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lilly et ses livres
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xxe siecle
13 mai 2009

Toute passion abolie ; Vita Sackville-West

34899188_p_1_Le Livre de Poche ; 224 pages.
Traduit par Micha Venaille.
V.O. : All Passion Spent. 1931.

Dans sa biographie de Virginia Woolf, Nigel Nicolson, qui était le fils de Vita Sackville-West, évoque la liaison que sa mère et l'auteur de Mrs Dalloway ont entretenue. Il semblerait d'ailleurs que la vie de Vita Sackville-West soit digne d'un roman. Epouse d'Harold Nicolson, lui-même bisexuel, elle mène une vie libre, et il me semble que les deux époux ont vécu à l'étranger du fait du statut de diplomate d'Harold.
Si je vous raconte tout ça, ce n'est pas parce que j'ai décidé de transformer mon blog en un répertoire d'informations sulfureuses, mais parce que ces éléments semblent avoir eu une incidence sur l'écriture de Toute passion abolie.

Lady Slane a quatre-vingt huit ans, et son mari vient de mourir. "C'est probablement parce qu'Henry Lyulph Holland, premier comte de Slane, vivait depuis si longtemps, qu'on avait finit par le croire immortel." Alors que ses enfants, qui sont tous plus irritants, hypocrites, et intéressés les uns que les autres, tentent de décider ce qu'ils vont faire de leur mère, Lady Slane prend une décision conséquente pour la première fois de sa vie. A la stupéfaction générale, elle s'installe à Hamstead, dans une petite maison pour laquelle elle avait eu un coup de foudre trente ans plus tôt, avec pour seule compagnie Genoux, sa servante français qui est à peine moins vieille qu'elle.
Elle décide de n'accepter que des individus ayant presque son âge et qu'elle apprécie pour lui rendre visite. Sa retraite lui permet ainsi de "pénétrer jusqu'au plus profond du coeur de la jeune fille qu'elle avait été", afin de sonder ses regrets, ses accomplissements, et de se créer enfin une existence qui ne soit pas celle que la société attend d'elle.

Je craignais un peu de me retrouver dans un récit ennuyeux sur la vieillesse, mais il ne se dégage de ce livre que fraîcheur, tranquillité, poésie et même exotisme. Evoquer la place d'une femme dans la société anglaise est certes un sujet qui peut sembler banal, mais Vita Sackville-West relève ce défi haut la main, et rend son récit bien plus complexe.
Il a suffit de quelques instants pour que la jeune Deborah Lee abandonne ses ambitions et, par son silence, autorise tous les membres de sa famille à décider comment elle doit mener sa vie. Ironie du sort, alors même qu'elle devient plus dépendante que jamais vis-à-vis des siens, une barrière insurmontable se dresse entre elle et eux. " Voilà l'instant où je suis descendue, balançant mon chapeau par son ruban, voilà celui où il m'a invitée à le suivre au jardin, s'est assis à mes côtés sur un banc près du lac, m'assurant qu'il n'était pas vrai qu'un cygne puisse briser la jambe d'un homme d'un seul coup d'aile [...] Brusquement, il cessa de parler du cygne, comme s'il l'avait seulement évoqué pour masquer sa gêne, et elle réalisa soudain que son ton était devenu différent, presque grave. Il se penchait vers elle, effleurant même un pli de sa robe, comme s'il était anxieux - tout en étant inconscient de son anxiété - d'avoir à établir un contact avec elle. Mais pour elle, ce lien avait été rompu à l'instant même où il avait commencé à parler si gravement, faisant du même coup s'envoler son désir d'avancer une main vers lui pour toucher les favoris bouclés de ses joues. "
Même ses enfants ne s'occupent que de lui dicter sa vie. Elle n'a plus d'époux pour le faire, ils croient pouvoir s'en charger. Les enfants Holland (qui ont tout de même la soixantaine bien avancée) sont dépeints comme de vrais vautours plein de mesquinerie, inconscients de leur ridicule, ce qui est pour le moins réjouissant. Deux d'entre eux seulement sont désintéressés, mais ils n'en sont pas moins surpris de voir leur mère penser par elle-même. Lady Slane sait s'amuser des tours qu'elle leur joue. Elle a beau s'être dévouée à ses enfants comme toute mère le doit, son affection pour eux semble, comme tout le reste, faire partie du rôle qui a été écrit pour elle.
Car au fond d'elle même, elle a toujours dissimulé une jeune personne qui rêvait de se travestir en homme pour fuir à l'étranger, explorer le monde sans avoir à porter les allures d'une vice-reine, et s'épanouir dans la peinture. Une jeune femme, qui a un jour dit à un jeune homme qu'il était romantique sur le ton de la moquerie, alors même qu'il lui offrait l'un des rares moments de vérité de sa vie. A quatre-vingt huit ans, Lady Slane peut enfin être elle même, et rejoindre ceux qui ont accepté de passer pour des excentriques. Ce livre adresse en effet une critique à la société dans son ensemble, à ces individus qui croient connaître les autres quand ils ne connaissent personne, et surtout pas eux-mêmes, et qui ont perdu leur détermination. Mais si le constat est sévère, il n'est pas ici question d'amertume, au contraire. Lady Slane refuse les médisances, elle préfère les laisser s'épanouir hors de chez elle. Elle n'a pas été malheureuse auprès de son époux, elle l'a aimé de toutes ses forces. Il lui manque simplement une occasion de croire qu'elle a pris une autre voie, pour imaginer à quoi sa vie aurait ressemblé.

Les avis du Bibliomane et de Lune de Pluie.

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10 mai 2009

Avril enchanté ; Elizabeth Von Arnim

resize_3_10/18 ; 366 pages.
Traduit par François Dupuigrenet-Desroussilles.
V.O. : The Enchanted April. 1922.

Cette semaine, j'ai entrepris de relire A Room with a View, qui comme chacun devrait le savoir, est un merveilleux roman qui se déroule en partie en Italie. Cela (ainsi que les billets de certaines blogueuses) m'a rappelé que j'avais un autre livre plein de promesses évoquant l'Italie.

Mrs Wilkins et Mrs Arbuthnot, deux jeunes femmes qui fréquentent le même club mais qui ne se connaissent pas, décident sur une impulsion de louer un petit chateau en Italie durant le mois d'avril. Elles en ont assez de mener une vie vertueuse mais plate auprès de maris qui ne les regardent plus. Afin de réduire les frais de leur entreprise, elles invitent deux autres inconnues à se joindre à elles. Lady Caroline est une jeune femme de vingt-huit ans lasse de ses prétendants et de sa vie sans éclat intérieur, et Mrs Fisher une veuve qui vit de ses souvenirs.

Voilà un livre extrêmement plaisant à lire, et qui ne se contente pas de raconter une jolie histoire comme il aurait été si facile (et si dommage) de le faire. Le cadre est véritablement enchanteur, avec ce château donnant sur la mer, les montagnes, et toutes ces fleurs dont on sent le parfum rien qu'en lisant. Lotty Wilkins, la plus impulsive, est la première à percevoir la magie des lieux :

"Toute la splendeur d'un avril italien semblait rassemblée à ses pieds. La mer bougeait à peine sous le soleil éclatant. De l'autre côté de la baie, de charmantes montagnes aux couleurs délicates paraissaient somnoler elles aussi dans l'éblouissante lumière. Sous la fenêtre, au pied de la pente herbue, fleurie, d'où s'élevait la muraille du château, on voyait un grand cyprès qui tranchait parmi le bleu, le violet et le rose tendre des montagnes et de la mer comme une immense épée noire. Elle n'en croyait pas ses yeux. Tant de beauté pour elle seule !"

Ce cadre a des conséquences très importantes sur les occupantes du château, qui en viennent à croire qu'il possède le pouvoir de tout arranger.
Tout n'est pourtant pas gagné d'avance. Si Lotty et Rose Arbuthnot sont déjà proches en arrivant à San Salvatore et se contentent de mettre inconsciemment les pieds dans le plat autant qu'elles le peuvent, Lady Caroline et Mrs Fisher savent se montrer parfaitement égoïstes et odieuses. On ne lit pas ce livre comme un texte où tout nous fait souhaiter être à la place des héroïnes. Ces dernières sont très différentes et cela donne lieu à des scènes très désagréables pour le lecteur. Heureusement, Elizabeth Von Arnim possède une plume pleine d'humour, qui tourne en ridicule les petites prétentions de chacune. La plupart du temps, l'absence de communication entre les habitantes du château les amène à se comporter de façon totalement insolite (comme Mrs Arbuthnot qui répète toutes les questions de Mrs Fisher pour lui signifier sans le lui dire clairement qu'elle n'est pas la maîtresse de maison...). 
De plus, bien qu'elles vivent ensemble, à l'exception de Lotty, toutes sont dévorées par des angoisses qu'elles ne souhaitent pas confier. Mrs Fisher est venue pour se reposer et penser à ses morts, mais ses compagnes ne cessent de lui rappeler à quel point elle n'est pas à l'aise dans le monde tel qu'il est à présent, et elle est incapable de lire ou d'écrire. Lady Caroline est assaillie par des pensées qu'elle ne devrait pas avoir à son âge, et souffre de ne pouvoir échapper à son pouvoir de séduction. Quant à Rose, elle ne parvient pas à jouir pleinement de son séjour puisqu'elle n'a personne avec qui partager son bonheur, et surtout pas son mari dont elle s'est éloignée depuis des années.
La fin pourrait ressembler à un happy end, mais elle est surtout malicieuse (cette Lotty !) et pas tout à fait satisfaisante. San Salvatore n'empêche pas les malentendus de perdurer, et je n'ai pu m'empêcher de m'inquiéter un peu pour mes héroïnes en refermant cet excellent livre. Elizabeth Von Arnim se refuse à nous donner l'illusion d'un bonheur parfait quand tout est plus complexe, mais cela ne l'empêche pas de nous livrer une histoire tendre et exquise. 

Allie, Chiffonnette, Malice et Maribel ont toutes été conquises par ce livre. 

 

7 avril 2009

Contes de la folie ordinaire ; Charles Bukowski

resize_2_Le Livre de Poche ; 192 pages.
Traduite par Léon Mercadet et Jean-François Bizot.
V.O. :
Erections, Ejaculations, Exhibitions, and General Tales of Ordinary Madness. 1972.

Je suis sortie de chez le libraire en me demandant ce qui m'était passé par la tête. Déjà, j'étais sûre que j'allais détester Bukowski. En plus, j'avais choisi non pas un roman, mais des contes de quelques pages, genre que j'apprécie de moins en moins. Et le pire était qu'il s'agissait vraiment d'un choix réfléchi : ce bouquin, je l'ai commandé chez mon libraire, je ne suis même pas tombée dessus par hasard.
Si vous ajoutez cela à mon achat de Si je t'oublie Jérusalem de Faulkner, qui s'est avéré n'être autre que Les palmiers sauvages, que j'avais déjà (j'adore les romans dont le titre varie, même si je ne suis pas totalement blanche sur ce coup-là), vous pouvez vous dire que je n'étais vraiment pas dans mon assiette dernièrement.

En fin de compte, dès la première page, j'ai su que je n'allais pas regretter mon achat. Je vous fais d'habitude un résumé des livres que je lis, mais d'ordinaire, je ne lis pas de recueils, donc c'est plus facile. Disons qu'il s'agit de tranches de vie de personnages dont la personnalité est généralement très proche de celle de Bukowski, quand l'auteur ne se met pas clairement lui même en scène. A travers elles, ce livre évoque des thèmes qui reviennent sans cesse au fil des contes : le désamour, l'écriture, l'auteur maudit, le sexe facile, l'alcool, la violence, le puritanisme de la société américaine, le genre humain en fait...

Tous les contes ne m'ont pas captivée (un livre un peu plus court ne m'aurait pas du tout gênée), mais beaucoup sont vraiment excellents, variés tout en traitant de thèmes semblables. Je craignais de me retrouver face à des histoires qui ne parlent que de sexe et d'alcool, et effectivement on en a à volonté. Mais la réflexion proposée par ce livre va beaucoup plus loin. Certains contes font vraiment mal, surtout La plus jolie fille de la ville (conte qui ouvre le livre en douceur), Le petit ramoneur, La machine à baiser, Trois femmes, J'ai descendu un type à Reno, et Le Zoo libéré (qui achève le livre en beauté). A un moment, Bukowski est hilare parce qu'on l'a qualifié de "sensible". C'est terrible, parce que tous ces hommes, qui ne parlent que de s'envoyer la première fille qu'ils croisent et qui semblent ne rêver que de ne rien faire, sont exactement ce qu'ils jurent ne pas être. J'ai aussi un gros faible pour les récits où les femmes ne sont pas que des ombres, et où au final ce sont les hommes qui se font baiser.
Étrangement, on rit beaucoup dans ce livre provocateur, qui dresse un portrait sans concession de la société américaine et de ses habitants. Parce que l'auteur n'y va pas de main morte (la description du type écrasé après s'être défenestré par exemple illustre bien cela), mais aussi parce qu'il écrit très bien, et qu'il sait se servir de ce don pour mêler une certaine poésie à l'absurde et au répugnant (j'avais lu un début de poème de Bukowski chez Erzébeth qui m'avait beaucoup plu). 

Ce livre m'a un peu fait penser à Last Exit to Brooklyn, mais légèrement, hein ! Il s'agit donc d'une très bonne surprise, et encore d'un auteur que je retrouverai dans un avenir que j'espère pas trop lointain.

Les avis de Sylvie, Thom, et Praline.

5 avril 2009

Le coeur est un chasseur solitaire ; Carson McCullers

untitledLe Livre de Poche ; 448 pages.
Traduit par Marie-Madeleine Fayet.
The Heart is a Lonely Hunter. 1940.

Je ne sais même plus ce qui m'a poussée à me procurer ce roman. Son titre sans doute, et quelques très bons avis lus je ne sais plus trop où.

Nous sommes dans une petite ville du sud des Etats-Unis. Mr Singer, un sourd-muet bienveillant et très discret, reçoit les confidences de plusieurs personnes aussi blessées que lui. Mick d'abord, est une gamine qui joue à la fois les garçons manqués et les mamans pour ses petits frères. Elle aime la musique, et rêve d'un ailleurs. Le docteur Copeland est un Noir engagé, qui n'est pas parvenu à transmettre ses idéaux à ses enfants, mais qui espère des jours meilleurs. Biff est un patron d'un café très seul et plein de sentiments qu'il ne devrait pas éprouver pour sa survie, et Mr Blount est convaincu d'être le gardien d'un message particulier pour l'espèce humaine.
Nous les suivons, ainsi que leurs proches, à travers des étés trop chauds et des hivers glaciaux.

Voilà encore un très beau roman américain. Difficile de croire qu'il a été écrit par une jeune fille de seulement vingt-deux ans tellement il cerne le coeur humain et tellement il met à jour la résignation de son auteur face au destin de chacun de nous.
L'individu apparaît en effet très seul dans ce roman. L'amour, ou ce qui s'en rapproche, n'est jamais retourné. Ni l'envie, ni l'espoir. Tous les personnages que nous suivons sont des rêveurs, des individus qui croient que le meilleur est encore possible. Ils veulent vivre, faire éclater leurs sentiments, mais leur réunion ne donne que le silence. Le muet, celui sur lequel circulent toutes sortes de légendes traduisant la fascination qu'il inspire, et qui fait (bien involontairement) croire à ses compagnons que le mot possibilité existe, ne donne que l'illusion d'une communication. Mick, Blount, Copeland et Biff lui donnent chacun un rôle, une identité, mais ils ne réalisent même pas qu'ils parlent seuls. Et quand ces quatre là se trouvent réunis, ils tombent à leur tour dans un mutisme profond, éventuellement précédé par des cris exprimant leurs désaccords.
Le seul qui semble avoir inconsciemment compris sa situation est donc Mr Singer. Il ne se confie pas, et s'il écrit à Antonapoulos, le fait qu'il n'envoie pas ses lettres montre qu'il sait qu'au fond, il ne le fait que pour lui même.
En raison de cette solitude absolue à laquelle est condamné le coeur humain, tout semble vain, et ce qui semble donner un sens à l'existence n'est qu'éphémère. Voir Antonapoulos, croire en la musique ou en d'autres idéaux, ne permet que de se tromper soi même. Tous nos compagnons finissent par devenir de plus en plus transparents, et il devient vite évident qu'ils ne tarderont pas à s'oublier eux-mêmes. Au loin, on entend le bruit de la Seconde Guerre mondiale. 
Pourtant, bien que très lent (même trop parfois) et plutôt déprimant, sans doute afin d'accentuer le caractère vain de l'existence, ce roman n'a rien de monocorde, et nous fait passer par toute une palette d'émotions. Il nous prend d'abord délicatement, nous fait aimer tous ces personnages. Surtout Mick bien sûr, cette gamine dans laquelle il est difficile de ne pas voir des échos de soi même. Beaucoup de situations, qui n'ont parfois rien de risible en elles-mêmes, ne peuvent faire que sourire. On se révolte aussi face à toutes ces injustices. On espère, et finalement on est déçu. On le savait dès le début, mais on n'y peut rien, on espérait quand même.      

Un livre profondément pessimiste donc, mais qui n'en est pas moins un très beau roman. Je ne suis vraiment pas sûre de le relire un jour, mais je retrouverai certainement l'auteur. 

Les avis de Papillon, Tamara et Kalistina.   

28 janvier 2007

Eureka Street ; Robert McLiam Wilson

2264027754Édition 10/18 ; 544 pages.
8,50 euros.

" L'auteur de Ripley Bogle nous entraîne à Belfast, sa ville natale, pour un roman foisonnant, à la fois tragique et hilarant. Qu'a donc trouvé Chuckie Lurgan, gros protestant picoleur et pauvre, qui à trente ans vit toujours avec sa mère dans une maisonnette d'Eureka Street ? Une célébrité cocasse et quelques astuces légales mais immorales pour devenir riche. Que cherche donc son ami catholique Jake Jackson, orphelin mélancolique, ancien dur et coeur d'artichaut ? Le moyen de survivre et d'aimer dans une ville livrée à la violence terroriste aveugle. Et qu'a donc trouvé Peggy, la mère quinquagénaire de Chuckie ? Le bonheur, tout simplement, grâce à une forme d'amour prohibée, donc scandaleuse dans son quartier protestant. Et, pendant ce temps-là, un inconnu couvre les murs de Belfast d'un mystérieux graffiti : OTG, écrit-il, OTG. "

Attention, chef d'oeuvre. Robert Mac Liam Wilson nous plonge dans le Belfast d'il y a quelques années (si j'ai bien compté, ça se passe en 1994), avec ses tensions entre protestants et catholiques, républicains et unionistes. Ses héros, surtout Jake et Chuckie, se débrouillent comme ils peuvent au milieu de ces rues taguées des sigles des différentes organisations terroristes, parmi lesquelles le mystérieux OTG, et rythmées par les attentats. Ils sont un peu pommés au début, à la recherche d'un emploi paisible et lucratif. Ils attendent également l'amour, jusqu'à l'arrivée de Max, accompagnée de l'insupportable Aoirghe. Leur quotidien est raconté avec beaucoup d'humour pendant environ la moitié du livre. Il est fait de politique, de violence et d'amitié. Chuckie, le protestant d'Eureka Street (qui vénère une photo de lui et du pape) tombe amoureux de Max. Jake, quant à lui, rate tous ses coups ou presque, et possède un talent incroyable pour se faire tabasser. Il en arrive à sympathiser avec son chat (avec lequel il entretient une relation hilarante, surtout pour les "chatophobes" comme moi) et un gamin des rues, Roche. Ce livre au ton léger est un roman engagé politiquement. La première chose que l'on se demande lorsqu'on rencontre quelqu'un, c'est s'il est protestant ou catholique, républicain ou unioniste. On le juge en fonction. Jake est méprisé par Aoirghe, parce qu'il veut simplement qu'on lui fiche la paix. Elle, avec ses idéaux républicains, elle représente les excès catholiques. Les protestants ne sont pas épargnés non plus. Parce que les torts sont des deux côtés.
Le grand coup de maître de Robert McLiam Wilson est de savoir mesurer avec précision les attentes de son lecteur. Au milieu du livre, alors que l'on commence à se demander où l'auteur veut nous amener, nous avons la réponse.
Les descriptions de l'attentat de Fountain Street font froid dans le dos, et nous rappellent que les victimes sont des êtres humains, qui avaient des projets, des proches, et surtout l'envie de continuer à vivre. Lorsque l'on lit le chapitre relatant l'attentat de Fountain Street, on y voit toute la barbarie du monde, ceci d'autant plus que l'auteur adopte un ton détaché qui ne nous épargne rien. Les corps déchiquetés, les vies brisées, ça n'est pas excusable. Chacun a beau se brosser les dents une fois le soir venu, le monde ne sera plus jamais le même. Pourtant, l'esprit humain parvient à se faire à cette routine. Aujourd'hui, c'est en bref que les journaux télévisés nous disent que des dizaines de personnes meurent chaque jour en Irak dans des attentats. Nous sommes troublés quelques instants, puis nous pensons à autre chose. Il s'agit pourtant d'êtres humains, sacrifiés de façon totalement aléatoire au nom de principes vagues. Les terroristes justifient leurs actes en affirmant agir pour le bien de ceux qu'ils tuent. Dans ce livre, c'est la réalité qui est exposée, et elle n'est pas justifiable.
Pourtant, on peut éprouver de la sympathie pour les revendications de l'IRA. Mais le "La fin justifie les moyens" lancé par Aoirghe à Jake sonne davantage comme un manque d'arguments que comme une position assumée. D'ailleurs, cette jeune femme m'a horripilée tout le long du livre. J'ai beaucoup aimé que Jake dise tout le mal qu'il pensait d'elle avec son élégance naturelle. Ceux qui ont lu le livre comprendront que la fin m'a quelque peu embêtée...
Ce n'est pas seulement la violence terroriste qui est décrite dans ce livre, c'est toute la vie de Belfast. Ses habitants, ses rues, ses moeurs, son atmosphère. La ville est à la fois semblable au reste du monde (la violence n'est pas une invention locale, les gens pommés sont partout...), et un endroit extraordinaire. Certes, le langage employé est cru, sarcastique, drôle, mais il est juste de la première à la dernière page. Et c'est sans doute la principale qualité de ce livre ; malgré ses histoires invraisemblables, il est vrai.

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