Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

lilly et ses livres

Newsletter
Derniers commentaires
10 août 2009

La Métamorphose ; Franz Kafka

28163_0_2_Le Livre de Poche ; 177 pages.
Traduit par Alexandre Vialatte.
Die Verwandlung. 1912.

Grégoire Samsa, un jeune homme travaillant pour une compagnie commerciale afin de rembourser les dettes de ses vieux parents et de subvenir aux besoins de toute la famille, se réveille un matin transformé en monstrueux insecte. Lorsque sa famille le découvre, elle est horrifiée, mais ne le rejette pas complètement. Grete, la soeur de Grégoire, se charge de le nourrir et de nettoyer sa chambre. La mère aussi voudrait lui venir en aide, mais elle est trop effacée pour oser entreprendre quoi que ce soit.
Confiné dans sa chambre pendant des mois, incapable de faire comprendre aux siens qu'il les comprend, Grégoire se retrouve dans une situation de plus en plus délicate. Au fur et à mesure que les difficultés financières s'accumulent et que sa famille parvient à se défaire du lien de dépendance qui la liait à lui, et qui la maintenait dans une certaine culpabilité à son égard, le jeune homme voit ses parents et sa soeur changer dangereusement d'attitude.

La Métamorphose est une nouvelle très brève, mais cela ne l'empêche pas d'être riche, solide et bouleversante.
Grégoire Samsa se transforme en un être absolument répugnant. Kafka décrit ses pattes, évoque sa mandibule, le fait qu'il grimpe aux murs, adopte des positions effrayantes, et sente mauvais en plus d'être sale. Apétissant, non ?
Pourtant, la métamorphose dont parle le titre ne désigne pas seulement le jeune homme. Si Grégoire parvient un temps à apprivoiser sa nouvelle apparence, sa famille ne peut réprimer le dégoût qu'il lui inspire. Son attitude évolue à une vitesse effrayante et atteint des proportions cruelles et finalement fatales. Il y a un léger mieux, comme des remords : "La pomme, que personne n'osa extraire du dos de Grégoire, demeura incrustée dans sa chair comme un souvenir palpable de l'événement, et la grave blessure dont il souffrit pendant plus d'un mois sembla avoir rappelé au père lui-même que son fils, malgré sa triste et répugnante métamorphose, n'en demeurait pas moins un membre de la famille ; il ne fallait donc pas le traiter en ennemi ; le devoir exigeait au contraire qu'on surmontât son dégoût et qu'on supportât Grégoire, qu'on le supportât seulement." Mais la situation ne dure pas. Grete, la soeur aimée, celle qui comprend avant même de l'avoir vu, que son frère est en difficulté, celle à qui Grégoire voulait offrir le meilleur, est celle qui prononce la terrible sentence. Le père ne reconnaît plus son fils depuis le début, et la mère est bien trop effacée pour intervenir.
La transformation de Grégoire en ce qu'il y a de plus dégoûtant est bien évidemment une représentation symbolique imaginée par Kafka afin de sonder la nature humaine. Je n'ai pas vraiment eu le sentiment, une fois les premières pages passées, de lire une histoire fantastique. Moi qui déteste les insectes répugnants, j'ai eu du mal à ne pas grimacer en lisant ce texte, mais pas à cause de Grégoire. C'est sa famille qui m'a donné la nausée.

Du grand art.

Les avis de Lune de Pluie, de Lou, de Romanza et de Thom.

Publicité
8 août 2009

Le Tour d'écrou ; Henry James

jpg_le_tour_d_ecrou_1_Librio ; 155 pages.
Traduit par Jean Pavans.
The Turn of the Screw. 1898.

Au moment de Noël, un groupe d'amis se réunit le soir autour du feu et se raconte des histoires terrifiantes. L'un d'eux propose soudain de livrer à ses amis un récit véridique, que lui a fait une femme qu'il a aimée bien des années auparavant. C'est elle qui prend le relais pour dire son histoire au lecteur. Après un entretien avec un jeune homme qui lui a fait une forte impression, notre narratrice, alors âgée d'une vingtaine d'années, est engagée comme gouvernante de deux enfants, à la condition de ne jamais solliciter son maître, leur oncle.
Arrivée à Bly, une magnifique demeure, elle rencontre d'abord l'adorable petite Flora, et se lie d'amitié avec l'intendante, Mrs Grose. La première contrariété que connaît la gouvernante est le renvoi du jeune Miles de sa pension. Cependant, lorsqu'il arrive à son tour à Bly, il est au moins aussi attachant que sa soeur, et il paraît impensable qu'il puisse avoir fait quoi que ce soit qui mérite qu'il se retrouve dans une telle situation.
Les choses deviennent définitivement inquiétantes lorsque les spectres de Miss Jessel, l'ancienne gouvernante, et de Peter Quint, un ancien domestique de Bly, apparaissent, et semblent menacer les enfants.

Lors de la fameuse soirée au coin du feu, Douglas s'interroge : "Si l'implication d'un enfant [dans une histoire d'épouvante] donne un tour d'écrou supplémentaire, que diriez-vous de celle de deux enfants... ? " Pour ma part, ce fait a sans aucun doute contribué à me faire un énorme effet.
Ce livre est un véritable bijou, qui joue sur toutes les ambiguïtés permises par sa construction. Le début du livre m'a fait penser à Jane Eyre, mais ici la menace semble venir de partout, et l'on sombre toujours plus loin dans le macabre. C'est la gouvernante qui nous raconte l'histoire, et alors qu'elle tente tout ce qu'elle peut pour protéger ses élèves, le lecteur voit plus loin derrière les sourires angéliques. Miles et Flora sont les êtres qui mènent la danse quand les adultes font des cauchemars. La situation est malsaine, et il faut attendre les dernières lignes pour comprendre à quel point.
En effet, la fin est magistrale, et l'on se moque bien que le récit de la gouvernante ait balayé tout le reste. J'ai lu ce livre fébrilement, incapable de le reposer avant de l'avoir achevé. Naturellement, j'ai été frustrée et encore plus déconcertée, comme le savent tous ceux qui ont déjà lu ce texte. Généralement, les textes "effrayants" du XIXe siècle ne m'impressionnent pas par leur capacité à avoir conservé cette dernière caractéristique. Mais Henry James jongle tellement bien avec l'esprit humain que cette fois-ci, je n'avais pas l'impression d'avoir davantage de recul qu'un lecteur de la fin du XIXe siècle. Si vous ne connaissez pas ce chef d'oeuvre, jetez-vous dessus !

Les avis de Nibelheim, de Sylvie, de La liseuse, de Tamara, de Dominique, et d'autres sur BOB...
Cécile a lu la BD qui a été tirée de ce texte.

3 août 2009

Le coeur cousu ; Carole Martinez

resize_4_Folio ; 442 pages.
2008.

Heureusement qu'il y a des jours où le nombre de livres que l'on a emportés en vacances est trop peu important, et où en plus il fait un temps qui rend toute baignade/ballade impossible, parce que je ne sais pas si j'aurais terminé ce livre dans d'autres circonstances, et cela aurait été dommage.

Espagne, fin du XIXe siècle. Soledad est une vieille femme avant l'heure quand elle prend la plume pour nous conter l'histoire de sa mère, la couturière qui possédait un don pour coudre les vêtements, mais aussi les coeurs, et pour réparer les chairs. Mariée à seize ans, elle donne naissance à de nombreux enfants, dont un fils, tous dotés d'étranges pouvoirs. Il y aura les frasques de son mari, les accoucheuses un peu sorcières, l'ogre, mais aussi l'exil, les tourments politiques et amoureux, et enfin l'Afrique du Nord, où elle pourra transmettre à ses filles la mystérieuse boîte qui appartient à sa famille depuis des générations, et qui contient les secrets des femmes. "Depuis le premier soir et le premier matin, depuis la Genèse et le début des livres, le masculin couche avec l'Histoire. Mais il est d'autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secret des femmes, des contes enfouis dans l'oreille des filles, sucés avec le lait, des paroles bues aux lèvres des mères."   

J'ai finalement passé un moment très agréable avec ce roman, mais il m'a fallu cent-cinquante pages pour que j'arrête de soupirer devant ce roman qui ne me paraissait pas vraiment original, et certainement bien moins captivant que je l'espérais. Le tout était bien mignon, mais cela n'allait pas plus loin.
Puis, le dépaysement est venu, avec la dimension plus profonde et plus noire du récit. J'ai sans doute enfin pu capter des éléments qui ne se contentaient pas simplement de me faire un effet semblable à celui que j'ai ressenti en lisant La Mécanique du coeur (roman qui manque à mon avis cruellement de profondeur avant de foncer tête baissée dans l'ennui).
Au final, je ne sais pas vraiment ce que je peux vous dire pour ne pas vous effrayer, et vous faire penser à tort que je n'ai pas aimé ce livre. Carole Martinez est parvenue à jouer avec les codes du conte, les histoires de grand-mère et les clichés, afin d'en tirer un récit émouvant, familier, et conscient de la noirceur des choses et des hommes. Même la magie ne peut rien contre la cruauté, les médisances et l'ombre, mais les enfants Carasco, dans toute leur innocence, parviennent à peu près à s'en sortir et à nous ensoleiller entre les mauvaises rencontres. J'ai notamment  lu la dernière partie avec le coeur très très gros. 
Il ne s'agira pas pour moi du roman de l'année, mais il est incontestablement doté d'un pouvoir de séduction très fort. Ce livre est finalement surprenant (il m'a un peu fait penser à Sylvie Germain) et je ne peux que rajouter Carole Martinez à ma liste d'auteurs à suivre.

Les avis de Fashion, Dda, Clarabel, Sylvie, Liliba, Karine, Leiloona, Schlabaya, Amanda,  (je crois que ce serait plus simple de recenser ceux qui ne l'ont pas lu... allez voir sur Blog-o-Book en fait ! )

30 juillet 2009

Lou, Histoire d'une femme libre ; Françoise Giroud

resize_3_Le Livre de Poche ; 155 pages.
2002.

J'ai dans ma bibliothèque des ouvrages dont je suis incapable d'expliquer la présence. Mais Virginia Woolf ayant publié Rilke, qui a été l'amant de Lou Andréas-Salomé, je me suis dit que c'était l'occasion de découvrir ces deux personnages.

Lou Andréas-Salomé (1861-1937), née à Saint-Petersbourg, dans la famille d'un officier du tsar, a été l'une des femmes les plus amirées et brillantes de son temps. Elle a envoûté Nietzsche, Rilke, et nombre d'autres hommes, en s'appuyant sur une curiosité intellectuelle inaltérable, et ces éléments ont contribué à lui permettre de mener librement sa vie.

Je suis très mitigée après ma lecture de cette biographie. Je ne connaissais absolument pas le personnage de Lou Andréas-Salomé, donc je ne peux pas me prononcer sur le fond, mais la façon dont le personnage est présenté m'a laissée perplexe.
Pour commencer, je n'ai rien contre les auteurs qui sont en pâmoison devant leur sujet d'étude, mais chez Françoise Giroud, cela sonne faux, quand elle ne donne pas l'impression de délirer. Le texte emploie le registre soutenu, mais pour nous montrer qu'elle est la meilleure amie de Lou, l'auteur nous balance des remarques complètement à côté de la plaque, qualifie la soeur de Nietzsche de "pure salope" et place un "elle m'énerve Lou quand elle fait telle chose" quand ça l'amuse. Encore une fois, je ne dis pas que ces remarques sont inexactes, mais ces variations brutales du registre employé ont gêné ma lecture.
Surtout qu'à plusieurs reprises, Françoise Giroud avance des interprétations qui manquent d'arguments pour les soutenir, ce qui décrédibilise encore son propos. Elle explique par exemple que pour elle, Lou a refusé tout rapport sexuel avant l'âge de trente-cinq ans parce qu'elle aurait été victime d'inceste, mais à part dire qu'elle aimait beaucoup son père et avait cinq frères, rien n'étaye sa thèse. Le livre entier me semble même contradictoire. Il s'agit de nous démontrer que Lou a été une femme libre, qui a dominé les hommes qui papillonaient autour d'elle et qui subvenait elle-même à ses besoins (d'ailleurs nous avons droit à une conclusion dans laquelle Françoise Giroud se lâche complètement), mais c'est pourtant à travers tous ses amants que Françoise Giroud nous présente Lou. Connaître le nom du premier qui a eu le droit de coucher avec cette dernière, et l'énumération des noms de ses amants semblent être les questions fondamentales de l'étude, bien plus que son oeuvre et son influence. Comme si, à trop vouloir nous montrer une femme forte, libre, et dominatrice, Françoise Giroud avait produit l'effet contraire à celui qu'elle désirait.

Au final, j'ai davantage envie de découvrir les travaux des hommes de la vie de Lou Andréas-Salomé que d'approfondir ma connaissance de cette femme qui était pourtant au centre de cette biographie. Je l'ai lue jusqu'au bout parce qu'elle est très courte, mais je n'ai pas réussi à aller au-delà des défauts de ce texte et ne pense pas recroiser Françoise Giroud en tant qu'écrivain à l'avenir. Je déteste être aussi méchante...

Nanne a été nettement plus convaincue.   

Après cette lecture, j'ai découvert un texte de Rainer Maria Rilke, La Princesse Blanche, Une scène au bordresize_8_ de la mer, dans sa première version et sa version définitive.Il s'agit d'une pièce de théâtre se déroulant dans un palais au bord de la mer. Le prince est absent pour la première fois depuis onze ans, et sa femme, qui n'était qu'une enfant lorsqu'elle l'a épousé, pense que son amant va enfin pouvoir lui offrir, même si cela n'est que pour une nuit, un sens à sa vie.

"... Mais les enfants deviennent des reines...
LA PRINCESSE :
Oui, quand on les arrache à l'enfance,
à ses roses, ses légendes,
et que la couronne d'oranger n'offre,
croient-elles, que des ombres froides,
alors oui : les enfants même deviennent des reines."

Nous voguons entre rêve, vie et désespoir avec ce très court texte du poète allemand. Cette lecture n'a rien d'un conte de fées, et contient une certaine profondeur et de très beaux passages. Cependant, je connais bien trop peu le théâtre, l'auteur, et ce à quoi Rilke fait référence pour vous en dire davantage.

Rainer Maria Rilke, La Princesse Blanche, une scène au bord de la mer, Zoé, Genève, 1898.1904.

28 juillet 2009

Mademoiselle Else ; Arthur Schnitzler

resize_5_Le Livre de Poche ; 93 pages.
Traduit par Henri Christophe.
Fräulein Else. 1924.

C'est après ma lecture de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme que je suis allée regarder de plus près le rayon de littérature germanophone de ma librairie. Mademoiselle Else était un titre qui m'était vaguement familier, alors je l'ai choisi.

Else est une jeune fille de dix-neuf ans. Alors qu'elle séjourne auprès de sa tante en Italie, elle reçoit une lettre de sa mère qui lui apprend que son père a encore éffectué des transactions illégales et qu'il risque la prison et le déshonneur s'il ne verse pas trente mille gulden (qui deviendront cinquante mille) dans les jours qui suivent. Le seul espoir de la famille repose sur Dorsday, un homme d'âge mûr qui séjourne au même endroit qu'Else, et qui déplaît fortement à la jeune fille. Sollicité, Dorsday accepte à une condition : qu'Else pose nue devant lui pendant un quart d'heure.

Voilà un petit livre que je vous encourage vivement à découvrir, si ce n'est pas déjà fait. Je me trompe peut-être, mais il me semble que ce texte s'insère bien dans le contexte de développement de la psychanalyse dans lequel il a été écrit.
Il m'a frappée par sa modernité. Dans sa forme d'abord. Il s'agit d'un monologue intérieur, fait de phrases très courtes, lapidaires, décomplexées. Je n'ai pas lu le texte original, mais la traduction emploie un vocabulaire familier, cru, sans doute très loin de celui que la bonne société attendait de la part d'une jeune fille de bonne famille, même dans ses pensées. Else n'est dupe de rien, laisse ses pensées s'égarer sans tabou, donne des opinions dures mais clairvoyantes sur tout le monde. Elle voit les hypocrisies et les faiblesses des autres, et son regard est désabusé.
Seulement, cela ne l'empêche pas d'être bouleversée pas la requête de Dorsday. "Cette fin de journée n'est plus merveilleuse du tout." Dorsday n'est pas l'unique raison du désarroi dans lequel s'enfonce la jeune fille. Elle est sincère lorsqu'elle dit au marchand d'art, dans sa tête, qu'il ne doit pas endosser toute la responsabilité de la situation. C'est une question de fierté, mais il est évident que Dorsday sert essentiellement à dévoiler qu'Else n'est pas la jeune fille solide et désinvolte qu'elle tente d'imaginer dans la première partie du livre. A cause de lui, elle réalise que le monde n'est pas seulement pourri dans son imagination, mais également dans la réalité, et cela, elle ne parvient pas à le gérer. Else est une jeune fille trop moderne pour son temps, et le tiraillement qu'elle ressent, entre ses idées exhibitionnistes, je-m'en-foutiste, et ses notions d'honneur, est insupportable. Elle se révèle fragile, et ne comprend pas que sa famille, et surtout son père qu'elle adore (quand elle méprise sa mère), puisse la mettre dans une telle situation.

En quelques pages, Mademoiselle Else devient donc un texte terrifiant, qui n'a qu'une seule issue possible, et Schnitzler n'oublie pas un seul instant de continuer à asséner à son héroïne des vérités insupportables sur les gens qui disent l'aimer. Du grand art.

Il s'agit d'un livre culte pour Malice. Brize et Kalistina l'ont lu également.    

Publicité
25 juillet 2009

Nuit et Jour ; Virginia Woolf

7933_medium_1_Flammarion ; 405 pages.
Traduit par Catherine Naveau.
Night and Day. 1919.

Courage, il s'agit du dernier roman de Virginia Woolf que j'avais emporté en vacances. Certes, j'ai vraiment eu envie de m'en procurer d'autres, mais il existe des villages dans lesquelles on ne trouve pas la moindre librairie...

Katherine Hilbery est la fille unique d'un couple de l'aristocratie londonienne. Sa vie se partage entre sa contribution à la rédaction d'une biographie de son célèbre grand-père et ses activités domestiques et mondaines. Un après-midi, l'un des protégés de son père, Ralph Denham, se rend chez les Hilbery. La rencontre entre les deux jeunes gens est chaotique, mais Ralph décide de faire de Katherine une obsession. Ils se revoient quelques temps plus tard lors d'une soirée chez Mary Datchet, une jeune femme écartelée entre sa soif de liberté et son affection pour Ralph. Katherine est alors accompagnée de William Rodney, qui souhaite l'épouser.

Nuit et Jour est le second roman de Virginia Woolf, et même s'il est certainement fort bon dans l'absolu, et captivant presque de bout en bout, je pense que c'est le roman de l'auteur le moins abouti.
Sa construction est étonnament classique. Les pensées des personnages ne dominent pas l'ensemble, qui comporte également de très nombreux dialogues, énormément d'humour et de fraîcheur. Il serait réducteur de ramener l'intrigue à quelques relations amoureuses (comme je l'ai fait dans mon résumé). Il existe un véritable combat dans ce roman, entre deux époques (politique, littérature, moeurs, travail, religion). Virginia Woolf dresse un portrait aiguisé des questions que se posent les classes bourgeoises anglaises, alors que le vingtième siècle commence.
Cela se répercute notamment sur les conduites des deux personnages féminins principaux. Mary et Katherine sont, comme les autres héroïnes de Woolf, à la recherche de réponses sur elles-mêmes. Mary représente la femme indépendante, issue d'une modeste famille campagnarde, qui cherche à ne pas se laisser influencer par son environnement et ses propres démons, désireux de la faire revenir vers un rôle plus traditionnel. Quant à Katherine, elle est moins attachante qu'une Rachel, mais j'ai l'impression que Virginia Woolf aimait, dans ses premiers romans, créer des héroïnes qui, au début de leur histoire, ne lui ressemblent pas encore. Rachel n'aime pas Jane Austen, Katherine n'a carrément "aucune disposition pour la littérature", et éprouve même "une antipathie naturelle pour l'introspection" tandis qu'elle se passionne pour les mathématiques.
A première vue donc, les deux figures féminines principales de ce roman sont totalement opposées, et permettent de confronter des conceptions qui le sont tout autant. Je délire certainement (et en plus je me fais du mal en disant cela), mais au fur et à mesure de ma lecture, j'ai trouvé ce qui ne tient pas debout dans ce livre. Virginia Woolf a créé deux personnages un peu caricaturaux qui pourraient finalement être les différentes facettes d'une seule personne. Cela aurait permis d'éviter la cure d'amaigrissement subie par l'intrigue dans la dernière partie, qui voit Mary s'effacer au profit de Katherine, et sans doute pour le pire. Je suis pire que fleur bleue, et la réunion des amants est généralement le point culminant de ma lecture quand les livres s'y prêtent. Dans Nuit et Jour, les réflexions et les doutes de Katherine quant à ses affections, sont naturels, et dévoilent une personnalité complexe, qui refuse de s'engager pour satisfaire d'autres désirs que les siens. Cependant, ils sont tellement étirés que, si je ne parlais pas d'un auteur que j'adore, je dirais que l'on frôle la nunucherie (je sens que je vais avoir droit à des insultes mais tant pis). De plus, comme je l'ai noté plus haut, il me semble que les ambitions de Virginia Woolf sont bien plus larges au début du roman. Mais dans la dernière partie, on fait durer le plaisir et apparaître un personnage à la dernière minute pour que tout se finisse bien dans le meilleur des mondes, et cela sonne faux. 
En fait, je trouve que ce livre sonde de nombreuses pistes, mais avec maladresse. Woolf nous livre une histoire fort agréable, drôle, qui ravirait sans aucun doute beaucoup de lecteurs si un éditeur avait la bonne idée de rééditer Nuit et Jour. Mais ses tentatives de capter l'univers, comme dans ses autres romans, tombent un peu à plat.

Allie évoque aussi ce roman.

23 juillet 2009

La double vie de Virginia Woolf ; Geneviève Brisac & Agnès Desarthe

resize_4_Points ; 279 pages.
2004.

J'ai acheté plusieurs études sur Virginia Woolf depuis le début de l'année, dont la biographie d'Hermione Lee, qui fait plus de mille pages, mais j'ai préféré opter pour un format plus pratique pour la plage.

Je ne connais pas du tout Geneviève Brisac, et j'ai seulement lu Je ne t'aime pas Paulus d'Agnès Desarthe, mais je sais que cette dernière connais bien Virginia Woolf, dont elle a traduit La Chambre de Jacob et La Maison de Carlyle et autres esquisses, et pour laquelle elle a écrit une préface à L'Art du Roman.

La double vie de Virginia Woolf est donc un essai écrit par deux romancières qui tentent de dresser un portrait de l'auteur anglaise en ne se soumettant pas aux règles de la biographie traditionnelle, et en se basant presque exclusivement sur les écrits que Virginia Woolf a laissé : romans et nouvelles, mais aussi journal, essais, lettres et articles.
Je trouve ce parti pris intéressant. Beaucoup de passages m'ont plu dans ce livre. Il est prescripteur, et donne envie de se lancer dans les textes évoqués. Geneviève Brisac et Agnès Desarthe aiment leur sujet, et transmettent sans difficulté leur enthousiasme. Ce livre a aussi le mérite d'être synthétique, de ne pas donner dans le sensationnel en évitant de succomber à la légende qui entoure l'auteur britannique, et de donner des pistes concernant les différentes facettes de Virginia Woolf. Avec Geneviève Brisac et Agnès Desarthe, on découvre aussi l'environnement de l'auteur de Mrs Dalloway, ses amis, ses proches, son humour et ses époques. Et dans tout cela, sa vision de la vie et de ses travaux.
Alors bien sûr, tout n'est pas parfait. Il y a un manque de cohérence qui m'a gênée parfois. La chronologie est présente essentiellement au début et à la fin, et comme je l'ai noté, les auteurs de cet essai ont tenté de ne pas en être les esclaves, mais cela donne lieu à une impression que l'auteur n'a pas vraiment évolué entre 1915 et les dernières années de sa vie (j'exagère, mais je veux dire que l'on ne repère pas le parcours de Virginia Woolf de façon distincte ; le repère avec les textes cités existe, mais il est flou), et aussi à une impression de déjà-vu par moments.
Autre élément qui m'a surprise, les premiers romans de Virginia Woolf sont à peine évoqués (pour parler des relations de Virginia avec ses demi-frères), et pas du tout exploités. C'est contradictoire avec les objectifs des auteurs de cet essai, qui visaient justement à dresser un portrait de Virginia Woolf à travers ses écrits. Certes, elle n'a pas écrit seulement des romans, mais je trouve étrange de ne pas évoquer l'entrée en littérature de l'auteur que l'on étudie.

Je m'étale sur ce qui m'a déplu, mais cette lecture a été très agréable en réalité. Je pense qu'il faut la considérer comme une mise en bouche, et en cela le pari est tenu.

22 juillet 2009

La Chambre de Jacob ; Virginia Woolf

resize_1_Stock ; 252 pages.
Traduit par Agnès Desarthe.
V.O. : Jacob's Room. 1922.

A l'origine, il s'agissait surtout de trouver la biographie d'Hermione Lee, mais je suis incontrôlable en librairie, même quand j'y envoie les gens à ma place... Je peux aussi accuser Dominique de m'avoir obligée à acquérir la nouvelle édition de La Chambre de Jacob, en racontant que celle du Livre de Poche est illisible.

Je vais arrêter de vous raconter ma vie fascinante pour en évoquer une autre, celle de Jacob Flanders, ou Thoby Stephens, le frère aîné de Virginia Woolf, mort de la thyphoïde en 1906. Comme dans Vers le Phare, l'auteur ne se contente pas d'être avalée par son sujet. Elle le rend universel.

La construction de ce livre est très déconcertante. La chambre de Jacob est le troisième roman de Virginia Woolf, et en plus de rompre de façon très nette avec les textes précédents de l'auteur, il me paraît également très différent des suivants (à part peut-être Les Années, dans une certaine mesure). Il ne s'agit pas d'un récit linéaire, ni d'un réel enchevêtrement de monologues intérieurs, mais d'une collection de souvenirs, d'émotions et de paysages autour d'un personnage, Jacob, depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte, depuis la mer jusqu'à Cambridge et la Grèce. Ces bribes ne sont elles-mêmes que des esquisses, qui s'expriment de façon vague, et ne disposent que de peu d'espace.
Elles reflètent un manque, une ombre : "Dans tous les cas, la vie n'est qu'une procession d'ombres, et Dieu seul sait pourquoi nous les étreignons si passionnément et les voyons partir avec une telle angoisse, alors qu'elles ne sont, et que nous ne sommes, que des ombres."
Comme souvent avec Virginia Woolf, le temps a un rôle fondamental, c'est lui qui mène la danse. Il donne lieu à des scènes colorées, qui nous rendent presque sereins, comme cette traversée en bateau de Jacob et Durrant, avant de nous replonger aussi sec dans des scènes plus dramatiques, comme certaines interventions des femmes, qui arrivent telles des cris annonçant les drames du présent et du futur.
J'ignore si c'est un signe du caractère autobiographique de l'oeuvre, mais l'auteur s'insère dans le récit, et je ne me souviens pas l'avoir remarqué dans ses autres romans. On peut aussi retrouver des réflexions sur la littérature et le déroulement de l'histoire qui existent également dans les autres romans de l'auteur, et aussi dans son oeuvre critique.
La Chambre de Jacob n'est pas le livre de Virginia Woolf que j'ai le plus apprécié, mais ça ne veut pas dire grand chose avec cet auteur. Il s'agit d'un très beau livre, qui berce le lecteur, le perd, et surtout l'émeut profondément.

"Les îles Scilly viraient au bleu ; et soudain un éclat bleu, violet, puis vert envahit la mer ; la laissa grise ; imprima une raie qui aussitôt disparut ; mais lorsque Jacob eut passé sa chemise par-dessus sa tête toute l'étendue des vagues était bleu et blanc, ondulante et fraîche, bien que, de temps à autre, une large marque violette apparût à a surface, comme un hématome ; ou encore il arrivait qu'un plein émeraude flottât, teinté de jaune. Il plongea. Il avala de l'eau, la recracha, frappa de son bras droit, frappa de son bras gauche, fut remorqué par une corde, suffoqua, éclaboussa, et fut hissé sur le pont."

L'avis de Dda.

21 juillet 2009

Nos amis des confins ; Sylvie Doizelet

resize_3_Seuil ; 137 pages.
2009.

Ceci est mon 400ème billet, et il est lamentable...

Avant de recommencer à vous bassiner avec Virginia Woolf, je vais vous parler d'un petit livre que j'ai découvert il y a déjà quelques semaines.

Debbie Williams vient de quitter les Etats-Unis et son mari pour retourner en Angleterre, son pays d'origine. Bien que travaillant à Londres, elle décide de s'établir à Grays. L'agence immobilière et son gérant, l'étrange G.M., lui ouvrent donc les portes du cottage de Mary Seddon, une poétesse anglaise.
Très vite, Debbie se lie d'amitié avec un groupe d'amis, dont G.M. et Henrietta, cette dernière organisant les Ghost Walks, la visite des lieux hantés de la ville. Ils se retrouvent au Theobald, dont le régisseur est absent. Peu à peu, tous ceux que Debbie connaît se mettent à agir bizarrement, puis à disparaître.

Voilà une jolie lecture qui m'a fortement convaincue. Sylvie Doizelet parvient à créer une ambiance qui n'est pas angoissante certes (contrairement à un autre livre que je viens de terminer), mais qui intrigue le lecteur en lui faisant comprendre que des événements difficilement explicables se produisent autour de Debbie. Les personnages sont tous mystérieux. Même Debbie n'a pas tout dit, et notamment sur son retour en Angleterre. Certains des habitants semblent craindre quelque chose, et cela est amplifié par l'idée du cottage d'une poétesse dont la vie à Grays est elle aussi inconnue.
Le lecteur est entraîné dans un jeu, dont la fin m'a un peu déçue (pour des raisons personnelles), et qui permet en fait d'aborder les relations des vivants. L'étrangeté des personnages ne sert pas uniquement l'ambiance. La fuite les habite, et ils l'expriment de différentes manières. Il y en a qui sont partis de façon inexplicables, d'autres qui ne semblent pas pressés de revenir, et d'autres enfin qui vivent leur vie comme un véritable jeu de cache-cache.
Je n'ai pas grand chose à ajouter. Sylvie Doizelet, qui m'était inconnue jusqu'alors, a écrit un texte intéressant, très plaisant à lire, et je suis ravie de cette découverte.   

Les avis de Lou (que je remercie pour le prêt) et de Malice.

11 juillet 2009

Vers le Phare ; Virginia Woolf

resize_3_Folio . 363 pages.
Traduit par Françoise Pellan.
V.O. : To the Lighthouse. 1927.

Publié en 1927, Vers le Phare est le cinquième roman de Virginia Woolf. C'est aussi un chef d'oeuvre.

Nous sommes peu avant la Première Guerre mondiale, sur une île écossaise, dans la résidence d'été de la famille Ramsay. James, le plus jeune des huit enfants Ramsay, rêve d'une excursion au Phare le lendemain. Sa mère le soutient, mais son père brise ses espérances, s'appuyant sur la logique, qui veut que le mauvais temps vienne gâcher ce projet. "Il était incapable de proférer une contrevérité ; ne transigeait jamais avec les faits ; ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive, et surtout pas ses propres enfants qui, chair de sa propre chair, devaient savoir dès leur plus jeune âge que la vie est difficile ; les faits irréductibles ; et que la traversée jusqu'à cette terre fabuleuse où s'anéantissent nos plus belles espérances, où nos frêles esquifs s'abîment dans les ténèbres (là, Mr Ramsay se redressait, plissait ses petits yeux bleus et les fixait sur l'horizon), est un voyage qui exige avant tout courage, probité, et patience dans l'épreuve."

Vers le Phare est un texte qui appartient sans doute à ce que l'on appelle les romans sans intrigue, même si cette appellation ne me semble pas vraiment exacte, et fait surtout penser que l'on parle d'un truc complètement barbant. Or, ce livre ne correspond pas du tout à cette idée. Comme dans les autres romans de Virginia Woolf, il s'agit ici d'une quête. Celle du sens, de l'aboutissement, du bout des ténèbres.
Les personnages visent à ce but, et nous livrent leurs pensées par le biais de monologues intérieurs. Il sont tourmentés, inquiets, blessés, maladroits. J'ai souri en regardant le couple formé par les parents Ramsay. Ils ressemblent un peu aux Dalloway dans la relation qu'ils entretiennent. L'image de Richard achetant des fleurs pour son épouse parce qu'il ne sait pas dialoguer avec son épouse n'est vraiment pas loin. En réalité, d'après les notes du texte, Mr et Mrs Ramsay sont des échos des parents de Virginia Woolf, Julia et Leslie Stephen, et le nombre d'enfants correspond également, ainsi que d'autres détails.
Le récit se divise en trois parties inégales. La première se déroule donc sur une soirée d'été, et voit se découper nettement la figure de Mrs Ramsay qui, bien qu'en proie à de nombreux tourments elle même, parvient plus ou moins à apaiser ceux des autres, et à retenir le temps. La deuxième partie voit le temps reprendre ses droits, délabrer la maison, et emporter les vivants. Le tout en vingt pages qui font passer dix ans. Enfin, la troisième partie ramène l'espoir face à l'inachevé.
Pour parvenir à ce résultat, Virginia Woolf pousse son écriture aussi loin qu'il est possible de le faire. Son style est tout bonnement incroyable. Chaque phrase est une perfection, soutenue par une marée de clins d'oeil. A commencer par ce mouvement vers le Phare, l'achèvement. Ou la mort. En effet, comme dans La Traversée des Apparences, où Rachel Vinrace meurt pour avoir souhaité l'inaccessible, achèvement et mort se confondent ici. Ce parcours se reflète également dans le tableau que Lily Briscoe ne parvient à peindre qu'au dernier moment. Il ressort de tout cela une très belle poésie, et cela se ressent encore plus dans la deuxième partie. Je pense même qu'on peut la lire séparément du reste, comme un poème tragique, et en ressortir bouleversé.

"Ainsi, toutes les lampes éteintes, la lune disparue, et une fine pluie tambourinant sur le toit, commencèrent à déferler d'immenses ténèbres. Rien, semblait-il, ne pouvait résister à ce déluge, à cette profusion de ténèbres qui, s'insinuant par les fissures et trous de la serrure, se faufilant autour des stores, pénétraient dans les chambres, engloutissaient, ici un broc et une cuvette, là un vase de dahlias jaunes et rouges, là encore les arêtes vives et la lourde masse d'une commode. Non seulement les meubles se confondaient, mais il ne restait presque plus rien du corps ou de l'esprit qui permette de dire : "C'est lui" ou "C'est elle." Une main parfois se levait comme pour saisir ou pour repousser quelque chose ; quelqu'un gémissait, ou bien riait tout fort comme s'il échangeait une plaisanterie avec le néant."

Je réalise que vous allez penser que ce livre est horriblement déprimant, alors que c'est faux. J'ai souvent sourit, au contraire. Les personnages, même si on les affectionne, ont des comportements très drôles, particulièrement dans la première partie. On oscille souvent entre paix et tourments dans ce livre, mais c'est la réconciliation qui l'emporte.

Ce livre m'a empoignée comme cela ne m'était pas arrivé depuis très longtemps. Vous vous souvenez de ma rencontre avec Le Bruit et la Fureur l'année dernière ? Je crois qu'on est encore un cran au-dessus.   

"Elle creusa un petit trou dans le sable et le recouvrit, comme pour y enterrer la perfection de cet instant. C'était comme une goutte d'argent dans laquelle on trempait son pinceau pour illuminer les ténèbres du passé."

"Personne n'avait jamais eu l'air aussi triste. Une larme, peut-être, se forma, amère et noire, dans les ténèbres, à mi-chemin du puits qui conduisait de la lumière du jour jusqu'aux tréfonds ; une larme coula ; la surface de l'eau se troubla légèrement à son contact puis redevint lisse. Personne jamais n'avait eu l'air aussi triste."

 

Publicité
Publicité