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lilly et ses livres
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25 juillet 2009

Nuit et Jour ; Virginia Woolf

7933_medium_1_Flammarion ; 405 pages.
Traduit par Catherine Naveau.
Night and Day. 1919.

Courage, il s'agit du dernier roman de Virginia Woolf que j'avais emporté en vacances. Certes, j'ai vraiment eu envie de m'en procurer d'autres, mais il existe des villages dans lesquelles on ne trouve pas la moindre librairie...

Katherine Hilbery est la fille unique d'un couple de l'aristocratie londonienne. Sa vie se partage entre sa contribution à la rédaction d'une biographie de son célèbre grand-père et ses activités domestiques et mondaines. Un après-midi, l'un des protégés de son père, Ralph Denham, se rend chez les Hilbery. La rencontre entre les deux jeunes gens est chaotique, mais Ralph décide de faire de Katherine une obsession. Ils se revoient quelques temps plus tard lors d'une soirée chez Mary Datchet, une jeune femme écartelée entre sa soif de liberté et son affection pour Ralph. Katherine est alors accompagnée de William Rodney, qui souhaite l'épouser.

Nuit et Jour est le second roman de Virginia Woolf, et même s'il est certainement fort bon dans l'absolu, et captivant presque de bout en bout, je pense que c'est le roman de l'auteur le moins abouti.
Sa construction est étonnament classique. Les pensées des personnages ne dominent pas l'ensemble, qui comporte également de très nombreux dialogues, énormément d'humour et de fraîcheur. Il serait réducteur de ramener l'intrigue à quelques relations amoureuses (comme je l'ai fait dans mon résumé). Il existe un véritable combat dans ce roman, entre deux époques (politique, littérature, moeurs, travail, religion). Virginia Woolf dresse un portrait aiguisé des questions que se posent les classes bourgeoises anglaises, alors que le vingtième siècle commence.
Cela se répercute notamment sur les conduites des deux personnages féminins principaux. Mary et Katherine sont, comme les autres héroïnes de Woolf, à la recherche de réponses sur elles-mêmes. Mary représente la femme indépendante, issue d'une modeste famille campagnarde, qui cherche à ne pas se laisser influencer par son environnement et ses propres démons, désireux de la faire revenir vers un rôle plus traditionnel. Quant à Katherine, elle est moins attachante qu'une Rachel, mais j'ai l'impression que Virginia Woolf aimait, dans ses premiers romans, créer des héroïnes qui, au début de leur histoire, ne lui ressemblent pas encore. Rachel n'aime pas Jane Austen, Katherine n'a carrément "aucune disposition pour la littérature", et éprouve même "une antipathie naturelle pour l'introspection" tandis qu'elle se passionne pour les mathématiques.
A première vue donc, les deux figures féminines principales de ce roman sont totalement opposées, et permettent de confronter des conceptions qui le sont tout autant. Je délire certainement (et en plus je me fais du mal en disant cela), mais au fur et à mesure de ma lecture, j'ai trouvé ce qui ne tient pas debout dans ce livre. Virginia Woolf a créé deux personnages un peu caricaturaux qui pourraient finalement être les différentes facettes d'une seule personne. Cela aurait permis d'éviter la cure d'amaigrissement subie par l'intrigue dans la dernière partie, qui voit Mary s'effacer au profit de Katherine, et sans doute pour le pire. Je suis pire que fleur bleue, et la réunion des amants est généralement le point culminant de ma lecture quand les livres s'y prêtent. Dans Nuit et Jour, les réflexions et les doutes de Katherine quant à ses affections, sont naturels, et dévoilent une personnalité complexe, qui refuse de s'engager pour satisfaire d'autres désirs que les siens. Cependant, ils sont tellement étirés que, si je ne parlais pas d'un auteur que j'adore, je dirais que l'on frôle la nunucherie (je sens que je vais avoir droit à des insultes mais tant pis). De plus, comme je l'ai noté plus haut, il me semble que les ambitions de Virginia Woolf sont bien plus larges au début du roman. Mais dans la dernière partie, on fait durer le plaisir et apparaître un personnage à la dernière minute pour que tout se finisse bien dans le meilleur des mondes, et cela sonne faux. 
En fait, je trouve que ce livre sonde de nombreuses pistes, mais avec maladresse. Woolf nous livre une histoire fort agréable, drôle, qui ravirait sans aucun doute beaucoup de lecteurs si un éditeur avait la bonne idée de rééditer Nuit et Jour. Mais ses tentatives de capter l'univers, comme dans ses autres romans, tombent un peu à plat.

Allie évoque aussi ce roman.

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23 juillet 2009

La double vie de Virginia Woolf ; Geneviève Brisac & Agnès Desarthe

resize_4_Points ; 279 pages.
2004.

J'ai acheté plusieurs études sur Virginia Woolf depuis le début de l'année, dont la biographie d'Hermione Lee, qui fait plus de mille pages, mais j'ai préféré opter pour un format plus pratique pour la plage.

Je ne connais pas du tout Geneviève Brisac, et j'ai seulement lu Je ne t'aime pas Paulus d'Agnès Desarthe, mais je sais que cette dernière connais bien Virginia Woolf, dont elle a traduit La Chambre de Jacob et La Maison de Carlyle et autres esquisses, et pour laquelle elle a écrit une préface à L'Art du Roman.

La double vie de Virginia Woolf est donc un essai écrit par deux romancières qui tentent de dresser un portrait de l'auteur anglaise en ne se soumettant pas aux règles de la biographie traditionnelle, et en se basant presque exclusivement sur les écrits que Virginia Woolf a laissé : romans et nouvelles, mais aussi journal, essais, lettres et articles.
Je trouve ce parti pris intéressant. Beaucoup de passages m'ont plu dans ce livre. Il est prescripteur, et donne envie de se lancer dans les textes évoqués. Geneviève Brisac et Agnès Desarthe aiment leur sujet, et transmettent sans difficulté leur enthousiasme. Ce livre a aussi le mérite d'être synthétique, de ne pas donner dans le sensationnel en évitant de succomber à la légende qui entoure l'auteur britannique, et de donner des pistes concernant les différentes facettes de Virginia Woolf. Avec Geneviève Brisac et Agnès Desarthe, on découvre aussi l'environnement de l'auteur de Mrs Dalloway, ses amis, ses proches, son humour et ses époques. Et dans tout cela, sa vision de la vie et de ses travaux.
Alors bien sûr, tout n'est pas parfait. Il y a un manque de cohérence qui m'a gênée parfois. La chronologie est présente essentiellement au début et à la fin, et comme je l'ai noté, les auteurs de cet essai ont tenté de ne pas en être les esclaves, mais cela donne lieu à une impression que l'auteur n'a pas vraiment évolué entre 1915 et les dernières années de sa vie (j'exagère, mais je veux dire que l'on ne repère pas le parcours de Virginia Woolf de façon distincte ; le repère avec les textes cités existe, mais il est flou), et aussi à une impression de déjà-vu par moments.
Autre élément qui m'a surprise, les premiers romans de Virginia Woolf sont à peine évoqués (pour parler des relations de Virginia avec ses demi-frères), et pas du tout exploités. C'est contradictoire avec les objectifs des auteurs de cet essai, qui visaient justement à dresser un portrait de Virginia Woolf à travers ses écrits. Certes, elle n'a pas écrit seulement des romans, mais je trouve étrange de ne pas évoquer l'entrée en littérature de l'auteur que l'on étudie.

Je m'étale sur ce qui m'a déplu, mais cette lecture a été très agréable en réalité. Je pense qu'il faut la considérer comme une mise en bouche, et en cela le pari est tenu.

22 juillet 2009

La Chambre de Jacob ; Virginia Woolf

resize_1_Stock ; 252 pages.
Traduit par Agnès Desarthe.
V.O. : Jacob's Room. 1922.

A l'origine, il s'agissait surtout de trouver la biographie d'Hermione Lee, mais je suis incontrôlable en librairie, même quand j'y envoie les gens à ma place... Je peux aussi accuser Dominique de m'avoir obligée à acquérir la nouvelle édition de La Chambre de Jacob, en racontant que celle du Livre de Poche est illisible.

Je vais arrêter de vous raconter ma vie fascinante pour en évoquer une autre, celle de Jacob Flanders, ou Thoby Stephens, le frère aîné de Virginia Woolf, mort de la thyphoïde en 1906. Comme dans Vers le Phare, l'auteur ne se contente pas d'être avalée par son sujet. Elle le rend universel.

La construction de ce livre est très déconcertante. La chambre de Jacob est le troisième roman de Virginia Woolf, et en plus de rompre de façon très nette avec les textes précédents de l'auteur, il me paraît également très différent des suivants (à part peut-être Les Années, dans une certaine mesure). Il ne s'agit pas d'un récit linéaire, ni d'un réel enchevêtrement de monologues intérieurs, mais d'une collection de souvenirs, d'émotions et de paysages autour d'un personnage, Jacob, depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte, depuis la mer jusqu'à Cambridge et la Grèce. Ces bribes ne sont elles-mêmes que des esquisses, qui s'expriment de façon vague, et ne disposent que de peu d'espace.
Elles reflètent un manque, une ombre : "Dans tous les cas, la vie n'est qu'une procession d'ombres, et Dieu seul sait pourquoi nous les étreignons si passionnément et les voyons partir avec une telle angoisse, alors qu'elles ne sont, et que nous ne sommes, que des ombres."
Comme souvent avec Virginia Woolf, le temps a un rôle fondamental, c'est lui qui mène la danse. Il donne lieu à des scènes colorées, qui nous rendent presque sereins, comme cette traversée en bateau de Jacob et Durrant, avant de nous replonger aussi sec dans des scènes plus dramatiques, comme certaines interventions des femmes, qui arrivent telles des cris annonçant les drames du présent et du futur.
J'ignore si c'est un signe du caractère autobiographique de l'oeuvre, mais l'auteur s'insère dans le récit, et je ne me souviens pas l'avoir remarqué dans ses autres romans. On peut aussi retrouver des réflexions sur la littérature et le déroulement de l'histoire qui existent également dans les autres romans de l'auteur, et aussi dans son oeuvre critique.
La Chambre de Jacob n'est pas le livre de Virginia Woolf que j'ai le plus apprécié, mais ça ne veut pas dire grand chose avec cet auteur. Il s'agit d'un très beau livre, qui berce le lecteur, le perd, et surtout l'émeut profondément.

"Les îles Scilly viraient au bleu ; et soudain un éclat bleu, violet, puis vert envahit la mer ; la laissa grise ; imprima une raie qui aussitôt disparut ; mais lorsque Jacob eut passé sa chemise par-dessus sa tête toute l'étendue des vagues était bleu et blanc, ondulante et fraîche, bien que, de temps à autre, une large marque violette apparût à a surface, comme un hématome ; ou encore il arrivait qu'un plein émeraude flottât, teinté de jaune. Il plongea. Il avala de l'eau, la recracha, frappa de son bras droit, frappa de son bras gauche, fut remorqué par une corde, suffoqua, éclaboussa, et fut hissé sur le pont."

L'avis de Dda.

11 juillet 2009

Vers le Phare ; Virginia Woolf

resize_3_Folio . 363 pages.
Traduit par Françoise Pellan.
V.O. : To the Lighthouse. 1927.

Publié en 1927, Vers le Phare est le cinquième roman de Virginia Woolf. C'est aussi un chef d'oeuvre.

Nous sommes peu avant la Première Guerre mondiale, sur une île écossaise, dans la résidence d'été de la famille Ramsay. James, le plus jeune des huit enfants Ramsay, rêve d'une excursion au Phare le lendemain. Sa mère le soutient, mais son père brise ses espérances, s'appuyant sur la logique, qui veut que le mauvais temps vienne gâcher ce projet. "Il était incapable de proférer une contrevérité ; ne transigeait jamais avec les faits ; ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive, et surtout pas ses propres enfants qui, chair de sa propre chair, devaient savoir dès leur plus jeune âge que la vie est difficile ; les faits irréductibles ; et que la traversée jusqu'à cette terre fabuleuse où s'anéantissent nos plus belles espérances, où nos frêles esquifs s'abîment dans les ténèbres (là, Mr Ramsay se redressait, plissait ses petits yeux bleus et les fixait sur l'horizon), est un voyage qui exige avant tout courage, probité, et patience dans l'épreuve."

Vers le Phare est un texte qui appartient sans doute à ce que l'on appelle les romans sans intrigue, même si cette appellation ne me semble pas vraiment exacte, et fait surtout penser que l'on parle d'un truc complètement barbant. Or, ce livre ne correspond pas du tout à cette idée. Comme dans les autres romans de Virginia Woolf, il s'agit ici d'une quête. Celle du sens, de l'aboutissement, du bout des ténèbres.
Les personnages visent à ce but, et nous livrent leurs pensées par le biais de monologues intérieurs. Il sont tourmentés, inquiets, blessés, maladroits. J'ai souri en regardant le couple formé par les parents Ramsay. Ils ressemblent un peu aux Dalloway dans la relation qu'ils entretiennent. L'image de Richard achetant des fleurs pour son épouse parce qu'il ne sait pas dialoguer avec son épouse n'est vraiment pas loin. En réalité, d'après les notes du texte, Mr et Mrs Ramsay sont des échos des parents de Virginia Woolf, Julia et Leslie Stephen, et le nombre d'enfants correspond également, ainsi que d'autres détails.
Le récit se divise en trois parties inégales. La première se déroule donc sur une soirée d'été, et voit se découper nettement la figure de Mrs Ramsay qui, bien qu'en proie à de nombreux tourments elle même, parvient plus ou moins à apaiser ceux des autres, et à retenir le temps. La deuxième partie voit le temps reprendre ses droits, délabrer la maison, et emporter les vivants. Le tout en vingt pages qui font passer dix ans. Enfin, la troisième partie ramène l'espoir face à l'inachevé.
Pour parvenir à ce résultat, Virginia Woolf pousse son écriture aussi loin qu'il est possible de le faire. Son style est tout bonnement incroyable. Chaque phrase est une perfection, soutenue par une marée de clins d'oeil. A commencer par ce mouvement vers le Phare, l'achèvement. Ou la mort. En effet, comme dans La Traversée des Apparences, où Rachel Vinrace meurt pour avoir souhaité l'inaccessible, achèvement et mort se confondent ici. Ce parcours se reflète également dans le tableau que Lily Briscoe ne parvient à peindre qu'au dernier moment. Il ressort de tout cela une très belle poésie, et cela se ressent encore plus dans la deuxième partie. Je pense même qu'on peut la lire séparément du reste, comme un poème tragique, et en ressortir bouleversé.

"Ainsi, toutes les lampes éteintes, la lune disparue, et une fine pluie tambourinant sur le toit, commencèrent à déferler d'immenses ténèbres. Rien, semblait-il, ne pouvait résister à ce déluge, à cette profusion de ténèbres qui, s'insinuant par les fissures et trous de la serrure, se faufilant autour des stores, pénétraient dans les chambres, engloutissaient, ici un broc et une cuvette, là un vase de dahlias jaunes et rouges, là encore les arêtes vives et la lourde masse d'une commode. Non seulement les meubles se confondaient, mais il ne restait presque plus rien du corps ou de l'esprit qui permette de dire : "C'est lui" ou "C'est elle." Une main parfois se levait comme pour saisir ou pour repousser quelque chose ; quelqu'un gémissait, ou bien riait tout fort comme s'il échangeait une plaisanterie avec le néant."

Je réalise que vous allez penser que ce livre est horriblement déprimant, alors que c'est faux. J'ai souvent sourit, au contraire. Les personnages, même si on les affectionne, ont des comportements très drôles, particulièrement dans la première partie. On oscille souvent entre paix et tourments dans ce livre, mais c'est la réconciliation qui l'emporte.

Ce livre m'a empoignée comme cela ne m'était pas arrivé depuis très longtemps. Vous vous souvenez de ma rencontre avec Le Bruit et la Fureur l'année dernière ? Je crois qu'on est encore un cran au-dessus.   

"Elle creusa un petit trou dans le sable et le recouvrit, comme pour y enterrer la perfection de cet instant. C'était comme une goutte d'argent dans laquelle on trempait son pinceau pour illuminer les ténèbres du passé."

"Personne n'avait jamais eu l'air aussi triste. Une larme, peut-être, se forma, amère et noire, dans les ténèbres, à mi-chemin du puits qui conduisait de la lumière du jour jusqu'aux tréfonds ; une larme coula ; la surface de l'eau se troubla légèrement à son contact puis redevint lisse. Personne jamais n'avait eu l'air aussi triste."

 

8 juillet 2009

Les Années ; Virginia Woolf

untitledFolio ; 572 pages.
Traduit par Germaine Delamain et Colette-Marie Huet. Préface de Christine Jordis.
V.O. : The Years. 1937.

Il est très difficile de parler des romans d'un auteur que l'on aime comme j'aime Virginia Woolf. Dans ces cas là, l'objectivité est encore plus éloignée, et il ne s'agit plus seulement de parler d'un texte, mais d'une relation (je suis très sentimentale, mais si vous saviez tout ce que je dois à Virginia Woolf...).

Je me suis plongée dans Les Années parce qu'après Céline, je savais qu'il serait difficile de ne pas trouver mes lectures fades. J'ai eu mille fois raison, ce livre est un immense roman.
Que s'y passe t-il ? Tout et rien en même temps. Nous suivons une famille anglaise, les Pargiter, depuis 1880 jusqu'aux années 1930, mais il ne s'agit aucunement d'une saga familiale.
Les personnages sont attachants, deviennent familiers. J'ai bien sûr complètement fondu devant Edward, cet homme assommant d'érudition, mais aussi d'une grande beauté et surtout au coeur irrémédiablement brisé, un être "dont l'intérieur a été dévoré, ne laissant que les ailes et la carapace". Les événements politiques et sociaux apparaissent en toile de fond, rythment le récit, et ce pied dans la réalité nous permet de voir l'évolution extérieure des choses et des hommes.
Toutefois, si je dit qu'il n'est pas non plus faux d'affirmer qu'il ne se passe rien, c'est parce que le lecteur à la recherche d'une intrigue suivie et palpitante de manière traditionnelle sera nécessairement frustré. Il y a beaucoup d'inachevé (volontaire) dans ce livre. Les personnages que l'on croise en 1880 ne réapparaissent pas forcément avant que la dernière partie ne se déroule, ou alors seulement en tant que fantôme. Je pense notamment à Delia, cette jeune femme incapable de pleurer une mère qu'elle ne pouvait plus aimer, que l'on revoit seulement un demi siècle plus tard. Les phrases sont souvent inachevées, les personnages ne s'écoutent que rarement parler les uns les autres, de nombreuses scènes sont énigmatiques, et les réponses n'arriveront pas toujours.
Il s'agit en fait pour Virginia Woolf d'équilibrer son roman, de laisser de la place à ce qui est finalement aussi important. La quatrième de couverture a à mon avis raison de dire que le grand meneur de ce texte, c'est le temps. Le temps qui interrompt, qui mène l'histoire et les lecteurs, qui ébranle tout sur son passage, comme le vent que l'on retrouve à de nombreuses reprises. Il fait vieillir les personnages à une vitesse incroyable. Les Pargiter ont à peine le temps de s'interroger sur le sens des choses qu'il ne leur reste déjà plus que des souvenirs, et les lambeaux de leur chair. "Voilà à quoi aboutissent trente ans de vie commune, entre mari et femme - tut-tut-tut et tchou-tchou-tchou. On aurait cru entendre des bestiaux ruminer plus ou moins distinctement dans leur étable - tut-tut-tut et tchou-tchou-tchou - en piétinant la paille douce et fumante de leur litière, de la même manière qu'ils se vautraient jadis dans les marais primitif ; nombreux, prolifiques, à peine conscients, se disait North, tandis qu'il écoutait d'une oreille distraite le jovial clapotement, qui soudain s'adressa à sa personne."
Le texte entier est empreint d'une grande mélancolie, de grands questionnements, portés par une écriture qui n'oublie aucune émotion, mais la fin est étrangement plutôt ouverte et paisible. La dernière partie contient également davantage de descriptions comiques que le reste du roman.

En fait, avec ce texte, pour reprendre des mots de Virginia Woolf picorés dans la préface, l'auteur parvient à combiner "le fait et la vision" à merveille. Il s'agit d'un aboutissement parfaitement réussi pour elle, qui jusque là avait privilégié soit l'un soit l'autre. Cette préface est également très intéressante pour les informations qu'elle contient sur la genèse du texte, et sur les ellipses contenues dans le roman.

"Une rafale soudain s'engouffra dans la rue ; elle chassa un morceau de papier le long du trottoir et un petit tourbillon de poussière sèche lui courut après. Au-dessus des toits s'étendait un de ces couchers de soleil de Londres, rouges et changeants, qui allument dans chaque fenêtre l'une après l'autre, des flambées d'or. Cette soirée de printemps avait quelque chose de sauvage ; même ici à Abercorn Terrace la lumière variait, passait de l'or au noir, du noir à l'or. Delia laissa tomber le rideau ; elle se retourna et vint au milieu du salon en disant tout à coup :
' Oh ! mon Dieu !' "

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13 mai 2009

Toute passion abolie ; Vita Sackville-West

34899188_p_1_Le Livre de Poche ; 224 pages.
Traduit par Micha Venaille.
V.O. : All Passion Spent. 1931.

Dans sa biographie de Virginia Woolf, Nigel Nicolson, qui était le fils de Vita Sackville-West, évoque la liaison que sa mère et l'auteur de Mrs Dalloway ont entretenue. Il semblerait d'ailleurs que la vie de Vita Sackville-West soit digne d'un roman. Epouse d'Harold Nicolson, lui-même bisexuel, elle mène une vie libre, et il me semble que les deux époux ont vécu à l'étranger du fait du statut de diplomate d'Harold.
Si je vous raconte tout ça, ce n'est pas parce que j'ai décidé de transformer mon blog en un répertoire d'informations sulfureuses, mais parce que ces éléments semblent avoir eu une incidence sur l'écriture de Toute passion abolie.

Lady Slane a quatre-vingt huit ans, et son mari vient de mourir. "C'est probablement parce qu'Henry Lyulph Holland, premier comte de Slane, vivait depuis si longtemps, qu'on avait finit par le croire immortel." Alors que ses enfants, qui sont tous plus irritants, hypocrites, et intéressés les uns que les autres, tentent de décider ce qu'ils vont faire de leur mère, Lady Slane prend une décision conséquente pour la première fois de sa vie. A la stupéfaction générale, elle s'installe à Hamstead, dans une petite maison pour laquelle elle avait eu un coup de foudre trente ans plus tôt, avec pour seule compagnie Genoux, sa servante français qui est à peine moins vieille qu'elle.
Elle décide de n'accepter que des individus ayant presque son âge et qu'elle apprécie pour lui rendre visite. Sa retraite lui permet ainsi de "pénétrer jusqu'au plus profond du coeur de la jeune fille qu'elle avait été", afin de sonder ses regrets, ses accomplissements, et de se créer enfin une existence qui ne soit pas celle que la société attend d'elle.

Je craignais un peu de me retrouver dans un récit ennuyeux sur la vieillesse, mais il ne se dégage de ce livre que fraîcheur, tranquillité, poésie et même exotisme. Evoquer la place d'une femme dans la société anglaise est certes un sujet qui peut sembler banal, mais Vita Sackville-West relève ce défi haut la main, et rend son récit bien plus complexe.
Il a suffit de quelques instants pour que la jeune Deborah Lee abandonne ses ambitions et, par son silence, autorise tous les membres de sa famille à décider comment elle doit mener sa vie. Ironie du sort, alors même qu'elle devient plus dépendante que jamais vis-à-vis des siens, une barrière insurmontable se dresse entre elle et eux. " Voilà l'instant où je suis descendue, balançant mon chapeau par son ruban, voilà celui où il m'a invitée à le suivre au jardin, s'est assis à mes côtés sur un banc près du lac, m'assurant qu'il n'était pas vrai qu'un cygne puisse briser la jambe d'un homme d'un seul coup d'aile [...] Brusquement, il cessa de parler du cygne, comme s'il l'avait seulement évoqué pour masquer sa gêne, et elle réalisa soudain que son ton était devenu différent, presque grave. Il se penchait vers elle, effleurant même un pli de sa robe, comme s'il était anxieux - tout en étant inconscient de son anxiété - d'avoir à établir un contact avec elle. Mais pour elle, ce lien avait été rompu à l'instant même où il avait commencé à parler si gravement, faisant du même coup s'envoler son désir d'avancer une main vers lui pour toucher les favoris bouclés de ses joues. "
Même ses enfants ne s'occupent que de lui dicter sa vie. Elle n'a plus d'époux pour le faire, ils croient pouvoir s'en charger. Les enfants Holland (qui ont tout de même la soixantaine bien avancée) sont dépeints comme de vrais vautours plein de mesquinerie, inconscients de leur ridicule, ce qui est pour le moins réjouissant. Deux d'entre eux seulement sont désintéressés, mais ils n'en sont pas moins surpris de voir leur mère penser par elle-même. Lady Slane sait s'amuser des tours qu'elle leur joue. Elle a beau s'être dévouée à ses enfants comme toute mère le doit, son affection pour eux semble, comme tout le reste, faire partie du rôle qui a été écrit pour elle.
Car au fond d'elle même, elle a toujours dissimulé une jeune personne qui rêvait de se travestir en homme pour fuir à l'étranger, explorer le monde sans avoir à porter les allures d'une vice-reine, et s'épanouir dans la peinture. Une jeune femme, qui a un jour dit à un jeune homme qu'il était romantique sur le ton de la moquerie, alors même qu'il lui offrait l'un des rares moments de vérité de sa vie. A quatre-vingt huit ans, Lady Slane peut enfin être elle même, et rejoindre ceux qui ont accepté de passer pour des excentriques. Ce livre adresse en effet une critique à la société dans son ensemble, à ces individus qui croient connaître les autres quand ils ne connaissent personne, et surtout pas eux-mêmes, et qui ont perdu leur détermination. Mais si le constat est sévère, il n'est pas ici question d'amertume, au contraire. Lady Slane refuse les médisances, elle préfère les laisser s'épanouir hors de chez elle. Elle n'a pas été malheureuse auprès de son époux, elle l'a aimé de toutes ses forces. Il lui manque simplement une occasion de croire qu'elle a pris une autre voie, pour imaginer à quoi sa vie aurait ressemblé.

Les avis du Bibliomane et de Lune de Pluie.

2 février 2009

Route des Indes ; Edward Morgan Forster

resize_1_10/18 ; 406 pages.
Traduction de Charles Mauron.
V.O. : A Passage to India. 1924.

Lettre F du Challenge ABC :

J'ai découvert Forster totalement par hasard. J'étais en vacances, je devais partir à la mer, et je voulais profiter de l'été pour effectuer les lectures auxquelles je n'avais pas droit durant l'année. Je suis allée à la Fnac juste avant la fermeture, et j'ai commencé à regarder les livres proposés pour l'été. J'ai attrapé L'objet de mon affection (une amie avait adoré le film), et j'ai repensé à un livre dont le résumé avait attiré mon attention sur une librairie en ligne : Avec vue sur l'Arno. Un vendeur que j'aimerais toujours me l'a tendu, et je suis rentrée chez moi avec ce qui est devenu l'un des livres les plus importants de ma vie. Quand j'ouvre un roman de Forster, je me sens chez moi, et j'ai l'impression de retourner quelques années en arrière, et d'être encore la jeune fille qui n'avait pas tout compris au livre qu'elle lisait, mais qui savait qu'elle avait fait une des plus belles rencontres de sa vie.

Mrs Moore et Miss Adela Quested, deux Anglaises, arrivent à Chandrapore, afin d’y rejoindre Ronny Heaslop, le fils qu’a eu Mrs Moore d’un premier mariage. L’Inde est alors colonisée par les Anglais, qui s’y comportent comme des empereurs. Elle est aussi divisée par l’animosité qui règne entre musulmans et hindouistes. La fantasque Mrs Moore, qui s’est échappée durant une représentation théâtrale, fait la connaissance du Docteur Aziz, un Hindou musulman. Elle est une femme sans préjugés, il est un homme sincère. Leur amitié est dès lors scellée. Ils se revoient finalement chez Mr Fielding, qui semble être le seul Anglais vivant en Inde qui ne méprise pas les Hindous. Car, comme le constate Adela, qui était venue pour épouser Ronny, ce dernier a bien changé :

« L’Inde avait développé dans le caractère du jeune homme des côtés qu’elle n’avait jamais admirés. »

Aziz se retrouve malgré lui entraîné dans un projet de visite des grottes de Marabar, situées un peu à l’écart de Chandrapore. Là-bas, Miss Quested est victime d’une agression, et accuse le docteur d’en être l’auteur. Les Anglais font tous bloc derrière Adela, convaincus qu’ils ont toujours su ce qui allait ce produire. Seul Fielding prend ouvertement parti contre les siens. Quant à Mrs Moore, elle se rembarque pour l’Europe, après avoir signifié clairement à Adela qu’elle ne la croyait pas.

Route des Indes, qui est le dernier roman à avoir été écrit par E.M. Forster, me semble être un pur produit de l’auteur. On y retrouve son écriture très imagée, qui fait comprendre pourquoi ses romans ont tous été adaptés au cinéma (à l’exception de The longest journey). J’avais eu le bonheur de découvrir l’Italie en lisant et relisant A room with a view et Monteriano, cette fois-ci il est impossible de ne pas sentir l’Inde :

« - Oui, Ronny est toujours surchargé de travail, dit-elle en contemplant les collines. Comme elles étaient devenues belles brusquement ! Devant elle tomba comme une jalousie une vision de leur vie commune. Elle viendrait au club avec Ronny chaque soir, une voiture les ramènerait chez eux au moment de s'habiller ; ils verraient les Lesley, les Callendar et les Turton et les Burton qu'ils inviteraient et par qui ils seraient invités, cependant qu'à côté d'eux l'Inde vraie glisserait, inaperçue. La couleur resterait : le déploiement des oiseaux à l'aube, les corps bruns, les blancs turbans, les idoles à chair écarlate ou bleue ; et le mouvement resterait, aussi longtemps qu'il y aurait une foule aux bazars et des baigneurs aux citernes. Perchée sur le siège élevé d'un dog-cart, elle regarderait. Mais la force qui anime couleur et mouvement lui échapperait et même plus sûrement qu'aujourd'hui. Elle verrait l'Inde comme une frise, elle n'en connaîtrait jamais l'âme et c'était l'âme que Mrs Moore avait, pensait-elle, entrevue. »

Cette magnifique citation me semble également être un bon aperçu de la personnalité d’Adela. Elle semble être la jumelle de Lucy Honeychurch, rencontrée dans A room with a view. Tout comme cette dernière, Miss Quested est une jeune fille un peu emprisonnée entre son sens du devoir et sa volonté de découvrir le fond des choses. Leur parcours, quand j’y pense, est sensiblement identique. Seulement, les errements de Miss Quested ont des conséquences bien plus tragiques, pour tout le monde. Elle symbolise le pourquoi de l’impossibilité selon Forster d’une compréhension entre Anglais et Hindous. Car tout ce livre a pour but que de critiquer, avec beaucoup d’humour mêlé au tragique, la politique coloniale anglaise. E.M. Forster avait effectué un voyage en Inde avant d’écrire ce roman, et je trouve qu’il a capté la complexité de la situation de façon admirable. Je suis très portée sur les fins des romans que je lis en ce moment, elles ont tendance à être toutes excellentes. Je ne vous la reproduirais pas cette fois, elle en révèlerait trop, mais en lisant ce dialogue entre le docteur Aziz et Fielding, on comprend qu’à eux deux, ils ont tout saisi.

Route des Indes est aussi un roman sur l’amitié. La plus belle est sans doute celle qui lie Mrs Moore à l’Inde. Le « culte » d’Esmiss Esmoor est plein d’espoir. De même, Fielding est sans doute l’un des meilleurs amis du monde, pour Aziz comme pour Adela. Il faut absolument que vous lisiez ce livre, ne serait-ce que pour en lire les dernières lignes ! Face à eux, les amitiés entre Anglais, ou entre colons et colonisés, semblent bien hypocrites, et surtout très fragiles. 

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce magnifique roman. Mais il m’a déjà fallu des heures pour parvenir à ce piètre résultat. J’ai conscience de manquer d’impartialité face à Forster, mais je suis quand même convaincue qu’il s’agit d’un très très grand auteur.

Si vous ne me croyez pas, allez voir chez Canthilde.

 

7 octobre 2008

La Traversée des Apparences ; Virginia Woolf

233473vb_1_Le Livre de Poche ; 576 pages.
Traduction de Ludmila Savizky. 1915.
Titre original : The Voyage Out.

La lecture de Mrs Dalloway m'a donné envie de me replonger dans le premier roman que j'ai lu de Virginia Woolf, et qui est aussi le premier livre écrit par l'auteur. J'avais éprouvé un véritable coup de coeur la première fois, et ça s'est confirmé tout au long de cette deuxième lecture. En plus, ça me permet de refaire mon billet, même s'il m'est toujours aussi difficile de parler de ce roman.

Ce roman raconte la traversée de l'Atlantique depuis Londres, ville embrumée, jusqu'à l'Amérique du Sud, continent ensoleillé, par la jeune et naïve Rachel Vinrace, accompagnée de son père, les Ambrose (sa tante et son oncle), et de trois autres passagers. Au contact de ces nouvelles connaissances, Rachel va débuter sa transformation, et commencer sa quête de la vérité. Ce processus continue à son arrivée en Amérique du Sud, lorsqu'elle rencontre notamment deux jeunes gens, Hewet et Hirst, qui partagent ses interrogations.

Ce résumé est très pauvre et peu engageant, j'en ai bien conscience. Pourtant, La traversée des apparences est un roman beaucoup plus abordable et beaucoup plus vivant que Mrs Dalloway. Il s'agit en fait d'une confrontation entre plusieurs conceptions des choses, qui dévoilent la modernité du discours de Virginia Woolf. Ainsi, très tôt, les personnages débattent sur le droit de vote des femmes, certaines conversations sont très libérées, avant d'être à nouveau bridées par l'apparition d'une figure plus conventionnelle. La religion aussi en prend pour son grade, entre Hirst qui lit Sappho à la messe et Mrs Ambrose qui s'arrange pour que ses enfants imaginent Dieu "comme une espèce de morse".
Cette confrontation entre diverses conceptions du monde est symbolisée par le personnage de Rachel. Au début du roman, elle désespère sa tante tant elle lui semble mal dégrossie :

"Sa mentalité en était au même stade que celle d'un homme intelligent sous le règne d'Elizabeth : elle croyait pratiquement tout ce qu'on lui racontait, elle inventait des raisons à tout ce qu'elle disait elle-même." (p 66)

En plus, elle ose avouer à une Clarissa Dalloway outrée qu'elle n'aime pas Jane Austen (oui, oui, j'avais complètement oublié que les Dalloway étaient dans ce livre) ! Mais Rachel est une jeune femme remplie de curiosité, et suite à un baiser volé, elle devient prête à tout pour découvrir la réalité du monde.
Ce roman n'est cependant pas un conte de fées, car Virginia Woolf n'est pas un auteur qui oublie d'évoquer la dualité des choses. Rachel et Hewet tombent amoureux, mais leur recherche du bonheur est trop grande, et devient vite insupportable :

"Comme lui-même avait-il osé vivre avec tant de hâte et d'insouciance, courir d'un objet à l'autre, aimer Rachel à ce point ? Jamais plus il n'éprouverait un sentiment de sécurité, une impression de stabilité dans la vie. Jamais il n'oublierait les abîmes de souffrance à peine recouverts par les maigres bonheurs, les satisfactions, la tranquillité apparente. Jetant un regard en arrière, il se dit qu'à aucun moment leur bonheur n'avait égalé sa souffrance présente. Il avait toujours manqué quelque chose à ce bonheur, quelque chose qu'ils souhaitaient mais qu'ils n'arrivaient pas à atteindre. Cela restait fragmentaire, incomplet, parce qu'ils étaient trop jeune et ne savaient ce qu'ils faisaient." (pp 534-535)

En fait, en contemplant les différents personnages de ce livre, on en vient à se dire que finalement, on a le choix entre être quelqu'un qui reste à la surface des choses, et qui ne souffre pas parce qu'il ne prend pas de gros risques, ou partir comme Rachel à la recherche du pourquoi des choses, au risque de le payer très cher.
Je vous parlerais bien du style de Virginia Woolf, mais à part vous dire qu'elle écrit extraordinairement bien, ce qui est d'une banalité sans nom, et qu'elle mène son roman d'une main de maître, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais vous dire.

Les romans qui comptent le plus pour moi sont ceux que je referme en me disant que décidément, l'auteur avait tout compris. La traversée des apparences en fait définitivement partie.

5 octobre 2008

Mrs Dalloway ; Virginia Woolf

9782253030584_G_1_Le Livre de Poche ; 218 pages.
Traduction de Pascale Michon. 1925

Virginia Woolf a été l'un de mes premiers grands coups de coeur littéraires. Pourtant, mes deux dernières rencontres avec elle n'avaient pas été très concluantes. J'ai abandonné Mrs Dalloway plusieurs fois, et je n'ai rien compris à Orlando. En fait, c'est Karine qui m'a redonné l'envie d'ouvrir ce roman, sans doute le plus célèbre de Virginia Woolf, en l'évoquant à travers le roman de Michael Cunningham, Les Heures.

Le livre se déroule entièrement à Londres, sur une journée de 1923, rythmée par Big Ben. Clarissa Dalloway, épouse d'un membre du Parlement, organise une réception, et passe la journée à la préparer, tout en s'adonnant à des questions existentielles. Contrairement à ce que le titre laisse entendre, Mrs Dalloway n'est pas seule. D'ailleurs, elle n'est même pas présente à chaque instant, bien que toute l'histoire soit liée à elle, puisque Peter et Sally rappelent sa jeunesse et ses amours impossibles, et Septimus sa mélancolie, même si ces deux-là ne se rencontrent qu'à l'occasion d'une conversation à propos du poète perçue par Clarissa.

Maintenant que j'ai achevé ma lecture, je suis complètement sous le charme. Mais il n'empêche que j'ai peiné à lire le début de ce livre. Je persiste à penser que les cinquante premières pages sont assommantes. Désolée pour les fans, mais à l'exception de certains passages captivants, je ne suis pas parvenue à chercher à comprendre le sens de chaque phrase. Certes, Virginia Woolf écrit merveilleusement bien, ne comptez pas sur moi pour dire le contraire. Il n'empêche que je n'ai pas été sensible à tout ce qu'elle écrit durant la visite de Mrs Dalloway chez le fleuriste.
Dans cette première partie, les seuls moments qui trouvent grâce à mes yeux sont ceux où les personnages se livrent, ceux où le rythme s'accélère un peu. Tous les personnages qui sont liés à Clarissa Dalloway d'une manière sincère, même s'ils ne l'ont jamais rencontrée, sont à fleur de peau et incroyablement attachants. Richard Dalloway, Sally, et Rezia Warren Smith, bien que secondaires, sont ceux qui m'ont le plus émue. J'ai adoré le dernier moment de complicité entre Septimus et son épouse, l'un des rares passages ensoleillés du livre :

"Oui, elle serait toujours heureuse en voyant ce chapeau. Il était redevenu lui même à ce moment-là, il avait ri. Ils avaient été seuls ensemble. Elle aimerait toujours ce chapeau." (p 165)
 
Quant à Richard, il est vraiment trop craquant lorsqu'il rentre chez lui les bras remplis de fleurs, parce qu'il est trop timide pour dire à son épouse à quel point il tient à elle.
Car une fois le début du livre passé, ce n'est que du bonheur ou presque, et j'ai alors définitivement cessé de rechercher des liens entre Les heures et Mrs Dalloway. Virginia Woolf dresse un portrait très fin de la société londonienne, usant souvent un ton dramatique, et parfois de l'ironie. Si Clarissa tient une réception, c'est aussi parce que l'auteur veut montrer l'importance du paraître dans la haute société londonienne. Le comportement de Mrs Dalloway lors de la soirée est à cet égard très éloquent. Elle passe d'une vague connaissance à l'autre, avec un sourire collé sur son visage, quand ses vrais amis sont présents un peu plus loin, et contemplent la scène d'un oeil un peu triste. Ils sont ce qu'elle a refusé d'être, des individus qui ne sont pas parvenus à rentrer dans les cases qui leur étaient destinées. Même elle a conscience d'agir parfois de façon trop conventionnelle :

"Elle aurait de beaucoup préféré être de ces gens comme Richard qui faisaient les choses pour ce qu'elles étaient, alors que la plupart du temps, se disait-elle en attendant de traverser, elle ne faisait pas les choses simplement, pour elles-mêmes ; mais pour que les gens pensent ceci ou cela." (p 25)

Elle reste un peu un mystère cette Mrs Dalloway, tout comme Septimus Warren Smith. Mais il n'empêche que ce roman est extrêmement émouvant et envoûtant, même si je n'en a pas aimé la totalité. Je n'ai pas l'impression de voir la vie autrement suite à cette lecture, mais je me suis réconciliée avec Virginia Woolf d'une belle façon, et c'est déjà beaucoup.

Erzébeth et Céline en parlent beaucoup mieux que moi.
 

12 avril 2007

De la maladie ; Virginia Woolf

2743616377Édition Rivages ; 59 pages.
5 euros.

"Lorsque nous y réfléchissons, comme les circonstances nous y forcent bien souvent, il nous semble soudain pour le moins étonnant que la maladie ne figure pas à côté de l'amour, de la latte et de la jalousie, parmi les thèmes majeurs de la littérature. Virginia Woolf.

Dans ce court texte écrit en 1926 pour la revue de T. S. Eliot, Virginia Woolf s'interroge sur cette expérience particulière dont personne ne parle, dont le langage peine à rendre compte mais que tout le monde connaît : la maladie. Lorsqu'on tombe malade, constate-t-elle, la vie normale interrompt son cours réglé pour laisser place à un état de contemplation où le corps reprend ses droits et où l'univers apparaît soudain dans son indifférence totale à la vie humaine. "

Pour donner envie aux gens d'être malades, il faut vraiment avoir du talent. Bon, je ne ressors pas de cette lecture en me disant qu'il faut que je dorme dans mon jardin la nuit prochaine, mais c'est avec énormément de plaisir que j'ai lu les mots de Virginia Woolf sur la maladie.
C'est une très bonne surprise, parce que le titre promettait quand même quelque chose d'assez barbant. Quand j'ai commencé à lire la préface, mes craintes ne se sont pas du tout calmées, j'ai même reposé le livre. C'est Cathulu qui m'a donné envie de m'y remettre, et j'ai eu raison de le faire.

C'est très drôle. Certes, le sujet est sérieux, mais Virginia Woolf le croque tellement bien qu'on ne peut que s'amuser à la lecture de cet article. A travers lui et très habilement, Virginia Woolf critique la société, toujours pressée, qui n'a jamais le temps de s'arrêter pour vivre l'instant présent, pour contempler et connaître le monde qui l'entoure. Car "nous sommes condamnés à nous tortiller tout le temps que nous restons accrochés au bout de l'hameçon de la vie" .
Mais quand on tombe malade, on est obliger de s'immobiliser. Alors, on peut remarquer des choses banales, comme le ciel, mais que l'on ne prend jamais le temps de voir.
Et puis, quand on est malade, pour Virginia Woolf, on saisit mieux le sens profond des choses. Les vers des poètes ne sont jamais aussi clairs que lorsqu'on les lit à la lumière d'une bonne grippe...

Vraiment un très bon petit moment à passer avec ce petit livre ! Je vous laisse, je retourne à une lecture d'un tout autre genre.

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