi et de s'entendre, sous peine de perdre le peu de distraction que la vie à la campagne a à offrir. Dans ces conditions, les allers et retours de Frank paltrow-emmaChurchill, la maladie de sa tante, le cadeau anonyme envoyé à Jane Fairfax et tous les petits événements sortant de l'ordinaire donnent lieu à un grand émoi. L'intrigue de ce roman repose beaucoup sur les coups de théâtre et le ton constamment ironique et vif de Jane Austen, ce qui permet de le savourer malgré la quasi absence d'action.
Si cette relecture d'Emma m'a permis d'apprécier davantage ce livre auquel je reconnais de nombreuses qualités, j'ai dû m'accrocher durant les cent dernières pages. Je l'ai dit plus haut, les intrigues amoureuses qui sont résolues à la fin de l'histoire m'ont beaucoup ennuyée. Cela s'étale sur beaucoup trop de pages pour garder le lecteur en veille. Par ailleurs, je vais sans doute me faire huer, mais j'ai un problème moral avec le couple principal. Mr Knightley a contribué à l'éducation d'Emma, il l'a connue toute sa vie et se comporte de manière paternelle envers elle durant tout le livre. Par conséquent, je pense davantage "beurk" que "oooh" devant leur histoire d'amour... Je m'y fais en pensant que, comme pour Mansfield Park, où nous assistons à l'union de deux cousins germains, cela vient d'un décalage entre les époques. Je sais, j'ai un esprit étroit...

Emma ne sera jamais mon favori dans l'oeuvre de Jane Austen, mais il reste tout à fait recommandable !

Côté adaptations, j'ai pu voir les deux films sortis en 1996 ainsi que la mini-série de 2009. Toutes trois se complètent assez bien, mais j'avoue avoir un gros penchant pour celle d'ITV avec Kate Beckinsale et Mark Strong (en attendant de revoir l'Emma de Romola Garai, que je n'ai vue que rapidement lors de sa diffusion).

Lou, Romanza et Maggie ont aussi lu et aimé ce livre.

Le Livre de Poche. 511 pages.
Traduit par Pierre Nordon.
1815.

22 mars 2013

Frankenstein ou le Prométhée moderne - Mary Shelley

9782080703200_1_75"Je serai près de toi le soir de ton mariage."

Frankenstein ou le Prométhée moderne est probablement l'un des romans d'épouvante les plus connus. Pourtant, j'ai comme l'impression que beaucoup de préjugés entourent ce livre écrit par une jeune fille de dix-neuf ans, fille d'une grande féministe et épouse d'un poète majeur du romantisme anglais, Mary Shelley. Moi-même, je n'avais concernant ce livre que l'image d'un monstre recousu de partout aux dents pourries et quelques souvenirs de mes années de fac. Ma lecture du livre original aura donc été pour le moins intéressante.

Un jeune homme ambitieux et passionné de science décide, lors de ses études, de créer un être immortel. Ce faisant, il espère apporter à l'humanité ce dont elle a besoin. Le résultat le terrifie tellement qu'il décide d'abandonner sa créature et de retourner profiter des siens. Le monstre se rappellera cependant bien vite au bon souvenir de son créateur, en privant ce dernier de tous ceux qu'il aime.

Contrairement à ce que l'on imagine sans doute souvent, Frankenstein ou le Prométhée moderne n'est pas vraiment un roman fantastique. Dès le début, on est plongé dans le récit d'un héros désespéré, qui nous décrit son enfance dans le cadre somptueux de la Suisse, et nous parle de sa famille et de sa bien-aimée sans nous épargner le moindre de ses chagrins. C'est donc avant tout à un roman aux accents gothiques et romantiques prononcés que nous avons affaire, et c'est sans doute ce qui le rend très lourd parfois (le cap des cent premières pages est une véritable victoire sur l'ennui).
Si l'on survit aux états d'âme de ce cher Victor, qui élève l'égoisme, l'immobilisme et l'auto apitoiement au rang d'art, il est cependant possible de trouver à ce livre de réelles qualités. Tout d'abord, l'histoire de Frankenstein et de sa créature a un sens particulier lorsqu'on la replace son contexte d'écriture. En effet, les XVIIIe et XIXe siècles sont le théâtre d'un essor scientifique. Les techniques progressent, la révolution industrielle naît en Angleterre avant de s'étendre à toute l'Europe, et la science semble de manière générale être une solution à tout. Cependant, certains s'élèvent pour mettre en garde contre les dérives que pourraient avoir ces idées. Un de mes anciens professeurs avait cité Frankenstein comme exemple en évoquant ce dernier fait, je comprends maintenant pourquoi. En jouant les apprentis sorciers, Victor Frankenstein dépasse les bornes de ce que l'on appelerait aujourd'hui l'éthique, et attire sur lui les conséquences de son insouciance.
Si Frankenstein m'a beaucoup agacée, sa créature (qui n'est jamais nommée), m'a beaucoup plus intéressée et touchée. Abandonnée, elle survit en se cachant dans les montagnes et en résistant au froid. Ses tentatives pour entrer en contact avec les hommes sont des échecs causés par la terreur que son physique terrifiant provoque. Elle finit par trouver refuge dans une hutte qui se trouve contre un chalet où vit une famille exilée de France et réduite à la misère. Des mois durant, le monstre observe ses "hôtes". Il apprend peu à peu leur langage (on passera sur le côté crédible de cet apprentissage), et en vient à les aimer, tout en ayant déjà conscience que sa sensibilité et sa soif d'apprendre le fragilise.

"Combien étrange est la nature de la connaissance ? Elle s'accroche à l'esprit, lorsqu'elle s'en est saisie, comme le lichen au rocher. J'aurais voulu parfois dépouiller toute pensée et tout sentiment ; mais j'appris qu'il n'était qu'un seul moyen de vaincre la douleur, à savoir trouver la mort, état que je craignais sans pourtant le comprendre."

En effet, ce livre s'interroge beaucoup sur la nature humaine, et sur le Bien et le Mal qui la composent. Cela conduira Frankenstein et sa créature (peut-être une véritable part de lui même si on joue les docteurs Freud) à se combattre jusqu'à la mort.

J'ai craint à plusieurs reprises de ne pas parvenir à apprécier cette histoire. Cependant, malgré ses lourdeurs, j'ai trouvé de nombreux passages passionnants et je pense en garder un souvenir assez précis.

Céline a fait une très belle lecture de ce livre.

Flammarion. 380 pages.
Traduit par Germain d'Hangest.
1818.

30 juin 2013

Miss Mackenzie - Anthony Trollope

imagesSuite au décès de son frère, Margaret Mackenzie, une vieille fille de trente-cinq ans se retrouve à la tête d'une petite fortune et d'une jolie liste de soupirants.

Si vous cherchez une lecture victorienne plaisante, pleine de mordant et qui ne vous torturera pas trop les méninges, alors Miss Mackenzie est parfait pour vous. 
L'intrigue est très mince, et pourtant ce livre contient la plupart des ingrédients qui font qu'on aime les auteurs anglais, à commencer par la présence directe de ces derniers dans leurs livres. A l'instar d'une Jane Austen ou d'un Thackeray, Anthony Trollope s'amuse à commenter son récit, à critiquer ou à excuser ses personnages avec une délicieuse ironie.
La plus importante d'entre eux, Miss Mackenzie, est un personnage très bien croqué. Bien que vieille fille et réservée, elle n'a rien d'une gentille idiote que l'on pourrait manipuler à sa guise. Sa générosité lui joue des tours, mais elle est bien déterminée à se faire une place dans le monde. Une fois reçu son héritage, elle se rend donc à Littlebath, où il lui faut déterminer si sa position serait mieux assurée parmi les débauchés qui osent danser et jouer aux cartes ou dans le salon de la terrifiante Mrs Stumfold, l'épouse du pasteur. Miss Mackenzie se verrait bien mariée également, mais elle hésite entre le charmant Mr Rubb, associé de son frère, qui a malgré tout comme défaut d'être d'une honnêteté relative et surtout commerçant de profession, le révérend Maguire, un homme qui louche affreusement, et son cousin John Ball, futur baronnet ruiné, âgé, et à la tête d'une ribambelle d'enfants. Pour faire son choix, elle fait à nouveau preuve de clairvoyance, et refuse de se priver de romantisme en raison de son grand âge (trente-cinq ans, rappelons-le !). J'ai été agréablement surprise de lire un roman de cette époque et écrit par un homme doté d'un personnage féminin si fort.
L'entourage de notre héroïne n'est évidemment pas composé de saints personnages, ce qui donne lieu à des scènes délicieuses. J'avoue avoir connu quelques moments de léger ennui, tellement il est question d'argent durant cinq cents pages, mais je me suis régalée en lisant le compte-rendu des réunions stumfoldiennes à Littlebath, où l'on ne sait où donner de la tête tellement il y a de gens à claquer, ou encore en assistant au dîner ridicule donné par Mrs Tom Mackenzie avant qu'elle ne descende de ses grands-chevaux. Le bazar des orphelins de soldats nègres avec toutes ces pouffiasses victoriennes abandonnant toute fierté est aussi une merveille, tout comme les altercations entre Margaret et sa tante Lady Ball, dignes héritières d'Elizabeth Bennet et de Lady Catherine de Bourgh.

Je voulais découvrir Anthony Trollope depuis longtemps, et je ne suis pas du tout déçue par cette première rencontre !

Alors que le mois anglais se clôture, j'ai fait mes devoirs pour cette lecture commune avec Lou, Romanza et Virgule. Avec cette lecture, je réussis aussi mon challenge Myself, même si je ne serais pas contre une deuxième découverte de Trollope avant la fin de l'année.

Le Livre de Poche. 506 pages.
1865 pour l'édition originale.

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Challenge Myself

 

6 novembre 2013

Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola

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Alors que tout Paris se prépare à célébrer le baptême du prince impérial, Eugène Rougon démissionne de la présidence du Conseil d'Etat. Ses amis se précipitent chez lui pour le réconforter et l'assurer de leur soutien. Parmi eux, la belle Clorinde est déterminée à l'aider à reconquérir le pouvoir.
Le grand homme a beau jurer qu'il ne souhaite plus que devenir propriétaire terrien et s'éloigner de la vie politique, ses proches ne sont pas dupes et refusent encore plus de renoncer aux privilèges qu'il leur avait promis avant sa chute.

Bon, ce livre ne sera pas mon Zola préféré, je reste sous le charme de La Curée, mais il reste un excellent roman.
Le sujet central est la politique sous le Second Empire, et là où il y a du pouvoir, il y a toujours un Rougon. Eugène, fils de la terrible Félicité, est entouré d'une clique que nous ne quitterons pas du livre, qui est en effet une succession de scènes où ces personnages se retrouvent (baptême impérial, soirée entre amis, bal à la préfecture des Deux-Sèvres...). Comme nous sommes chez Zola, les personnages sont bien entendu tous plus vils, intéressés et détestables les uns que les autres. J'ai même eu de la peine pour Rougon, c'est dire. Ses "amis" attendent de lui des pluies de faveur, lui en veulent de ne pas accomplir de miracle, et lorsqu'ils s'aperçoivent que sa chute est inéluctable, ils ne font qu'agir pour la précipiter un peu plus tout en sauvant leur peau.
Clorinde est un personnage particulièrement révélateur à ce sujet. Cette jeune et belle italienne que Rougon ne parvient pas à saisir sait se rendre aussi irrésistible aux yeux des grands hommes que fatale lorsqu'elle décide de détruire un homme qui l'a vexée et qui ne peut plus lui servir. Sa cruauté envers Rougon lors de la vente de charité à l'Orangerie est magistralement décrite par Zola.
Cela dit, cette manie de toujours se raccrocher aux branches et de ne pas hésiter à renier ses précédentes prises de position pour conserver sa place dans la vie politique me semble réaliste et toujours très actuelle.

"En France, dès qu'il y a cinq messieurs dans un salon, il y a cinq gouvernements en présence. Ca n'empêche personne de servir le gouvernement reconnu. Hein, n'est-ce pas ? C'est histoire de causer."

Derrière ces personnages et leurs manigances, Zola décrit la vie politique sous Napoléon III, les bouleversements dans l'attitude de celui qui était pourtant arrivé au pouvoir dans une république avant d'être proclamé empereur, de faire museler la presse et d'encourager les excès de zèle du ministère de l'Intérieur.

"... je vous conseille de frapper haut. Vous avez bien là-bas des avocats, des négociants, des pharmaciens, qui s'occupent de politique. Coffrez-moi tout ce monde là. Ca fait plus d'effet."

Etrangement, les choses ne tournent pas si mal. Heureusement qu'Eugène est un Rougon, et non pas un Mouret ou un Macquart... Il est quand même bien seul avec tout son pouvoir.

Folio. 474 pages.
1876 pour l'édition originale.

18 juin 2014

Une fille, qui danse -Julian Barnes

barnesTony Webster, un homme d'âge mûr, revient sur sa jeunesse, et notamment sur sa relation avec Adrian. Cet ami, jeune homme aussi brillant que fascinant s'est suicidé alors qu'il était étudiant à Cambridge. C'est à l'occasion d'une succession inattendue quarante ans plus tard que notre narrateur voit toutes ses certitudes concernant ce drame ébranlées.

Ce livre, mon premier de Julian Barnes, m'a donné du fil à retordre. Il est très court, mais sa lecture requiert de l'attention et une lecture rapide afin de ne pas oublier les éléments du début.
Tout commence de façon très banale. Tony et ses deux amis d'enfance voient un jour s'agréger à leur groupe un nouvel élément, Adrian, qui devient très vite la personne la plus importante de leur vie.
Les jeunes gens ont un professeur d'histoire qui leur pose une question qui provoquerait des évanouissements chez les élèves actuels pour cause de réflexion trop intense, mais qui va ici résonner durant tout le récit : "Qu'est-ce que l'Histoire ?" A cela, Adrian répond par une citation : "L'Histoire est cette conviction issue du point où les imperfections de la mémoire croisent les insuffisances de la documentation."
Cette réponse très pompeuse est à la hauteur du génie du personnage tel que Tony se le représente. Sa vie durant, il s'expliquera le suicide d'Adrian en s'aidant des discours du jeune homme. Lui-même se voit comme un être ordinaire, ennuyeux même, marié puis divorcé d'une femme sans mystère. Il a conscience de subir sa vie, contrairement à Adrian, qui a choisi l'heure de sa mort. 

Lorsqu'il apprend que la mère de Veronica, son ancienne petite-amie, celle qu'il avait délaissée avant qu'elle n'entame une relation avec Adrian, lui lègue le journal de ce dernier qu'elle a conservé depuis quarante ans, Tony croit qu'il va pouvoir comprendre plus en détails le comportement de son ami. Dans les bribes qu'il obtient, il croit saisir un code, et son incompréhension face à Veronica qui ne cesse de lui répéter qu'il n'a jamais rien compris grandit toujours un peu plus.

il faut attendre les dernières pages pour saisir le mépris de Veronica. Entre-temps, Julian Barnes a bien joué avec nos nerfs. Pourquoi la mère de Veronica a t-elle mis Tony en garde contre sa fille lorsqu'ils sortaient ensemble ? Pourquoi lui a t-elle légué ce journal ? Comment est-il arrivé en sa possession ? Que contenait-il ? Y a t-il encore des non-dits entre Veronica et Tony ?

En fait, ce que Tony et Adrian lui même n'avaient pas bien perçu, c'était qu'ils ne savaient pas tout. Ecouter son professeur oblige peut-être à réaliser que la vie est souvent tristement banale, mais cela évite aussi parfois de se tromper toute sa vie.

Simplement brillant.

Merci à Anna pour le livre.

Folio. 211 pages.
Traduit par Jean-Pierre Aoustin.
2011 pour l'édition originale.

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28 juillet 2014

Darwin - Jean-Noël Mouret

002951957Charles Darwin naît en 1809 dans une famille très aisée. Son grand-père, Erasmus Darwin, s'est déjà fait connâitre dans le milieu scientifique, et son père est médecin.
Au premier abord pourtant, le petit Charles semble peu intéressé par les études, et préfère chasser ou faire des bêtises. Etudiant, il mettra des années avant d'obtenir son premier diplôme, pas par manque de capacités mais parce qu'il cherche sa voie. 
C'est ainsi que, parti pour devenir médecin puis pasteur, sa passion qui le pousse à observer la nature et à collectionner, entre autres, les scarabées, l'amène à fréquenter des milieux anti-cléricaux... et à finalement se lancer dans une carrière de naturaliste.
Son destin est scellé en décembre 1831, losqu'il s'embarque sur le Beagle, un navire utilisé pour entreprendre des explorations scientifiques. Darwin va passer cinq années à faire le tour du monde, à collecter des fossiles, des animaux, à observer la nature. Il en profitera aussi pour mettre au point ses techniques de travail.
Le reste de sa vie, même s'il se déroulera en Angleterre auprès de sa femme et de ses nombreux enfants, le célèbre naturaliste le passera à rédiger la théorie sur l'évolution des espèces qui l'a rendu célèbre.

Cette biographie, bien que brève, est un bon point de départ pour découvrir le personnage de Darwin, que l'on ne connaît finalement que très peu. Le début se lit comme le roman d'une enfance anglaise au XIXe siècle, les années sur le Beagle comme un récit de voyage passionnant (on comprend pourquoi Darwin a supporté le mal de mer). Enfin, la partie concernant la période de rédaction des ouvrages scientifiques permet de saisir l'importance des travaux du célèbre naturaliste anglais.
Si j'ai déploré le fait que les idées de Darwin ne soient pas assez expliquées et développées (il est parfois difficile des comprendre les débats, les différences de points de vue lorsqu'on ne connaît pas précisément les personnes impliquées), ce qui m'a le plus intéressée est l'accent mis sur le contexte dans lequel Darwin a évolué.
Le voyage entrepris par le scientifique en 1831 est extrêmement long, difficile. La situation en Amérique du Sud est particulièrement agitée, et ces problèmes politiques gênent parfois le travail des explorateurs.
En Angleterre, Darwin est confronté à l'opposition de l'Eglise anglicane et des partisans du Créationnisme lorsqu'il publie ses travaux. Or, parmi les hommes d'église se trouvent nombre de ses anciens amis et mentors. Les débats sont houleux voire violents, et les amis de Darwin sont souvent contraints de monter au créneau pour prendre la défense de cet homme assez en retrait. Outre les divergences de points de vue, Darwin et ses défenseurs devront veiller à ne pas se faire griller la politesse lorsqu'un certain Wallace, en 1858, semble prêt à rendre public un travail énonçant les mêmes conclusions que celles de Darwin qui, trop perfectionniste, n'a encore rien publié. On apprend aussi que le darwinisme, bien malgré son créateur, a été exploité par d'autres penseurs, de Marx à des personnages aux idées bien plus nauséabondes, qui l'ont appliqué à leur domaine d'étude. L'idée d'une nécessaire sélection naturelle parmi les hommes, justifiant l'élimination des plus démunis, s'est ainsi parfois appuyée sur les idées de Darwin. Pour moi qui trouve la révolution des esprits qui a donné naissance à nombre de disciplines au cours du XIXe siècle passionnante, cet aspect du livre est particulièrement intéressant.
Au niveau du personnage de Darwin en lui-même, il est souvent sympathique. Sa participation au Glutton Club (dont le but est de savourer les mets les plus curieux, ce qui donne lieu à des anecdotes savoureuses) alors qu'il est encore étudiant m'a beaucoup fait rire. De même, le fait qu'il ait pu être séduit bien plus tard par des médecins charlatans vendant des cures d'eau très douteuses montre que l'on peut être à la fois un éminent scientifique en avance sur son temps et crédule sur d'autres plans. Enfin, un homme qui apprécie Jane Austen, Walter Scott et Elizabeth Gaskell ne peut être complètement mauvais.

Comme je l'ai dit plus haut, ce livre ne pousse pas très loin les explications sur les travaux scientifiques de Darwin (après tout, il s'agit d'une biographie), mais il est très agréable à lire avant d'éventuellement poursuivre avec d'autres lectures.

Merci à Anna pour le livre.

Folio biographies. 387 pages.
2014.

11 août 2014

Du côté de chez Swann - Marcel Proust

9782253059097-TDevenu adulte, notre narrateur nous raconte ses vacances d'autrefois chez ses grands-parents, à Combray. Il nous confie ses peurs d'enfant, son amour pour sa mère, le bonheur des promenades, la vie avec ses grandes-tantes, la servante Françoise et le fameux Charles Swann au nom si doux.

Je pensais que le jour où je viendrais enfin vous parler de ma découverte de Marcel Proust, la fierté d'avoir accompli un immense exploit serait la plus forte, mais je suis en fait éblouie.
Lire ce livre nécessite assurément d'être disponible, car chaque phrase se savoure. Mais ce n'est ni lent, ni ennuyeux, ni triste. Au bout d'une cinquantaine de pages, j'ai réalisé que cet auteur allait rejoindre la liste des auteurs qui me touchent le plus. Lire Proust, c'est vraiment regarder dans un miroir. Il capte les émotions et les décrit comme personne, à tel point qu'on a l'impression que c'est de nous en particulier dont il est question.
En lisant ces longues phrases et en percevant cette obsession pour le temps et les émotions, on ne peut que penser à Virginia Woolf, même si cette dernière peint quand Proust exprime (je suis encore super claire...). En d'autres termes et pour le dire de façon grossière, là où Woolf utilise les éléments qui l'entourent pour décrire les tourments intérieurs, Proust est beaucoup moins abstrait. J'étais surtout curieuse de connaître notre Marcel national pour le comparer à la romancière anglaise, et finalement je les sens à la fois proches et très différents l'un de l'autre.

La construction du livre en lui-même est aussi habile que surprenante. La première partie, Combray, restitue les souvenirs d'enfance du narrateur. C'est sublime, drôle, plein d'anecdotes qui nous rappellent notre propre enfance. La seconde partie, Un amour de Swann, contient le récit de la relation entre Swann et Odette de Crécy. On se croirait presque dans un roman de Zola ou de Balzac lorsqu'on assiste aux réceptions chez les horribles Verdurin et que l'on voit Odette mener Swann par le bout du nez. Enfin, Noms de pays : le nom clôture le livre en une quarantaine de pages. Cette fois, notre narrateur redevient le personnage principal. Il semble avoir grandit depuis Combray, et tombe sous le charme de Gilberte Swann.
A première vue, les trois parties ne semblent pas interdépendantes. Je me souviens qu'il y a quelques années les élèves de classes préparatoires scientifiques devaient d'ailleurs lire la deuxième partie uniquement. En effet, l'époque n'est pas la même, les personnages sont différents. Pourtant, Swann est au moins un fantôme dans chacun des textes. Sa position, ses fréquentations que l'on nous présente dans la seconde partie, il en est question dès le début, lorsque la grande-tante du narrateur évoque son horreur des gens qui se lient à des personnes appartenant à une classe sociale distincte de la leur. Et l'on comprend tout à la fin que malgré la savoureuse dernière phrase de la seconde partie, Swann n'est pas parvenu à se tirer d'embarras. En fait, quand on tourne la dernière page, on n'a pas l'impression d'avoir lu trois livres, mais plutôt d'en avoir raté un gros morceau (d'où les six autres livres je pense).

Si je peux maintenant affirmer que Proust a beaucoup d'humour, il y a tout autant de nostalgie dans ce livre. A la fin bien sûr, lorsque le narrateur réalise que l'époque a changé, que les tenues de Mme Swann n'existeront plus jamais. Mais aussi dans la première partie, à chaque fois qu'un élément rappelle au narrateur son enfance, que ce soit par le biais de la fameuse madeleine ou d'autre chose :

" ce parfum d'aubépine qui butine le long de la haie où les églantiers le remplaceront bientôt, un bruit de pas sans écho sur le gravier d'une allée, une bulle formée contre une plante aquatique par l'eau de la rivière et qui crève aussitôt, mon exaltation les a portés et a réussi à leur faire traverser tant d’années successives, tandis qu’alentour les chemins se sont effacés et que sont morts ceux qui les foulèrent et le souvenir de ceux qui les foulèrent. "

Après tout, quand il est question de "temps perdu", c'est assez normal d'être partagé entre le bonheur de ses souvenirs d'enfant et la tristesse d'avoir grandi.

Comme toujours lorsque j'évoque un livre de cette ampleur, je trouve mon billet minable tout en ayant besoin d'en garder une trace sur mon blog.
Alors pour fait un résumé très court, Du côté de chez Swann, c'est très très bien.

Les billets éclairés de Romanza et Titine.

Le livre de poche. 478 pages.
1913.

13 septembre 2014

Mary Barton - Elizabeth Gaskell

002859023Dans le Manchester du XIXe siècle, la Révolution industrielle bat son plein. Les Barton et les Wilson sont deux familles ouvrières liées par une solide amitié. Elles ont déjà vécu des drames, le manque de travail, la faim, la perte d'un enfant, mais elles vivent dans un milieu où l'on se serre les coudes. Mary Barton est une adolescente au début du livre, qui se transforme en une magnifique jeune fille. Ne s'imaginant pas domestique, elle entre en apprentissage chez une couturière, et ne tarde pas à faire tourner les têtes. Son premier soupirant n'est autre que Jem Wilson, le fils du meilleur ami de son père, mais sa plus belle conquête, celle qui flatte son orgueil, est sans aucun doute celle d'Harry Carson, le fils d'un grand patron.

Je vais sans doute me sentir un peu seule, mais tant pis. Je suis déçue par ce livre que je trouve bien moins abouti que Nord et Sud (auquel il est indiscutablement lié) au point d'être franchement indigeste parfois.
C'est pourtant un livre ambitieux. Elizabeth Gaskell décrit la misère avec un réalisme étonnant. Beaucoup de personnages meurent dès le début du livre, souvent dans des conditions terribles. Nous découvrons la faim, les logements insalubres, les maladies qui touchaient les nombreux individus vivant en bas de l'échelle sociale. Ces descriptions, ajoutées aux discours de John Barton, le père de Mary, qui est aussi un représentant syndical important, font de Mary Barton un livre presque politique.
La tension monte entre les deux camps, celui des patrons et celui des ouvriers, jusqu'au point de non retour, qui lance l'enquête pour découvrir le coupable du meurtre qui a lieu au milieu du livre. C'est bien fait, car Elizabeth Gaskell utilise son intrigue amoureuse pour détailler la situation complexe des villes industrielles soumises aux lois du marché et insensibles à la souffrance humaine.
Je n'ai en revanche pas été sensible au discours religieux de l'auteur, qui rend les ficelles du livre très grossières à des moments cruciaux. Le meurtrier qui expire accablé par ses fautes, sa victime touchée par la grâce divine qui lui pardonne et devient le meilleur des patrons... C'est naïf au point de me donner la nausée. Dans le reste du livre, la religion reste omniprésente, guide énormément les personnages (qui supportent tout ou presque en son nom) et alourdit le texte.
J'ai également eu beaucoup de mal avec l'histoire d'amour principale. On insiste beaucoup trop dessus, et les hésitations, autoflagellations et autres sacrifices ne m'ont pas du tout fait rêver. Comme pour le reste, la première partie est mignonne, puis cela devient horriblement ennuyeux.

J'ai déjà lu cet auteur, et aucun de ses autres livres ne sent autant la poussière. Je pense que Mary Barton est intéressant car c'est une sorte de brouillon pour Nord et Sud, mais commencer par ce titre pour découvrir Elizabeth Gaskell serait une erreur.

Le regrettée Isil a écrit un billet en complet désaccord avec le mien.

Fayard. 464 pages.
Traduit par Françoise du Sorbier.
1848 pour l'édition originale
.

2 février 2014

" Les plus belles choses, disait-il toujours, vivent une nuit et s'évanouissent avec le matin. "

56757571Rien de tel, pour mettre un terme à une panne de lecture, que de se tourner vers les auteurs qui savent vous envoûter. Cela faisait presque cinq ans que je n'avais pas lu Kazuo Ishiguro, mais les retrouvailles ont été somptueuses.

1948. Masugi Ono est un peintre retraité. Il s'est retiré dans une villa confortable avec la plus jeune de ses filles, Noriko. Alors que les négociations pour le mariage de cette dernière sont en cours, il se remémore sa jeunesse, ses erreurs, et observe le basculement du Japon vers un nouveau monde.

Comme à son habitude, c'est par le biais d'un narrateur faisant le bilan de sa vie que Kazuo Ishiguro s'exprime. Le début est donc posé, assez vague. On comprend qu'Ono a été un personnage important, et sa vie semble tranquille. A mesure qu'il fait des allers-retours dans le temps, on perçoit cependant qu'il a beaucoup perdu avec la guerre, mais qu'il n'est pas seulement une victime pour la société japonaise.
Un artiste du monde flottant devient en fait assez vite un livre parlant de l'histoire du Japon. Il nous explique comment ce pays a basculé vers l'impérialisme, à quel point le patriotisme a compté durant la guerre, et comment il a fallu gérer l'après, les conséquences de la capitulation. Le tout est fait avec beaucoup de retenue et de finesse. Kazuo Ishiguro met l'accent sur l'être humain, reste à son niveau, et c'est ce qui rend son livre aussi réussi.

"Nous avons été des hommes ordinaires durant une époque qui ne l'était pas : nous n'avons pas eu de chance."

J'ai une connaissance très limitée de la littérature japonaise, mais il semble y avoir de nombreuses oeuvres traduisant le malaise des générations nées après la Deuxième Guerre mondiale vis à vis de ce que leurs aînés ont fait, comme on peut en trouver en Allemagne. Les mentalités japonaises ont évolué. Les visées expansionnistes, le rejet du modèle occidental font partie du passé, et ce livre met l'accent sur les différents bouleversements que cela entraîne dès la fin de la guerre. Ono rencontre des jeunes gens très désireux de tirer un trait sur la guerre. Le ménage est fait dans les entreprises, le suicide de certains dirigeants est accueuilli avec soulagement, un homme handicapé est roué de coups parce qu'il continue à entonner des chants patriotiques.
Ono lui-même est renié par ses anciens disciples car ce livre pose aussi la question des finalités de l'art. Clairement, plusieurs visions s'opposent dans ce livre par le biais des grands maîtres que l'on croise. Le peintre doit-il peindre l'invisible, rester dans le monde flottant, ou au contraire ancrer son travail dans le monde réel ? Ono est allé au-delà de cette dernière conception de son travail. Il a "trahi" son ancien maître pour soutenir la politique de propagande de son pays. Bien que rempli de bonnes intentions, il ne peut que reconnaître son erreur quelques années plus tard. D'abord de manière sous-entendue, puis clairement lorsque s'achève le livre.

Probablement l'un des meilleurs romans de l'auteur (je sais, je dis ça à chaque fois). 

Un artiste du monde flottant - Kazuo Ishiguro
Folio. 342 pages.

Traduit par Denis Authier.
1986 pour l'édition originale.

 

2 juillet 2011

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur - Harper Lee

9782253115847FS

"Tirez sur tous les geais bleus que vous voudrez, si vous arrivez à les toucher, mais souvenez vous que c'est un péché de tuer un oiseau moqueur."


Je commence mes vacances avec ce grand classique de la littérature américaine dont j'entends parler depuis de nombreuses années.

L'histoire se déroule au milieu des années 1930, en Alabama. Nous suivons Scout, une gamine, qui vit avec son grand-frère, Jem, et son père, Atticus Finch. Ce dernier est avocat, et éduque ses enfants d'une manière qui fait jaser les bien pensants. Il y a aussi Calpurnia, la servante noire, qui veille sur la maison et ses habitants.
Scout joue, va à l'école, se bagarre, fait des bêtises, observe et grandit. Un été, elle et son frère font la connaissance de Dill, le neveu d'une voisine. Tous les trois sont fascinés par la maison des Radley, dans laquelle l'étrange Arthur "Boo" Radley a disparu depuis de longues années.  
Par ailleurs, Atticus est commis d'office dans une affaire sordide. Une jeune fille blanche de la famille Ewell accuse Tom Robinson, un Noir, de l'avoir violée. Bien que les Ewell soient aborrés de tous, et que l'innocence de Tom soit évidente, cela reste la parole d'une Blanche contre celle d'un Noir, et les esprits s'emballent.

" - Comment ont-ils pu faire ça, comment ont-ils pu?
  - Je ne sais pas, mais c'est ainsi. Ce n'est ni la première ni la dernière fois, et j'ai l'impression que quand ils font ça, cela ne fait pleurer que les enfants."

Comme beaucoup de blogueurs dont j'ai parcouru les avis, le contenu du livre m'a plutôt surprise. En effet, il est loin de se concentrer sur le procès de Tom Robinson. Il s'agit en réalité de voir le monde à travers les yeux de Scout.
De ce fait, durant la première moitié du livre, on l'observe dans son quotidien. Elle n'est qu'une toute petite fille au début, inséparable de son frère, toujours à faire ce qu'elle veut. Puis, arrivent des événements qui égratinent son enfance. Lors de ses premiers jours d'école, la maîtresse en veut à Scout de savoir lire et écrire. Les difficultés de l'implantation de la scolarité obligatoire et les expériences éducatives sont alors brièvement abordées. Scout doit aussi faire face, au fil du livre, au fait que Jem ne souhaite plus s'occuper d'elle en permanence. Lui aussi grandit, ce qui implique de ne pas lui parler à l'école, de ne pas l'accompagner lorsqu'il se baigne nu avec Dill. Etant une fille, Scout doit enfin supporter les remarques sur la "dame" qu'elle est censée devenir. Plus tard, la scène du goûter où elle porte une robe et où elle finit crucifiée par les rires de ces dames devant sa spontanéité est l'une des plus marquantes du roman.
Le procès achève de lui ouvrir les yeux sur l'absurdité des choses, les histoires sur les familles soit disant plus vieilles que les autres, les cris d'horreur face à Hitler quand soi-même on est atroce envers ses propres voisins...

" Je crois que je commence à comprendre quelque chose ! Je crois que je commence à comprendre pourquoi Boo Radley est resté enfermé tout ce temps. C'est parce qu'il n'a pas envie de sortir. "

J'ai trouvé ce livre très beau, à la fois simple et foisonnant. Cotoyer des individus tels qu'Atticus, Miss Maudie, Scout et Jem le temps d'un livre, ça fait un bien fou !

Plein d'autres avis chez Canthilde, Tamara, Katell, Sylire, Papillon, Karine, Keisha, Kalistina, B. et Romanza.

Le Livre de Poche. 447 pages.
1961.

10 février 2018

Nana - Emile Zola

Source: ExterneNana est la fille de Gervaise, l'héroïne de L'Assommoir. D'abord actrice sans talent et petite prostituée, elle parvient à envoûter la bourgeoisie du Second Empire.

Les romans de Zola sont puissants, avec des images qui marquent durablement et un sens de la mise en scène remarquable. C'est particulièrement notable dans Nana.
Nous rencontrons d'abord notre héroïne indirectement, par des échanges de paroles entre des personnes venues assister à l'un de ses spectacles. Tout le monde, y compris le lecteur, s'impatiente, s'attendant donc à voir entrer en scène une femme unique, irrésistible.

"A ce moment, les nuées, au fond, s'écartèrent, et Vénus parut. Nana, très grande, très forte pour ses dix-huit ans, dans sa tunique blanche de déesse, ses longs cheveux blonds simplement dénoués sur les épaules, descendit vers la rampe avec un aplomb tranquille, en riant au public."

Toute la pression retombe très vite, Nana étant bien mauvaise. Les langues se délient, on se moque et on l'insulte. Pourtant, tous seront bientôt à ses pieds.
Nana n'est pas une jeune fille attachante, talentueuse ou intelligente, mais elle a une soif de liberté et une audace qui rendent ses coups de pied à la bonne société jouissifs. Elle venge son milieu en rendant sa vulgarité irrésistible à tous les hommes de bonne famille. Malgré le mépris que les membres de la haute société ont pour les courtisanes, c'est à l'extérieur des mariages bourgeois que l'on peut expérimenter la sensualité. Les Muffat, mari et femme, en sont un parfait exemple. Il est amusant de constater que ces deux mondes ne se côtoient pas officiellement au début. Ainsi, les hommes agissent comme s'ils ne connaissaient pas Nana lorsqu'ils la rencontrent, et les femmes l'observent du coin de l'oeil. Puis, on croise la jeune fille dans les soirées. Son triomphe est total (bien que toujours empreint de vulgarité) lors d'une course hippique à la fin du roman, lorsque le nom de la pouliche victorieuse, baptisée Nana en l'honneur de la courtisane, est scandé par toute l'assistance (encore une de ces scènes mythiques des Rougon-Macquart).
Mais Nana est une Macquart, et son ascension ne peut être éternelle. Je reconnais avoir trouvé Zola plus cynique que cruel à son égard. Après la lente agonie de Gervaise dans L'Assommoir, je m'attendais à une chute tout aussi douloureuse pour sa fille. Cette dernière se montre tellement odieuse parfois que j'ai bien cru à plusieurs reprises que le retour de bâton allait être immédiat. Elle a la naïveté de croire en l'amour et en l'amitié, elle se retrouve dans la situation d'une femme battue ou obligée de payer l'affection qu'on lui donne. Elle rêve d'avoir le rôle d'une femme honnête, elle doit bien vite retourner à sa place. Avant d'admettre sa défaite, elle aura tout de même rendu quelques coups.

"Elle demeurait seule debout, au milieu des richesses entassées de son hôtel, avec un peuple d’hommes abattus à ses pieds. Comme ces monstres antiques dont le domaine redouté était couvert d’ossements, elle posait les pieds sur des crânes ; et des catastrophes l’entouraient, la flambée furieuse de Vandeuvres, la mélancolie de Foucarmont perdu dans les mers de la Chine, le désastre de Steiner réduit à vivre en honnête homme, l’imbécillité satisfaite de la Faloise, et le tragique effondrement des Muffat, et le blanc cadavre de Georges, veillé par Philippe, sorti la veille de prison. Son œuvre de ruine et de mort était faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ces hommes, rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés."

En arrière-plan, comme toujours, Zola nous offre quelques descriptions sublimes des aubes parisiennes et des grands travaux.

Je craignais l'écoute de ce livre en raison des avis négatifs dont cette version audio fait l'objet. Pour ma part, je l'ai trouvée très agréable.

Si j'ai eu quelques difficultés à entrer dans ce livre, il a fini par me conquérir entièrement.

L'avis de Karine.

Sonobooks. 16h40.
1880 pour l'édition originale.

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