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lilly et ses livres
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xxe siecle
25 septembre 2022

Laissez-moi : Commentaire - Marcelle Sauvagot

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"Je veux bien perdre la tête, mais je veux saisir le moment où je perds la tête [...]. Il ne faut pas être absent de son bonheur. "

Alors qu'elle se soigne dans un sanatorium, une femme reçoit une lettre de rupture de l'homme qu'elle aime. Il lui annonce son mariage et l'assure de son amitié. La narratrice lui répond dans des lettres qu'elle ne lui enverra jamais.

Ce court texte écrit au début des années 1930 est un concentré de finesse et d’intelligence (sans parler du style, superbe). Cette introspection nous montre tout ce qu'il y a d'égoïste dans l'amour (et en quoi ce n'est pas forcément négatif). La narratrice commente les sentiments provoqués par sa rupture, mais aussi ses rapports passés avec son ancien partenaire et les actions qu’elle entreprend suite à l’annonce qui lui est faite.

Le sentiment d’être aimé nous fait exister, encore plus lorsqu’on vit comme la narratrice, hors du monde. La rupture fait douter, provoque une remise en question. Pour ceux qui la connaissent, elle provoque la crainte les heures sombres à venir.
On est avant Beauvoir et la femme comme Autre, pourtant cela n’a pas échappé à Marcelle Sauvageot. "L’homme est : tout semble avoir été mis à sa disposition. " Il serait ainsi, dans une rupture, facile d’oublier sa propre valeur face aux reproches pointés par l’homme pour justifier sa désertion.

Blessée et déçue ne veut pourtant pas dire détruite et incapable de raisonner. L’esprit d’indépendance de la narratrice, qui agaçait l’homme lorsqu’ils étaient en couple, est ce qui lui permet de conserver un certain contrôle sur sa vie.

Un texte remarquable. A lire en période de rupture ou pour ne pas oublier que l’on existe avant tout en tant qu’individualité.

Phébus. 134 pages.
1934 pour l'édition originale.

 

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14 septembre 2022

La Fin d'une ère (La Saga des Cazalet, V) - Elizabeth Jane Howard

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" Son rôle dans la vie consistait à prendre soin des autres, à ne jamais se soucier de son apparence, à comprendre que les hommes étaient plus importants que les femmes, à veiller sur ses parents, à organiser les repas et superviser les domestiques qui, hommes ou femmes, l'adoraient pour son dévouement et l'intérêt qu'elle leur manifestait. "

1956. Après presque quatre-vingt-dix ans de règne, la Duche s'éteint paisiblement. Les Cazalet sont d'autant plus déstabilisés que l'entreprise familiale est dans une situation périlleuse. Certains vieillissent ou tombent malades, les autres essaient péniblement de jongler entre leur situation financière, leurs obligations familiales et leurs ambitions personnelles. Serait-ce le temps des désillusions ?

Ce tome se lit avec beaucoup de plaisir puisqu'il s'agit de retrouver des personnages auxquels on s'est attachés durant les quatre délicieux tomes précédents (même si le deuxième et le troisième ont ma préférence). Les tentatives des frères pour sauver l'héritage transmis par leurs parents, leurs querelles dues à des visions antagonistes raviront les lecteurs qui apprécient la dimension historique de la saga. L'époque où un simple nom garantissait la prospérité est révolue. Par ailleurs, Rachel, sans doute le personnage le plus touchant et le plus constant, occupe ici une place prépondérante. C'est un déchirement de quitter Home Place pour toujours.

On m'avait prévenue que ce tome additionnel n'avait pas fait l'unanimité et même si cela m'ennuie de critiquer une saga que j'ai adorée jusqu'à présent, je suis très déçue par certains aspects de ce livre.
Tout d'abord, la brièveté des chapitres et le très grand nombre de parties rendent le récit superficiel, d'autant plus que de nombreux passages concernent les jeunes enfants des protagonistes, dont les brouilles et les passions sont ennuyeuses et redondantes.
Cela se fait particulièrement aux dépens des personnages féminins, qui étaient le gros point fort de la saga. Polly, Louise et Clary ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes. La première est désormais une mère de famille respectable si inintéressante qu'on la voit à peine. Les deux autres se débattent avec leur compagnon, chacune à sa manière. Si Villy, Zoë et Jemima s'en sortent bien, c'est surtout pour faire ressortir le contraste avec la vulgaire Diana. J'adore détester cette dernière, soyons clair, mais cela sert avant tout à réhabiliter Edward, qui n'en mérite pas tant.
Elizabeth Jane Howard ne semble accorder son indulgence et mettre l'accent sur la complexité des situations que lorsqu'il s'agit de dédouaner les personnages masculins. Tentative infructueuse en général. Ainsi, Archie, autrefois chevalier blanc, enterrine son statut de parfait goujat lorsqu'après avoir eu une attitude franchement méprisable durant l'intégralité du roman (je ne parle pas de ses erreurs humaines, mais de son incapacité à les assumer), il s'excuse avec condescendance et paternalisme pour le caractère pleurnichard de son épouse devant toute la famille.

Il y a de très beaux passages, en particulier sur la solitude de Villy et la fin de Miss Milliment. Quelques phrases éparpillées laissent entendre que l'autrice n'a pas complètement oublié les sacrifices qu'impose le mariage, mais c'est comme si elle avait écrit ce livre dans la précipitation et était tombée dans la facilité du conservatisme.

Une note un peu amère pour clôturer cette aventure avec les Cazalet, mais je relirai très certainement cette saga un jour. Je remercie les Editions de la Table Ronde pour le livre et pour avoir encore une fois rendu disponible une incontournable autrice anglaise.

La Table Ronde. 552 pages.
Traduit par Cécile Arnaud.
2013 pour l'édition originale.

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10 septembre 2022

L'Hibiscus pourpre - Chimamanda Ngozi Adichie

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La famille de Kambili, quinze ans, est l'une des plus respectées d'Enugu. Son père, Eugène, fervent chrétien, soutient financièrement sa communauté et ne plie pas devant les militaires qui prennent le pouvoir dans le pays. Il n'a jamais voulu prendre une autre épouse lorsque la première n'a plus été en mesure de lui donner des fils. Il veille à ce que ses enfants, Kambili et son frère, Jaja, soient premiers de leur classe en les soumettant à un emploi du temps rigoureux. Cette perfection apparente cache toutefois une réalité bien plus sombre.
Lorsque Kambili et sa famille retrouvent, lors des fêtes de fin d'année, leur tante Ifeoma, la soeur d'Eugène, tout change.  Au contact de cette femme, veuve, mère célibataire et professeur d'université, la jeune fille et son frère découvrent que les certitudes qu'on leur assène depuis toujours ne relèvent que d'une vision du monde parmi d'autres.

L'Hibiscus pourpre est le premier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, dont la popularité a explosé avec la publication d'Americanah et son adoubement par Beyoncé. Il me tardait de le découvrir.

Ce livre est une plongée dans le Nigéria de la fin du XXe siècle. Les élites sont, comme toujours chez l'autrice, partagées entre l'amour de leur pays et la tentation de l'Occident. Les marques du colonialisme s'expriment dans la langue, la religion, le mode de vie. Si pour la plupart, les traditions cohabitent de manière harmonieuse avec les principes et les manières importées, pour d'autres il n'est pas question de transiger avec ce qu'ils considèrent comme la vérité, quitte à laisser ses propres parents dans la solitude et la pauvreté.

L'autrice est d'autant plus habile dans ses descriptions qu'elle nous livre un panel de personnages variés, et se garde à tout moment de tomber dans la caricature. Car L'Hibiscus pourpre aussi un beau livre sur l'emprise. Alors que ses actions publiques lui valent l'admiration et le respect de tous, Eugène est un tyran domestique. Les violences physiques qu'il inflige aux siens n'empêchent pas ces derniers de l'aimer puisqu'ils lui sont redevables de leur position, de leur réussite et parce qu'il enrobe ses actes de paroles d'un amour aussi pervers que sincère.

Il y a une certaine pudeur dans L'Hibiscus pourpre(les brimades qu'elle subit éteignent jusqu'au rire de Kambili). Si cela le rend de fait bien moins flamboyant que L'Autre moitié du soleil, vous auriez cependant tort de passer à côté.

Folio. 403 pages.
Traduit par Mona de Pracontal.
2003 pour l'édition originale.

2 septembre 2022

Là où chantent les écrevisses - Delia Owens

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« Il était une maman geai, qui réussit à s’envoler, moi aussi je m’envolerais, si seulement je le pouvais. »

Kya a grandi dans le Marais. Un à un, tous les membres de sa famille sont partis, la laissant entièrement seule. Echappant aux services sociaux, elle survit en vendant des moules et passe son temps sur la vieille barque de son père. Ses seuls amis sont Jumpin et Mabel, un couple de Noirs qui lui fournit de quoi se vêtir et achète ses moules, et Tate Walker, un garçon de la ville fasciné par le Marais.
Quand le corps de Chase Andrews, l'enfant chéri de la ville, est retrouvé flottant au pied de la tour de garde, la ville se met à murmurer que Kya aurait bien pu le tuer.

J'avais abandonné l'idée de lire ce roman trop souvent comparé à Pat Conroy (qui m'ennuie...), surtout après avoir lu des mitigés. La sortie prochaine du film (qui annonce des paysages à couper le souffle et des retrouvailles avec la merveilleuse Daisy Edgar-Jones) ainsi que l'écoute de la très belle chanson de Taylor Swift m'ont convaincue de revoir mon jugement.

Je ne peux pas dire que j'ai passé un mauvais moment. Là où chantent les écrevisses est un livre dont on tourne les pages sans la moindre difficulté. Il flotte autour de Kya une ambiance irréelle qui donne envie de se précipiter en Caroline du Nord et de se prendre pour une spécialiste du marais. Kya est une héroïne touchante, une enfant blessée, une femme maltraitée, mais aussi un personnage fort qui refuse de se laisser dicter sa vie. .

En revanche, ce roman souffre d'un gros manque de crédibilité. L'héroïne est une pestiférée illétrée vivant dans le plus grand dénuement. Pourtant, deux garçons très séduisants (dont le playboy du coin) craquent pour elle. De même, Kya apprend à lire et devient une experte reconnue avec une facilité déconcertante. J’aime l’idée que la nature s'observe et se vit avant tout, mais on a quand même du mal à y croire.

Quant à l'enquête, si elle m'a maintenue en alerte, elle est menée avec un manque de rigueur qui ne peut pas être attribué au seul shérif. Personne ne se demande ce que Chase faisait là-haut ou ne semble chercher des informations précises à ce sujet. Par ailleurs, qui peut envisager un procès où l'on oublierait d'interroger l'accusée ?

Une lecture agréable mais très imparfaite. Et vous, avez-vous aimé ?

Les avis de Kathel et Keisha.

Points. 461 pages.
Traduit par Marc Amfreville.
2018 pour l'édition originale.

22 août 2022

Trois - Valérie Perrin

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Adrien, Nina et Etienne se sont rencontrés à La Comelle en Saône-et-Loire le jour de leur rentrée en CM2. Pendant huit ans, ils ont été inséparables. Et puis la vie leur a roulé dessus. Ils n'ont pas su gérer les frustrations, les petites vexations, et aujourd'hui ils sont fâchés à mort. Autour d'eux évoluait une ombre, Virginie. C'est elle qui raconte leur histoire.

Je n'avais jamais entendu parler de Valérie Perrin avant l'année dernière où j'ai vu fleurir les avis sur ce roman. Même si les histoires d'amitié ayant tourné au drame n'ont rien de très original et bien que je lise peu de têtes de gondoles, je n'ai pas su dire non lorsqu'une copine m'a tendu son exemplaire quelques semaines plus tard.

J'ai globalement bien fait, puisqu'il m'a fallu trois jours (après presque un an dans ma bibliothèque) pour venir à bout des 670 pages de ce texte en grand format. Les chapitres sont courts, les allers-retours dans le temps tiennent rythment le livre, les non-dits tiennent en haleine. Il est indéniable que Valérie Perrin est une scénariste efficace.
Ce livre se lit comme une série d'été qui nous plonge dans une douce nostalgie. Il est très marqué par l'époque à laquelle il se déroule, les années 1990. Bien que je sois plus jeune que les personnages, les références musicales me parlent et les habitudes de ce trio ne sont pas très éloignées de ma propre expérience. En revanche, je ne suis pas certaine qu'il puisse vraiment plaire à des gens qui ont moins de trente ans.

Le dernier tiers du livre m'a moins plu. J'ai trouvé les "révélations" assez mal traitées dans la dernière partie du roman. Il se passe beaucoup trop de choses, les facilités sont trop nombreuses, et ces défauts m'ont fait un peu décrocher.  

Une lecture qui n'a pas bouleversé mon univers, mais dont je garderai un souvenir agréable.

Albin Michel. 668 pages.
2021.

Nouveau pavé d'été pour le challenge de Brize !

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20 août 2022

Kafka sur le rivage - Haruki Murakami

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Qu'ont en commun un jeune fugueur de quinze ans, une bibliothécaire quinquagénaire dont la vie a été brisée trente ans plus tôt et un vieil homme handicapé capable de parler avec les chats ? La réponse se trouve-t-elle dans le malaise inexplicable d'une classe entière dans les montagnes lors de la Deuxième Guerre mondiale ? Faut-il la chercher dans la prophétie condamnant le jeune Kafka à une destinée oedipienne ?

Je crois qu'il est temps de me résigner après quatre lectures de Murakami, cet auteur n'est pas fait pour moi. Kafka sur le rivage démarre en fanfare avec des personnages hautement charismatiques, des allers-retours dans le temps et une plongée progressive dans le fantastique. J'ai aimé suivre les questionnements du jeune héros et le cheminement encore plus touchant d'Hoshino, compagnon accidentel de Nakata, à travers les arts.

La chute est d'autant plus rude lorsque le soufflé retombe avec une histoire traînant en longueur et des scènes bien inutilement malaisantes. Lorsqu'on enlève la métaphore et que l'on regarde l'intrigue mise à nu, celle-ci apparaît dans toute sa minceur. Cela ne valait pas franchement le coup de s'infliger des violences sexuelles érotisées, un passage antiféministe gratuit et bien pédant (pour information, les propos stupides le restent même quand on les attribue à personnage "queer"). Comme dans 1Q84, Murakami finit par se perdre dans les fantasmes de ses personnages, délaissant ainsi ce qui faisait la saveur de son récit.

Frustrant.

Helène est bien plus convaincue que moi.

Belfond. 618 pages.
Traduit par Corinne Atlan.
2002 pour l'édition originale.

Sixième participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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18 août 2022

The Golden Notebook (Le Carnet d'or) - Doris Lessing

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" En fait, la fonction du roman semble changer : c’est maintenant un avant-poste du journalisme, nous lisons des romans pour nous documenter sur des zones de vie que nous ne connaissons pas — le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’armée américaine, un village minier, les coteries de Chelsea, etc. Nous lisons pour découvrir ce qui se passe. Un roman sur cinq cents ou sur mille possède la qualité qu’un roman devrait posséder pour être un roman : la qualité philosophique. "

Anna Wulf a connu un immense succès avec son premier roman, qui s'inspire de son passage en Rhodésie lorsqu'elle avait une vingtaine d'années. Elle est désormais mère célibataire d'une petite fille et vit sur ses royalties qui commencent à diminuer. Son ancienne logeuse et amie, Molly, vient de rentrer d'une année à l'étranger. 
Ancienne membre du parti communiste, abonnée aux relations amoureuses catastrophiques, précédemment en analyse et en panne d'inspiration, Anna raconte son existence dans quatre carnets thématiques.

Lire Le Carnet d'or est une expérience aussi riche que complexe. J'en suis ressortie épuisée, déprimée et globalement admirative. Ce n'est ni un roman, ni un essai, ni une autobiographie, mais un mélange de tout cela.

On plonge dans l'existence et dans les pensées d'une femme cherchant obstinément à saisir la véracité des situations tout en ne pouvant s'empêcher de leur donner un caractère fictionnel. Pour reprendre une récente observation d'Annie Ernaux, la réalité de ses expériences ne semble exister que lorsqu'elle les a couchées sur le papier.

" La littérature est l’analyse postérieure à l’événement. "

La création artistique est censée être pure pour Anna, qui se désole de voir la littérature utilisée à d'autres fins. Eternelle insatisfaite (nous ne pouvons jamais adopter tous les points de vue ni empêcher notre récit d'être imprégné d'émotions forcément subjectives et passagères), elle réécrit sans fin les mêmes histoires, vit sans fin les mêmes déceptions dans tous les domaines.

Les années cinquante ont été éprouvantes pour les idéalistes. Les atrocités soviétiques sont peu à peu révélées, la décolonisation amène les anciens anti-colonialistes à réévaluer leurs intentions réelles. Quand on a épuisé toutes les excuses possibles, il ne reste que les évidences. Et puis après ? Est-on condamné à renier complètement ses idéaux lorsque leur application concrète et la révélation des crimes commis en leur nom nous donnent le sentiment d'avoir été un imbécile ?

" Je me dis parfois que la seule expérience incapable de rien enseigner à personne est l’expérience politique. "

On a reproché aux féministes d'avoir volé ce livre en lui collant une étiquette qui ne décrit que partiellement l'oeuvre.* En effet, les thématiques qui traversent le livre sont nombreuses et évoluent en miroir les unes avec les autres pour montrer la complexité de nos envies et de nos intérêts. C'est presque aller à l'encontre de la volonté de l'autrice que de vouloir fragmenter ce livre.
Il est pourtant indéniable que la question des rapports entre les sexes est omniprésente et a dû toucher de nombreuses lectrices. Les "femmes libres", Molly et Anna, sont ainsi nommées avec beaucoup de cynisme. Les innombrables hommes que rencontre Anna, rare représentante du sexe féminin dans les activités extérieures en ce milieu du XXe siècle, sont tous dotés d'épouses assommées d'ennui dans leur foyer. L'insatisfaction sexuelle et l'absence de connivence intellectuelle règnent en maître au sein des couples.

Et pourtant, comme elle sait que les anciens militants sont parfois les conservateurs acharnés de demain, Anna a conscience que c'est l'approbation masculine qu'elle recherche avant tout, quitte à accepter les mensonges, la maltraitance, les insultes.

"Parfois lorsque je regarde en arrière, moi, Anna, j’ai envie de rire à voix haute. D’un rire épouvanté, d’un rire jaloux, celui de la connaissance face à l’innocence. Je serais maintenant incapable d’une telle confiance. Moi, Anna, jamais je ne me lancerais dans une liaison avec Paul. Ou Michael. Ou plutôt si, j’entamerais une liaison, mais en sachant exactement ce qui arriverait ; je me lancerais dans une relation délibérément stérile, limitée."

Le Carnet d'or est à la fois le roman d'une époque et un livre d'une éclatante modernité dont de nombreux passages résonnent plus que jamais aujourd'hui. Il est rare de lire un livre aussi sincère, dont l'héroïne accepte de se laisser décortiquer avec une impudeur pareille. A lire si vous avez le coeur bien accroché.

*Je pense surtout qu'il faut se demander pourquoi le monde a laissé ce livre être réduit à ce seul aspect (une piste : il est écrit par une femme);

Fourth Estate. 576 pages.
1962.

Nouvelle participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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5 août 2022

Anne de Green Gables - Lucy Maud Montgomery

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Publiées au début du XXe siècle, les aventures d'Anne Shirley se déroulent sur l'Île du Prince Edouard à l'est du Canada. Elles commencent lorsque Mirella et son frère Matthew Cuthbert décident d'adopter un garçon pour les aider dans leur ferme. Le mot est mal passé, et c'est finalement une petite fille maigrichonne, rousse et terriblement bavarde qui arrive chez eux.

En quête de lectures qui me permettraient de m'évader un peu, j'ai enfin découvert ce grand classique de la littérature jeunesse. Je crois que c'était le bon moment. Le moralisme qui imprègne le livre et les bavardages incessants d'Anne, qui dans d'autres circonstances auraient pu m'agacer, m'ont au contraire fait rire et rappelé les romans de la Comtesse de Ségur que je lisais enfant (même si je serai curieuse de voir si je les apprécierais autant aujourd'hui).

Il y a dans ce livre une recette magique, avec ce qu'il faut d'impertinence et de bêtises pour nuancer la piété et les bons sentiments. A Avonlea, les méchants ne sont pas vraiment méchants, mais assez pour qu'on aime les voir se faire taquiner. Les drames sont à la fois touchants et vaincus par un optimisme à toute épreuve.

Suivre une héroïne entière comme Anne, c'est oublier son quotidien. Guidée par une imagination débordante, ambitieuse et incroyablement douée pour se mettre dans des situations improbables, elle nous entraîne dans des décors délicieux et ne nous laisse pas nous ennuyer une seule seconde.

J'ai adoré.

Monsieur Toussaint Louverture. 381 pages.
Traduit par Hélène Charrier.
1908 pour l'édition originale.

 

29 juillet 2022

A l'ombre des jeunes filles en fleurs - Marcel Proust

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« Théoriquement, on sait que la terre tourne, mais en fait on ne s’en aperçoit pas, le sol sur lequel on marche semble ne pas bouger et on vit tranquille. Il en est ainsi du Temps de la vie. »

Devenu jeune homme, notre narrateur évolue dans un premier temps dans le sillage de Madame Swann dont il aime la fille, Odette. Il fréquente un écrivain à succès, assiste à une représentation de la Berma et aspire au métier d’écrivain. Il se rend aussi à Balbec, au bord de la mer, avec sa grand-mère. Il y noue des amitiés et fait la connaissance d’une certaine Albertine.

Ce livre est celui de l’éveil amoureux, de la première déception et de cette envie que l’on a de découvrir ce sentiment si prisé. Proust évoque à merveille l’indécision de son narrateur face aux différentes jeunes filles qui l’entourent. Toutes incarnent son désir, plus théorique que réel, surtout dans un premier temps.

Toujours attentif aux détails de l’existence, notre narrateur prend conscience qu’il projetait alors avant tout ses fantasmes sur les êtres qu’il côtoyait, et qu’en chaque individu est contenu un passé, un présent et un futur. Les faux-semblants, les non-dits ou tout simplement les inévitables incompréhensions entre deux êtres distincts l’un de l’autre occupent une grande part du récit.

En toile de fond, Proust évoque aussi un monde qui évolue, et où l’art et l’esprit visent tellement haut que la confrontation au réel est parfois cruelle.

La lecture du premier volet m’avait enchantée. Ce second livre m’a replongée dans une ambiance confortable tant le milieu du narrateur est une carte postale de l’ancien monde, mais qui exprime en même temps toute la complexité des êtres et des événements.

Le Livre de Poche. 667 pages.
1919 pour l'édition originale.

Quatrième participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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11 juin 2022

Il suffit d'une nuit - William Somerset Maugham

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Veuve après un mariage d'amour désastreux, Mary s'est réfugiée dans la demeure d'amis absents sur les hauteurs de Florence. Alors que les fascismes ont pris le pouvoir en Europe, la jeune femme se soucie avant tout de ses projets matrimoniaux. Sûre d'elle, les suites d'une soirée entre amis vont pourtant lui faire voir ses projets sous un autre jour.

Il est certes plaisant de retrouver l'ambiance italienne que les Anglais ont tant aimé décrire, et William Somerset Maugham nous plonge dans un milieu qui ne peut qu'être familier aux amateurs de littérature britannique. Mes compliments concernant ce texte vont pourtant s'arrêter là.

On pourrait achever le titre de ce livre par "pour répéter les erreurs du passé". Je ne vais pas accuser l'auteur de quoi que ce soit, mais entre le viol qui ne donne lieu qu'à de la pitié pour son auteur et les violences dues à de la frustration qui suscitent du désir et de la complicité entre deux personnages, j'ai terminé ma lecture de cette longue nouvelle frustrée pour des raisons que Somerset Maugham n'avait probablement pas imaginées.

L'auteur tente bien d'approfondir la psychologie de ses personnages, mais c'est fait avec une absence de finesse que je n'avais pas remarquée dans ses autres écrits.

Vous vous douterez donc que je ne vous recommande pas ce livre, choisissez plutôt Mr Ashenden, agent secret ou La Passe dangereuse.

10/18. 158 pages.
Traduit par A. Renaud de Saint-Georges.
1941 pour l'édition originale.

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