Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lilly et ses livres
Newsletter
Derniers commentaires
6 janvier 2008

Entre Dieu et moi, c'est fini ; Katarina Mazetti

18297523_p_1_

Le mec de la tombe d'à côté m'avait beaucoup plu, Entre Dieu et moi, c'est fini est un petit bijou.

Linnea est une jeune Suédoise de seize ans. Elle nous fait partager ses pensées un peu comme elle parle à un mur chez sa grand-mère. Elle nous raconte le lycée, le beau Markus, le pauvre Henrik, et surtout Pia. Pia était sa seule amie, pendant "cent-vingt jours". Mais maintenant, Pia est morte (ne lisez surtout pas la quatrième de couverture du livre, elle en dit beaucoup trop à ce sujet), et Linnea a du mal à s'en remettre.

La vraie réussite de Katarina Mazetti dans ce petit roman est de nous parler de choses pénibles avec énormément de recul et d'humour. Bon, c'est certain qu'à seize ans, on a rarement le sens de l'autodérision de Linnea, mais je me suis beaucoup retrouvée en elle (même si j'ai quelques années de plus). Comme toutes les adolescentes, Linnea est pleine de contradictions. Elle veut parler, mais trouve cela trop douloureux. Elle veut aimer, mais cela semble assez dangereux. Donc mieux vaut qu'elle se focalise sur un type inaccessible qu'elle aime tant qu'il ne la regarde pas, et snober celui qui l'aime parce qu'il lui permet de se détester  elle-même à travers lui...
J'ai adoré les réflexions pleines de n'importe quoi mais très vraies des personnages de ce livre. Même les piques que se balancent les filles, les rapports de force qui basculent parfois en quelques secondes, sont jubilatoires et plus vrais que nature.

Après plusieurs lectures assez éprouvantes (et je n'ai toujours pas ouvert Faulkner...), ce livre était tout à fait ce dont j'avais besoin.

" - [...] Est-ce qu'on peut être indifférent à ses enfants ? Ne pas les aimer ?
  - Dieu a sacrifié son propre fils, si ce qu'on raconte est vrai ", a dit Pia. "
(page 77)

Les avis de Cuné, Clarabel, et Gachucha.

Gaïa ; 160 pages.

Publicité
22 décembre 2008

Typhon ; Joseph Conrad

41VPG5PTQ9LFolio ; 153 pages.
Traduction d'André Gide ; 1903.
Titre Original : Typhoon.

Joseph Conrad est l'un de ces auteurs que j'avais prévu de découvrir depuis pas mal de temps, mais je ne savais pas vraiment par où l'attaquer. Au coeur des ténèbres est sans doute son titre le plus connu, mais le résumé ne me tentait pas tellement. C'est Manu qui a tranché pour moi, en le glissant dans mon colis Swap, par hasard.
Pour tout vous avouer, je n'ai appris qu'il y a quelques semaines que Conrad n'était pas un auteur américain mais bien un auteur anglais. En fait, c'est encore plus compliqué que cela, puisqu'il est en fait Polonais par ses parents, mais né en Ukraine. Conrad n'est devenu Anglais que vers trente ans, lorsqu'il s'est engagé dans la marine britannique.
Si je vous dit tout ça, c'est effectivement parce que je suis fatiguée, et que je parle beaucoup pour ne rien dire quand je suis fatiguée, mais aussi parce que cela me semble être important.

Je ne pense pas surprendre grand monde en disant que Typhon se déroule sur un bateau (la couverture, qui n'est d'ailleurs pas celle de mon livre, vous l'aura fait comprendre), mais savoir que Conrad a été marin lorsque l'on aborde ce texte me parait éclairant. Je ne suis pas une grande amatrice de livres dont l'intrigue repose davantage sur une atmosphère que sur des personnages, et ici, on ne peut pas dire que ces derniers soient très captivants au premier abord. Je vous laisse apprécier les quelques lignes qui introduisent le capitaine du Nan-Sham, le bateau qui va affronter le typhon auquel le titre fait allusion :   

" L'aspect du capitaine Mac Whirr, pour autant qu'on en pouvait juger, faisait pendant exact à son esprit et n'offrait caractéristique bien marquée de bêtise, non plus que de fermeté ; il n'offrait caractéristique aucune. Mac Whirr paraissait quelconque, apathique, indifférent. "

En fin de compte, Mac Whirr s'avère beaucoup plus intéressant que je l'imaginais. Il ne prend pas toujours les bonnes décisions, et est responsable du fait que son navire se retrouve au coeur d'un typhon, mais sa façon de vivre seulement de faux semblants m'a émue.
Je vous parlerais bien des autres membres de l'équipage, seulement il me semble que ce sont les relations qu'ils ont entre eux qui sont intéressantes. Car ce livre est un tout, chaque élément permet de créer l'atmosphère exacte que Conrad a voulu, et c'est ce qui rend ce texte si puissant, si beau, et surtout si réel. Je crois que je n'avais jamais lu un livre qui permettait de ressentir aussi fortement le calme d'abord, avec des personnages à moitié endormis, une mer tranquille, un navire qui fait paisiblement sa route, puis le déluge :

"Un faible éclair tremblota tout autour comme sur les parois d'une caverne, d'une chambre de la mer secrète et noire, au pavement d'écume et de flots. Sa palpitation sinistre découvrit un instant la masse basse et déchiquetée des nuages, le profil allongé du Nan-Sham, et sur le pont, les sombres silhouettes des matelots à la tête baissée, surpris dans quelque élan, butés et comme pétrifiés. Puis les flottantes ténèbres se rabattirent. Et c'est alors enfin que la réelle chose arriva.
Ce fut je ne sais quoi de formidable et de prompt, pareil à l'éclatement soudain du grand vase de la Colère. L'explosion enveloppa le navire avec un jaillissement tel qu'il sembla que quelque immense digue venait d'être crevée à l'avant. Chaque homme aussitôt perdit contact. Car tel est le pouvoir désagrégeant des grands souffles : une avalanche s'attaque à l'homme incidemment pour ainsi dire et sans colère. L'ouragan, lui, s'en prend à chacun comme à son ennemi personnel, tâche à l'intimider, à le ligoter membre à membre, met en déroute sa vertu.
" 

J'ai mis la dernière phrase en gras, parce que je l'aime tout particulièrement. Mais le passage entier est juste sublime.
Tout est parfait dans ce livre. Conrad a parfaitement su doser tout les éléments dont il avait besoin : les dialogues au compte-goutte, l'attitude des personnages (il n'y a pas que la mer qui s'agite), et même la construction du livre (la fin du typhon permet de terminer admirablement l'histoire)... 

Un excellent livre que je vous conseille absolument donc !

21 septembre 2008

Son absence ; Justine Augier

9782234061644_G_1_Stock ; 169 pages.

J'avais repéré très tôt ce titre de la rentrée littéraire, parce qu'il était chaudement recommandé par ma librairie. Je l'ai donc ouvert avec enthousiasme, même si l'avis de Clarabel m'avait intriguée.

Aria a disparu depuis de longs mois, alors sa mère fait appel à un écrivain public, le narrateur de l'histoire, afin qu'il reconstitue le passé de sa fille.

Je dois dire que ce livre est une déception pour moi. La première chose que l'on remarque est l'écriture de Justine Augier. Elle est très travaillée, de façon à la rendre chantante pour qu'elle accompagne le récit en le dynamisant et en créant une atmosphère de délicatesse.
Le gros souci est qu'il n'y a pas grand chose à accompagner. L'écrivain public chargé de raconter l'histoire d'Aria nous livre un récit complètement superficiel. Soit il nous parle d'Aria comme si nous la connaissions depuis des années quand ce n'est naturellement pas le cas, et elle nous paraît de ce fait très lointaine. Soit il nous livre des anecdotes inintéressantes, qui la laissent également dans le brouillard. Je n'ai rien contre les personnages énigmatiques, mais Aria n'a rien de quelqu'un de fascinant, et l'obsession qu'elle provoque chez l'écrivain à qui sa mère a fait appel est difficile à comprendre.
D'ailleurs, cet homme antipathique ne sert pas à grand chose en fin de compte. Je pensais qu'il devrait faire des recherches, mais il se contente de nous livrer son travail final.
J'ai lu ce livre jusqu'à la dernière page, mais le ton employé n'a pas changé. Ce n'est pas chargé d'émotion comme Justine Augier l'avait manifestement prévu, mais monotone, lassant, et alors que livre s'achève sur la déception d'un personnage que nous n'avons pas appris à connaître, impossible d'être touché. Même Aria ne m'intéressait plus à ce stade. Avec ce livre, j'ai eu l'impression de lire des pages vides, que j'oubliais au fur et à mesure que je les tournais. Tant pis. 

Merci à Clarabel pour le prêt.

20 septembre 2008

Le treizième conte ; Diane Setterfield

resize_3_Plon ; 389 pages.

Je crois que je suis vraiment la dernière à lire ce roman qui a suscité un très grand enthousiasme depuis sa sortie en janvier 2007. Je l'avais acheté à ce moment là, feuilleté, mais je n'avais pas encore eu l'envie de le lire. Il faut dire qu'il avait été comparé à Possession, livre que j'ai été incapable de terminer, et les romans qui font l'unanimité m'inquiètent toujours beaucoup. Je viens donc, avec beaucoup de retard, ajouter ma voix au concert de louanges qui entoure Le treizième conte.

Margaret Lea est une jeune femme solitaire, qui aime davantage la compagnie des livres que celle des gens. Depuis toujours, elle a fait de la librairie de livres d'occasion de son père son antre. Un jour, elle reçoit une lettre, à l'écriture étrange, qui lui vient de Vida Winter, un auteur de best-sellers. Celle-ci souhaite confier l'histoire de sa vie à Margaret, qui a déjà rédigé quelques biographies succinctes. La jeune femme est très étonnée, elle n'est pas une réelle biographe. De plus, elle est sceptique. Vida Winter est réputée pour avoir fait de sa vie un mystère. Troublée par l'arrivée inattendue de cette lettre, Margaret décide de feuilleter le seul livre de l'écrivain disponible dans la librairie de son père, un recueil de treize conte selon le titre. Finalement absorbée par les douze premiers contes qu'elle lit, elle découvre avec stupeur que le treizième conte n'a jamais été publié. Sa rencontre avec Vida Winter soulève encore davantage de points obscurs, et la mène dans une histoire de fantômes, de jumelles, de famille brisée, qui renvoie à Margaret le reflet de ses propres drames.

Soyons honnêtes, la première chose qui m'a plu dans ce livre, c'est sa couverture. Tant la première que la quatrième, puisque cette dernière nous promettait une histoire à la Rebecca. Bon, sur ce dernier point, c'est raté. L'ambiance n'est pas celle des romans à tendance gothique qui était promise. La grande demeure des Angelfield tombe en ruine, le plancher craque, il y a bel et bien des cadavres dissimulés et des nuits sans lune, mais ce n'est pas cela qui rend Le treizième conte aussi angoissant, aussi bouleversant et aussi captivant. Il y a quand même un très bel hommage rendu à la littérature anglaise du XIXe siècle dans ce livre. On pense à Jane Eyre bien sûr, abondamment cité. Pour ma part, j'ai surtout pensé à Wuthering Heights. D'autres clins d'oeil parsèment également ce livre, à travers le comportement des personnages ou au cours de leurs discussions. Nous passons également du temps dans les vieilles bibliothèques des demeures que nous traversons. Et puis, j'ai adoré le fait que les personnages n'échangent que par lettres, même si le roman se déroule à notre époque.
Il y a certaines ficelles un peu grosses, quelques questions qui surviennent un peu tard, c'est vrai. Mais cela est totalement gommé par la puissance de l'histoire que raconte Vida Winter. La plume de Diane Setterfield est très belle, très énigmatique. Elle nous tient en haleine, certaines phrases ne prennent tout leur sens qu'à la fin, pour nous bluffer complètement. Les personnages ne sont pas beaux, mais leur attitude est entière et cela les rend attachants. De plus, leur histoire est tellement triste qu'elle ne peut qu'émouvoir. 
Quelques questions restent en suspens, mais cela fait aussi partie des charmes de ce roman, dont on a du mal à croire qu'il est le premier-né de Diane Setterfield.

Je me suis plongée dans ce roman avec un bonheur que je n'avais pas ressenti depuis longtemps, et je vous souhaite de refermer ce roman aussi conquis que moi.

Les avis de Allie, Clarabel, Fashion, Praline, Gachucha, Karine, Cuné... J'en oublie plein, mais n'hésitez pas à mettre votre lien.   

28 juillet 2008

The End of the Affair ; Graham Greene

41WFWWVBNKLGraham Greene est un auteur britannique que je trouve peu présent sur la blogosphère, alors même que j'en ai l'image d'un auteur majeur. J'imagine que cela vient du fait que The End of the Affair a fait l'objet d'une adaptation pour le cinéma.

Maurice Bendrix rencontre un soir Henry Miles, un homme pour lequel il n'éprouve que peu d'estime, et qu'il n'a pas revu depuis deux ans. Cependant, Bendrix ne peut résister à l'envie d'aller boire un verre avec lui. Car Henry Miles est l'époux de Sarah, le grand amour et l'ancienne maîtresse de Bendrix. C'est elle qui a mis un terme à leur relation, et Bendrix n'a jamais su pourquoi avec exactitude. Henry lui fait part à contrecoeur des soupçons qu'il nourrit vis à vis de son épouse : " 'she's out for a walk now. A walk, Bendrix.' The rain had penetrated his guard also and he held the edge of his sleeve towards the gas fire." Ayant lui même été un amant de Sarah, Bendrix ne doute pas un seul instant que celle-ci est effectivement en compagnie d'un autre homme. Cette idée lui est insupportable, et sous couvert d'aider Henry à percer Sarah au grand jour, il propose de se présenter comme un amant jaloux (ce qu'il est bel et bien en secret), et de la faire suivre. Cela va le replonger dans ses souvenirs, et raviver les sentiments confus qu'il éprouve pour la femme d'Henry.

Ce livre n'est pas le simple récit d'une histoire d'amour qui finit mal, comme je le croyais en ouvrant ce livre. Les personnages ne sont pas vraiment glamour, mais ils sont très fouillés, très torturés. Ils ont des réactions et des questionnements dans lesquels n'importe qui se retrouve : la femme qui n'ose pas quitter sa vie confortable et qui manque d'assurance, le mari trompé qui est terrifié à l'idée de se retrouver seul, l'amant qui déteste et chérit tout ce qui lui rappelle l'autre, les associations complètement invraisemblables mais en même temps parfaitement logiques.
Étrangement, c'est le duo Maurice Bendrix/Henry Miles qui est le plus mis en avant. Ils ouvrent et clôturent l'histoire, tandis que Sarah se contente d'être suggérée. C'est Bendrix qui narre les événements. Lorsque Sarah prend la parole, c'est toujours d'après les souvenirs noués de Bendrix ou par le biais d'un journal, toujours du point de vue de son amant. Bendrix est écrivain, et veut faire de son ancienne liaison un livre.  "A record of hate", assure t-il au début. Sauf qu'il se fait rapidement dépasser par les événements. Car The End of the Affair est avant tout une longue réflexion sur ce que sont l'amour, la haine, la religion.
On en vient à ce que je n'ai pas vraiment apprécié dans ce livre, même s'il ne faut pas que cela vous décourage : le ton employé est à plusieurs reprises un peu moralisateur. Personnellement, dès qu'on commence à parler religion, ça m'énerve. J'ai lu que Graham Greene s'était converti au catholicisme, d'où peut-être les doutes des personnages.  D'ailleurs, je serais très curieuse de savoir comment ils ont géré cet aspect du livre dans l'adaptation.
Je n'ai rien contre les ambiances lourdes, et la façon dont Bendrix envisage Dieu est intéressante (on reste bizarrement dans le thème de l'amant jaloux). Cependant, cette évocation de la religion gâche un peu le livre, alors que l'histoire était très intéressante par ailleurs, et que le talent d'écrivain de Graham Greene est évident.

Bémol donc, même si je suis certaine de relire Graham Greene un jour.

Vintage ; 160 pages.
V.F. : La fin d'une liaison

Publicité
10 juillet 2021

Fragments d'un discours amoureux - Roland Barthes

20210630_122211c

Qu’est-ce que je pense de l’amour ?  - En somme, je n’en pense rien. Je voudrais bien savoir ce que c’est, mais, étant dedans, je le vois en existence, non en essence. Ce dont je veux connaître (l’amour) est la matière même dont j’use pour parler (le discours amoureux). La réflexion m’est certes permise, mais, comme cette réflexion est aussitôt prise dans le ressassement des images, elle ne tourne jamais en réflexivité : exclu de la logique (qui suppose des langages extérieurs les uns aux autres), je ne peux prétendre bien penser.

Pourquoi l'amour nous fascine-t-il autant ? Pourquoi, des artistes aux plus banales conversations, cherchons-nous toujours à exprimer ce qu'il est ou n'est pas?

Roland Barthes n'est ni poète ni romancier, mais sémiologue. En adoptant un ordre froidement alphabétique, il analyse les différentes situations, désignées ici sous le terme de "figures", où s'exprime le dialogue amoureux. Les mots sont évidemment son matériau d'étude principal, mais il analyse aussi les autres expressions de ce langage, qu'il s'agisse de silences, de gestes (rien de moins spontané qu'un mouvement amoureux ?) ou encore de larmes.

Bien que l'expérience amoureuse soit individuelle, il est indéniable que nos comportements, pour de multiples raisons, répondent à des schémas communs. Toutes les figures présentées dans ce livre ne nous parleront pas. Elles ne se présenteront pas non plus dans le même ordre dans toutes les relations. Pourtant, ce livre ne peut qu'être une ressource passionnante. Nous avons tous manié ce langage excessif, lacunaire, creux (quoi de moins argumenté qu'un "je t'aime parce que je t'aime" ? ), genré aussi (oui, oui ! ), absurde (plus j'aime et moins je ne peux l'expliquer) et qui exprime nos angoisses les plus terribles.

Historiquement, le discours de l’absence est tenu par la Femme : la Femme est sédentaire, l’Homme est chasseur, voyageur ; la Femme est fidèle (elle attend), l’homme est coureur (il navigue, il drague). C’est la Femme qui donne forme à l’absence, en élabore la fiction, car elle en a le temps ; elle tisse et elle chante ; les Fileuses, les Chansons de toile disent à la fois l’immobilité (par le ronron du Rouet) et l’absence (au loin, des rythmes de voyage, houles marines, chevauchées). Il s’ensuit que dans tout homme qui parle l’absence de l’autre, du féminin se déclare : cet homme qui attend et qui en souffre, est miraculeusement féminisé. Un homme n’est pas féminisé parce qu’il est inverti, mais parce qu’il est amoureux.

J'essaie de lire depuis quelques mois un recueil de conférences de Noam Chomsky, Le Langage et la pensée, auquel je ne comprends pas grand chose. L'intellectuel y énonce cependant le fait qu'il lui semble impossible d'étudier le langage sans y associer d'autres disciplines comme la psychologie. Fragments d'un discours amoureux est la démonstration parfaite de cette alliance. Le dialogue amoureux étant à la fois un langage très narcissique et empathique, l'implicite et les non-dits y occupent une place prédominante. S'en tenir à une analyse des signes n'est donc pas envisageable.

On peut reprocher quelques passages trop inspirés par la psychanalyse freudienne (un mal fort répandu parmi les oeuvres du XXe siècle) et une analyse du discours amoureux essentiellement dans les tourments (les gens heureux n'ont pas d'histoire). Ces remarques ne m'empêchent cependant pas d'avoir éprouvé un coup de coeur absolu pour ce livre, qui me sert déjà de grille de lecture dans mes nouvelles découvertes livresques.

Peu importe, au fond, que la dispersion du texte soit riche ici et pauvre là ; il y a des temps morts, bien des figures tournent court ; certaines, étant des hypostases de tout le discours amoureux, ont la rareté même - la pauvreté - des essences : que dire de la Langueur, de l’Image, de la Lettre d’amour, puisque c’est tout le discours amoureux qui est tissé de désir, d’imaginaire et de déclarations ? Mais celui qui tient ce discours et en découpe les épisodes ne sait pas qu’on en fera un livre ; il ne sait pas encore qu’en bon sujet culturel il ne doit ni se répéter, ni se contredire, ni prendre le tout pour la partie ; il sait seulement que ce qui lui passe dans la tête à tel moment est marqué, comme l’empreinte d’un code (autrefois, c’eût été le code d’amour courtois, ou la carte du Tendre).

Points. 327 pages.
1977.

22 août 2014

La bienfaitrice - Elizabeth von Arnim

la-bienfaitrice-elizabeth-von-arnimAnna Escourt est une source de déception perpétuelle pour sa belle-soeur Susie. A vingt-cinq ans, elle refuse de se marier et menace de partir balayer les rues plutôt que de continuer à dépendre des autres.
Lorsqu'elle reçoit à la mort de son oncle une propriété en Allemagne qui lui assure un revenu de deux cents livres par an, elle se rend immédiatement sur place en espérant ensuite rentrer en Angleterre et jouir à distance de sa nouvelle indépendance. Cependant, une fois arrivée, elle décide de rester et d'ouvrir sa demeure à des dames qui, comme elle, ont connu la pauvreté malgré leur haute naissance.

Voilà un roman absolument délicieux à découvrir aussi bien au bord de la plage qu'au coin du feu (oui, avec ce temps, j'ai fait les deux).
Anna est une de ces jeunes héroïnes anglaises comme on les aime. A la fois enthousiaste et naïve, elle met quelques temps à ouvrir les yeux dans ce monde d'hommes où les fortes têtes n'ont pas vraiment leur place. Sa famille veut qu'elle se marie, son régisseur allemand compte bien lui faire courber la tête, et ses ingrates pensionnaires la méprisent de les accueillir comme elle le fait au mépris des bonnes manières. 
Elizabeth von Arnim ne fait pas dans la dentelle, et rares sont les personnages qui ne nous deviennent pas odieux rapidement. Les femmes sont prisonnières de leur statut, qu'elles soient mariées, veuves ou célibataires. Susie est une parvenue, et tout son argent et son mariage avec un grand nom ne peuvent la faire intégrer les cercles qu'elle convoite. Les pensionnaires d'Anna, de haute naissance pour deux d'entre elles, préfèrent la faim et le froid plutôt que l'idée de travailler. Les hommes sont certains de leur supériorité, tyrannisent leurs épouses, et perdent la tête lorsqu'ils constatent qu'Anna est inconsciente que sa richesse nouvellement acquise n'est rien face à eux puisqu'elle appartient au sexe faible.

Heureusement que le bel Axel von Lohm est présent pour veiller au bien-être de la jeune fille. Face à tous ces vils personnages, il fait vraiment figure de chevalier en armure, mais on ne va pas faire les difficiles car il lui faut bien ça. Entre les manigances du régisseur qui rêve d'une briqueterie, le fils de la baronne qui fait une cour des plus lourdes et ridicules à Anna, le vicaire qui lui envoie des poèmes d'amour par le biais de sa nièce, le lecteur a de quoi s'amuser, mais notre héroïne le prend avec moins d'humour.

En résumé, on s'indigne, on rit et surtout on ne se prend pas la tête. Une lecture parfaite pour les vacances.

L'avis d'Eliza.
Archipoche. 360 pages.
1901 pour l'édition originale.

26 juillet 2013

Disgrâce - J.M. Coetzee

imagesSuite à un scandale sexuel, David Lurie doit démissionner de son poste à l'université. Il décide alors de rejoindre sa fille Lucy à Salem, qui vit seule dans une ferme où elle tient une pension pour chiens. David commence alors à se reconstruire, mais lorsqu'il est agressé violemment avec sa fille par trois individus, toutes ses certitudes s'effondrent.
Pourquoi Lucy refuse t-elle de parler de ce qui lui est arrivé ? Pourquoi s'acharne t-elle à rester dans cette ferme ? Quel rôle Petrus, le voisin de Lucy, a t-il joué dans l'agression ? Au milieu de tous ces individus qui s'obstinent à répéter qu'il faut se concentrer exclusivement sur le futur, David semble être le seul à être révolté, incapable de comprendre le point de vue de ces gens, dont sa propre fille, qui évoluent dans un monde complètement différent du sien.

Il s'agissait de ma première rencontre avec J.M. Coetzee, et j'avoue que je suis moins enthousiaste que je l'aurais voulu. Pourtant, ce livre est plein de finesse aussi bien sur le fond que dans sa construction. Il a pour ambition de décrire le malaise en Afrique du Sud après la fin de l'Apartheid. David Lurie est un homme qui ne semble pas avoir vécu de remise en question au début du roman. C'est un séducteur qui se voit vieillir avec appréhension, visiblement peu intéressé par les changements politiques dans son pays. Il est aussi légèrement misogyne sur les bords.

"La beauté d'une femme ne lui appartient pas en propre. Cela fait partie de ce qu'elle apporte au monde, comme un don. Elle a le devoir de la partager."

L'agression de Lucy (bien qu'il soit aussi victime, son principal tort était surtout de s'être trouvé là au mauvais moment) lui ouvre les yeux. Il ne devient pas d'un seul coup un type formidable, je vous rassure, mais il réalise que contrairement à ce qu'il croyait, il ne maîtrise absolument pas la situation. Cette sensation de ne rien comprendre est transmise au lecteur, qui comme lui, est parcouru d'effroi au fil des pages. Après ces événements, Lucy reste presque impassible. Bien que visiblement blessée, elle adopte une position presque coupable. David, lui, hurle, est en colère, mais reste impuissant aussi bien face à sa fille que vis à vis des agresseurs de cette dernière. On sent une situation chargée de non-dits, d'une histoire très lourde.
La contstruction du livre contribue au malaise du lecteur. En effet, il ne s'agit pas de raconter une histoire qui sera réglée à la fin. Disgrâce expose la complexité de la situation dans l'Afrique du Sud post-Apartheid, mais de façon à ce qu'on ne puisse que la deviner. Tout au long du livre, des chiens apparaissent. Chez Lucy, dans des cages, chez Bev Shaw (où travaille David). Qui représentent-ils ? Sans doute un peu tout le monde, et ça se finit toujours dans le sang.
Si je suis un peu restée en dehors de l'histoire, c'est à cause du déséquilibre entre les différentes parties du livre. Le début du roman, qui décrit la chute professionnelle de David représente un tiers du total. Or, cette partie n'apporte finalement pas grand chose. Le reste, beaucoup plus glaçant et réussi, aurait gagné à être davantage étoffé.

Malgré tout, Disgrâce reste un roman intéressant qui donne envie de découvrir le reste de l'oeuvre de l'auteur.

Points. 272 pages.
Traduit par Catherine Lauga du Plessis.
1999 pour l'édition originale.

logo-challenge-littc3a9rature-du-commonwealth

 

 

10 avril 2013

Les revenants - Laura Kasischke

9782253164524-TUn jour, j’ai lu un livre de Laura Kasischke et je n’ai pas aimé. Depuis, je suis poursuivie par une lectrice de ce blog déterminée à ce que je donne une nouvelle chance à cet auteur. Or, il se trouve que quand j’ai vu passer le dernier roman qu’elle a écrit, il avait tout pour me plaire. C’est donc le moment de réparer mon erreur.

Nicole est une jeune fille de dix-huit ans à la beauté virginale lorsqu’elle trouve la mort dans un accident de voiture un soir de pleine lune. Shelly est la première sur les lieux, mais dans les jours qui suivent, le compte-rendu qu’elle lit dans tous les journaux ne correspond pas à ce dont elle a été témoin. La version la plus macabre des événements, qui montre le petit-ami de Nicole, Craig, comme le grand responsable du drame, est celle qui est retenue. Les deux jeunes gens étudiaient à Honors Grove College, où les confréries d’étudiants cultivent avec ferveur le secret autour de leurs pratiques. Nicole était elle même membre d'une sororité, et ses anciennes "soeurs" semblent déterminées à la venger.
Quelques mois plus tard, des apparitions étranges ont lieu. Craig, mais aussi Perry, qui a connu Nicole toute sa vie, ou encore des membres de l'université, vont être entraînés dans des événements incompréhensibles qui semblent avoir un lien avec le mystère qui entoure la mort de la jeune fille.

Contrairement à la dernière fois, dès les premières pages, aussi belles que terribles, qui décrivent une jeune fille figée dans la mort après un accident de voiture, j’étais conquise.
En lisant le résumé (très moyen d’ailleurs), on s’attend à lire une histoire de fantômes. C’est bel et bien le cas d’un certain point de vue, mais les fantômes sont loin d’avoir l’aspect que l’on imagine. Roman sur la mort, le deuil, le corps, mais aussi critique de la société américaine, thriller aux accents fantastiques et campus novel, ce livre est en plus doté d’une construction efficace. Différents personnages qui ne se connaissent pas toujours initialement prennent tour à tour la parole et apportent leur part dans la résolution de l'histoire. L'une des principales protagonistes de l'histoire est Mira, un professeur d'anthropologie spécialisé dans l'étude de la mort. A travers elle, nous découvrons au fil de pages passionnantes les rituels qui entourent la disparition des êtres humains, faits à la fois de chagrin et de répulsion. Nicole est-elle vraiment revenue sur le campus ou bien ses apparitions sont-elles des manifestations du deuil ?
Outre cela, les personnages doivent se débattre au milieu des pièges qui leur sont tendus pour protéger les secrets qui entourent Honors Grove College. L'image de cette université repose sur beaucoup d'hypocrisie et de menaces, et nos personnages semblent bien isolés et impuissants. Ce sont tous des êtres un peu ratés. Mira est empêtrée dans un mariage sans amour et sa carrière professionnelle ne tient qu'à un fil. Shelly est une homosexuelle manipulable. Quant à Craig et Perry, ils ne sortent aucunement du lot et ne sont rien d'autre que des pions dans une partie dont on ne leur a pas expliqué les règles. Pourtant, dès le début il semble évident que certaines choses ne sont pas claires dans la mort de Nicole. Pourquoi la version officielle est-elle si différente de ce dont Shelly a été témoin ?
Avec tout cela, rien d'étonnant à ce que les pages défilent à toute allure.

Quelques légers bémols quand même qui m’empêchent de parler de révélation. Tout d’abord, le système de rebondissement final qu’adopte Laura Kasischke dans tous ses livres ne passe pas avec moi. J'ai très vite trouvé le pot aux roses, et les éléments qui me manquaient m'ont été fournis bien avant la fin du livre. Alors que j'étais au bord du coup de coeur, ce procédé donne un aspect artificiel au livre qui m'a fait terminer ma lecture avec un sentiment d'inachevé.
J’ai également du mal à me prononcer sur le style de l’auteur, et cela pour une raison simple  : j’ai perçu la traduction à plusieurs reprises. Ainsi, Nicole évoque à un moment le temps qu’il lui faut pour faire "un cent" de roses, ou encore Karess demande à Perry si "le chat [lui] a mangé [la] langue" (dont l’équivalent français est plutôt "tu as perdu ta langue ? " ). Heureusement, le livre n’est pas truffé d’exemples de la sorte, et l’on se plonge dedans sans la moindre difficulté une fois embarqué.

Un grand roman qui dévoile le poison qui coule dans les veines de la société américaine où jouer l’emporte souvent sur le fait de penser aux conséquences.

Plein d'autres avis chez Solenn, Theoma, Brize et Miss Leo.

The Raising.
Le Livre de Poche. 663 pages.
Traduit par Eric Chédaille.
2011.

12 mai 2012

Le Ventre de Paris - Emile Zola

750997_2878652Un an après La Curée, qui m'avait enchantée, je reprends ma découverte des Rougon-Macquart avec Le Ventre de Paris. Et une nouvelle fois, je bénis ceux qui m'ont permis de redécouvrir Zola, qui s'est imposé comme l'un de mes auteurs préférés, chose qui m'aurait bien fait rire il y a quelques années.

Ce volume se déroule à Paris, aux Halles, où l'on prépare la nourriture, où on la vend, et où les rancoeurs sont dures. Florent revient du bagne. Condamné à l'exil en Guyane en 1851, il a réussi à s'enfuir et à regagner la France au bout de quelques années. A Paris, il retrouve son frère Quenu qui l'accueille chez lui avec sa femme Lisa, la soeur d'une certaine Gervaise. Pour éviter qu'il ne soit repris par la police, Florent se fait passer pour un parent de Lisa.
Cependant, c'est sans compter sur les commères des Halles et les rivalités entre les femmes, particulièrement la belle Lisa et la belle Normande.

Bien que je place ce livre un cran au-dessous de La Curée, j'ai passé un merveilleux moment en sa compagnie. On plonge dans les Halles de Paris, on sent, on voit la nourriture, on entend le bruit, l'agitation des tous ces commerçants, et une fois de plus on découvre un Paris en ébullition.

"Je bats, je bats, je bats, n'est-ce pas ? continua le garçon, en faisant aller sa main dans le vide, comme s'il fouettait une crème. Eh bien, quand je retire ma main et que je la regarde, il faut qu'elle soit comme graissée par le sang, de façon à ce que le gant rouge soit bien du même rouge partout... Alors, on peut dire sans se tromper : 'Le boudin sera bon'."

La modernité s'installe, la politique n'est jamais loin, et la reconstitution de Zola captivante. Florent a été exilé pour des raisons politiques, il revient dans une France toujours gouvernée par l'empereur qu'il déteste. Ce qu'il néglige, c'est le fait que les Halles, qui semblent coupées du monde, où l'on oublie les menaces extérieures, sont avant tout un lieu où les mégères s'épanouissent, et où l'on n'hésite pas à broyer les gens pour le plaisir d'avoir de quoi discuter. Malgré lui, Florent est pris dans la querelle qui oppose sa belle-soeur à une poissonnière, et ses rêves de changer le monde dans ce contexte sont une condamnation à mort.
A nouveau, le portrait des "honnêtes gens" est cinglant. Le passage où Lisa va voir la police afin de dénoncer son beau-frère, et qu'elle découvre les lettres de dénonciation de la plupart des personnages du livre est particulièrement parlant. Elle-même est un personnage ambigü. Ses protestations d'honnêteté sont rapidement contredites, quand elle comprend que ses intérêts sont menacés. Difficile de lutter contre l'hérédité...

Comme d'habitude avec Zola, j'ai terminé ma lecture furieuse contre les personnages (pourtant, Florent n'est pas franchement attachant), mais enchantée par la peinture proposée par l'auteur.
La prochaine fois, on se retrouve à Plassans !

D'autres avis chez Cuné, Kalistina, Stéphie, Cléanthe.

Folio. 470 pages.

7 décembre 2016

Delphine de Vigan et l'autofiction

Lorsque ce blog a ouvert ses portes il y a dix ans, j'éprouvais un mépris énorme pour tout ce qui pouvait être étiqueté "autofiction". Je reprochais à la littérature française contemporaine son incapacité à créer des romans avec une "vraie histoire", dépaysante et avec des personnages inventés*.
Cette année, je suis devenue vieille j'ai découvert deux auteurs qui ont remis en cause cette opinion : Camille Laurens et surtout Delphine de Vigan.

Delphine de Vigan s'est d'abord fait connaître avec No et moi, adapté au cinéma en 2007. Il avait connu un certain succès sur les blogs, mais c'est avec Rien ne s'oppose à la nuit que les éloges sur cet auteur ont commencé à pleuvoir autour de moi et sur la blogosphère. L'an dernier, j'ai finalement décidé de craquer après la sortie de son dernier livre. Seul souci, il serait très dommage de découvrir D'après une histoire vraie sans avoir lu le livre qui l'a inspiré, puisqu'au livre sur la mère a succédé le livre sur les conséquences d'une telle entreprise de déballage.

9782253164265-001-TDans Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan décide d'écrire sur sa mère après le suicide de celle-ci.  En racontant son enfance, puis sa vie d'adulte avant et après la naissance de ses enfants, l'auteur livre l'histoire de sa famille sans prendre le soin de dissimuler les drames et la laideur de sa famille.

Qui était Lucile ?

La mère décrite par Delphine de Vigan est une femme dont l'équilibre mental est si fragile qu'il s'effondre à de multiples reprises. L'enfance de Lucile, membre d'une famille nombreuse du milieu du XXe siècle rappelle les photos en noir et blanc ayant un air de bonheur et d'insouciance. Mais entre les chamailleries et les sorties à l'extérieur ont lieu des drames publics et d'autres qui seront cachés autant que possible.
Dans ce livre sur la mère de l'auteur, le personnage principal semble étrangement plutôt être Delphine de Vigan elle-même. Après la découverte du corps de sa mère, elle ressent le besoin d'écrire sur cette femme avec laquelle les relations ont souvent été complexes. Mais comment écrit-on une biographie ? Et puis, comment ne blesser personne ? Le travail de l'écrivain est délicat lorsqu'il ressent un devoir de vérité tout en sachant que celui-ci va nécessairement engendrer des brouilles familiales. Pour trouver sa mère, et surtout savoir pourquoi elle était brisée, Delphine de Vigan doit attaquer des membres de sa famille. Or, n'importe qui ayant dû briser un silence sait que pour beaucoup, on n'attaque pas les morts, et encore moins l'image idéal qu'on en garde.  

daprès-une-histore-vraieUne telle entreprise va provoquer chez l'auteur un épuisement profond. C'est ce qu'elle évoque dans la "suite" de son livre, D'après une histoire vraie.

En 2011, le succès du roman que Delphine de Vigan a écrit sur sa mère est tel qu'il lui ouvre de nombreuses portes et que les lecteurs se pressent dans les librairies et les salons pour la rencontrer.
Un soir qu'elle culpabilise d'avoir refusé de signer un dernier autographe, elle fait la rencontre de L.

L. est le genre de femme que Delphine de Vigan n'est pas : toujours tirée à quatre épingles, mystérieuse, confiante. Alors que l'auteur s'interroge sur la possibilité d'écrire encore après un livre aussi intime que Rien ne s'oppose à la nuit, L. se montre de prime abord plus ambitieuse encore que Delphine. Pour L., la fiction n'est plus dans des personnages et des histoires imaginées, mais bien dans le réel. Tout ce que Delphine a écrit avant le roman qui l'a propulsée sur le devant de la scène est inutile et il n'y a aucun retour en arrière possible.
J'avais initialement prévu de lire Misery de Stephen King, dans lequel Delphine de Vigan a puisé pour écrire son livre, mais un amateur du grand auteur américain a découragé la trouillarde que je suis de le faire. Je me suis donc contentée du résumé, qui me semble déjà interessant pour faire le parallèle entre les deux duos auteur/amateur de plus en plus effrayant.
Encore une fois, le personnage de L. est ici présent essentiellement pour faire ressortir les fragilités, les questionnements de Delphine. Avec le départ programmé de ses enfants nouveaux bacheliers, un compagnon absent et des lettres anonymes menaçantes de la part d'un membre de sa famille ayant été blessé par son précédent livre, l'auteur est vulnérable. L. va pouvoir la réconforter puis l'enfermer. Au fur et à mesure que le livre se transforme en thriller et en huis-clos entre les deux femmes, la question de l'écriture de soi devient de plus en plus centrale. Jusqu'au dénouement brillant. 

D'après une histoire vraie se rapproche davantage d'une fiction telle qu'on conçoit cette appellation que Rien ne s'oppose à la nuit. Ses rouages sont plus complexes et le lecteur se sent déboussolé après l'avoir refermé. Pourtant, rien ne nous dit non plus que Delphine de Vigan n'a pas joué avec nous depuis le début. Et finalement, c'est ce doute qui me plaît. Je me moque que tel ou tel élément soit autobiographique ou complètement imaginé. En écrivant une autofiction, l'auteur se rapproche ici du lecteur qui ne peut que voir dans ce diptyque des points communs avec sa propre histoire pour mieux l'engluer. Et j'en redemande.

* D'après Le Magazine Littéraire du mois de septembre, l'autofiction est de plus en plus remplacée par l'exofiction. A croire que mes lubies ne me permettront jamais d'être à la mode, j'ai horreur de ça...

L'avis d'Yspaddaden.

10 février 2012

Tu savais que deux mille cinq cents gauchers meurent chaque année parce qu'ils utilisent des objets conçus pour les droitiers ?

9782714443342

Difficile d'échapper à ce livre, tant il a reçu de compliments sur la blogosphère littéraire ces derniers mois. Après moults hésitations, j'ai plongé dans ce livre, et je n'en suis ressortie qu'au point final.

Nous sommes en Ecosse, et Iris vient de recevoir un appel d'un hôpital psychiatrique lui demandant de venir récupérer sa grande-tante, une certaine Euphémia Lennox, car l'établissement doit fermer. Seulement, Iris n'a jamais entendu parler de cette femme. Sa grand-mère, qui serait la soeur de cette mystèrieuse personne, est touchée par Alzheimer, et ne peut donc lui être d'une grande aide. Iris va finalement rencontrer Euphémia, ou plutôt Esmé, cette femme qui a passé plus de soixante ans enfermée, cachée du monde, pour des raisons mal définies.

Ce livre m'a bouleversée. Maggie O'Farrell nous offre un récit fragmenté, en faisant intervenir trois narratrices aux voix bien distinctes, en raison de leur état mental.* Iris, la petite-fille, est une jeune femme qui s'est construit une vie bancale. Esmé, la "folle", nous raconte sa jeunesse, son Inde natale, son petit frère, puis l'arrivée en Grande-Bretagne, et nous dévoile peu à peu les raisons qui ont conduit à son enfermement. Enfin, Kitty, la soeur qui a complètement rayé Esmé de son existence, a désormais les pensées confuses, peut-être pour cause de sentiment de culpabilité tardif.
Avec ces trois femmes, on reconstitue une histoire de secrets de famille, de non-dits et de violence. La place des femmes, la sexualité, sont au coeur du roman. D'une certaine manière, ce livre m'a rappelé The Magdalen Sisters, un film visionné il y a quelques années, qui évoque le destin de jeunes Irlandaises écartées de la société pour avoir été violées, avoir eu un enfant hors mariage, ou tout simplement pour avoir eu un semblant de personnalité. Ici, la vision est plus globale puisque, outre Esmé, on découvre que Kitty, bien que crevant d'envie d'être tout ce que l'on attend d'elle, ne sera pas beaucoup plus épargnée que sa soeur (et j'ai envie de dire tant mieux, je suis méchante). Elle aussi, finalement, vivra dans le mensonge et l'humiliation. La société britannique du début du XXe siècle étouffe les individus, et ne propose comme échappatoire que la fuite et le secret. Simplement, Kitty le fera volontairement, quand Esmé s'y verra contrainte. Maggie O'Farrell nous le montre avec une froideur et un détachement qui rend ce qu'elle raconte encore plus frappant.

Alors oui, certains événements sont un peu prévisibles, et il manque un petit quelque chose pour vraiment parler de coup de coeur. Pourtant, ça ne me semble pas être des choses de premier plan dans cette histoire qui nous fait passer de la pitié à l'indulgence, avant de nous rendre furieux.

Un livre exigeant, difficile à lâcher, et un auteur à découvrir absolument.

"... N'en avais aucune idée. Nous en étions toutes là, me semble t-il. Nous pensions que c'était à l'homme de savoir se débrouiller. Bien entendu, je n'avais jamais posé la moindre question à ma mère, et, de son côté, elle ne m'avait rien expliqué. Je me rappelle avoir eu quelques inquiétudes à ce sujet avant le mariage, mais pour d'autres raisons."

*Je n'ai pu m'empêcher de faire le rapprochement avec Le Bruit et la Fureur de Faulkner. Dans les deux cas, on suit les pensées d'un fou. J'aimerais savoir s'il s'agit d'un hommage.

D'autres avis chez Lou, Céline et Titine.

L'étrange disparition d'Esmé Lennox. 2006.
Belfond. 231 pages.
Traduit par Michèle Valencia.

8 octobre 2011

Entre chiens et loups - Malorie Blackman

Je sais, je délaisse beaucoup ce blog, encore une fois. Plein de boulot, les séries préférées qui recommencent, la flemme... Mais, je n'arrête pas de lire, et j'ai fait quelques découvertes en littérature jeunesse dont il faut absolument que je vous parle.

9782745918499FSOn commence avec le premier tome d'une série sur laquelle je n'ai entendu que des louanges, auxquelles je vais me joindre.

Sephy est une Prima, et son père est membre du gouvernement. Elle vit dans une belle maison, avec sa mère et sa soeur, va dans une école réputée, jusque là réservée aux Primas.
Seulement, Callum, son meilleur ami, fils d'une employée de la maison, est Nihil. Lorsque le roman commence, Sephy et Callum sont encore des enfants qui profitent de leur insouciance.
Trois ans plus tard, Callum a réussi l'examen d'entrée au collège de Sephy. Les deux adolescents sont heureux à l'idée de se voir tous les jours, mais les choses vont se révéler bien plus difficiles, et les vexations ne vont pas tarder à envahir leur relation.

Ce livre traite du racisme en adoptant un point de vue intéressant, puisque les Blancs sont dans la position d'inférieurs, et certains personnages et événements, comme les escortes policières accompagnants les élèves dans les lycées d'élite, rappellent singulièrement ce qui s'est réellement passé pour les Noirs aux Etats-Unis au milieu du XXe siècle. En théorie, il n'y a plus d'esclavage ni d'inégalités dues à la couleur de peau. En pratique, les Primas refusent d'abandonner leurs privilèges, et les considérations que Primas et Nihils ont les uns pour les autres n'ont pas bougé.
Du côté des personnages, bien qu'ils soient esquissés simplement, ils sont tellement malmenés qu'il n'est pas possible de rester indifférent. Lorsqu'ils sortent de l'enfance, Callum et Sephy ne vont cesser de se blesser mutuellement, par maladresse, et découvrir à quel point leur relation est impossible. De part et d'autre de la population, les attaques fusent, et font monter en Callum (parce qu'il est celui qui prend le plus) une haine farouche de tout ce que Sephy représente. On en arrive alors à la question inévitable de savoir si les aspirations justes justifient de recourir à n'importe quoi. Ce balancement perpétuel des personnages entre victime et bourreau est habilement mené, et ajoute à la qualité de l'étude de la nature humaine que propose Malorie Blackman dans ce livre.

L'histoire rapportée par Entre chiens et loups se déroule sur plusieurs années, et s'achève sur un point de non retour (je ne peux en dire plus sans tout raconter). J'ignore si je lirais la suite (j'ai terminé ma lecture complètement écoeurée), mais je ne peux que vous inciter à vous plonger dans cette histoire.

Si vous n'êtes pas convaincus, allez chez Laël.

Milan. 396 pages.
Traduit par Amélie Sarn. 2001.

6 janvier 2016

Thérèse Raquin - Emile Zola

product_9782070418008_195x320Dès les premières lignes, lorsqu'on ouvre un Zola, il est impossible de ne pas être happé, tant les décors sont précis et vivants (oui, j'ai décidé d'écrire des choses étranges). C'est dans le passage du Pont-Neuf que le drame de la famille Raquin va se jouer, et nous y pénétrons pour la première fois alors que les protagonistes ont disparu depuis des années.

Thérèse Raquin est recueillie encore enfant par sa tante, qui l'élève du côté de Vernon, avec de son fils maladif, Camille. A l'âge adulte, les deux jeunes gens se laissent marier et mènent une vie calme à la campagne, jusqu'au jour où Camille décide de se rendre à Paris pour réussir sa vie professionnelle.
Mme Raquin finance pour elle-même et sa belle-fille l'achat d'une boutique surplombée par un appartement où ils logent. La monotonie de la vie que mène la famille n'est rompue que lors des soirées du jeudi, où un ancien commissaire de police, ami de Mme Raquin, vient en compagnie de son fils et de l'épouse de ce dernier.
La morne et maléable Thérèse est cependant transfigurée lorsque Camille invite un soir Laurent, une vieille connaissance. 

Après plus de deux ans sans lire Zola, j'avais oublié à quel point ses livres sont puissants.
Tout d'abord, je l'ai dit en introduction, ses descriptions des décors, des personnages, des scènes sont d'une qualité que je ne crois pas avoir croisée chez un autre auteur à part Balzac. On peut lui reprocher d'en faire toujours plus dans la noirceur, mais la scène à la morgue est l'une des plus fortes du roman.

"La Morgue est un spectacle à la portée de toutes les bourses, que se payent gratuitement les passants pauvres ou riches. La porte est ouverte, entre qui veut. Il y a des amateurs qui font un détour pour ne pas manquer une de ces représentations de la mort. Lorsque les dalles sont nues, les gens sortent désappointés, volés, murmurant entre leurs dents. Lorsque les dalles sont bien garnies, lorsqu’il y a un bel étalage de chair humaine, les visiteurs se pressent, se donnent des émotions à bon marché, s’épouvantent, plaisantent, applaudissent ou sifflent, comme au théâtre, et se retirent satisfaits, en déclarant que la morgue est réussie, ce jour-."

Si Zola fascine toujours autant, c'est bien pour ce qu'il arrive à saisir et à retranscrire de la nature humaine. Nous connaissons les Rougon-Macquart et leurs vices, les personnages de ce roman sont tout aussi cupides, lâches et égoïstes, des amants meurtriers aux invités du jeudi soir qui considèrent qu'une hôte n'a pas à pleurer son fils devant ses invités.

Mais ce qui frappe surtout dans ce livre, ce qui le différencie de ceux de l'auteur que j'ai lus jusqu'à présent, c'est son appartenance au roman policier et au fantastique. En immense auteur, Zola n'aborde cependant pas ces genres de façon traditionnelle. Ainsi, nous vivont le meurtre, ses préparatifs et ses suites avec le point de vue des meurtriers. De plus, ce qui nous est décrit ne concerne pas le fait de savoir si oui ou non, ils seront pris. Laurent et Thérèse ont tué pour être ensemble, mais leur humanité leur revient en pleine face dès lors qu'ils n'ont plus de calculs froids à faire. C'est là qu'intervient le fantastique. A proprement parler, il n'y a rien de surnaturel dans Thérèse Raquin. Pourtant on y croise le fantôme le plus terrifiant. Zola, décrit les remords des meurtriers et leurs terreurs en jouant avec les décors, les ombres... La morsure de Camille dans la nuque de Laurent semble aussi vivante que le portrait du défunt, le corps de la victime se presse constamment contre les deux amants, entre eux.

Enfin, le portrait de Thérèse fascine. Elle est initialement en retrait, bien comme il faut, docile. Son coup de foudre pour Laurent en fait une créature fougueuse, sexuelle et volontaire. D'insipide, voire laide, elle devient belle au point de surprendre son amant qui voyait en elle une façon facile de se soulager. Elle est la digne compagne des personnages féminins de romans qui, comme elle, se perdent pour avoir voulu vivre.

C'est toujours un bonheur de lire Zola.

Folio. 344 pages.
1867.

27 octobre 2015

1Q84 - Haruki Murakami

5953_1642401

Pour une fois, j'ai une bonne excuse à mon long silence. Je lisais un roman de plus de 1500 pages. Oui, parce qu'on nous vend 1Q84 comme un livre en trois parties distinctes, mais en fait on ne comprend rien si on s'arrête en route (les mauvaises langues diraient qu'on n'y comprend pas non plus grand chose quand on le lit en entier).
Donc, au lieu de mettre quinze jours à lire cette oeuvre de Murakami, il m'a fallu un bon mois et demi.

De quoi ça parle ? C'est compliqué. Nous sommes à Tokyo en 1984 et nous suivons alternativement deux personnages qui n'ont à première vue pas le moindre lien.
Ca commence doucement. Une jeune femme, Aomamé, est coincée dans un taxi sur la voie rapide. Le chauffeur a allumé la radio qui passe la Sinfonietta de Janacek (moi non plus je ne connaissais pas). Craignant d'être en retard à un rendez-vous, Aomamé décide, sur les recommandations de son chauffeur, de prendre un escalier de secours et de rejoindre la gare la plus proche. Le chauffeur la prévient alors que la réalité pourrait bien être alterée une fois qu'elle sera arrivée en bas des escaliers.
De son côté, Tengo Kawana est un jeune professeur de maths et un écrivain non publié dont l'existence n'a rien de remarquable, jusqu'au jour où l'éditeur qui l'a remarqué lui propose de servir de ghostwriter pour le livre d'une jeune fille de dix-sept ans. Celle-ci, Fukaéri, a une imagination débordante, mais elle manque de style pour que son livre se vende.
De ces deux actes, certes illégaux, mais plutôt insignifiants, vont découler des événements de plus en plus incompréhensibles.

Bien entendu, j'ai décidé de lire ce livre CVT_1Q84-Livre-3--Octobre-Decembre_1586en raison du titre, qui fait immanquablement penser au superbe roman d'Orwell. Au final, les liens entre les deux oeuvres sont peu évidents. L'histoire se passe en 1984, il est question d'une secte dérivée du communisme, diverses allusions sont faites à Orwell, mais l'oeuvre de Murakami prend clairement une direction qui lui est propre. 1Q84, c'est surtout un livre fantastique (au sens littéraire du terme). Nous débutons dans un monde normal, puis nous découvrons que les petits lutins et des choses vraiment beurk peuvent avoir une sorte d'explication, avant de ressortir de ce livre en nous demandant si tout ça n'est pas le fruit d'une grosse hallucination.

1Q84 est un monde fascinant, dans lequel j'ai adoré être plongée. Il m'a séduite par sa poésie, terrifiée par moments aussi (il n'y a rien de plus effrayant que les petites choses inoffensives, les enfants ou les Little people en tête). Murakami arrive à capter l'attention du lecteur grâce à un talent de conteur remarquable, ce qui fait qu'on lui pardonne les nombreuses répétitions. Le rythme est étrange, à la fois rapide et très lent. Rien ne semble se passer, et pourtant nous assistons à des meurtres, des phénomènes surnaturels, des fuites, des mises au point. La routine est aussi rompue dans le troisième tome, où un troisième narrateur entre en jeu.

Dans les trucs gonflants (oui, parce que je suis malgré tout un peu partagée), il y a l'histoire d'amour entre Aomamé et Tengo, sur laquelle se concentre le dernier tome. Les seins de la jeune femme occupent aussi une place à mon sens assez excessive dans ce livre. C'est d'autant plus regrettable que des personnages disparaissent de la scène sans explication pour laisser la place au couple central. Fukaéri par exemple. Au moment où l'on commence à percevoir une explication à ses actes, où l'auteur soulève une interrogation essentielle (qui avons-nous vraiment en face de nous ? ), l'intrigue s'en détourne pour ne plus y revenir. Je n'ai rien contre les livres qui laissent des questions en suspens, la frustration a du bon, mais dans ce livre, j'ai l'impression que Murakami se concentre sur quelque chose qui n'est pas essentiel, et tombe dans la facilité, faisant d'une oeuvre originale une lecture qui laisse un arrière-goût de mièvrerie.

Un pavé qui se lit avec beaucoup de plaisir et servi par un suspens qui tombe malheureusement un peu à plat dans la dernière ligne droite. A découvrir.

Belfond. 3 tomes (environ 1800 pages).
Traduit par Hélène Morita.
2009-2010.

1 mai 2010

Les Femmes du braconnier ; Claude Pujade-Renaud

L63317_1_Actes Sud ; 349 pages.
2010
.

Après ma lecture des Carnets intimes, j'ai eu envie de retrouver Sylvia Plath dans cette biographie romancée qui vient de paraître.

Elle débute avec Ted Hughes contemplant un jaguar dans le zoo où il travaille. Sylvia Palth, pour sa part, s'accroche telle une désespérée à Sam, un cheval lancé à toute allure, et convaincu que la créature qu'il porte est funeste.
Puis vient la rencontre, sanglante. Sylvia mord Ted, et l'entraîne avec elle. Ensemble, ils se stimulent, éprouvants tous deux la passion d'écrire. Les enfants naissent, Ted est reconnu, ils achètent une maison à la campagne, mais tout s'écroule finalement au bout de quelques années. Sylvia sombre, Ted tombe sous le charme de la belle Assia Wevill, une autre femme torturée. Assia ne trouvera jamais sa place dans cette relation à trois (son mari à elle n'est pas vraiment un quatrième personnage dans cette histoire), avec cette femme, puis surtout ce fantôme comme rivale dans l'esprit de tous, et surtout le sien.
Seulement quelques années après le suicide de Sylvia, Assia se tue à son tour, de la même façon, emportant la fille qu'elle a eu de Ted avec elle, cette enfant "chargée d'une tâche impossible : maintenir ensemble deux êtres qui s'aiment en traînant derrière eux un cadavre."
 

L'histoire racontée par ce livre m'a beaucoup touchée. Je suis terriblement fleur bleue, et Sylvia Plath est un auteur que j'apprécie beaucoup. Voir tous ces gens souffrir est très désagréable, d'autant plus que les drames évoqués ont réellement eu lieu.  Par ailleurs, j'ai apprécié le fait de retrouver des anecdotes que Sylvia Plath a elle-même évoquées par le biais de nouvelles. Claude Pujade-Renaud a de toute évidence énormément travaillé pour écrire ce livre, qui se lit avec beaucoup de facilité, et je pense que le début de l'histoire qu'elle conte est bon.
Toutefois, je dois reconnaître qu'avec un peu de recul, je ne suis pas certaine que Les femmes du braconnier soit un bon roman, et encore moins une bonne biographie romancée. Claude Pujade-Renaud faute à mon avis lorsqu'elle choisit d'écrire un roman polyphonique. Elle ne parvient pas à donner une voix  spécifique à  chacun de ses multiples personnages, tous s'expriment d'une façon très similaire. De plus, malgré ce choix, l'auteur fait appel à un narrateur extérieur de façon récurrente, comme si elle ne parvenait pas à exprimer tout ce qu'elle désire en adoptant les voix de ses personnages. A mon avis, privilégier ce narrateur détaché des protagonistes aurait rendu le récit moins bancal. 
Par ailleurs, et je pense que cet aspect explique le choix du roman polyphonique par Claude Pujade-Renaud, j'ai eu de plus en plus de mal, au fur et à mesure que le récit avançait, à ne pas me lasser de toutes ces références à la psychanalyse, et à ces multiples passages où tout ce qui s'est produit semblait être écrit dans les étoiles (et le pire, c'est que c'est une évidence pour tout le monde, sauf les principaux intéressés). Je l'ai déjà dit ici, ce genre de discours me fait penser à ma mère, et malgré toute l'affection que j'ai pour elle, ces explications sont pour moi totalement insuffisantes, et presque irrespectueuses à
l'égard des individus concernés. A partir de la mort de Sylvia, le récit s'empâte de plus en plus dans des réflexions de cet ordre, Assia restant de toute façon un personnage très obscur. 

Ce livre semble destiné à combler des trous qui ne peuvent pas l'être. Je n'ai rien contre les biographies romancées, mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'il s'agit d'un exercice très délicat lorsque l'on évoque des événements tragiques, qui rendent la prise de recul très difficile.

Malgré tout, cette lecture n'a pas amoindri mon intérêt pour Sylvia Plath, et les poésies de Ted Hughes m'intriguent désormais au plus haut point. Il doit quand même y avoir des bonnes choses dans ce livre...

Les avis de Dominique, Lily et Cathulu, qui ont aimé sans réserve. Papillon et Fashion ont des avis assez semblables au mien.

28 octobre 2014

Les apparences - Gillian Flynn

78219143_oLe matin de leur cinquième anniversaire de mariage, la femme de Nick Dunne, Amy, disparaît. Restent dans la maison des traces de lutte ainsi que le premier indice de la chasse au trésor que la jeune femme avait organisée pour son époux.
Alors que la police puis le système médiatique s'emparent de l'affaire, il devient évident que les deux époux cachent de lourds secrets qui font de Nick le coupable idéal.

J'ai repéré Gillian Flynn depuis au moins un an, mais le choix de ce titre vient bien entendu du fait que l'adaptation est sortie récemment au cinéma.
Ce n'est pas un hasard, étant donné que ce thriller semble avoir été écrit pour être porté à l'écran. Les chapitres défilent à cent à l'heure, les indices pleuvent, les rebondissements aussi, les deux personnages principaux sont charismatiques, le cocktail parfait pour une adaptation à succès.
L'histoire de départ est plutôt banale, celle d'un couple marié qui s'enfonce dans l'ennui, la routine et les mensonges. Comme tant d'autres, Nick et Amy ont d'abord joué aux amants parfaits, persuadés d'être différents des couples de leur entourage qui s'étripent ou tentent de se dresser l'un l'autre pour correspondre à la personne cool qu'on a tous envie d'être et d'avoir auprès de soi. Une fois la passion retombée, l'arrivée du chômage, les problèmes de santé des parents de Nick, le retour dans le Missouri après la belle vie à New York, ont eu raison de tous ces efforts pour faire semblant d'être heureux.
Mais leur couple a beau suivre un parcours banal jusqu'au jour où Amy disparaît, ce qui apparaît au cours de l'enquête nous fait réaliser à quel point les Dunne ne sont pas un couple ordinaire. Ni certains de leurs proches. C'est à se demander lequel est le plus tordu dans toute l'histoire, et cette dimension psychologique, qui crée une ambiance aussi dérangeante que fascinante, est ce qui empêche de reposer le livre avant de l'avoir terminé. La fin ne met pas un terme à ce malaise, puisqu'elle révèle à quel point on peut se convaincre que tout va pour le mieux alors que c'est le contraire.
Outre la folie des personnages, impossible de ne pas évoquer celle des médias et de la société, dont le jugement est beaucoup plus important que celui rendu dans un tribunal. A l'heure de la téléréalité, il vaut mieux ne pas avoir un air trop désinvolte, être intérieurement dévasté ne suffira pas.

Gone girl.
Sonatine. 573 pages.
Traduit par Héloïse Esquié.
2012 pour l'édition originale.

29 septembre 2013

A l'ouest rien de nouveau - Erich Maria Remarque

remarquePaul Bäumer n'a pas vingt ans, mais il est déjà presque un vieux soldat dans les tranchées allemandes alors que la Première Guerre mondiale fait d'innombrables victimes. Aux côtés de ses camarades de moins en moins nombreux, il tente de défendre sa patrie et surtout de survivre à cette guerre dont il ne comprend pas les raisons.

En ouvrant ce livre qui m'attendait sagement depuis plusieurs années, j'ignorais que j'allais découvrir un aussi beau roman.
A l'ouest rien de nouveau est un livre très dur, et pourtant il est facile de s'y plonger et de suivre cette bande de gamins au milieu des tranchées.
Ils sont jeunes pour la plupart, y compris le narrateur donc. Et en Allemagne comme en France, cette jeunesse est sacrifiée sur l'autel d'on ne sait quoi. Faire la guerre à vingt ans, c'est courir à la mort, aux mutilations. C'est connaître une vie qui n'est faite que de cadavres et de violence, puisque contrairement aux soldats plus âgés, qui ont déjà une famille, les nouvelles recrues n'ont jamais connu autre chose. Ils n'ont même pas eu le temps d'apprendre, d'avoir les moyens de comprendre pourquoi ils détestent les Français. Comme des enfants, ils ont cru à la sagesse de l'âge adulte.

"Or, le premier mort que nous vîmes anéantit cette croyance. Nous dûmes reconnaître que notre âge était plus honnête que le leur. Ils ne l'emportaient sur nous que par la phrase et l'habileté. Le premier bombardement nous montra notre erreur et fit écrouler la conception des choses qu'ils nous avaient inculquées."

Malgré cela, ils obéissent. Ils ramassent et regardent mourir leurs amis, ils serrent dans leurs bras les recrues terrorisées. Ils se font aussi tirer dessus par les leurs, donner puis retirer de belles tenues neuves lorsque le Kaiser vient les passer en revue... Et comme nous sommes du côté allemand, nous les voyons peu à peu sombrer et perdre la guerre.
Quelques permissions leur sont accordées, mais elle n'ont pas le goût du bonheur. Il faut prétendre que tout va bien, qu'il ne faut pas s'inquiéter et croire ce que l'on raconte. Et puis, ces moments de repos ont toujours une fin, ce qui les rend amers.
Paul Bäumer est un narrateur intelligent, qui se permet de questionner ce qui lui arrive en compagnie de ses camarades. Il est de plus en plus conscient de ce qu'on lui a fait, et espère bien qu'un jour on lui rendra des comptes. C'est aussi un jeune homme bouleversant. Il décrit la peur, la violence ou l'espoir qui l'étreignent, recherchant sans cesse un peu d'humanité dans toutes les bassesses et l'horreur qui l'entourent.

Pour donner un peu d'air à son lecteur, et surtout ne pas sombrer lui-même dans la folie, le narrateur dédramatise malgré tout la guerre en nous livrant des situations cocasses. Il est ainsi questions de caisses servant aux soldats à faire leurs besoins. D'abord pudiques, ils se réunissent peu à peu dans ces moments-là pour échanger et oublier quelques instants qu'ils sont de la chair à canon. Un peu plus loin dans le récit, les Français bombardent un cimetière où les Allemands se sont retranchés. Nous avons donc droit à la description de cercueils volants et de cadavres tués une nouvelle fois. Bien que souvent en demi-teinte, ces remarques sont les seules traces d'insouciance qui demeurent chez ces jeunes soldats.

A la fin du livre, tout ce qui nous reste est une impression de gâchis absolu. Ce réquisitoire contre la guerre superbement écrit est un livre à mettre entre toutes les mains.

Le Livre de Poche. 219 pages.
Traduit par Alzir Hella et Olivier Bournac.
1929 pour l'édition française.

22 septembre 2013

Bent Road - Lori Roy

bentArthur Scott retourne au Kansas après vingt ans d'absence en compagnie de son épouse Celia et d'Elaine, Daniel et Evie, leurs trois enfants. Arthur avait fui la ferme de ses parents après que la mort de sa soeur Eve, disparue dans d'horribles circonstances. En revenant chez lui sur la très dangereuse Bent Road, il retrouve son autre soeur, Ruth, qui a épousé Ray, le fiancé d'Eve. Au même moment, un fou furieux s'échappe, et la petite Julianne Robison aux grands yeux bleus et aux cheveux blonds, comme Eve, disparaît.

Inutile de faire durer le suspens, Bent Road est une très belle découverte en cette rentrée littéraire, un livre aussi poignant qu'original.
Tous ses personnages sont touchants et très seuls dans le malheur qui semble les emprisonner un peu plus chaque jour. Nous suivons leurs pensées et leurs confidences, tour à tour. Celia, la mère, se heurte à un mari distant, un beau-frère dont elle n'apprécie pas le regard, une belle-mère désagréable, et surtout à un fantôme, celui d'Eve. Celle-ci lui ressemblait paraît-il, mais personne ne veut lui dire qui l'a assassinée et pourquoi. Les Scott s'acharnent à laisser le passé dans le passé et à refuser son incidence sur le présent.
Daniel a perdu tous ses amis en venant. Son père ne cesse de lui dire qu'il n'est pas un homme et de lui préférer Jonathon, le prétendant de sa soeur Elaine. Alors il apprend à tirer en cachette avec Ian, un être difforme et malade, le seul ami qu'il se soit fait. 
La petite Evie est très isolée également. A l'école, tout le monde lui reproche sa présence, comme si elle était responsable de la disparition de Julianne. Elle s'imagine donc que la tante Eve qui lui ressemble tant et dont elle porte le nom est à ses côtés. Elle porte ses robes en cachette, lui offre à déjeuner et garde précieusement une photo de sa tante disparue dans les bras d'un Ray fou de bonheur.
Enfin, Ruth est une femme adorable mais très malheureuse. Elle a épousé Ray, dont beaucoup pensent qu'il a assassiné sa soeur et qu'il est responsable de la disparition de Julianne, tout en sachant qu'il ne l'aimerait jamais. Devenu alcoolique, il est aussi violent avec elle. L'arrivée de son frère lui permet de voir que tout le monde ne la rejette pas.

"Arthur ne l'a pas regardée comme tous les autres. Il l'a regardée comme s'ils étaient de nouveau jeunes, avant que le malheur frappe. Avant qu'Eve meure. Il l'a regardée comme s'il l'aimait toujours."

Ce livre est décrit comme un roman policier, mais c'est beaucoup plus que ça. Il n'y a pas d'enquête à proprement parler, le rythme est beaucoup plus lent que celui d'un livre à suspens, et les réponses viennent en même temps que les secrets de famille se dévoilent. Bent Road est d'abord un roman d'ambiance, l'histoire d'une famille, d'une communauté. Il parle de drames familiaux, de culpabilité, d'enfants qui voudraient être grands, ou encore du poids du catholicisme. Ray est rejeté et soupçonné par tous d'être un malade, mais aux yeux des gens, et en particulier du Père Flannery, Ruth devrait rester sous sa coupe et serrer les dents. Jusqu'au bout, on ne saisit pas à quel point la malveillance des gens a pu briser des vies.
La fin, que je ne dévoilerais pas, a un côté généreux qui aurait pu être exaspérant mais qui m'a finalement beaucoup plu. Que se serait-il passé si les langues s'étaient déliées plus tôt ? Quelle aurait été la vie des gens alors ? Il n'est pas question d'excuser n'importe quoi, mais d'admettre que les choses ne sont pas aussi simples que le disent le Père Flannery ou même Arthur, et cela seule Celia, avec son regard extérieur, peut le faire.

L'avis de Ys.

Le Masque. 317 pages.
Traduit par Valérie Bourgeois.
2011 pour l'édition originale.

15 juin 2014

Harry Potter et la Chambre des Secrets - J.K. Rowling

arton495Attention, introduction très ennuyeuse. Vous pouvez passer directement au paragraphe 4 si vous le souhaitez.

Lorsqu'on découvre un livre qui nous marque comme Harry Potter m'a marquée, on ne se souvient pas seulement de ce que sa lecture nous a procuré. On se souvient de tous les détails qui ont conduit à sa lecture, du lieu où on l'a lu, et avec le recul, on découvre à quel point il nous a construit. C'est Harry Potter qui m'a fait comprendre que je pouvais être bonne en anglais. Je me rappelle avoir lu ce deuxième tome lors d'un voyage à l'autre bout du monde, tout en révisant le vocabulaire de la série pour le contrôle d'anglais qui m'attendait à la rentrée. Ca m'avait passionnée, et c'est ce qui m'a permis de me lancer dans la lecture du troisième tome en version originale quelques mois plus tard, encore lors d'un voyage.

Sans Harry Potter, je n'aimerais peut-être pas autant l'Angleterre et la langue anglaise. Je n'aimerais peut-être pas autant les livres. Je n'aurais peut-être pas fait les études que j'ai faites, ni choisi le métier que j'exerce aujourd'hui. Il n'y aurait peut-être pas eu Virginia Woolf, puis E.M. Forster, ou Jane Austen.

Pour résumer, au cas où vous ne l'auriez pas compris, j'aime, je vénère Harry Potter, alors pour débuter le mois anglais par ici, il fallait bien lui consacrer un petit billet.

Dans ce deuxième tome, on retrouve notre jeune sorcier encore en vacances chez les horribles Dursley, attendant avec impatience de retrouver Poudlard et ses amis Ron et Hermione.
Mais la veille de la rentrée, un elfe de maison nommé Dobby apparaît dans sa chambre, et le supplie de ne pas retourner dans son école de sorcellerie. Sans rentrer dans les détails, il le prévient qu'un danger mortel le guette.
Harry est intrigué, mais il n'est pas question pour lui d'obéir à la prudence. Il fait donc sa deuxième rentrée entouré de ses amis, retrouve la maison Gryffondor, le Professeur Dumbledor, Hagrid, et surtout la joie d'être dans un lieu où il se sent à sa place.
Cependant, très vite, des agressions se produisent dans le château. Des habitants sont retrouvés pétrifiés, sans que leur agresseur puisse être identifié. Une rumeur se répand alors, disant que la Chambre des Secrets a été ouverte, libérant dans l'école une terrible créature.

Ce que j'aime dans les premiers tomes d'Harry Potter, c'est leur côté un peu enfantin. Il n'y a pas encore eu les horribles pertes des tomes suivants, et finalement on est aussi émerveillés que Harry face à ce monde magique créé par J.K. Rowling.
Les matches de Quidditch sont toujours aussi formidables à suivre, les bêtises de notre petit trio amusantes, et voir Harry grandir, se chercher, toujours aussi émouvant.
Dans ce deuxième tome, le fil conducteur est l'enquête qui vise à découvrir qui est l'héritier de Serpentard, et comment, si elle existe, la Chambre des Secrets a été ouverte. Cela nous amène à remonter dans le passé, et à en apprendre davantage sur Voldemort et sa jeunesse. Son lien avec Harry est exploré plus en profondeur, et comme notre héros, on se demande ce que signifient ces ressemblances troublantes entre le jeune sorcier et le terrible mage noir. Il est agréable de noter que des éléments des tomes suivants sont introduits. Il est question de la prison d'Azkaban, Ron est moins agacé qu'autrefois par Hermione, et un certain objet n'a pas du tout la même importance lorsqu'on connaît déjà la fin de l'histoire.
Ce que j'aime dans ce tome, c'est aussi qu'il permet à J.K. Rowling d'aborder des thèmes graves comme le racisme en les transposant dans son univers. L'appellation "Sang-de-Bourbe" pour désigner les sorciers nés de parents Moldus équivaut sans aucun doute aux surnoms ignobles donnés aux personnes de couleur ou juives par exemple. On retrouve dans les propos et l'attitude de Malefoy et ses amis la même méchanceté, la même ignorance, et la même éducation lamentable que l'on constate chez les individus racistes, homophobes ou autres.

Encore une relecture dont je ressors enchantée.

C'est ma première participation au mois anglais de Titine, Lou et Cryssilda.

2496284831

 

 

14 juillet 2013

Le chemin des âmes - Joseph Boyden

joseph-boyden-chemin-des-ames"La folie, c'est de nous apprendre à tuer ; c'est de récompenser ceux qui le font bien."

Une vieille indienne vient accueillir son neveu Xavier, qui rentre blessé d'Europe après avoir combattu avec les Alliés et son ami Elijah durant la Première Guerre mondiale. Ensemble, ils rentrent chez eux en canoë, elle inquiète et lui à demi-conscient, terrassé par ses blessures et la morphine qu'il s'injecte. Au cours de ce voyage, ils invoquent chacun les souvenirs de leur enfance et ceux relatifs à ce qu'il s'est passé dans le nord de la France.

J'ai très longtemps hésité à lire ce livre pourtant encensé lors de sa sortie. Si le Canada m'attire, je suis toujours réticente face aux récits de guerre qui font du mal à mon petit coeur. Cette fois cependant, alors que j'avais commencé ma lecture en espérant que les passages dans les tranchées seraient aussi brefs que possible, je me suis surprise à les dévorer et même à les attendre à chaque interruption nous ramenant dans les forêts de l'Ontario.
Cela vient du fait que la plupart des événements qui se produisent n'ont rien d'une aventure. C'est le cheminement intérieur de Xavier que nous suivons. Né d'une mère indienne alcoolique, il est élevé par les bonnes soeurs jusqu'à l'âge de cinq ans dans une de ces écoles où l'on vous interdit de parler votre langue, où l'on vous inculque les merveilleuses valeurs chrétiennes et où l'on tente d'effacer en vous tout ce qui ne serait pas conforme au mode de vie occidental avant de vous expédier dans une réserve. Un jour, sa tante, qui a échappé à ce traitement, vient le chercher. Elle lui apprend à chasser, à vivre isolé, et surtout elle l'initie à la spiritualité. Ils descendent d'une lignée de chasseurs de windigos, ces créatures meurtrières jamais rassasiées ayant un jour dévoré l'un des leurs. Elijah, l'ami que Xavier a connu à l'école, vient les rejoindre quelques temps plus tard, d'abord pour les vacances puis de manière permanente. Devenus inséparables, c'est ensemble qu'ils s'engagent pour aller combattre en Europe, impatients et persuadés comme tout le monde que le conflit sera bref. Rien ne leur sera épargné. Après un entraînement intensif et un mode de vie auquel Xavier a beaucoup de mal à s'adapter, ils arrivent en France et sont envoyés en première ligne. Commencent alors les combats où l'on s'entretue pour gagner dix mètres, où celui qui a le malheur de s'endormir pendant sa garde est fusillé pour l'exemple, et où tuer devient une chose mécanique. Xavier et Elijah sont vite repérés pour leurs qualités de tireurs. Ils sont donc systématiquement envoyés en reconnaissance, ont le droit de se mettre à l'écart pour guetter l'ennemi et surtout gagnent le respect de leurs camarades. Xavier reste un peu en retrait, mal à l'aise avec la langue anglaise et vite lassé par ce conflit interminable qui lui prend son ouïe, mais Elijah ne manque pas une occasion de se vanter et de faire le fanfaron avec son bel accent de lord anglais.
Si ce livre parle de deux jeunes Cree qui vont à la guerre, il parle surtout de ce que la guerre leur fait. Pour la plupart, les soldats sont des gamins. Souvent, quelques mois, voire jours, suffisent à les rayer de la surface. Pour les autres, elle les rend sourds, les mutile, les transforme en morphinomanes, et pire, elle les change. Les amitiés ne tiennent pas, laissent place à la jalousie, la rivalité et la méfiance. De gamins effrayés, ils se transforment en bêtes assoiffées de sang, qui tuent avec plaisir. Pour résumer, elle les rend fous. C'est ce qui arrive à Elijah, qui se transforme en windigo sous le regard impuissant de son ami. Aux yeux de ses camarades, Elijah est un héros, un tireur d'élite, mais Xavier sait qu'il scalpe désormais ses ennemis, et sans doute même qu'il les dévore.
En s'appuyant avec beaucoup d'intelligence sur la culture indienne, Joseph Boyden nous livre sa vision de la guerre à travers ses deux héros. Le résultat est inéluctable et surtout puissant.

Un très beau roman.

L'avis de La petite marchande de prose.

Albin Michel. 391 pages.
Traduit par Hughes Leroy.
2004 pour l'édition originale.

                      logo-challenge-littc3a9rature-culture-du-commonwealth   amer

 

22 juin 2013

Limonov - Emmanuel Carrère

002129210"Soixante-dix ans d'efforts et de sacrifices nous ont menés là : dans la merde jusqu'au cou."

Oui, je sais, j'ai honte. On est à la fin du mois de juin, du mois anglais qu'on attendait depuis des lustres, et quand je daigne enfin publier un billet, c'est sur un livre complètement hors sujet. Pour ma défense, je pense pouvoir tenir mes engagements concernant Anthony Trollope.

Pour l'heure donc, je vais vous parler d'un livre un peu étrange, que je ne sais pas trop par quel bout prendre puisqu'il s'agit de la biographie d'un personnage dont j'ignorais l'existence avant de débuter ma lecture, un certain Edouard Limonov, homme politique, écrivain et surtout pauvre type.

Tout commence dans les années 1940. Edouard Limonov naît en URSS dans une famille plutôt pauvre. Son père est un soldat de second ordre, qui n'a jamais fait la guerre, à la grande honte de son fils lorsqu'il le découvre. Edouard passe son adolescence avec des amis dont l'existence est aussi vide que la sienne. Il s'échappe de sa condition en rencontrant Anna, une femme trop vieille pour lui, dépourvue de charme et atteinte de problèmes psychologiques, mais avec qui il se rend à Moscou, où il espère gravir les échelons en fréquentant des cercles d'écrivains. C'est un semi-échec, qui le pousse à s'exiler aux Etats-Unis, où il rencontre encore la misère, puis en France, où le succès est enfin au rendez-vous. Pendant ce temps, il n'aura jamais oublié la Russie, qui sombre avec la chute du communisme. 

Le livre d'Emmanuel Carrère est donc l'histoire d'un homme sur plus de soixante ans, mais aussi à travers les yeux de ce dernier, le récit d'une époque, celle de l'Union soviétique puis de la période post-communiste. Pour être honnête, je n'ai pas éprouvé un grand intérêt pour Limonov lui-même. Le récit de ses mésaventures et de ses conquêtes le font ressembler à l'un de ces anti-héros que l'on trouve dans nombre de romans américains, en beaucoup moins bien. Limonov n'est pas Martin Eden, et c'est donc lorsqu'il apparaît plutôt en toile de fond, comme un prétexte pour raconter l'histoire de l'Europe depuis les années 1980, que le livre devient vraiment captivant. Auparavant, on a malgré tout des passages intéressants sur l'URSS. On découvre ainsi la vie artistique sous le régime soviétique. Le talent n'est pas quelque chose que l'on vous accorde en fonction de vos oeuvres mais de votre statut. Si le pouvoir vous mène la vie dure, vous êtes un génie. Un cynique dirait certes qu'on n'a pas besoin d'aller en URSS pour trouver ce type d'exemple, mais Limonov croise nombre de types médiocres perçus comme de grands écrivains simplement parce qu'ils ont fait ceci ou cela (ou parce qu'ils ne l'ont pas fait). Cela le rend mauvais, d'autant plus qu'il est convaincu de valoir mieux qu'eux. Par la suite, devenu un écrivain reconnu (du moins d'après ce livre), Limonov ayant renoué avec sa patrie se lance dans la politique en créant un parti douteux, ce qui finit par lui valoir la prison. Entretemps, il sera aussi allé apporter son soutien aux Serbes pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
Je suis trop jeune pour avoir suivi la chute du communisme en direct, et la Russie n'est pas un pays que j'ai eu l'occasion d'étudier en détail, donc j'ignorais nombre des événements décrits dans ce livre concernant la façon dont nous en sommes arrivés à la situation actuelle. Il est beaucoup question de Gorbatchev, de Elstine et de Poutine, et de la façon dont la Russie a découvert la démocratie (j'ai presque envie de mettre des guillemets). On découvre un pays qui se réveille avec la gueule de bois. L'inflation est galopante, les ressources sont immédiatement monopolisées par une bande d'oligarques qui comptent bien ne pas rejoindre leur compatriotes plongés dans la misère, l'espérance de vie régresse... Face à cela, la possibilité de pouvoir enfin l'ouvrir semble être un faible lot de consolation, et grande est la tentation de regretter l'époque où l'on ne payait pas le gaz. 

J'ai souvent du mal avec les livres qui mêlent des tas de choses, et notamment des faits et des interprétations personnelles, mais Limonov a une immense qualité, il fait réfléchir. En fait, Emmanuel Carrère nous y livre sa version de nombreux faits, de décisions prises par des personnages politiques, mais avec suffisamment d'éléments contradictoires pour nous donner envie d'aller fouiner ailleurs.

Merci à Lise pour le livre.

Folio. 488 pages.
2011.

20 mai 2013

L'étrange vie de Nobody Owens -Neil Gaiman

l-etrange-vie-de-nobody-owens_2625831-LUne nuit, un bébé d'un an et demi s'éclipse de chez lui. Il fait bien, car sa famille est en train de se faire massacrer par le Jack. L'enfant atterrit dans un cimetière où les habitants décident de le garder et de le protéger. Mr et Mrs Owens deviennent officiellement ses parents, et comme il n'a pas de nom, on décide de l'appeler Nobody, Bod pour les intimes.
Bod grandit donc dans ce cimetière peuplé de fantômes de tous les âges mais qui ne vieillissent jamais, ainsi que d'un monstre caché au centre de la colline. Il devient aussi l'ami imaginaire de Scarlett Amber Perkins, une petite fille bien vivante.
Hors des grilles du cimetière cependant, le Jack continue à le rechercher.

J'ai ouvert ce livre sans grande conviction. Neil Gaiman et moi, nous avons une relation compliquée. Je n'ai pas terminé Stardust et je n'aime pas son travail dans Doctor Who (même s'il n'est pas le seul à blâmer pour mon désintérêt concernant cette série).
Cependant, sans être mon coup de coeur de l'année, ce roman m'a énormément plu et touchée. Il s'agit d'une histoire simple, mais qui contient énormément de choses traitées de façon originale.
Tout d'abord, Neil Gaiman crée un monde imaginaire dans lequel on se sent tour à tour bien et apeuré. Silas, le protecteur de Nob, est un personnage aussi mystérieux que séduisant et réconfortant. Nob semble complètement à l'abri du monde extérieur dans ce cimetière où chacun veille sur lui, même ceux qui prennent les airs les plus terrifiants.
D'un autre côté, les goules essaient de détourner le petit garçon de sa vie, et ses premières expériences à l'extérieur du cimetière pourraient bien le laisser amer et craintif.
Car ce livre est surtout l'histoire d'un enfant qui devient adulte. Ses contacts avec le monde lui apportent ses premières épreuves, mais aussi ses premières aventures avec la vie. Neil Gaiman aurait pu finir sur une note complètement positive et pleine d'espoir, j'ai apprécié le fait que Scarlett ne soit pas aussi prévisible dans ses réactions.

Au final, un joli roman d'apprentissage façon fantastique qui me réconcilie avec un auteur que j'enrageais d'être la seule à ne pas apprécier.

D'autres avis chez Lou et Cachou.

Albin Michel. 310 pages.
Traduit par Valérie Le Plouhinec.
2008 pour l'édition originale.

 

3 avril 2013

Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides

C_Le-roman-du-mariage_9524"Il n'y a pas de bonheur en amour, sauf à la fin d'un roman anglais." 

Contre toute attente, voilà l'un des meilleurs romans victoriens que j'ai lus ces derniers temps. En effet, le but de Jeffrey Eugenides avec son dernier roman est d'écrire un roman à la sauce XIXe bien que l'on soit au XXIe siècle. C'est une véritable réussite.

Madeleine, la vingtaine, est étudiante à l'université de Brown au début des années 1980. Ses idoles sont les auteurs anglos-saxons du XIXe siècle, de Jane Austen à Henry James, en passant par Elizabeth Gaskell ou encore George Eliot. Lorsqu'elle s'inscrit à un cours de sémiologie, elle découvre Jacques Derrida et surtout Roland Barthes, au point de ne plus voir la vie qu'à travers Fragments d'un discours amoureux. Ce livre hante même sa relation avec Leonard, le jeune homme brillant qu'elle a rencontré dans son fameux cours, qui est aussi doué en biologie qu'il est maniaco-dépressif. Une autre silhouette apparaît dans le sillon de Madeleine, celle de Mitchell, étudiant en théologie et amoureux fou de notre héroïne.  

Nous suivons ces trois personnages se débattant chacun dans leur domaine pour trouver la réponse aux questions qu'ils se posent sur une année environ, bien davantage si l'on prend en compte les souvenirs d'enfance, les changements de points de vue et les bouleversements qui s'opèrent en Madeleine, le personnage central du récit. La construction du livre est un véritable atout. Elle rend le récit dynamique, passionnant, elle fait cogiter le lecteur et sert à mettre en perspective bon nombre d'aspects qui seraient apparus anodins ou opaques si l'histoire avait été contée de façon linéaire.
Le fond n'est pas en reste. Les questions centrales du livre sont le mariage et le roman, ainsi que la manière dont les deux s'articulent. Si le mariage a été l'un des sujets favoris des romanciers à une époque où c'était un pilier des sociétés occidentales, la banalisation du divorce et la libération des femmes ont changé les choses. Dès lors, Jeffrey Eugenides cherche avec son livre à écrire une histoire sur le mariage qui prend en compte ces nouvelles données. Mais les liens entre mariage et roman ne sont-ils pas définitivement morts ?
Madeleine est une véritable héroïne de roman comme on en trouve chez les auteurs anglo-saxons du XIXe et du début du XXe siècle. Elle vient d'une bonne famille, où l'on se marie davantage par convenance que par amour. Comme beaucoup de ses consoeurs de roman, Madeleine profite de la première occasion qui se présente pour laisser exploser son tempérament rêveur et idéaliste. Cela l'amène à commettre les même erreurs qu'elles en choisissant le mauvais garçon. Léonard est difficile à cerner, mais il n'a rien du gendre idéal, ce qui est toujours un gros avantage lorsque l'on souhaite séduire une jeune fille riche qui souhaite ne pas marcher dans les pas de sa mère et de sa soeur.  Ce n'est pas un mauvais bougre, mais sa maladie le rend égoïste, parfois méchant, et ses sentiments pour Madeleine relèvent davantage du caprice que d'un attachement sincère. Mitchell est un jeune homme qui se cherche en étudiant la théologie et en se rendant jusqu'en Inde. Amoureux de Madeleine depuis le début, c'est le héros parfait d'un roman anglais, celui qui devrait avoir la fille au bout du compte.

A la fois campus novel, roman d'apprentissage ou encore pastiche littéraire, ce livre est une sorte de pièce montée dont on ne comprend le sens que dans les dernières phrases, superbes, que je me retiens de vous révéler tant elle m'ont émue.

C'est un gros coup de coeur.

D'autres avis enthousiastes et passionnants chez Cathulu et chez Papillon.

L'Olivier. 552 pages.
Traduit par Olivier Deparis.
2011 pour l'édition originale.

1 juin 2013

Harry Potter à l'Ecole des sorciers - J.K. Rowling

QUIZ_Harry-Potter-a-lecole-des-sorciers-facile_9576Pour commencer le Mois anglais par ici, j’ai décidé de me replonger dans Harry Potter, une série découverte avec une copine dans le CDI de mon collège. Elle avait détesté, moi je n’ai jamais pu en sortir. Harry Potter, c’est donc mon adolescence, plein d’échanges passionnés avec les copains et mon frère sur les livres, les films... C’est aussi la première fois que j’ai lu un livre en anglais, des livres de plusieurs centaines de pages lues et relues, des cris de rage (je suis toujours traumatisée par la fin du tome 5). Et puis surtout, Harry Potter c’est un monde qu’on a presque l’impression de connaître par coeur (je sais, je suis folle).
Le premier tome de Harry Potter était le seul que je n’avais jamais relu. Je craignais de le trouver trop léger, trop bébé... mais J.K. Rowling n’a pas eu un tel impact sur la littérature jeunesse pour rien.

Vernon et Petunia Dursley mènent une vie tranquille à Privet Drive avec leur bébé Dudley jusqu’au jour où des personnages étranges déposent devant leur porte le neveu orphelin de Petunia, Harry Potter. Le garçon est donc élevé pendant dix ans par une famille qui le méprise au point de le faire dormir dans un placard et de ne lui accorder que le strict nécessaire tandis que Dudley est un enfant pourri-gâté.
Le jour des onze ans de Harry cependant, une lettre arrive, lui annonçant son admission à Poudlard, une prestigieuse école de sorcellerie.

J’ai beau avoir dans la tête les images des films, connaître toute l’histoire presque par cœur, j’ai trouvé ce premier tome passionnant. Le point de vue adopté par J.K. Rowling pour nous conter le début de l’histoire est celui d’une personne normale, d’un « moldu ». Par conséquent, les premières apparitions de la magie ressemblent à des événements bizarres, les sorciers vêtus de capes et de chapeaux ont l’air de personnes excentriques, et le lecteur est aussi déconcerté qu’Harry lorsqu’il découvre qu’il est un sorcier.

« Je suis un quoi ? »

C'est alors un monde incroyable qui s'ouvre à Harry et au lecteur. Ensemble, ils découvrent le Chemin de Traverse, Gringotts, le quai 9 3/4, Poudlard, ses maisons, ses fantômes et ses couloirs interminables, le quidditch... C'est aussi parti pour de belles aventures, puisque Harry va devoir affronter pour la première fois Voldemort, le sorcier qui a semé la terreur pendant des années et qui a tué James et Lily Potter avant de disparaître en essayant de tuer leur fils.
Outre la magie, Harry Potter à l'Ecole des sorciers, c'est aussi la découverte par un petit garçon de ce qu'est l'amitié. C'est en effet là que le trio Ron, Hermione, Harry débute. Pour la première fois de sa vie, il a des gens qui se préoccupent de lui. Même les adultes, Hagrid, Dumbledore et McGonagall le prennent sous leur aile.
Lire ce livre tout en connaissant la fin de l’histoire est également très intéressant. Beaucoup de détails ont une importance bien plus grande lorsqu’on sait ce qu’ils cachent en réalité, et on ne peut que saluer la façon donc J.K. Rowling a semé des indices dès le début de sa saga. Ca m’a amusée de lire les réactions de certains personnages, certains dialogues (impossible d’être plus précise, je ne veux pas que des âmes innocentes en apprennent trop à cause de moi).

J'ai vraiment replongé avec plaisir dans cet univers, et je pense que je vais relire toute la série (même si je garde un souvenir moyen du tome 2). Si vous ne connaissez pas encore Harry Potter, c'est l'occasion de vous lancer avec le Mois anglais de Titine et Lou !

Folio Junior. 305 pages.
Traduit par Jean-François Ménard.
1997 pour l'édition originale.

 

3159037476

 

 

Publicité
<< < 10 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 > >>
Publicité