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lilly et ses livres
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10 janvier 2009

Le portrait de Dorian Gray ; Oscar Wilde

98375630_L_1_Presses Pocket ; 283 pages.
Traduction de Michel Etienne.
V.O. : The Picture of Dorian Gray. 1891.

Oscar Wilde est un auteur dont j'aime tout, et dont la vie me fascine. Pourtant, je n'avais jamais lu son unique roman, dont tout le monde connaît la trame sans même l'avoir lu tellement il a marqué les esprits. En voyant la couverture, j'ai du mal à croire que c'est moi qui ai acheté ce livre. Je suis plus exigeante d'ordinaire, j'essaie quand même d'acquérir des livres dont l'aspect fait envie.

Basil Hallward est peintre à Londres, à la fin du XIXe siècle. Sa vie bascule lorsqu'il rencontre le jeune Dorian Gray, au visage d'ange et à l'âme encore pure. Son portrait est un chef d'oeuvre complet, mais il sera aussi le début de la fin pour nombre de protagonistes de l'histoire. Car le tableau est magique, il vieillit et encaisse les erreurs de l'homme qu'il représente à la place de ce dernier. Dorian est en effet un esprit naïf, ce qui est très dangereux lorsque l'on possède la jeunesse éternelle et que rien ne semble pouvoir nous détruire.

A l'exception de quelques passages que j'ai trouvés un peu laborieux (quelques descriptions sont franchement longues et ennuyeuses), cette lecture a dépassé mes espérances (pourtant élevées). Le portrait de Dorian Gray est un roman incroyablement fort, dont on ne ressort pas indemne. Je crois que j'avais rarement utilisé autant de post-it pour noter les passages marquants d'un roman.
Celui-ci est composé de plusieurs couches. La première donne une apparence de légèreté à l'histoire. Dorian et Lord Henry sont de véritables dandys qui ne se préoccupent que de clubs, opéras, apparences, femmes, et autres plaisirs en tous genres. Ce sont des hommes très jeunes, qui semblent très éloignés des ennuis en général, et qui ne veulent que jouir de la jeunesse.
La deuxième couche est beaucoup plus sombre, et l'on réalise vite que la légèreté apparente de ce roman n'a pour but que de faire mieux ressortir le drame qui se noue. Mon personnage préféré est sans aucun doute Lord Henry Wotton. Il est délicieusement ironique et détaché, ses conversations sont toujours extrêmement drôles, mais c'est bien lui qui, par son insouciance, fait basculer Dorian. Basil avait prévenu :

" He has a very bad influence over all his friends, with the single exception of myself. "

Du début à la fin, Henry demeure le même, et malgré sa vivacité d'espritoscar_wilde, on réalise qu'il n'est pas plus clairvoyant qu'un autre. Ses propos sur la fin de son mariage m'ont beaucoup émue, et montrent à mon avis bien davantage le personnage et ses blessures dans ces quelques phrases échappées avec un ton ironique, que le reste du livre. Ce personnage m'a vraiment intéressée, pour moi il contient à lui seul tout le livre.
Plus discret, parce que plus timide, mais tout aussi émouvant, Basil Hallward est également un personnage indispensable au livre. Il est l'auteur du fameux portrait, et son amitié pour Dorian Gray est touchante, mais comme beaucoup de passionnés, il entraîne sa propre destruction.
Quant à Dorian, son insouciance est aussi grande que celle de ses amis. D'un caractère naïf et innocent, il se transforme peu à peu en individu instable. Il est impossible de le détester tout à fait, car il est une victime lui aussi, d'une certaine manière. J'ignorais la fin exacte du roman, aussi ai-je été surprise. Je pense qu'il peut y avoir une double interprétation de ce que Dorian désirait faire. Je préfère pour ma part penser qu'une part de lui même savait ce qu'il allait provoquer.

Oscar et moi sommes donc plus copains que jamais ! J'espère que vous ne tarderez pas à vous plonger dans cette merveille (pour ceux qui ne l'ont pas déjà fait).

Les avis de Livrovore, Papillon, et de Nanne.

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23 janvier 2010

Les Vagues ; Virginia Woolf

9782253030577Le Livre de Poche ; 286 pages.
Traduit par Marguerite Yourcenar. 1931
.

"Tout au début, il y avait une chambre d'enfants, avec ses fenêtres donnant sur un jardin, et par-delà le jardin, la mer."

Après La Chambre de Jacob et Vers le Phare, Virginia Woolf entreprend l'écriture d'un autre texte qui évoque ses étés à Saint Ives, la maison de vacances de ses jeunes années, alors que sa mère était encore en vie.

Bernard, Louis, Neville, Rhoda, Jinny et Suzanne nous font suivre le fil de leur vie , depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, par le biais de monologues intérieurs. Chacun se retire après avoir parlé, comme le mouvement des vagues, infini, répétitif. Une septième silhouette, inextricablement liée aux autres se dessine, celle de Perceval, ce dieu vivant, ce Thoby Stephen sans doute*, qui hante ses amis aussi bien dans la vie que dans la mort. 
Tous ces personnages sont unis par le Temps, personnage qui sert d'Être suprême, dans un livre ou la religion est rejetée avec beaucoup de fermeté, et qui poursuit sa course, indifférent aux mouvements des humains, lentement, quand eux vieillissent si vite.

Les Vagues est un texte sur le renoncement à l'enfance, sur l'arrivée dans un âge fait de choix et donc d'abandons, de séparations, de solitudes et de désillusions.

"Bernard est fiancé. Quelque chose d'irrévocable vient d'avoir lieu. Un cercle s'est dessiné sur les eaux ; une chaîne nous est imposée. Nous ne serons jamais plus libres de nous écouler à notre guise."

Une fois adultes, ils se reverront, sporadiquement, tout en restant les membres d'un tout indissoluble. Ils pourraient être les multiples visages d'un même corps, et ils en ont conscience. Comme Bernard, qui répète inlassablement "je suis Bernard", parce qu'il sait qu'il pourrait tout aussi bien prononcer l'un des cinq autres prénoms qui font partie de lui. Les autres nous rendent multiples, parce qu'ils sont une part de nous, mais aussi parce qu'ils font ressortir des parts diverses de notre personnalité. Ils nous étouffent aussi.

"Pour être Moi (je l'ai remarqué), j'ai besoin de l'éclairage que dispensent les yeux d'autrui, et c'est99419_050_D1FAF223 pourquoi je ne serai jamais complètement sûr de moi-même. Les êtres authentiques, comme Louis, comme Rhoda, n'existent parfaitement que dans la solitude. Ils supportent mal l'éclairage venu du dehors, le dédoublement dans les miroirs. Ils tournent leurs toiles contre le mur sitôt qu'ils ont fini de peindre. Une épaisse couche de glace pilée couvre les paroles de Louis. Ses paroles sortent de là condensées, concentrées, durables.
De nouveau, après ce moment de somnolence, je souhaite faire briller mes mille facettes sous la lumière de figures amicales. Je viens de traverser les régions sans soleil de la non-identité. Pays étrange... Dans ce moment d'apaisement, dans ce moment de satisfaction oublieuse, j'ai entendu le soupir des vagues qui déferlent par-delà ce cercle de vive lumière, par-delà cette pulsation de vie, furieuse, insensée. J'ai eu mon moment d'énorme paix. C'est peut-être le bonheur, ça... Maintenant, je suis rappelé en arrière par le chatouillement des sensations, par la curiosité, par la gourmandise (j'ai faim) et par le désir irrésistible d'être Moi. Je pense aux gens à qui je pourrais expliquer certaines choses, à Louis, à Neville, à Suzanne, à Jinny, et à Rhoda. En leur présence, j'ai mille facettes. Ils m'arrachent aux ténèbres."

On pense aux célèbres lignes de John Donne, qui mettent en garde : "N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi", mais aussi aux propres interrogations de Virginia Woolf quant au genre biographique.**

"J'ai inventé des milliers d'histoires ; j'ai rempli d'innombrables carnets de phrases dont je me servirai lorsque j'aurai lorsque j'aurai rencontré l'histoire qu'il faudrait écrire, celle où s'insèreraient toutes les phrases. Mais je n'ai pas encore trouvé cette histoire. Et je commence à me demander si ça existe, l'histoire de quelqu'un."

Le glas sonne d'ailleurs, et les descriptions du deuil sont poignantes. Les Vagues laisse une place au rire, celui de l'enfance surtout (et peut-être le plus précieux), et il s'achève sur une note déterminée. Le style est lumineux (la traduction de Marguerite Yourcenar a cependant fait couler beaucoup d'encre). Mais le drame qui touche les personnages au milieu du livre déstabilise profondément.

"Des femmes passent sous mes fenêtres, comme si un gouffre ne s'était creusé dans la rue : l'arbre aux durs feuillages ne leur barre pas la route. Nous méritons d'êtres écrasés comme une taupinière. Nous sommes ignobles, nous qui passons les yeux fermés."

"L'ombre grandit, et lentement la lumière violette décline. Le dieu qui m'apparaissait tout entouré de beauté est maintenant enveloppé de ruines. Le personnage divin au bout de la vallée au milieu du cercle clos des collines s'écroule et tombe comme je leur prédisais durant cette soirée où ils parlaient avec amour de sa voix dans la cage de l'escalier, de ses pantoufles, et des moments passés ensemble."

On est entre ombre et lumière, entre Rhoda qui prie pour que la nuit tombe, et Jinny pour que le jour paraisse. 

Les Vagues est un roman-poème qui montre une Virginia Woolf au sommet de son art. Vers le Phare reste mon favori, mais je ne suis pas loin de penser qu'il ne s'en faudrait que d'une relecture...

L'avis de Mea, qui a su mettre des mots là où je n'ai pu que m'incliner devant les citations. Tif et Sylvie aussi ont été conquises.

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*Le frère bien-aimé de Virginia Woolf, mort du thyphus en 1906, quand les siens croyaient en un avenir très prometteur pour lui.
** Voir la biographie d'Hermione Lee, Virginia Woolf ou l'aventure intérieure ; Paris ; Autrement ; 2000.

5 juillet 2009

L'Art du roman ; Virginia Woolf

woolfPoints ; 231 pages.
Traduit par Rose Celli. Préface de Agnès Desarthe.

« Poète dans ses romans », Virginia Woolf « est rarement aussi romancière que dans ses essais ». Pour cette raison, et aussi parce que Virginia Woolf est chère à mon cœur, et a donc droit à un traitement particulier, je vais évoquer une collection d’articles relatifs à la littérature sur mon blog.

En effet, L’art du roman n’est pas un véritable essai. Les textes qu’il rassemble ont été assemblés en 1961, soit vingt ans après la mort de l’auteur. L’ordre est d’ailleurs essentiellement chronologique, et les thèmes abordés, comme le note Agnès Desarthe dans sa préface, ne sont pas forcément toujours très proches les uns des autres.

En ce qui me concerne, ma lecture n’a pas du tout été gênée par ces choix qui auraient pu se révéler un peu instables. Au contraire, cela permet d'offrir un livre décomplexé de tout ton un peu pédant, et de laisser l’esprit du lecteur suivre celui de Virginia Woolf, qui elle-même, tout en gardant une réflexion très pertinente, ne prend personne de haut et ne vise qu’un seul objectif, servir la littérature.

 

Virginia Woolf adopte donc plusieurs casquettes dans cet opus. Elle est romancière bien sûr (autant dans sa façon d'écrire que dans ses préoccupations), mais aussi critique, éditrice, et surtout lectrice et femme. Elle évoque ses vues sur le roman moderne (enfin, celui de son époque), mais aussi sur la façon dont il doit évoluer. Elle témoigne ainsi des questionnements auxquels le monde littéraire est en proie au début du 20e siècle. L’influence de la psychanalyse, de la découverte de soi, que l’on note également en France à la même époque, transparaît. Elle ne rejette pas les auteurs du passé, et en admire même beaucoup, mais elle œuvre, pour que la Littérature prenne de nouveaux chemins. La personnalité de Virginia Woolf imprègne d’ailleurs le papier dans ce discours, ce qui m’a beaucoup intéressée, et parfois fait sourire. Elle est extrêmement exigeante en ce qui concerne la façon dont elle juge les écrivains de son époque, et ne se met surtout pas en avant. On la sent même très modeste, et très peu sûre d’elle. Quand on sait qu’elle était juste l’un des plus grands auteurs de son époque, c’est assez amusant.

Même si je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’elle dit, son amour de la littérature est tellement grand qu’on ne peut que le respecter. Elle fait moult références à la littérature que j’aime. Jane Austen, Laurence Sterne, Walter Scott, Thackeray, Stevenson, E.M. Forster, Emily Brontë, les auteurs russes, et d’autres interviennent pour illustrer ses propos. Elle est sincère, j’aime particulièrement quand elle dit de certains auteurs qu’ils savent très bien l’ennuyer, mais qu’ils sont admirables quand même. Au besoin, elle crée même de nouveaux personnages pour illustrer son propos, comme Mr Bennett et Mrs Brown, que je n’oublierai pas de sitôt. Je ne suis pas complètement d'accord à propos de son avis sur Dickens (qu'elle apprécie beaucoup, pas de panique), mais je trouve ces quelques mots très justes :

 

" [...] une grande partie de notre plaisir en lisant Dickens réside dans cette impression que nous avons de jouer avec des êtres deux fois ou dix fois plus grands que nature, qui gardent juste assez de ressemblance humaine pour que nous puissions rapporter leurs sentiments, non à nous-mêmes mais à ces figures étranges aperçues par hasard à travers la porte entrouverte d'un bar, ou flânant sur les quais, ou se glissant mystérieusement le long des petites allées entre Holborn et les Law Courts. Nous pénétrons d'emblée dans le climat de l'exagération."

 

Les questions qu'elle soulève sont très intéressantes, comme celle de la traduction, du réalisme, du style, de la place du roman, de la poésie, des femmes, et sont pour la plupart toujours plus ou moins d'actualité aujourd'hui. Par exemple, avec son mari, ils ont traduit beaucoup d’auteurs russes, et Woolf les appréciait particulièrement. Elle note que les spécialistes ne parlent souvent pas un mot de cette langue, et s’interroge sur leur crédibilité (certes, j'ose croire qu'aujourd'hui les spécialistes lisent leurs auteurs de prédilection en version originale, mais les débats sur les traductions sont loin d'être clos).
Car à travers ces remarques sur la Littérature, on sent une femme parfaitement consciente des changements, des enjeux du monde d’après 1914, qui a été complètement ébranlé dans ses certitudes. Elle prend cependant la modernité avec beaucoup d’humour, sans défaitisme, et semble même pleine d’espoir dans le dernier texte, écrit seulement un an avant qu’elle ne se donne la mort. Elle appelle tous les lecteurs du monde à contribuer à faire vivre la Littérature, considère la lecture comme une pratique sans règles, à part celle justement de ne pas tenir compte de règles, et voit en son art un élément transcendant, quelque chose qui vaut vraiment qu'on lui consacre sa peine, qui a besoin de nous :

 

« Chacun de nous a un appétit qui doit trouver tout seul l’aliment qui lui convient. Et ne restons pas, par timidité, à l’écart des rois parce que nous sommes des roturiers. Ce serait un crime aux yeux d’Eschyle, de Shakespeare, de Virgile, de Dante, qui s’ils pouvaient parler (et ils le peuvent) diraient : « Ne me laisse pas aux gens en robe et en toque. Lis-moi, lis-moi toi-même ! » Peu leur importe que nous placions mal l’accent ou que nous lisions avec une traduction à côté de nous. Bien sûr, ne sommes-nous pas des roturiers, des amateurs ? nous allons piétiner beaucoup de fleurs, abîmer beaucoup d’antique gazon. Mais rappelons-nous un conseil qu’un éminent Victorien, qui était aussi amateur de marche à pied, donnait aux promeneurs : « Chaque fois que vous voyez un écriteau avec ‘Défense de passer’, passez tout de suite. »

Passons tout de suite. La littérature n’est pas propriété privée ; la littérature est domaine public. Elle n’est pas partagée entre nations ; là il n’y a pas de guerre. Passons sans crainte et trouvons notre chemin tout seuls. C’est ainsi que la littérature anglaise survivra à cette guerre et franchira l’abîme : si les roturiers et les amateurs comme nous font de ce pays notre propre pays, si nous nous apprenons à nous-mêmes à lire et à écrire, à conserver et à créer. »

Il y aurait bien plus à dire et à développer sur ce livre, et je vais moi-même élaborer des fiches plus détaillées très vite. J'espère ne pas avoir fait de raccourcis fâcheux. Comme je sais que plusieurs projettent de lire cet ouvrage, ou sont en train de le faire, j'espère qu'elles me corrigerons au besoin.
Quant à moi, je vous parle très bientôt d'un roman de Virginia Woolf qui fait mon bonheur depuis hier, Les Années.

George Sand et moi évoque elle aussi L'art du roman.

26 mai 2009

L'Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde ; Robert L. Stevenson

resize_5_Le Livre de Poche ; 93 pages.
Traduit par Jean-Pierre Naugrette.
VO : The Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde. 1886.

Après ma lecture de Jean-Pierre Ohl, j'ai naturellement plongé dans ma PAL à la recherche de livres de Stevenson. Je n'ai pas trouvé Le maître de Ballantrae (erreur que j'ai réparée depuis), mais un livre beaucoup plus connu, acheté il y a dix jours parce que je ne trouvais plus l'exemplaire de ma soeur, L'Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Que j'avais déjà lu. Je ne m'en souvenais pas, mais certains détails m'ont vite interpellée. En plus de cela, j'ai vu une des adaptations du livre quand j'étais au collège, mais je ne suis pas capable de me rappeler laquelle.

L'histoire est narrée par un notaire, Mr Utterson, qui apprend une étrange histoire de la bouche de son cousin, Mr Enfield. Une nuit, ce dernier est témoin d'un choc frontal entre une petite fille qui courait et un homme qui marchait d'un pas vif. Au lieu de s'arrêter, l'homme piétine la fillette, et tente de continuer sa route avant d'être arrêté par les passants. Il doit alors dédommager les parents de l'enfant, et pour cela il pénètre dans la maison du Dr Jekyll, un vieil homme tout à fait respectable. Mr Utterson se trouve être le notaire et l'ami du docteur, et lorsqu'il entend le nom de l'agresseur, Mr Hyde, il se souvient qu'il s'agit de l'homme auquel Jekyll offre la totalité de ses biens dans son testament. Il s'inquiète dès lors beaucoup sur les liens qui unissent ce respectable docteur et ce jeune homme brutal.    

J'ai apprécié ma lecture de cette nouvelle, mais ce n'est pas du tout pour les raisons que j'imaginais. Parcestevenson que je suis une lectrice du XXIe siècle, et que toute cette histoire est entrée dans les moeurs, les révélations qu'elle contient n'en sont plus. Le texte est très court, et laisse donc peu de place pour faire gonfler l'intrigue, ou pour développer d'autres aspects plus sociaux. Mais avec énormément de subtilité, Stevenson y parvient. Durant la majeure partie du récit, les personnages m'ont de plus semblé très lointains. Sans doute assez bien croqués pour en faire des êtres universels, mais pas assez personnalisés pour émouvoir. 
Et puis, le personnage du Dr Jekyll, la figure même de l'homme respectable, mais qui s'ennuie, captive et éclaire tout le récit. A partir du moment où il prend les rênes du récit, il se transforme en un être dont on ne peut que pardonner les méfaits. "Il m'arrivait d'avoir envie de m'amuser, et comme mes plaisirs étaient (pour le moins) peu distingués, comme j'étais non seulement très connu et très estimé, mais déjà d'un âge respectable, l'incohérence de mon existence me pesait chaque jour davantage. C'est par ce biais que je fus séduit par ce nouveau pouvoir avant d'en devenir l'esclave." Dans une société où la réputation est à la fois tout et très fragile, la frustration peut avoir des conséquences terribles. La dernière phrase est sobre en apparence, mais elle clôt un récit bouleversant.
Le fait de créer un personnage principal qui n'est pas celui qui vit le drame qu'il raconte me semblait étrange, mais il permet de berner le lecteur, et de le mettre entre les mains d'un personnage qui n'est pas aussi neutre qu'on le pensait. Mr Utterson est un honnête homme pour la société victorienne, mais je me demande maintenant comment il a réagi au récit de son ami. Et qui est vraiment à mépriser dans cette histoire. 

J'ai maintenant commencé Le Maître de Ballantrae pour poursuivre avec cet auteur. Je vous en reparle très vite !

Les avis d'Isil, Romanza et de Fée Bourbonnaise. Erzébeth en a écrit deux mots. Lou n'a pas aimé.

22 mai 2009

Alice au Pays des Merveilles ; Lewis Carroll

0915_clip_image001_1_Folio ; 140 pages.
Traduit par Jacques Papy.
1865.

Voilà longtemps que je voulais découvrir Lewis Carroll. Bien entendu, je connais le dessin animé, qui m'effrayait quand j'étais petite. Je suis surprise, maintenant que je suis plus grande, de constater à quel point les oeuvres destinés aux enfants peuvent être cruelles et/ou sombres. Souvenez-vous de toutes ces chansons que vous connaissiez par coeur, et dont vous ne saisissez le sens qu'aujourd'hui...

Alice est allongée dans l'herbe aux côtés de sa soeur, quand elle voit passer près d'elle un lapin blanc qui semble pressé. Quand le lapin s'écrie " Ô mon dieu ! Ô mon dieu ! Je vais être en retard ! ", la petite fille n'y voit rien d'étrange. Mais quand il sort une montre de son gilet, Alice se lance à sa poursuite, "dévorée de curiosité". Elle pénètre ainsi dans un terrier, et finit par tomber, à au moins sept kilomètres de profondeur, avant de se retrouver dans un monde étrange, où toutes les idées farfelues du monde réel prennent vie.

Il n'a fallu que quelques lignes à Lewis Carroll pour me faire plonger dans son univers. La dédicace qui ouvre ce texte est juste vraie et belle :

Prends cette histoire, chère Alice !mw66619
Place-la, de ta douce main,
Là où les rêves de l'Enfance,
Reposent, lorsqu'ils ont pris fin,
Comme des guirlandes fanées
Cueillies en un pays lointain.

Avec ce texte, on navigue entre l'absurde, le rêve et la peur.
Les perceptions sont brouillées, Alice ne sait plus se repérer. Les éléments les plus étranges deviennent familiers. Il y a bien quelques indices, comme les transformations subites, les mots qui ont une signification différente, le temps qui s'écoule de façon étrange. Mais tout cet absurde poursuit malgré tout une logique, telle qu'il y en a dans tous les rêves-cauchemars. Et dans le monde des enfants.

J'ai vu dans ce livre, à travers tous ces personnages hauts en couleurs et tous ces jeux de mots, une critique forte du monde réel. Alice semble comme un vilain petit canard qui ne sait pas se tenir, et qui ne cesse de dire ce qu'il ne faut pas.
Le Pays des Merveilles apparaît alors comme un refuge, un lieu secret où l'on peut se rendre discrètement à tout moment, pour ceux qui veulent garder leur coeur d'enfant.

Avant de clore ce billet, un petit clin d'oeil à Erzébeth (y'a pas de raison) :

"Parlez rudement à votre bébé ;
Battez-le quand il éternue ;
Ce qu'il en fait, c'est pour vous embêter,
C'est pour cela qu'il s'évertue."

L'avis Alice.

* La photo représente Alice Liddell, la petite fille pour laquelle Lewis Carroll a écrit les aventures de la petite fille du même nom. Le cliché est également de l'auteur. J'aime les profils, on y trouve plus de sincérité je trouve.

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20 décembre 2008

Victorian Christmas Swap...

Et ma swappeuse était... Manu !!!

Quand mon paquet est arrivé, j'avoue que j'étais encore tranquillement en train de dormir. Heureusement, je n'étais pas seule. J'ai d'abord entendu les grelots qui faisaient beaucoup de bruit, alors je suis descendue en trombe me jeter sur mon paquet.

J'ai tout juste eu le temps de me rappeler qu'il fallait que je prenne des photos. Le colis était éventré en moins de dix secondes.

Projet3

Manu n'aurait pas pu me faire un plus joli colis. Tout ce qu'elle a choisi m'a rendue à moitié dingue. Admirez un peu :

Projet1

Les livres d'abord : j'avais complètement succombé au billet de Lou sur Les maîtres de Glenmarkie, au point que j'ai failli l'acheter quelques jours avant d'avoir mon paquet. Le portrait de Madame Charbuque était encore une envie due à Lou. Quant à Conrad, il était sur ma liste d'auteurs à découvrir depuis quelques temps déjà. Excellente enquête de la part de Manu donc, j'en ai d'ailleurs déjà lu deux (le billet sur Typhon arrive d'ici dimanche soir je pense). 

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Ensuite, les douceurs : la fan de thé que j'ai fini par devenir a été comblée par ces deux boîtes que je n'ai jamais goûtées. J'ai aussi eu droit à des confiseries de Noël, qui ne raviront pas que moi d'ailleurs...

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Ce n'est pas fini, j'ai aussi eu droit à une superbe boîte de Noël, à des décorations de Noël ravissantes, à une bougie en forme de Père Noël, et à une boule pour le bain :

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Le tout accompagné d'une jolie carte de Noël ! C'est ce que j'appelle être pourrie gâtée. Encore mille merci pour tous ces cadeaux Manu !

Et merci à nos organisatrices, Lou et Cryssilda, qui nous ont vraiment gâtées avec ce swap.

Pour ma part, j'ai envoyé un colis chez Praline.

5 novembre 2023

Boussole - Mathias Enard

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"Nous-mêmes, au désert, sous la tente des Bédouins, pourtant face à la réalité la plus tangible de la vie nomade, nous nous heurtions à nos propres représentations qui parasitaient, par leurs attentes, la possibilité de l’expérience de cette vie qui n’était pas la nôtre ; la pauvreté de ces femmes et de ces hommes nous paraissait emplie de la poésie des anciens, leur dénuement nous rappelait celui des ermites et des illuminés, leurs superstitions nous faisaient voyager dans le temps, l’exotisme de leur condition nous empêchait de comprendre, certainement, leur vision de l’existence [...]. "

Au cours d'une longue, très longue nuit, Franz Ritter, musicologue viennois atteint d'un mal incurable, remonte le fil de sa passion pour l'Orient et pour Sarah, la femme qu'il a aimée toute sa vie.

Raconter les rapports, les liens, les affrontements, les incompréhensions et les fantasmes entre l'Orient et l'Occident, voilà une mission parfaitement impossible. Mille anecdotes dont le choix est forcément subjectif ne peuvent que fournir une vision très incomplète du sujet tout en le rendant indigeste. Et pourtant, à la manière des Mille et Une nuits (oeuvre si emblématique des projections de l'Occident sur cet ailleurs qui le fascine) et dans un style sublime (si travaillé qu'il devrait être ampoulé, mais Mathias Enard doit être magicien), Boussole nous embarque dans un voyage dont on voudrait qu'il ne s'achève jamais. On suit Annemarie Scharzenbach, Alois Musil et bien d'autres, dont nos personnages, à travers les routes d'Irak, de Syrie et d'Iran.

Tous sont pris par la fièvre orientaliste. Franz Ritter en tête, plaide coupable. Il refuse cependant de s'en tenir à une vision unique où l'Orient serait seulement la victime de l'Occident. Il révèle par de nombreux exemples ce que les échanges culturels ont produit (dont, a priori, L'Origine du monde). Des absurdités aussi, comme l'orientalisme nazi ou les barbaries dans les deux camps (l'humanité n'est pas différente à Damas ou à Paris).

" j’entendais un spécialiste du Moyen-Orient préconiser qu’on laisse partir tous les aspirants djihadistes en Syrie, qu’ils aillent se faire pendre ailleurs ; ils mourraient sous les bombes ou dans des escarmouches et on n’en entendrait plus parler. Il suffisait juste d’empêcher les survivants de revenir. Cette séduisante suggestion pose tout de même un problème moral, peut-on raisonnablement envoyer nos régiments de barbus se venger de l’Europe sur des populations civiles innocentes de Syrie et d’Irak ; c’est un peu comme balancer ses ordures dans le jardin du voisin, pas joli joli. Pratique, certes, mais pas très éthique. "

En cette période si déchirante pour l'humanité, où les discours fanatiques et les crimes atroces nous font croire que seule la haine peut exister et que nous n'avons rien en commun, Boussole est un roman essentiel, drôle et émouvant, qu'une médiocre chronique ne peut décrire honorablement.

" Weimar a été bombardée trois fois massivement en 1945. Tu imagines ? Bombarder une ville de soixante mille habitants sans enjeu militaire, alors que la guerre est presque gagnée ? Pure violence, pure vengeance. Bombarder le symbole de la première république parlementaire allemande, chercher à détruire la maison de Goethe, celle de Cranach, les archives de Nietzsche… avec des centaines de tonnes de bombes larguées par de jeunes aviateurs fraîchement débarqués de l’Iowa ou du Wyoming, qui mourront à leur tour brûlés vifs dans la carlingue de leurs avions, difficile d’y percevoir le moindre sens, je préfère me taire. "

Actes Sud. 377 pages.
2015.

Publié trop récemment, Boussole n'est pas (encore) un classique. Mais c'est un Goncourt, que je n'aurais pas lu si rapidement sans nos chères Fanny et Moka. Elles me pardonneront sûrement cette entorse au règlement.

Source: Externe

26 janvier 2023

Washington Square - Henry James

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" C'était trop grave ; toute ma vie en a été bouleversée. "

Médecin réputé, Austin Sloper n'a cependant pas pu empêcher le décès de son fils ni la perte de sa brillante épouse, dont la mort en couches l'a laissé seul avec une fille médiocre, Catherine. En grandissant, cette dernière confirme sa faiblesse d'esprit et de caractère. Lorsque Morris Townsend, un jeune homme ayant dilapidé son peu de fortune, commence à courtiser la jeune fille, cette dernière tombe sous son charme, encouragée par sa tante. Le Docteur Sloper ne partage pas l'opinion des deux femmes et est bien décidé à empêcher le mariage, quitte à léser cruellement Catherine. 

Voilà un roman que j'ai dévoré avec une avidité rare, profitant de chaque minute disponible pour le retrouver. Henry James s'y montre d'une ironie qui rappelle une certaine Jane Austen, même si l'héroïne ne bénéficie pas de la présence opportune d'un prétendant mieux ajusté. C'est donc le cynisme habituel de James qui l'emporte, pour mon plus grand plaisir, je dois le reconnaître, tant la psychologie des personnages est finement exposée.

On pourrait craindre, en lisant la trop bavarde quatrième de couverture, qu'il ne s'agit que d'un conte cruel, mais aussi mince que soit l'intrigue a priori, Henry James nous offre une étude de ses quatre personnages principaux si complexe qu'il est bien difficile de déterminer avec certitude qui sont les gagnants et les perdants, les malins et les imbéciles dans ce livre. Plus qu'une histoire d'amour ratée entre un probable coureur de dot et une jeune fille naïve, Washington square est aussi le portrait d'un homme, obtus et égoïste (sûrement en partie inspiré par le frère de l'auteur), d'une veuve idéaliste espérant pimenter sa terne existence et d'une jeune fille prématurément jugée par tous les autres. Trop occupés par leur propre existence, les trois individus pressant Catherine de se soumettre à leur volonté ne réalisent à aucun moment ce qui se joue réellement devant leurs yeux.

Comme toujours chez James, la fin est aussi frustrante que savoureuse.

Une merveille.

10/18. 283 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.

12 mars 2023

Purge - Sofi Oksanen

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1992. Les Soviétiques se retirent d'Estonie après des décennies d'occupation à peine entrecoupées par l'invasion nazie. Aliide est une vieille femme vivant seule à la campagne. Son mari est mort et sa fille, installée en Finlande, ne vient presque plus la voir. Elle espère que les procès engagés pour le recouvrement des terres va la dédommager des pertes dues au communisme. Lorsqu'elle trouve Zara, une jeune femme originaire de Vladivostok, dans la cour de sa maison, son passé lui revient à la figure.

J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Tout d'abord, en raison du style de l'autrice. L'écriture de Purge n'est pas particulièrement remarquable, mais elle souffre d'un manque de fluidité qui rend la concentration du lecteur difficile. Au bout d'une centaine de pages (sur plus de quatre cents), j'ai heureusement réussi à trouver le tempo.

L'histoire elle-même n'est pas exempte de lourdeurs. Les chapitres se déroulant en 1991-1992 ne sont pas ce qui fait la force de cette histoire alors qu'ils sont très nombreux. Par ailleurs, si je comprends la volonté de l'autrice de montrer la nature humaine dans ce qu'elle a de plus nauséabond, je crois que les histoires de rivalité féminine commencent à me lasser profondément. Ce procédé est si courant qu'il a un fort goût de facilité.

Malgré ces défauts, j'ai énormément apprécié l'aspect historique de ce livre. Retrouver l'Estonie, ce pays dont l'identité a été si difficile à construire en raison des géants qui n'ont que rarement respecté ses frontières, a été passionnant. Il n'y a pas ici la magie de L'Homme qui savait la langue des serpents (ni le talent de conteur d'Andrus Kivirähk), mais les habitants sont amenés à choisir entre le bourreau soviétique et l'envahisseur nazi. Ce qui paraît évident en termes de morale à des Occidentaux ne l'est pas pour des Estoniens. Un changement de perspective important pour bousculer nos certitudes qui reposent souvent sur une vision très autocentrée de l'histoire.

Une première participation au Mois de l'Europe de l'Est d'Eva et Patrice qui n'est clairement pas parfaite, mais étrangement j'ai le sentiment que cette histoire ne s'effacera pas de sitôt de ma mémoire.

Le Livre de Poche. 429 pages.
Traduit par Sébastien Cagnoli.
2008 pour l'édition originale.

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18 août 2022

The Golden Notebook (Le Carnet d'or) - Doris Lessing

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" En fait, la fonction du roman semble changer : c’est maintenant un avant-poste du journalisme, nous lisons des romans pour nous documenter sur des zones de vie que nous ne connaissons pas — le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’armée américaine, un village minier, les coteries de Chelsea, etc. Nous lisons pour découvrir ce qui se passe. Un roman sur cinq cents ou sur mille possède la qualité qu’un roman devrait posséder pour être un roman : la qualité philosophique. "

Anna Wulf a connu un immense succès avec son premier roman, qui s'inspire de son passage en Rhodésie lorsqu'elle avait une vingtaine d'années. Elle est désormais mère célibataire d'une petite fille et vit sur ses royalties qui commencent à diminuer. Son ancienne logeuse et amie, Molly, vient de rentrer d'une année à l'étranger. 
Ancienne membre du parti communiste, abonnée aux relations amoureuses catastrophiques, précédemment en analyse et en panne d'inspiration, Anna raconte son existence dans quatre carnets thématiques.

Lire Le Carnet d'or est une expérience aussi riche que complexe. J'en suis ressortie épuisée, déprimée et globalement admirative. Ce n'est ni un roman, ni un essai, ni une autobiographie, mais un mélange de tout cela.

On plonge dans l'existence et dans les pensées d'une femme cherchant obstinément à saisir la véracité des situations tout en ne pouvant s'empêcher de leur donner un caractère fictionnel. Pour reprendre une récente observation d'Annie Ernaux, la réalité de ses expériences ne semble exister que lorsqu'elle les a couchées sur le papier.

" La littérature est l’analyse postérieure à l’événement. "

La création artistique est censée être pure pour Anna, qui se désole de voir la littérature utilisée à d'autres fins. Eternelle insatisfaite (nous ne pouvons jamais adopter tous les points de vue ni empêcher notre récit d'être imprégné d'émotions forcément subjectives et passagères), elle réécrit sans fin les mêmes histoires, vit sans fin les mêmes déceptions dans tous les domaines.

Les années cinquante ont été éprouvantes pour les idéalistes. Les atrocités soviétiques sont peu à peu révélées, la décolonisation amène les anciens anti-colonialistes à réévaluer leurs intentions réelles. Quand on a épuisé toutes les excuses possibles, il ne reste que les évidences. Et puis après ? Est-on condamné à renier complètement ses idéaux lorsque leur application concrète et la révélation des crimes commis en leur nom nous donnent le sentiment d'avoir été un imbécile ?

" Je me dis parfois que la seule expérience incapable de rien enseigner à personne est l’expérience politique. "

On a reproché aux féministes d'avoir volé ce livre en lui collant une étiquette qui ne décrit que partiellement l'oeuvre.* En effet, les thématiques qui traversent le livre sont nombreuses et évoluent en miroir les unes avec les autres pour montrer la complexité de nos envies et de nos intérêts. C'est presque aller à l'encontre de la volonté de l'autrice que de vouloir fragmenter ce livre.
Il est pourtant indéniable que la question des rapports entre les sexes est omniprésente et a dû toucher de nombreuses lectrices. Les "femmes libres", Molly et Anna, sont ainsi nommées avec beaucoup de cynisme. Les innombrables hommes que rencontre Anna, rare représentante du sexe féminin dans les activités extérieures en ce milieu du XXe siècle, sont tous dotés d'épouses assommées d'ennui dans leur foyer. L'insatisfaction sexuelle et l'absence de connivence intellectuelle règnent en maître au sein des couples.

Et pourtant, comme elle sait que les anciens militants sont parfois les conservateurs acharnés de demain, Anna a conscience que c'est l'approbation masculine qu'elle recherche avant tout, quitte à accepter les mensonges, la maltraitance, les insultes.

"Parfois lorsque je regarde en arrière, moi, Anna, j’ai envie de rire à voix haute. D’un rire épouvanté, d’un rire jaloux, celui de la connaissance face à l’innocence. Je serais maintenant incapable d’une telle confiance. Moi, Anna, jamais je ne me lancerais dans une liaison avec Paul. Ou Michael. Ou plutôt si, j’entamerais une liaison, mais en sachant exactement ce qui arriverait ; je me lancerais dans une relation délibérément stérile, limitée."

Le Carnet d'or est à la fois le roman d'une époque et un livre d'une éclatante modernité dont de nombreux passages résonnent plus que jamais aujourd'hui. Il est rare de lire un livre aussi sincère, dont l'héroïne accepte de se laisser décortiquer avec une impudeur pareille. A lire si vous avez le coeur bien accroché.

*Je pense surtout qu'il faut se demander pourquoi le monde a laissé ce livre être réduit à ce seul aspect (une piste : il est écrit par une femme);

Fourth Estate. 576 pages.
1962.

Nouvelle participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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23 mars 2022

Le docteur Jivago - Boris Pasternak

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" — Ce n’est pas la première fois qu’on voit cela dans l’histoire. Ce qui est conçu d’une façon idéale et élevée devient grossier, se matérialise. C’est ainsi que la Grèce est devenue Rome, c’est ainsi que la Russie des lumières est devenue la révolution russe. Prends, par exemple, ce qu’a écrit Blok : « Nous sommes les enfants des années terribles de la Russie » et tu verras aussitôt ce qui sépare son époque de la nôtre. Quand Blok disait cela, il fallait l’entendre au sens figuré. Les enfants n’étaient pas des enfants, mais des fils, des rejetons spirituels,intellectuels ; les terreurs n’étaient pas terribles mais providentielles, apocalyptiques, ce n’est pas la même chose. Maintenant, le figuré est devenu littéral : les enfants sont des enfants, les terreurs sont terribles, voilà la différence. "

Iouri Jivago est encore un enfant lorsque sa mère meurt de maladie et que son père, qui l'a abandonné depuis longtemps, se suicide. Recueilli par son oncle et des amis de sa famille, Ioura grandit dans l'aisance. Malgré ses prédispositions pour l'art, il suit des études de médecine et épouse la fille de ses bienfaiteurs.
Lors de la Première Guerre mondiale, il est envoyé au front. Il y rencontre une infirmière à la recherche de son mari et issue d'une famille déchue, Larissa Antipova.

Du Docteur Jivago, j'avais l'image d'un grand roman d'amour sur un vague fond historique, probablement influencée par l'affiche du film (que je n'ai pas vu). De Pasternak, j'avais une représentation un peu méprisante, celle d'un auteur bien en-deça de ses illustres compatriotes du XIXe siècle. Si je n'ai pas éprouvé pour cet auteur la passion qu'il inspirait à Marina Tsvetaeva (sans aucun doute meilleur juge que moi, même si elle n'a connu que sa poésie), ce livre a été une belle découverte.

Il raconte l'histoire d'un homme, de sa quête de sens. Iouri Jivago est un artiste et un homme de sciences, mais aussi un individu pris dans le tourbillon de l'Histoire. Les oeuvres de Tolstoï, de Dostoeïvski ou de Blok ne peuvent lui être d'aucun secours tant qu'il est traîné au front, puis réduit à une existence laborieuse, prisonnier des partisans, ou encore sous la menace d'une arrestation pour un motif inconnu. Tout au long du livre, il est pris dans une course pour réconcilier les théories dont on l'a bercé ou qu'il a lui-même formulées et les faits qui le frappent. Le monde a changé d'une façon aussi brutale qu'irréversible et l'art est lui aussi sens dessus dessous.

Il y a une forte symbolique dans ce roman. Les personnages sont plus que des êtres humains. A travers les tourments de Iouri Jivago, Pasternak nous raconte la Russie de 1905 à l'aube de la Deuxième Guerre mondiale et cherche pourquoi ça a aussi mal tourné. Les populations, disputées entre Blancs et Rouges, sont brutalisées et terrorisées. Les gens vivent dans la misère, sont menacés de rafles, disparaissent parfois sans laisser de traces, et les chefs tombés en disgrâce sont éliminés sans vergogne.

" Chacun se préoccupe de vérifier ses idées par l’expérience, alors que les gens du pouvoir, eux, font ce qu’ils peuvent pour tourner le dos à la vérité au nom de cette fable qu’ils ont forgée sur leur propre infaillibilité. La politique ne me dit rien. Je n’aime pas les gens qui sont indifférents à la vérité. "

Vous ne rêverez pas vraiment avec l'histoire d'amour entre Jivago et Lara. Cette dernière n'est d'ailleurs que peu présente, bien qu'elle habite les pensées du docteur en permanence. Cé dernier voit en elle un idéal, une patrie, quelqu'un en qui il peut projeter de belles pensées (encore un exemple qui aurait pu nourrir la partie Littérature de Beauvoir...). C'est elle qui lui donne de l'espoir, qui permet à Jivago de remarquer la splendeur de la nature et le passage des saisons autour de lui. Plus qu'une compagne réelle, elle est une muse.

Je n'ai pas tout compris, mais j'ai aimé la nuance du docteur Jivago et sa capacité à faire surgir la poésie des ténèbres.

Les avis de Marilyne et de Patrice.

Folio. 695 pages.
1957 pour l'édition originale.

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29 juillet 2022

A l'ombre des jeunes filles en fleurs - Marcel Proust

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« Théoriquement, on sait que la terre tourne, mais en fait on ne s’en aperçoit pas, le sol sur lequel on marche semble ne pas bouger et on vit tranquille. Il en est ainsi du Temps de la vie. »

Devenu jeune homme, notre narrateur évolue dans un premier temps dans le sillage de Madame Swann dont il aime la fille, Odette. Il fréquente un écrivain à succès, assiste à une représentation de la Berma et aspire au métier d’écrivain. Il se rend aussi à Balbec, au bord de la mer, avec sa grand-mère. Il y noue des amitiés et fait la connaissance d’une certaine Albertine.

Ce livre est celui de l’éveil amoureux, de la première déception et de cette envie que l’on a de découvrir ce sentiment si prisé. Proust évoque à merveille l’indécision de son narrateur face aux différentes jeunes filles qui l’entourent. Toutes incarnent son désir, plus théorique que réel, surtout dans un premier temps.

Toujours attentif aux détails de l’existence, notre narrateur prend conscience qu’il projetait alors avant tout ses fantasmes sur les êtres qu’il côtoyait, et qu’en chaque individu est contenu un passé, un présent et un futur. Les faux-semblants, les non-dits ou tout simplement les inévitables incompréhensions entre deux êtres distincts l’un de l’autre occupent une grande part du récit.

En toile de fond, Proust évoque aussi un monde qui évolue, et où l’art et l’esprit visent tellement haut que la confrontation au réel est parfois cruelle.

La lecture du premier volet m’avait enchantée. Ce second livre m’a replongée dans une ambiance confortable tant le milieu du narrateur est une carte postale de l’ancien monde, mais qui exprime en même temps toute la complexité des êtres et des événements.

Le Livre de Poche. 667 pages.
1919 pour l'édition originale.

Quatrième participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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12 juillet 2022

Le Pays du Dauphin vert - Elizabeth Goudge

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« Trente-six ans ! s'écria l'hôtesse. Mais Madame, c’est sur un bateau à voiles que vous avez dû partir. »

William, Marianne et Marguerite grandissent ensemble dans les Îles Anglo-Normandes. Si les deux sœurs Le Patourel sont amoureuses de William, lui n’a d’yeux que pour la solaire Marguerite. Marianne est trop sûre d’elle, trop intelligente (et pas assez belle) pour trouver un mari.
Lorsque des années plus tard, William envoie une lettre depuis la Nouvelle-Zélande, c’est pourtant pour demander la main de l’aînée des sœurs. Un lapsus stupide, qui condamne le trio à une existence qui n’était pas celle qui était prévue.

Peut-on vivre sans trahir l’enfant qu’on était ?
Il y a dans ce roman mettant en scène des personnages plus complexes qu’attachants une magie permanente qui est celle de nos premières années. Aucun de nos héros n’est jamais parvenu à oublier le baiser sur la plage, l’escapade sur le « Dauphin Vert » en compagnie du Capitaine O’Hara et de son fidèle Nat, pas plus qu’il n’est possible de se débarrasser d’Old Nick, le grossier perroquet.

Au milieu des obstacles, nombreux, qui empoisonnent le mariage de William et Marianne, Elizabeth Goudge nous embarque dans de vraies aventures à travers les mers et les terres hostiles, à grands coups de descriptions enchanteresses (même si la vision est très colonialiste parfois).

Marianne n’est pas une femme naturellement attachante. Ambitieuse, orgueilleuse, jalouse, elle est impitoyable avec tous, obligeant son entourage à céder perpétuellement à ses exigences. Mais il y a souvent deux façon de voir les choses, et c’est sa détermination qui ouvre des perspectives après chaque échec. Avec une malicieuse pirouette, l’autrice nous rappelle également que si Marianne n’était pas l’âme sœur de William, l’inverse est aussi vrai. Même s’il ne l’envisage pas une minute, la certitude de Marianne qu’elle n’a pas pu épouser le mauvais homme épargne à son époux une belle déconvenue. L’amour, surtout quand il dure toute une vie, ne peut pas se contenter d'être un doux rêve naïf.

Une fresque passionnante qui devrait conquérir tous les amoureux de la littérature anglaise.

Libretto. 792 pages.
Traduit par Maxime Ouvrard.
1944 pour l'édition originale.

Deuxième participation au Challenge Pavé de l'été de Brize !

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6 juin 2021

Le Vent dans les saules - Kenneth Grahame

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Grand classique de la littérature anglaise jeunesse, Le Vent dans les saules aura attendu une thématique animalière du Mois Anglais pour enfin sortir de ma PAL.

Dans un monde où les animaux vivent de manière civilisée dans la nature, Mr Taupe quitte un jour sa modeste maison souterraine pour découvrir la rivière alentour. Il devient l'ami de Mr Rat. Ensemble, ils organisent des virées en barque au bord de la rivière et des pique-nique. Ils partent aussi à la rencontre de Mr Blaireau et tentent de sauver Mr Crapaud de son addiction aux voitures et de sa vanité.

Si vous cherchez à vous évader dans un monde doux, fantasque, fait de petites choses du quotidien et d'une pincée de rêves, je vous invite à découvrir ce roman.
Mr Rat et Mr Taupe forment un duo adorable. Fins gourmets, curieux bien que casaniers et bienveillants envers tout le monde, leurs petites aventures ont un charme irrésistible.

Cette jolie histoire est portée par une écriture magnifique, avec des descriptions de la nature très imagées qui en font un véritable personnage. Les saisons défilant, elle se montre tour à tour terrifiante et protectrice avec ses habitants. Les roseaux chantent. Dans l'un de mes chapitres préférés, la nature est même personnifiée par une créature que ne renierait sans doute pas Hayao Miyazaki.

Tout n’est pas rose et naïf cependant. Nos petits héros ont des amitiés parfois mises à rude épreuve, comme celle qu’ils entretiennent avec l’insupportable Mr Crapaud. Même dans ce monde, il y a une hiérarchie entre les êtres et des faiblesses de caractère.

Une pépite des excellentes éditions Phébus.

Phébus. 203 pages.
Traduit par Gérard Joulié.
1908 pour l'édition originale.

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20 octobre 2021

De sang froid - Truman Capote

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"Comme les eaux de la rivière, comme les automobilistes sur la grand-route, et comme les trains jaunes qui filent à la vitesse de l’éclair sur les rails du Santa Fe, la tragédie, sous forme d’événements exceptionnels, ne s’était jamais arrêtée là. "

Le matin du 15 novembre 1959, la tranquille communauté de Holcomb, au Kansas, est frappée d'horreur. Quatre membres de la très respectable famille Clutter ont été ligotés avant d'être abattus d'une balle dans la tête. En raison de la gravité du crime, le K.B.I. est saisi de l'affaire.

Grand classique de la littérature américaine faisant partie des précurseurs dans le genre des true crimes, De sang froid est un choix de premier ordre pour le Challenge Halloween.

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Avec ce livre, Truman Capote  nous plonge dans le quotidien des Clutter, paisible et prospère famille de fermiers. Le père, Herb, est un homme droit et généreux. Son épouse, bien que dépressive, est appréciée de tous. Quant aux deux adolescents, ils justifient autant que leurs parents l'impression qu'on s'en est pris à la dernière famille qui pouvait avoir des ennemis. Le drame plonge la communauté dans une angoisse profonde, d'autant plus que les meurtriers ne sont pas arrêtés avant plusieurs mois.

Du côté de la police, la description de l'enquête, est passionnante. Confrontés à une attente immense de la part de la population et dotés d'un nombre très faible d'indices qui handicape aussi bien l'enquête que le procès, les agents doivent faire preuve d'une rigueur extrême et espérer un peu de chance.

" Pourtant, sur le plan théorique, ceci n’était pas sans failles non plus. Dewey trouvait difficile, par exemple, de comprendre « comment deux individus pouvaient atteindre le même degré de fureur, le genre de fureur de psychopathe qu’il fallait pour commettre un crime semblable. "

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Quant aux meurtriers, nous les suivons également dans leur périple, depuis leur entreprise mortelle jusqu'au gibet. Si l'on connaît rapidement le dénouement, les zones d'ombre qui entourent l'affaire suffisent à rendre ces hommes fascinants et inquiétants. Davantage présents que les victimes, le lecteur devient un juré sans doute moins impassible que ceux qui ont condamné Smith et Hickock à mort.

Bien qu'il ne prenne aucunement parti et que cette affaire soit moins intense que ce que j'imaginais (pas de folie meurtrière de la part de la population, pas de vrais rebondissements), cette lecture est aussi addictive que marquante. De sang froid n'est pas un simple récit, c'est aussi un livre qui nous amène à questionner les limites et les aberrations du système judiciaire américain. Smith et Hickock ont-ils eu un jugement équitable ?  La société ne doit-elle pas se montrer exemplaire dans ce genre de cas ? La peine de mort est-elle une violence légitime et acceptable ?
Enfin, et c'est sans doute le point le plus intéressant, l'auteur évoque la prise en compte encore très faible de la psychologie des auteurs de crimes. Pourtant, celui qui a vraisemblablement commis les quatre meurtres, détruit par la pauvreté, l'absence de cadre affectif et ayant un rapport à la réalité complexe, est d'une certaine manière un homme bien plus touchant que son complice. Peut-on ignorer le contexte dans lequel un individu a évolué ? Est-ce une insulte à la mémoire des victimes de considérer qu’un meurtrier ne peut pas être considéré que comme un monstre ?

Folio. 506 pages.
Traduit par Raymond Girard.
1966 pour l'édition originale.

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21 juin 2021

Bienvenue au club - Jonathan Coe

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"— Alors je t’emmène, Patrick. On va remonter le temps. Jusqu’au tout début. Jusqu’à un pays qu’on serait sûrement incapables de reconnaître. L’Angleterre de 1973."

Birmingham, années 1970. Benjamin Trotter est le deuxième enfant de sa fratrie, coincé entre une soeur qui épluche les petites annonces pour trouver un petit ami et un frère cadet dont la vanité gâche le potentiel. A l'école, Benjamin, surnommé Roteur, essaie de se faire une place avec ses amis, dont le fils du principal représentant syndical de l'usine dans laquelle travaille son propre père. Il rêve aussi d'attirer un jour l'attention de la belle Cicely.

Je savais que j'allais aimer cette lecture, mais je ne pensais pas avoir un tel coup de coeur pour ce livre aussi hilarant qu'émouvant.

Il fait surgir devant nous une époque que nous n'avons pas connue comme peu d'auteurs savent le faire. Surtout que, quand je lis "Personne ne remarquait ce marron envahissant, ou en tout cas n’y voyait un sujet de conversation. Le monde était marron.", je vois ça :

Life on Mars

"On a tendance à oublier à quoi ressemblaient vraiment les années soixante-dix. On se souvient des cols pelle à tarte et du glam rock, on évoque, avec des larmes dans la voix, les Monty Python et les émissions pour enfants, mais on refoule toute la sinistre étrangeté de cette période, tous ces trucs bizarres qui se passaient tout le temps. On se rappelle le pouvoir qu’avaient les syndicats à l’époque, mais on oublie comment réagissaient les gens : tous ces tordus militaristes qui parlaient de mettre sur pied des armées privées pour rétablir l’ordre et protéger la propriété quand la loi ne serait plus en mesure de le faire. On oublie l’arrivée des réfugiés indiens d’Ouganda à Heathrow en 1972, qui avait fait dire que Powell avait raison, à la fin des années soixante, de prophétiser un bain de sang ; on oublie à quel point sa rhétorique devait résonner pendant toute la décennie, jusqu’à cette remarque qu’un Eric Clapton ivre mort fit sur scène en 1976 au Birmingham Odeon. On oublie qu’à l’époque, le National Front apparaissait comme une force avec laquelle il allait falloir compter."

Mélangeant les genres (extraits de journaux intimes, poèmes, témoignages, extraits de journaux scolaires...) aussi bien que les registres, l'auteur en fait des tonnes sans jamais tomber dans l'excès. Jonathan Coe se moque des dirigeants, des responsables syndicaux hypocrites, des riches, des membres du National Front, des convaincus de la méritocratie, le tout avec une subtilité plus ou moins grande mais toujours efficace.

Il y a pourtant énormément de mélancolie dans ce livre. Le contexte n'aide pas, pour commencer. Les conflits sociaux de cette ère pré-Thatcher et les actions terroristes de l'IRA favorisent un racisme qui divise les travailleurs.
Une impression de temps perdu nous prend à la gorge tout au long du récit. Les instants de complicité et de bonheur ne reviendront jamais. Benjamin et ses amis sont en pleine adolescence, cette période si particulière et intense, aussi décevante qu'enthousiasmante. Comme les adultes, ils doivent concilier les angoisses liées à leur époque, qui s'ajoutent à celles de leur âge.

Dans ce livre, qui est parmi d'autres choses un roman d'apprentissage, Benjamin pose des questions universelles. Il a le sentiment de n'être pas perçu correctement par les autres. D'être invisible. Comment raconter la vie de quelqu'un ? Comment raconter sa propre vie ?

" Je me le demande. Je me demande si tout le vécu peut vraiment être réduit et distillé en quelques moments d’exception, six ou sept peut-être qui nous seraient accordés dans toute notre existence, et si toute tentative de tracer un lien entre eux est vouée à l’échec. Et je me demande s’il y a dans la vie des moments non seulement « qui valent des mondes », mais tellement saturés d’émotion qu’ils en sont dilatés, intemporels [...]. "

Si j'avais été mélomane, j'aurais eu une raison supplémentaire d'adorer ce livre. Je n'ai pas saisi le quart des allusions dans ce domaine, même si cela ne m'a pas empêché de sourire en lisant le paragraphe où l'auteur se demande comment on peut, à certaines époques de sa vie, s'enticher de certaines musiques.

De Jonathan Coe, j'avais lu et adoré Testament à l'anglaise, mais avec Bienvenue au club l'auteur intègre la liste de ceux dont je veux tout lire. Autre effet secondaire de cette lecture, j'éprouve une envie terrible de me rendre au Pays de Galles.

Comme je suis la dernière à le lire, vous pouvez trouver les avis de Kathel, Ingannmic, Mes pages versicolores, Sylire et Lili.

Folio. 540 pages.
Traduit par Jamila et Serge Chauvin.
2001 pour l'édition originale.

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7 mai 2021

A l'Est d'Eden - John Steinbeck

eden"Au cours des hivers pluvieux, les torrents s’enflaient et venaient grossir la Salinas qui, bouillonnante et furieuse, quittait son lit pour détruire. Elle entraînait la terre des fermes riveraines ; elle arrachait et charriait granges et maisons ; elle prenait au piège et noyait dans son flot bourbeux vaches, cochons et moutons, et les roulait vers la mer. Puis, avec la fin du printemps, la rivière regagnait son lit et les bancs de sable apparaissaient. En été, elle se terrait. De l’élément liquide, seules subsistaient des flaques à l’emplacement des tourbillons hivernaux. reculait et les saules se redressaient, empanachés de débris. La Salinas n’était qu’une rivière saisonnière et capricieuse, tour à tour dangereuse et timide – mais nous n’avions que celle-là et nous en étions fiers. On peut être fier de n’importe quoi si c’est tout ce que l’on a. Moins on possède, plus il est nécessaire d’en tirer vanité."

La Vallée de la Salinas en Californie est une terre capricieuse. Les chanceux et les riches ont de l'eau pour survivre durant les années de sécheresse, les autres doivent se contenter de vastes terrains sur lesquels ils n'ont aucune chance de prospérer. Samuel Hamilton est de ces derniers. Pourtant, cet immigré irlandais est un homme reconnaissant. Père d'une famille nombreuse, marié à une femme admirable et grand inventeur incapable de tirer profit de ses nombreuses qualités, il est l'un des hommes les plus respectés de la vallée.
C'est ici aussi que va se dérouler la vie des Trask, dont la destinée ressemble à s'y méprendre à l'histoire de Caïn et Abel.

Les Raisins de la colère a été l'un de mes plus gros coups de coeur de 2020, A l'Est d'Eden sera sans aucun doute dans mes favoris 2021.

Avec une écriture extraordinaire qui décrit avec une même justesse les décors dans lesquels se déroulent l'histoire que les sentiments des personnages, Steinbeck nous transporte d'un bout à l'autre des ces presque huit cents pages. Il nous plonge dans la vallée de la Salinas, nous emmène ensuite sur la côte Est avant de nous ramener en Californie. Il nous fait voyager du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale.

Comme de nombreux romanciers, l'auteur s'interroge sur la préexistence du bien et du mal chez les individus. Ca pourrait être barbant, banal, il n'en est rien.

"Au monstre, le normal doit paraître monstrueux, puisque tout est normal pour lui. Et pour celui dont la monstruosité n’est qu’intérieure, le sentiment doit être encore plus difficile à analyser puisque aucune tare visible ne lui permet de se comparer aux autres. Pour l’homme né sans conscience, l’homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule. Pour le voleur, l’honnêteté n’est que faiblesse. N’oubliez pas que le monstre n’est qu’une variante et que, aux yeux du monstre, le normal est monstrueux."

Les monstres de Steinbeck sont captivants, nuancés. Ils font froid dans le dos, nous tiennent en haleine et nous montrent surtout la complexité de l'humanité. L'église et la maison close sont nécessaires l'une à l'autre. Les Samuel, Lee, Adam ou Aron ne sont pas les plus nombreux, et leurs blessures les rendent parfois bien plus cruels que les "monstres". Si Caïn a tué Abel, est-ce seulement sa faute ou bien surtout celle de son père ?

"La traduction de King James avec son tu le domineras promet à l’homme qu’il triomphera sûrement du péché. Mais le mot hébreu, le mot timshel – tu peux – laisse le choix. C’est peut-être le mot le plus important du monde. Il signifie que la route est ouverte. La responsabilité incombe à l’homme, car si tu peux, il est vrai aussi que tu peux ne pas, comprenez-vous ?"

Si le discours social est moins passionné que dans Les Raisins de la colère, il reste omniprésent. Vols de brevets, profits et crimes de guerre, hypocrisie des classes dirigeantes, appauvrissement des paysans, Steinbeck n'oublie pas les ravages du capitalisme. Les bons seront seront toujours ceux qui résistent à l'argent sale. Là encore, ce qui prime, c'est le choix.

"Voici ce que je crois : l’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté pour l’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité. Tel je suis, telle est ma position. Je comprends pourquoi un système conçu dans un gabarit et pour le respect du gabarit se doit d’éliminer la liberté de l’esprit, car c’est elle seule qui, par l’analyse, peut détruire le système. Oui, je comprends cela et je le hais, et je me battrai pour préserver la seule chose qui nous mette au-dessus des bêtes qui ne créent pas. Si la grâce ne peut plus embraser l’homme, nous sommes perdus."

Même s'il ne raconte pas des histoires très amusantes, il y a chez Steinbeck un optimisme certain. On sent qu'il aime les hommes et qu'il espère pour eux un monde meilleur. L'amitié entre Lee, Samuel et Adam redonne foi en l'humanité. Les relations fraternelles entre Charles et Adam ou Cal et Aron sont complexes et tragiques, mais leurs faiblesses crient le besoin de l'homme d'être aimé.

Si vous ne l'avez pas encore compris, A l'Est d'Eden est un énorme coup de coeur. A lire et à relire.

Les avis d'Ingannmic et de Mes pages versicolores.

Le Livre de Poche. 785 pages.
Traduit par Jean-Claude Bonnardot.
1952 pour l'édition originale.

2 mai 2021

Un été sans les hommes - Siri Hustvedt

hustvedtLorsque son mari lui annonce qu'il veut faire une pause (une pause française et âgée de vingt ans de moins qu'elle), Mia est admise dans un service psychiatrique. A sa sortie, elle prend provisoirement congé de la fac dans laquelle elle enseigne et rejoint sa ville natale. 
Là-bas, elle rencontre les membres de la résidence pour personnes âgées où vit sa mère, toutes veuves. Elle est également engagée pour animer un atelier de poésie avec de jeunes adolescentes.

J'ai apprécié ce livre, qui m'a donné l'impression d'être dans un cocon, entre filles (même si les filles ne sont pas toujours tendres). C'est à la fois enchanteur et emprunt de nostalgie. 

Siri Hustvedt n'est pas tendre avec les hommes, leurs injustices et leurs lâchetés envers les femmes qu'ils ont épousées. Mia est une femme blessée et en colère. Bien que banale, sa souffrance est réelle. Elle et son époux ont vécu des décennies ensemble, au point qu'ils mélangent leurs souvenirs. Une séparation n'est pas qu'un chagrin d'amour, c'est aussi une perte de repères.

"Il n’y a pas de vie sans un sol, sans un sentiment de l’espace qui n’est pas seulement extérieur mais intérieur aussi – les lieux mentaux. Pour moi, la folie avait constitué une suspension. Quand Boris s’en fut de cette manière abrupte promener ailleurs son corps et sa voix, je me mis à flotter. Un jour, il laissa échapper son désir d’une pause, et ce fut tout. Sans doute avait-il médité sa décision, mais je n’avais eu aucune part à ses réflexions."

Un immense sentiment d'injustice habite l'héroïne, digne et dévouée épouse de scientifique reconnu. Cette expérience met en valeur le déséquilibre dans les rapports entre hommes et femmes. Ces dernières sont toujours défavorisées. Elles sont rares à parvenir à se faire entendre et à jouir d'une autorité naturelle. On attend d'elles un souci constant du bien-être des personnes qui leur sont proches Condamnées à faire essentiellement un travail invisible, à être le soutien de l'homme, même si elles ont elles-mêmes une carrière (on pense mille fois à Simone de Beauvoir en lisant ce livre), elles ont en plus une date de péremption.
En tant que poétesse, Mia s'interroge sur le rapport à l'écriture et à la lecture, qui n'est pas le même selon que l'on est un homme ou une femme.

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Les femmes lisent des fictions écrites par des femmes et par des hommes. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime avoir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver à cet appareil génital externe si l’on s’immergeait dans des faits et gestes imaginaires concoctés par quelqu’un qui a le sien à l’intérieur. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : “Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit.”

J'ai parlé de colère, mais il n'est pas seulement question de se morfondre. Durant cet interlude, Mia et ses nouvelles amies expérimentent une vie débarassée des contraintes du mariage. Les veuves ne sont pas forcément inconsolables. Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer au premier abord, ne pas se remarier n'est en rien une preuve de dévotion envers l'époux disparu.

"Les veufs se remarient parce que ça leur facilite la vie. Les veuves non, le plus souvent, parce que leur vie en serait plus difficile."

N'étant que séparée, Mia tente de se découvrir, de se rappeler qui elle est. Une pause nécessite de se préparer aux différentes issues possibles, à savoir la reconstruction seule ou les retrouvailles sous conditions. 

Si j'ai apprécié l'ambiance et le propos du livre, je n'ai pas adhéré à la forme, qui énonce une théorie en début de chapitre pour en offrir une démonstration. C'est parfois flou et donne à l'histoire un caractère artificiel. 

Un roman frais mais très imparfait. Je crois que j'ai été d'autant plus indulgente avec ce livre qu'il énonce des idées auxquelles j'adhère en grande partie et que cela en a fait une lecture reposante.

L'avis de Lili que je partage très largement.

Babel. 224 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2011 pour l'édition originale.

17 septembre 2021

Ce que je ne veux pas savoir/Le Coût de la vie - Deborah Levy

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Grand succès de la rentrée littéraire 2020, ce diptyque raconte la vie de l'écrivaine Deborah Levy à des moments-clés de sa vie. Réfugiée à Majorque, elle raconte à l'épicier chinois son enfance en Afrique du Sud dans le contexte de l'Apartheid. Le Coût de la vie suit son divorce et ses difficultés à concilier ses obligations de mère et de femme ayant besoin d'un lieu à soi.

Je dois reconnaître qu'après ma lecture de Ce que je ne veux pas savoir, j'étais un peu perplexe face à l'enthousiasme provoqué par Deborah Levy. Ce texte visant à aborder les premiers contacts entre une femme en devenir et ce qu'elle ne veut pas savoir (même si, évidemment, elle sait déjà), est agréable à lire, mais je pensais l'oublier rapidement. Cependant, sa suite le fait brillamment résonner.

Ainsi, cette lecture est une pépite pleine d'anecdotes et de réflexions savoureuses, parsemée de références, dans lesquelles Deborah Levy montre tout son talent d'écrivaine poétesse. Ces livres parlent de l'intime, de l'impossibilité de faire rentrer une vie à deux dans une vie à un, de la difficulté d'être bien dans un endroit où l'on ne devrait pas être, de deuil. Et puis, surtout, des rapports inégaux entre les sexes et de la toute puissance de l'homme qui ne voit pas le problème lorsqu'il drague une jeune fille ayant l'âge de sa fille en ne faisant même pas semblant de s'intéresser à autre chose qu'à lui-même.

" Il n’avait pas imaginé une seconde qu’elle puisse se voir autrement que comme le personnage secondaire et ne pas le voir, lui, comme le personnage principal. En ce sens, elle avait déstabilisé une frontière, fait s’effondrer une hiérarchie sociale et mis à bas les vieux rituels."

S'inscrivant dans la lignée de Beauvoir, Deborah Levy dénonce les tâches cycliques auxquelles sont cantonnées les femmes quand les hommes peuvent transcender leur condition en participant à la vie de la société. Toute tentative de s'échapper est de plus sévèrement punie. Rien de plus écartelant qu'une vie de femme.

" Quand notre père fait ce qu’il a à faire dans le monde, nous comprenons que c’est son dû. Si notre mère fait ce qu’elle a à faire dans le monde, nous avons l’impression qu’elle nous abandonne. C’est miraculeux qu’elle survive à nos messages contradictoires, trempés dans l’encre la plus empoisonnée de la société. Ça suffit à la rendre folle."

Des muses sont invoquées : Sylvia Plath, George Sand, Virginia Woolf et surtout Marguerite Duras qu'elle réhabilite.

"Marguerite portait des lunettes surdimensionnées et avait un ego surdimensionné. Son ego surdimensionné l’aidait à réduire en bouillie les illusions concernant la féminité sous les semelles de ses chaussures – qui étaient plus petites que ses lunettes. Quand elle n’était pas trop soûle, elle retrouvait l’énergie intellectuelle pour passer à l’illusion suivante et la réduire, elle aussi, en bouillie. Quand Orwell parlait du pur égoïsme comme d’une qualité nécessaire à un écrivain, il ne pensait peut-être pas au pur égoïsme d’une écrivaine. Même la plus arrogante des écrivaines doit mettre les bouchées doubles afin de se constituer un ego assez robuste pour lui permettre de survivre au premier mois de l’année, alors survivre jusqu’au dernier, n’en parlons pas. L’ego durement gagné de Duras me parle à moi, à moi, à moi, en toute saison."

Ca ne vous donne pas envie, sinon de revoir vos jugements sur le personnage, du moins de vous jeter sur La Vie matérielle ?

Deux curiosités à côté desquelles il ne faut pas passer et qui seront rejointes par un dernier chapitre très prochainement.

Ce que je ne veux pas savoir. 135 pages. Editions du sous-sol. Traduit par Céline Leroy. 2013 pour l'édition originale.
Le Coût de la vie. 157 pages. Editions du sous-sol. Traduit par Céline Leroy. 2018 pour l'édition originale.

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30 mars 2021

La Plongée - Lydia Tchoukovskaïa

La Plongée"- Vous n'avez pas encore lu La Plongée ?
- Non, cela parle de quoi, du travail des plongeurs ?
- Ne le lisez pas, c'est d'un ennui mortel.
- Pas du tout, il faut absolument le lire. Il y a quelque chose dans ce livre. Si vous voulez, je vous l'apporterai. Il n'y est pas du tout question de plongeurs."

URSS, 1949. Nina Sergueïevna, traductrice, se rend dans une maison de santé pour écrivains. Là, elle savoure la beauté de la fin de l'hiver, qui modifie chaque jour la forêt dans laquelle elle se promène. Elle oublie son quotidien moscovite et mène son travail de traductrice.
Elle ne peut cependant empêcher le spectre de l'année 1937, lors de laquelle son mari a été arrêté et envoyé dans un camp pour dix ans "sans droit de correspondance", de la rattraper. Il est dans ses cauchemars et dans les rencontres qu'elle fait avec les autres pensionnaires de la pension. Ces écrivains et journalistes sont tous des témoins, des victimes ou des collaborateurs du pouvoir soviétique.
Durant ce mois de retraite, parviendra-t-elle à effectuer la plongée nécessaire à l'écriture d'un texte libérateur ?

Grâce à Marilyne, je termine le Mois de l'Europe de l'est en beauté avec cette pépite largement autobiographique.
Lydia Tchoukovskaïa, l'autrice, est une femme remarquable. Malgré l'arrestation et l'exécution de son mari, elle poursuivit ses relations avec les milieux littéraires russes et prit la défense de certains auteurs attaqués par le régime soviétique.

Ce livre est un magnifique hommage au poète et à la littérature. Pas celle que l'on trouve dans la presse officielle, vidée de son sens et intéressée. La vraie, celle dont les mots doivent toucher tous les êtres humains, indépendamment de leur instruction ou de leur classe sociale. Le poète montre ce qui échappe au commun des mortel. Il dit ce qui est indicible.

"Et pourquoi nous figurons-nous  que nous sommes toujours capable de comprendre un poète dans tout ce qu'il écrit ? Le poète est en avance sur nous. Il est suscité par cette forêt, cette langue, ce peuple, et envoyé loin dans l'avenir, si loin qu'il disparaît aux yeux de ceux qui l'ont envoyé. Et notre mission, à nous qui savons lire, est d'essayer, dans la mesure de nos forces, de le comprendre, et, après l'avoir compris, d'apporter ce bonheur à Ania et à Lisa... Mais nous nous dérobons à notre devoir et nous trahissons... le poète et Ania aussi... qui, si elle l'avait compris, aurait pu se surpasser..."

Et en même temps, quelle place pour la littérature dans l'URSS ? Comment écrire sous la terreur soviétique ? Aucun auteur ne peut exercer son travail sans avoir dans un coin de sa tête la menace d'une mauvaise interprétation, d'une dénonciation. Pendant le séjour de Nina, le quotidien des pensionnaires est bercé par la radio officielle, qui accuse les "cosmopolites", c'est à dire les Juifs, d'être des traîtres à la nation.
Dans ces conditions, la fonction expiatoire de la littérature est impossible. La terreur appauvrit et dénature les oeuvres. Elle impose le silence. La tentation de trahir ses idéaux, ses disparus et l'avenir est alors grande.
La narratrice ne peut pourtant pas occulter le souvenir de l'arrestation de son mari, ni l'attente interminable pour obtenir des informations sur ce qui lui est repproché, ni les incessants efforts de son esprit pour imaginer ce qui lui est arrivé.
Tous ne font pas ses choix, mais rien n'est jamais complètement binaire.

Une superbe découverte.

L'avis de Patrice.

Le Bruit du Temps. 209 pages.
Traduit par André Bloch, revu par Sophie Benech.
1974 pour l'édition originale.

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5 décembre 2015

L'intérêt de l'enfant - Ian McEwan

A14768Fiona Maye, soixante ans, est une magistrate renommée exerçant aux affaires familiales. Alors qu'elle traverse une crise conjugale, elle est confrontée à des cas judiciaires délicats. L'un d'entre eux fait la une des journaux. Un jeune homme de dix-sept ans atteint de leucémie refuse d'être transfusé en raison de son appartenance aux Témoins de Jéhovah.

Vous connaissez mon admiration pour Ian McEwan, auteur avec lequel j'aime jouer et qui aime piéger ses personnages et ses lecteurs.

En ouverture de ce roman, un extrait du Children Act, rappelant que "l'intérêt de l'enfant" prime sur tout dans les décisions de justice. Mais quelles sont les frontières de cette institution ? Comme souvent avec l'auteur, la réponse est froidement livrée à la fin du roman. Fiona est une pure héroïne de McEwan. Elle réalise les chaînes qui la retiennent aussi bien dans sa vie intime (où, pour une femme, faire pitié [signifie] en quelque sorte votre mort sociale, comme au XIXe siècle) que dans son métier. Assez âgée, elle appartient à une institution vieillissante, qui délaisse le contact humain pour "plus de cases à cocher, de rapports à croire sur parole". Qui doit remplir des quotas de condamnation pour viol et qui s'appuie de plus en plus sur des jurés qui s'informent sur internet.

Sa rencontre avec Adam est révélatrice de la difficulté de son métier de juge pour enfants. Cette affaire surmédiatisée concerne un adolescent auquel il ne manque que trois petits mois pour être un adulte. Sa foi lui interdit de recevoir le sang d'un autre, et la maturité du patient semble indéniable. Ici, le jugement de Fiona ne concerne pas ce qu'elle-même pense des Témoins de Jéhovah, elle doit se limiter à décider s'il faut respecter sa décision ou lui sauver la vie.
Or, ces limitations sont incompréhensibles pour un tout jeune homme en manque de repères et qui commence à percevoir la réalité de la vie, celle où les croyants les plus déterminés attendent simplement qu'on prenne les décisions à leur place, celle où ceux qu'on a cru voir comme des alliés, presque des amis, ne vous considèrent que comme un travail accompli.

Dans sa construction et dans son style, je trouve ce livre à rapprocher notamment de Sur la plage de Chesil. Le narrateur est extérieur, les faits sont exposés sans parti pris de l'auteur. Pourtant, cette sobriété dans L'intérêt de l'enfant m'a beaucoup trop laissée en dehors de l'histoire, et l'absurdité de ce qui se produit m'est apparue de façon beaucoup moins éclatante que d'habitude. D'ordinaire, on ressort d'un McEwan complètement bouleversé pour le personnage. Ici, Fiona est choquée, mais j'ai du mal à voir sa vie ne pas reprendre son cours normal assez rapidement. D'autant plus que sa solitude apparaît de façon bien moins éclatante que d'ordinaire.

Ian McEwan avait un sujet délicat à traiter. S'agissant d'enfants et de religion, il ne fallait surtout pas tomber dans le pathos. A l'inverse, il s'est peut-être trop retenu.

Lewerentz est dithyrambique. Un autre avis très intéressant ici.

Gallimard. 231 pages.
Traduit par France Camus-Pichon.
2014 pour l'édition originale.

3 mai 2015

Opération Sweet tooth - Ian McEwan

9782070140725Angleterre, années 1970. Serena Frome a la vingtaine lorsqu'elle intègre le MI-5, recrutée par un ancien amant. Fille d'un évêque et mathématicienne de formation, elle occupe d'abord un poste subalterne avant que son joli minois lui permette d'être sélectionnée pour participer à l'opération Sweet tooth. Elle doit approcher un écrivain prometteur que ses employeurs pensent intéressant pour propager des oeuvres anti-communiste dans le contexte de la Guerre Froide.
Les choses se gâtent lorsque Serena tombe amoureuse de sa cible à qui elle doit cacher sa véritable identité.

Si je n'ai pas adoré ce livre comme ses précédents, il faut reconnaître que Ian McEwan connaît une légère baisse dans ses créations, je n'ai pas ressenti la même frustration qu'avec Solaire. J'ai au contraire passé un très bon moment.

Le contexte historique est très intéressant. Certains aspects de la Guerre Froide sont bien mis en valeur. Quand on n'a pas vécu cette période, il est difficile de comprendre cette peur panique des communistes qu'il y avait en Occident, et encore plus l'importance des moyens mis en œuvre pour les traquer ou les court-circuiter.
Attention cependant à ne pas s'attendre à un roman d'espionnage, car ce n'est clairement pas de ça dont il s'agit. L'héroïne est une jeune femme réfléchie, qui saisit peu à peu ce qu'on lui demande de faire, mais il n'y a rien de dangereux dans sa mission, excepté pour son cœur d'amoureuse. Aucun grand méchant, interrogatoire musclé ou autre. Serena est une débutante avec une mission qui ne va bouleverser que sa vie.

Le point central du roman, c'est en fait le pouvoir de l'écrivain, le respect ou non du contrat existant entre l'auteur et son lecteur. Je n'en dit pas plus, mais McEwan traite davantage de ce sujet là que du reste, et c'est ce qui rend son livre brillant. C'est d'ailleurs ce que j'aime chez lui, mais ce qui a dû déplaire à d'autres qui s'attendaient à un autre contenu.
Qui est le blaireau de l'histoire ? Tom Haley, Serena, ou bien le lecteur ? On a connu Ian McEwan plus inspiré et habile, avec ce livre ayant des airs d'Expiation un peu trop prononcés à mon goût, mais il faut reconnaître que ça fonctionne. La création littéraire est vraisemblablement un sujet qui travaille l'auteur.

Quand on lit Opération Sweet tooth, on essaie de le saisir tout du long, mais il faut attendre les dernières phrases pour comprendre à quoi on avait en fait affaire. On peut être frustré ou bluffé.

L'avis de Lou.

Gallimard. 448 pages.
Traduit par France Camus-Pichon.

27 novembre 2021

La Brodeuse de Winchester - Tracy Chevalier

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Violet Speedwell, trente-huit ans et célibataire, quitte son acariâtre de mère pour s'installer à Winchester où elle travaille en tant que dactylo. Après avoir involontairement assisté à un office réunissant des brodeuses dans la cathédrale, elle décide de rejoindre leur cercle.

J'ai ouvert ce livre avec beaucoup d'enthousiasme et un peu d'appréhension. Si Tracy Chevalier a su m'enchanter avec Prodigieuses créatures, La Dernière fugitive m'a bien moins convaincue. Heureusement, la lecture de La Brodeuse de Winchester a été une vraie lecture bonbon par ce temps froid et pluvieux.

J'ai beau ne rien connaître à la broderie, l'autrice m'a passionnée avec ses agenouilloirs, ses coussins et la description des différents points. La cathédrale de Winchester, cet espèce de "crapaud gris" peu conventionnel au milieu des grandes cathédrales gothiques, qui abrite la tombe de Jane Austen, est un lieu passionnant. Nous la parcourons jusque dans les hauteurs réservées aux sonneurs de cloches et découvrons quelques secrets de ces discrets individus. 

Nous plongeons également dans l'Angleterre des années 1930, où les séquelles de la guerre sont encore très vives. Des centaines de milliers d'hommes manquent à l'appel, ce qui est une catastrophe pour leurs familles mais aussi une condamnation pour toutes les femmes restées célibataires, une condition aussi méprisée que suspecte dans "une société conçue pour le mariage". Malgré sa profession, Violet n'a pas les moyens de manger à sa faim, le salaire d'une femme ne devant être qu'un complément de revenus en attendant qu'elle se marie. Les allées et venues de Violet sont surveillées, elle ne peut parler à quiconque de ses "partenaires de sherry", et gare à la tentation du lesbianisme...

Pour être complètement honnête, je n'ai pas compris l'intérêt du personnage de Jack Wells et je trouve que l'histoire d'amour principale manque de crédibilité. Une complicité amicale entre les deux protagonistes concernés aurait été bien plus efficace à mon sens. Mais ces petites réserves ne m'empêchent pas de vous recommander chaudement ce titre.

Je remercie les éditions Folio pour ce livre.

Folio. 381 pages.
Traduit par Anouk Neuhoff.
2019 pour l'édition originale.

30 janvier 2023

Jours de travail : Les Journaux des Raisins de la colère - John Steinbeck

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" Personne ne connaît mon absence de facilité comme moi je la connais. "

Les Raisins de la colère étant le livre qui m'a le plus marquée en 2020, il fallait absolument que je lise un jour le journal tenu par Steinbeck lors de sa rédaction et présenté de façon (comme toujours merveilleuse) par Dominique il y a quelques temps.

Le processus d'écriture du livre occupe évidemment une place centrale dans ces journaux. Steinbeck se contraint à un travail rigoureux et régulier (le même nombre de pages chaque jour). Il ne cache pas ses doutes, ses difficultés, ses frustrations. Il parle des personnages comme s'ils étaient réels.

" Ces gens doivent être intensément en vie tout le temps."

Malgré la tentation de l'oisiveté, qui le guette, il veut écrire un livre à la hauteur de ses ambitions.

"Il faut que ce soit un bon livre. Il doit l'être tout simplement. Je n'ai pas le choix. Il faut que ce soit, de loin, le meilleur truc que j'aie jamais tenté."

Peu à peu, certains éléments se mettent en place. La scène finale (inoubliable) apparaît à l'auteur assez rapidement. L'épouse de l'auteur est également un personnage central dans la réalisation du livre. C'est elle qui trouve le titre et met au propre le texte de Steinbeck.

Déjà célèbre, il suit la tournée de ses oeuvres précédentes, la faillite de son premier éditeur. Il se rend à Hollywood pour y travailler.

En plus de l'écriture de son livre, Steinbeck cherche à agir pour les individus qui lui inspirent ses personnages. Le spectre du nazisme l'angoisse, l'argent qu'il a gagné a éloigné certains de ses proches.Avec son épouse, ils découvrent puis achètent un ranch, le plus bel endroit que Steinbeck a vu, dit-il (et peut-être des paysages qui lui ont inspiré certaines de ses oeuvres ultérieures ?). La publication du livre, qui recontre un immense succès, lui vaut des ennemis. La menace de ces gens puissants pèse sur Steinbeck.

"Les deux derniers jours, j'ai eu des prémonitions de mort tellement fortes que j'ai brûlé toutes sortes de correspondances sur des années. J'ai une telle horreur des gens qui pourraient les fouiller, mettre la pagaille dans mon passé tel qu'il est."

Une immersion passionnante dans le quotidien de Steinbeck pour la session mensuelle des "Classiques c'est fantastique".

Pavillons Poche. 250 pages.
Traduit par Pierre Guglielmina.

Source: Externe

12 août 2021

Histoire de ma vie - George Sand

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" A-t-on bien raison de tenir tant à ces demeures pleines d'images douces et cruelles, histoire de votre propre vie, écrite sur tous les murs en caractères mystérieux et indélébiles, qui, à chaque ébranlement de l'âme, vous entourent d'émotions profondes ou de puériles superstitions? Je ne sais; mais nous sommes tous ainsi faits. La vie est si courte que nous avons besoin, pour la prendre au sérieux, d'en tripler la notion en nous-mêmes, c'est-à-dire de rattacher notre existence par la pensée à l'existence des parens qui nous ont précédés et à celle des enfans qui nous survivront. "

Après ma découverte de la délicieuse biographie d'Honoré de Balzac par Titiou Lecoq, j'ai entamé l'autobiographie d'une autre grande figure du XIXe siècle, George Sand. Mise à l'honneur dans deux bandes-dessinées remarquables cette année, la visite de la maison de la romancière à Nohant a achevé de me convaincre d'entamer cette Histoire de ma vie qui s'étale, en version abrégée, sur plus de huit cents pages.

Cette entreprise autobiogaphique est novatrice. En effet, les femmes, fidèles à l'idée qu'elles ne doivent pas occuper le devant de la scène, ont peu pratiqué cet exercice. Lorsqu'elles l'ont fait, c'est dans une perspective historique. George Sand, dans le pacte autobiographique qu'elle présente, souhaite proposer un texte dans lesquels ses lecteurs se retrouvent. Rejetant le terme de "mémoires" qui lui permettrait de compromettre d'autres qu'elle (comme l'a fait Rousseau, à qui elle le reproche), elle choisit la discrétion en optant pour un récit centré essentiellement sur elle-même.

Lorsqu'elle prend la plume, la romancière est dans une période faste d'un point de vue littéraire. Ses idéaux politiques sont encore intacts. La révolution de 1948 bouleverse complètement ce point, et de l'aveu de George Sand, fait prendre une autre direction à son texte qui ne sera achevé que sept ans plus tard.

Ayant une double origine peu fréquente, avec son père d'ascendance noble et sa mère, d'origine modeste, George Sand commence par retracer l'histoire de sa famille. Elle nous fait ainsi parcourir la Révolution, puis les guerres napoléoniennes. Passionnée par la politique, profondément attachée au peuple, son texte est parsemé de passages faisant le récit de la période dont elle a été témoin (et c'est peu de dire que la première moitié du XIXe siècle voit défiler des régimes politiques variés).
Si ce mélange entre le beau monde et le petit peuple est un atout dans la formation de celle qui s'appelle encore Aurore Dupin, il est également la source des plus grandes souffrances de son enfance. Il cause en effet des différends irréconciliables entre sa mère et sa grand-mère, qui se disputent sa garde après la mort brutale et prématurée du père de la romancière.

Le salon de George Sand à Nohant

" l'enfance est bonne, candide, et les meilleurs êtres sont ceux qui gardent le plus, qui perdent le moins de cette candeur et de cette sensibilité primitives. "

La majeure partie du livre est consacrée à la jeunesse de George Sand. Elle y montre son attachement à l'enfance, à Nohant, à ses jeux, à ses rêveries, à la construction d'un monde dans lequel elle puisera plus tard pour écrire certains de ses livres. Bien qu'ils soient parfois à l'origine d'un grand tiraillement dans l'esprit de la petite Aurore, cette dernière évoque les adultes qui l'ont élevée avec une immense affection. Faisant une entorse à ses engagements initiaux, elle arrange parfois les actions, les lettres, les dialogues de ses parents et de sa grand-mère. Elle écrit aussi combien son précepteur, qu'elle a tant détesté parfois, fut une figure importante.

Les curiosités de la bibliothèque

La créatrice  : Il est peu question de création littéraire dans ce livre, mais les passages sur le sujet sont parmi les plus intéressants. A l'instar de Balzac, sur lequel elle écrit des lignes savoureuses, elle écrit pour vivre. Pire, elle choisit cette profession parmi d'autres. Comme lui, elle met à mal le mythe de l'artiste touché par la grâce. Le travail et la sobriété sont pour elle essentiels. En revanche, George Sand n'est pas l'une des plus fidèles adeptes du réalisme. On lui reprochera d'ailleurs son amour du merveilleux, qu'elle défend avec éloquence.

" Un portrait de roman, pour valoir quelque chose, est toujours une figure de fantaisie. L'homme est si peu logique, si rempli de contrastes ou de disparates dans la réalité, que la peinture d'un homme réel serait impossible et tout-à-fait insoutenable dans un ouvrage d'art. Le roman entier serait forcé de se plier aux exigences de ce caractère, et ce ne serait plus un roman. Cela n'aurait ni exposition, ni intrigue, ni nœud, ni dénouement, cela irait tout de travers comme la vie et n'intéresserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d'idéal de la vie. "

Si elle ne se sent pas talentueuse, il ne faut pas pour autant conclure que George Sand a une vision méprisante de l'art. Au contraire, elle y voit une nécessité pour l'homme et admire de nombreux artistes, dans la peinture, la musique et la littérature.

" L'art me semble une aspiration éternellement impuissante et incomplète, de même que toutes les manifestations humaines. Nous avons, pour notre malheur, le sentiment de l'infini, et toutes nos expressions ont une limite rapidement atteinte; ce sentiment même est vague en nous, et les satisfactions qu'il nous donne sont une espèce de tourment. "

De George la scandaleuse, il est aussi question. Elle monte à cheval comme un homme, se transforme en apprentie médecin, court  la campagne avec des enfants du peuple, tombe amoureuse. En toute discrétion. Ses actes l'amènent à se séparer de certaines personnes, pour ne pas les embarRasser et pour ne pas souffrir.

Les liaisons de l'autrice sont évoquées à demi-mots. Musset est à peine évoqué, elle refuse d'accabler Casimir Dudevant. Seul Chopin fait l'objet de superbes pages où elle exprime son admiration et son amour pour le compositeur, tout en qualifiant leur relation de filiale.
Dans ce livre, Sand réfléchit longuement à sa place de femme. Bien qu'ayant une vision essentialiste des sexes, elle refuse l'idée d'une infériorité de la gent féminine et ne se laisse pas impressionner, même si son manque de confiance en ses capacités est criant.

"J'ai parlé de ma figure, afin de n'avoir plus du tout à en parler. Dans le récit de la vie d'une femme, ce chapitre menaçant de se prolonger indéfiniment, pourrait effrayer le lecteur. Je me suis conformée à l'usage, qui est de faire la description extérieure du personnage que l'on met en scène. Et je l'ai fait dès le premier mot qui me concerne, afin de me débarrasser complétement de cette puérilité dans tout le cours de mon récit. J'aurais peut-être pu ne pas m'en occuper du tout. J'ai consulté l'usage, et j'ai vu que des hommes très sérieux, en racontant leur vie, n'avaient pas cru devoir s'y soustraire. Il y aurait donc eu peut-être une apparence de prétention à ne pas payer cette petite dette à la curiosité souvent un peu niaise du lecteur."

Allant à l'encontre des préjugés contre elle, l'auto-analyse qu'elle fait de sa personne montre une femme qui se sent très quelconque. Modeste, refusant les médisances, pieuse (elle songe à devenir religieuse) bien que sa religion soit complexe, elle prône avant tout la modération (même en matière de critique littéraire). Plutôt optimiste et bienveillante quant au genre humain, elle n'est pas complètement imperméable au "mal du siècle". Une personnalité complexe en somme.

J'avais lu il y a fort longtemps La Petite Fadette, qui m'avait donné une vision très tronquée de George Sand (le traitement qui lui est réservé me rappelle d'ailleurs un peu celui de Jack London, dont les oeuvres engagées sont bien moins connues que les récits animaliers). 

Avec ce livre, j'entame mon challenge Pavé de l'été de Brize qui fête ses dix ans.

Le Livre de Poche. 863 pages.
Edition établie par Brigitte Diaz.
1855.

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