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lilly et ses livres
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30 mai 2022

Tormento - Benito Pérez Galdós

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Madrid, 1867. Don Francisco Bringas est un fonctionnaire mal payé. Son épouse essaie de tirer le meilleur parti de leurs relations afin de leur assurer un certain train de vie et de protéger l'avenir de leurs enfants. Parmi les serviteurs de la famille se trouve Amparo, une orpheline aussi belle que dévouée, que les Bringas ont promis de ne pas abandonner. Lorsqu'un parti très avantageux pour la jeune fille se présente, la jalousie de Madame Bringas et un ancien secret déshonnorant menaçent l'union projetée.

C'est peu dire que la littérature de langue espagnole n'est pas très présente sur ce blog. Il a fallu qu'Ingannmic et Goran lancent leur Mois Latino-Américain pour que cette catégorie prenne un peu d'ampleur. Je n'avais jamais entendu parler de Benito Pérez Galdós avant que l'éditeur me propose de découvrir ce recueil, mais la comparaison avec Dickens et Balzac a eu raison de ma méfiance.

Ce livre se lit un peu comme une pièce de théâtre, une forme d'autant plus logique qu'elle est utilisée par Benito Pérez Galdós dans certains chapitres. L'auteur dresse un portrait très sarcastique de la société madrilène à la veille de la révolution de 1868, où tout est fondé sur un paraître d'autant plus absurde que tous ses membres se connaissent suffisamment pour que personne ne soit dupe. Galdós affame les enfants, transforme le respectable Bringas en fée d'intérieur, ce qui rend la lecture du roman très drôle. Malgré cela, il nous présente aussi à travers le personnage d'Amparo une société où la moindre faiblesse de jeunesse peut ruiner tout espoir.

Tormento est trop court, et la comédie trop présente, pour que le drame nous emporte comme peuvent le faire les romans des auteurs du XIXe les plus reconnus, mais j'ai hâte de lire le deuxième roman du recueil pour découvrir s'il contient des informations sur le devenir des personnages que j'ai quittés de façon trop abrupte à mon goût. Et j'espère qu'un éditeur prendra la peine de traduire les oeuvres les plus célèbres de Benito Pérez Galdós qui semblent incontournables.

Je remercie les Editions du Cherche Midi pour l'envoi de ce livre.

Le Cherche Midi.
Traduit par Sadi Lakhdari.
2022.

Source: Externe

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27 juin 2021

Le Cercle fermé - Jonathan Coe

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« Eh bien... eh bien, ça s’appelle Agitation, et ça parle des événements politiques des trente dernières années, et de leur rapport avec... les événements de ma propre vie, je dirais. »

Les Anglais s'apprêtent à fêter le nouveau millénaire sous l'égide de leur charismatique premier ministre, Tony Blair. Claire rentre en Angleterre, où elle retrouve son ex-mari, Philip et leur fils Patrick. Avant cela, elle s'est rendue en Normandie et a mis un terme à son attente desespérée de sa soeur disparue depuis presque trente ans. A Birmingham, elle croise par hasard Benjamin Trotter. Devenu comptable alors que tous le voyaient écrivain, sa vie sentimentale est un désastre. Son frère, l'imbuvable Paul, n'a pas eu ses hésitations et fait partie de la vague montante de jeunes députés travaillistes.  

Après mon coup de coeur pour Bienvenue au club, je ne pouvais pas résister à l'envie de découvrir la suite des aventures de ses personnages.

Et si, d'adolescents prometteurs, nous étions condamnés à ne devenir que des adultes décevants ? Les idéaux et les principes très arrêtés de notre jeunesse volent souvent en éclats face à la réalité d'une routine abrutissante ou d'une rencontre réveillant des choses que l'on croyait disparues depuis longtemps. Il est frappant d'observer que les adolescents d'autrefois ressemblent beaucoup à leurs parents.

" Je dois repartir. De zéro. Et je dois commencer par faire ce qu’il y a de plus dur au monde, ce que j’ai refusé de faire toutes ces années : abandonner tout espoir. "

Alors que le précédent tome décrivait les prémices du thatcherisme, Jonathan Coe analyse ici la politique blairiste, qui détricote les services publics et conduit la Grande-Bretagne à participer à l'intervention en Irak sans l'aval des Nations-Unies. L'Angleterre du début du troisième millénaire, c'est aussi les programmes de télé-réalité, repoussant toujours plus loin les limites de la médiocrité. Les vraies nouvelles idoles ne sont pas les jeunes députés dotés d'une conseillère médiatique (ce n'est pas vraiment un mal) et encore moins les scientifiques permettant des découvertes majeures. Il ne faudrait tout de même pas aborder les vrais problèmes et pointer les vrais coupables.
Autre sujet d'importance qui gangrène le pays, le racisme.

" Je veux dire, le racisme est partout, mais il n’est pas proclamé. Si tu veux du racisme, va dans l’Angleterre profonde et incruste-toi dans un dîner du Rotary. Tu trouveras tout un tas de gens, anglais, blancs, bourgeois, qui fondamentalement n’aiment pas les Noirs, qui n’aiment personne en dehors de leur petit monde, mais qui sont bien lotis, qui mènent leur vie comme ils l’entendent et qui donc n’ont pas besoin de passer à l’acte, à part peut-être en lisant le Daily Mail et en déblatérant entre eux au bar après une partie de golf. Ça, c’est du racisme. Alors que les gens dont tu parles, ceux qui s’organisent, qui vont dans des manifs et qui provoquent des bagarres, ceux qui en parlent ouvertement... ça, c’est autre chose. Ce sont aussi des victimes. Des perdants. Leur peur et leur sentiment d’impuissance sont si forts qu’ils sont incapables de les dissimuler. En fait, c’est même pour ça qu’ils font des choses pareilles : ils veulent qu’on sache qu’ils ont peur. "

Plus sournoise, une frange de l'extrême-droite n'est plus ouvertement aussi violente qu'auparavant, mais invite à une communion avec la ruralité loin de "la société moderne urbanisée, décadente et multiculturelle" (je n'y avais jamais pensé).

Un roman moins jouissif que Bienvenue au club, qui alliait les registres à la perfection, mais une observation toujours aussi pertinente et cynique (voire prémonitoire) de l'Angleterre et de ses habitants.

Folio. 549 pages.
Traduit par Jamila et Serge Chauvin.
2004 pour l'édition originale.

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17 mai 2021

La Maison dans laquelle -Mariam Petrosyan

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" [...] j'avais compris que le goût des habitants de la Maison pour les histoires à dormir debout n'était pas né comme ça, qu'ils avaient transformé leurs douleurs en superstitions, et que ces superstitions s'étaient à leur tour muées, petit à petit, en traditions. Et les traditions, surtout lorsque l'on est enfant, on les adopte immédiatement. Si j'étais arrivé ici il y a quelques années, peut-être que je trouverais banal de communiquer avec les morts."

Autant parce que ce livre est impossible à résumer que pour préserver le plaisir de la découverte, je ne vous dirai pas grand chose de l'histoire qu'il raconte. Sachez seulement qu'il existe une maison dont les murs sont recouverts d'inscriptions manuscrites et certaines fenêtres murées. Ses habitants sont des adolescents livrés à eux-mêmes la plupart du temps, répartis dans des groupes où la hiérarchie est stricte. Ils ne se font appeler que par le surnom qu'on leur a attribué. L'Extérieur n'existe plus, il est interdit d'en parler.

Il est rare de croiser un livre offrant tant de niveaux de lecture, tous parfaitement réussis de surcroît. La Maison dans laquelle est un roman qui ressemble à un conte macabre. C'est aussi une immersion dans un institut où tous les habitants paraissent fous. On peut voir ce livre comme la description d'un monde qui ne laisse pas de place aux personnes handicapées et qui préfère les tenir à la marge. Enfin, c'est une métaphore de la condition humaine, à laquelle nous espérons tous échapper en nous racontant des histoires et en accumulant des souvenirs qui finissent par ne plus rien nous rappeler.

Cette ambivalence contamine les personnages, perçus par différents narrateurs. Pour démêler le vrai du faux (s'ils existent), on ne peut compter ni sur l'Aveugle, chef implacable et adolescent pathétique à la fois, ni sur l'éducateur tour à tour clairvoyant et drogué aux mystères de la Maison. Les personnages parlent par énigmes, et l'on se demande si c'est pour dissimuler leurs crimes ou bien leurs traumatismes.
Les amitiés (s'il s'agit bien de ça) sont étranges mais indéfectibles. Les liens entre les habitants sont tels que la parole est souvent inutile. On tombe sous le charme de ces jeunes qui semblent avoir tant vécu, effrayés à l'idée de grandir, et capables de la violence la plus pure comme de faire preuve d'une solidarité exceptionnelle.

Dès le premier chapitre, on est happé par cette histoire qui nous rappelle à quel point la lecture est un plaisir et un refuge. J'ai craint un essoufflement, une mauvaise direction, qui aurait gâché ce parfait instant de lecture. Mais rien n'est venu rompre le charme. Il y a du Lewis Carroll, du Jorge Luis Borges, du J.M. Barrie et même du Kazuo Ishiguro dans ce livre, et en même temps il est unique.

La Maison dans laquelle est un chef d'oeuvre, une lecture labyrinthique ficelée avec un soin méticuleux. Vous y serez partagé entre un sentiment de malaise, des éclats de rire (oui !), de la terreur et des larmes.

"Dès qu'ils le voyaient, les éducateurs se mettaient à compter machinalement les années qui les séparaient de la retraite. Ses voisins de chambrée rêvaient de l'étrangler. Putois avait neuf ans, et au cours de cette brève existence, il avait déjà eu le temps de commettre bien des forfaits."

Laissez-vous glisser dans ce livre.

Monsieur Toussaint Louverture. 1070 pages.
Traduit par Raphaëlle Pache.
2009 pour l'édition originale.

10 avril 2021

La Papeterie Tsubaki - Ito Ogawa

ito ogawaAprès la mort de l'Aînée, Hatoko est revenue à Kamakura pour tenir la papeterie familiale. Ses clients lui achètent généralement des articles de bureau, mais requièrent aussi ses services d'écrivain public pour des demandes particulières et souvent délicates.

Cela fait quelques années que je vois passer les livres d'Ito Ogawa sur les blogs et les réseaux sociaux. J'ai profité de la perspective du Mois du Japon pour la découvrir.

La Papeterie Tsubaki est un livre sur un métier tombé en désuétude, celui d'écrivain public.
De nos jours, la plupart des Occidentaux savent écrire. Nous n'utilisons d'ailleurs plus tellement nos stylos puisque la correspondance est de plus en plus électronique.
Pourtant, qui n'aime pas recevoir du courrier ? Certaines circonstances méritent particulièrement que l'on prenne le temps de montrer que nous n'avons pas fait les choses à la va-vite. Dans une société aussi policée que le Japon, c'est encore plus vrai.
A travers les rencontres que son héroïne fait dans sa papeterie, Ito Ogawa révèle l'art d'écrire. Qui, mieux qu'un écrivain public connaît l'importance du choix des mots, de l'encre, du timbre, ou même du papier ?

En tant que novice, aussi bien en ce qui concerne la littérature japonaise que dans la connaissance de l'histoire de l'écriture, j'ai sans doute davantage adhéré à ce livre qu'un lecteur averti le ferait. Cela dit, je dois reconnaître qu'il ne m'en reste déjà plus grand chose.
Les personnages sont sympathiques mais sans originalité et l'auteur creuse trop peu son histoire pour qu'elle soit réellement émouvante.

Un livre à découvrir pour passer un doux moment, mais qui ne marquera pas mon parcours de lectrice.

Moka est nettement plus convaincue que moi. Lewerentz partage mon avis.

Le Livre qui parle. 6h50.
Lu par Peggy Martineau.
2016.

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21 février 2022

La Débâcle - Emile Zola

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Avant-dernier opus des Rougon-Macquart, La Débâcle s’étend de la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu'à la Commune. Alors qu'à Paris, la propagande tente de maintenir l’illusion d’une victoire imminente, sur le front les rumeurs n'en finissent pas de se contredire. Laissés pour compte, affamés, les soldats français s'organisent comme ils peuvent. Parmi eux, Jean Macquart et Maurice Levasseur, se lient d'une profonde amitié.

Grande fresque historique dénonçant la guerre avec fermeté, ce roman mêle à la fois les tragédies collectives et les drames individuels. Fait notable chez Zola, il n'y a pas de personnage haïssable dans les rangs français (l'auteur avait choisi son camp). Si l'on occupe longuement le champ de bataille, le romancier nous montre aussi les conséquences de la guerre sur tout un territoire. Villes et champs sont dévastés et jonchés de cadavres puants, les animaux sont massacrés en même temps que les hommes, les populations brutalisées et financièrement saignées par les vainqueurs.

Avec son style toujours très visuel, Zola nous fait assister à des scènes inoubliables de chevaux débandés, de blessés amputés à la chaîne. Plus tard, les massacres de la Commune sont difficilement soutenables, et l'auteur nous offre un final le long de la Seine à la fois sublime et terrible dans Paris incendié.

Comme toujours avec cet auteur, on ressort bouleversé et impressionné. Ce livre intègre la liste de mes Zola préférés, ce qui n'est pas peu dire.

Folio. 663 pages.
1892 pour l'édition originale.

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26 mars 2020

Drame de chasse - Anton Tchekhov

drameUn rédacteur en chef reçoit la visite d'un certain Ivan Kamychov qui lui remet le manuscrit de ce qu'il appelle un roman. Il laisse cependant entendre que son texte a une dimension autobiographique.

Un juge d'instruction, Serguéï Pétrovitch Zinoviev, jeune et beau garçon reçoit, après deux ans sans le voir, l'invitation du comte Karnéïev. Bien qu'il le méprise, Zinoviev n'a jamais pris la peine de refuser son amitié au noble propriétaire terrien. Ainsi se rend-il sur son domaine où, accompagné du comte, de son intendant Ourbénine et d'un invité hostile, il voit pour la première fois la jeune fille en rouge.
Lors de leur rencontre avec la jeune fille en rouge, Zinoviev, Karnéïev et Ourbénine sont envoûtés par elle. Vivant avec son père sénile, la jeune Olga va accorder sa main au vieil intendant de façon irréfléchie. Ses actions ultérieures et celles de ses deux autres prétendants vont précipiter tous les personnages vers leur perte.

Unique roman d'Anton Tchekhov et publié en feuilleton, Drame de chasse est présenté comme étant un roman policier. La préface précise que c'est surtout une parodie du genre.
Ainsi, si vous cherchez une enquête policière palpitante, je ne suis pas certaine que vous serez contenté avec ce livre dont Tchekhov, sous les traits du rédacteur en chef, avertit dès le début qu'il s'agit d'une oeuvre médiocre.

Union mal assortie de Vassili Poukirev"Ce récit n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Il comporte bien des longueurs, bien des aspérités... L'auteur a un faible pour les effets et les phrases clinquantes... On sent bien que c'est la première fois de sa vie qu'il écrit, d'une main novice, inexpérimentée."

En effet, j'ai beau être bon public, il n'est pas difficile de deviner le pot aux roses bien avant la fin et Tchekhov n'est vraiment pas dans la nuance avec Drame de chasse.
La critique du "beau monde" est sévère. Les nobles passent les messes à discuter, organisent des orgies, sont ignorants de tout, hypocrites. Le domaine du comte est dans un état de délabrement indigne, le comte est grossier et son apparence physique ridicule.
Le seul personnage semblant digne de respect est le médecin, ami de Zinoviev, homme honnête et malheureux en amour. Tchekhov exerçant la même profession, il n'est pas étonnant qu'il ait accordé son indulgence à ce personnage en particulier.
J'ai eu de gros espoirs, pensé trouver dans la description de cette société une certaine complexité. Le narrateur et son ancienne conquête, Nadia, semblent être de nouveaux Eugène et Tatiana. Olga pourrait être autre chose qu'une écervelée. Le médecin, dont le nom m'échappe déjà, pourrait ne pas être présent uniquement parce que Tchekhov crée un personnage de cette profession dans chacune de ses oeuvres. Malheureusement, l'auteur semble avoir été déterminé à proposer une intrigue médiocre.

Un roman assez inégal, qui m'a tour à tour intriguée, passionnée puis lassée.

Babel. 316 pages.
Traduit par André Markowicz et Françoise Morvan.
1884-1885.

Un billet qui s'inscrit dans le Mois de l'Europe de l'Est de Patrice, Eva et Goran.

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17 avril 2021

Le Tumulte des flots - Yukio Mishima

Mishima"Dans l’après-midi la lumière du soleil qui s’abaissait fut coupée par le mont Higashi et les environs du phare furent dans l’ombre. Un faucon tournoyait dans le ciel clair au-dessus de la mer. Du haut du ciel il repliait une aile, puis l’autre comme pour les essayer, et au moment où l’on croyait le voir tomber, il se retirait brusquement vers l’arrière et planait, les ailes immobiles."

Shinji vit sur la petite île d'Utajima avec sa mère et son petit frère. Ils sont pauvres, comme la plupart des habitants de l'île. Chef de famille depuis la mort de son père pendant la guerre, Shinji est un pêcheur sérieux et un grand nageur. Sa mère, à l'image des autres femmes, plonge pour cueillir des algues.
La tranquilité d'Utajima est troublée un soir par l'apparition d'une inconnue. C'est Hatsue, la fille de l'homme le plus aisé de l'île, qui fait son retour.

Lorsqu'on se penche sur la littérature japonaise, on croise inévitablement le nom de Yukio Mishima. Auteur mondialement apprécié, il est aussi connu pour ses idées nationalistes et sa fin tragique par seppuku, après un coup d'Etat raté.
Le Tumulte des flots est un livre prometteur, mais je suis contente de lire qu'il n'est pas le plus représentatif de l'oeuvre de Mishima car sa fin s'est révélée un peu décevante.

C'est un livre très beau, poétique, sur l'éveil amoureux et la puissance de la nature. Il fait la part belle à la simplicité, opposant l'excitation et l'oppulence de la ville au dénuement d'Utajima, où les habitants ignorent le vol, s'organisent pour entretenir les biens communs et respectent la supériorité des éléments. Chacun, mère, jeune gens, homme, a son rôle à tenir et le fait sans rechigner.

"Contrairement aux milieux bourrés de tant d’excitations dans lesquels vit la jeunesse des villes, à Utajima on ne trouvait pas un établissement avec billard mécanique, pas une seule buvette, une seule serveuse. Le seul rêve bien simple du garçon était seulement de posséder un jour un bateau à moteur et de faire du cabotage avec son jeune frère."

La rencontre entre Shinji et Hatsue est dans la lignée de cette vision des choses. Leurs sentiments, l'attirance physique qu'ils éprouvent sont simples et purs.
Malheureusement pour eux, des considérations financières et la jalousie vont venir menacer leur bonheur. Utajima est un paradis, mais un paradis humain. J'ai particulièrement aimé le personnage de Chiyoko, la fille du gardien du phare. Convaincue de sa laideur, principale responsable presque malgré elle des malheurs de Shniji, il s'agit du personnage le plus touchant du roman.

Cette fille qui, par raison, n’avait jamais eu une aventure à Tôkyô, espérait chaque fois qu’elle retournait dans l’île que quelque chose de merveilleux lui arriverait, quelque chose qui changerait complètement le monde où elle vivait.

Même si ce livre nous conte une histoire plutôt sérieuse, l'auteur parsème son récit de petites touches d'humour bienvenues. Il va même jusqu'à conclure son roman d'une façon qui m'a semblé un peu trop en décalage avec le reste. Peut-être que mes attentes étaient trop précises également. Je rêvais de bruit et de fureur, j'ai bien croisé un typhon (de loin la scène la plus remarquable du roman), mais de façon trop furtive.

Une lecture qui n'a pas été complètement convaincante, mais Yukio Mishima vaut assurément le détour.

Folio. 256 pages.
Traduit par Gaston Renondeau.
1954 pour l'édition originale.

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12 juin 2018

Témoin indésirable - Agatha Christie

témoinAlors qu'il vient de rentrer d'une expédition dans les pôles, le Dr Arthur Calgary découvre qu'un jeune homme qu'il a pris en stop deux ans auparavant a été condamné pour le meurtre de sa mère. Or, cette rencontre a eu lieu précisément au moment où la victime, Mrs Argyle, était assassinée. Convaincu d'être porteur d'une bonne nouvelle, Calgary se rend à Sunny Point, la demeure des Argyle. Pourtant, l'innocence de Jacko (décédé en prison) ne semble ravir personne, les Argyle accusant même le scientifique d'être venu troubler leur famille. La thèse d'un meurtrier extérieur étant improbable, quel membre de la famille a bien pu tuer Rachel Argyle ?

J'ai décidé de découvrir ce roman après avoir lu deux billets élogieux à son sujet ces dernières semaines, mais je dois reconnaître que je suis beaucoup moins enthousiaste.
C'est un roman qui étudie de près la psychologie des personnages. Sans la prise en compte de cet aspect, la résolution du mystère est impossible, puisque les mobiles ordinaires qui pourraient expliquer le meurtre sont (presque) inexistants. Très vite, le lecteur renonce à l'idée que les Argyle formaient une famille unie. Rachel Argyle était une femme remplie de bonne volonté, qui adorait les enfants qu'elle avait adoptés. Cependant, aucun ne la considérait réellement comme une mère, et tous la trouvaient tyrannique.
Partant de ce constat, de nombreuses explications étaient envisageables et Agatha Christie aurait pu nous faire explorer les tourments de l'âme humaine. Malheureusement, la clé du mystère ressemble davantage à un simple fait divers qu'à un crime complexe.
J'ai également été gênée par la vision des enfants adoptés et des classes populaires que l'on trouve dans ce livre, qui est très caricaturale. Un lien biologique ne permet pas de connaître son enfant par la simple magie de la génétique, et si l'adoption est un processus complexe, elle ne produit pas des familles qui seraient moins (ou plus) réelles que les autres.
Outre ces reproches sur le fond du roman, sa construction même me semble maladroite. Nous rassemblons les pièces du puzzle à l'aide de pas moins de trois détectives, avec par ailleurs les interventions des différents protagonistes de l'affaire. Agatha Christie tente le huis-clos, puis revient à une enquête traditionnelle, se sépare longuement de Calgary avant de lui offrir le meilleur rôle... Clairement pas le meilleur assemblage qu'elle ait produit.
Enfin, bien que ce soit anecdotique, j'ai trouvé la fin ridiculement mièvre. En la rajoutant au reste, je n'ai pu que refermer le livre en souhaitant tomber sur un meilleur cru lors de ma prochaine lecture de l'auteur.

Une petite déception. Je vous conseille plutôt Dix Petits Nègres ou L'Heure zéro.

Le billet de Fanny.

Editions du Masque.  252 pages.
Traduit par Jean Brunoy.
1959 pour l'édition originale.

Source: Externe

15 décembre 2020

Et m*** ! - Richard Russo

russoLe lendemain de l'élection de Donald Trump, David et sa femme Ellie, deux universitaires à la retraite, reçoivent deux couples d'anciens collègues et amis. Ces derniers ont profité de la fin de leur carrière professionnelle pour quitter le centre-ville et s'établir en périphérie.
A la fin de la soirée, Ellie découvre un étron dans le jacuzzi de la maison, le premier d'une série.

A la fin de l'été, Ingannmic a lancé l'idée d'une lecture commune autour de Richard Russo. J'avais prévu de me lancer dans l'une de ses oeuvres les plus connues, mais étant débordée de travail en ce moment et ayant déjà eu la riche idée de profiter de l'occasion pour poursuivre ma lecture du Deuxième sexe et entamer Les Frères Karamazov, j'ai dû me rabattre sur cette toute petite nouvelle sortie en début d'année.

Ce n'est pas forcément le livre le plus subtil de l'année, ni l'oeuvre la plus originale de Russo, qui comme dans les quelques autres oeuvres de lui que je connais met en scène des universitaires d'un certain âge, mais en peu de pages l'auteur nous dresse un portrait amusant de l'Amérique de Trump, dont les habitants se sont pour beaucoup réveillés avec la gueule de bois début novembre 2016.
Il est très courant aux Etats-Unis d'afficher publiquement pour qui l'on vote, et forcément cela ne plaît pas à tout le monde.
Alors ces étrons, farce, vengeance, menace ou métaphore ?
Car cette nouvelle évoque aussi en sous-texte l'amitié, le mariage et les relations entre hommes et femmes. Ceux qui nous sont proches agissent parfois d'une façon si étonnante à nos yeux que l'on est prêt à renoncer à des décennies d'amitié en un instant. La merde du titre est aussi celle que David a dans les yeux, qui l'empêche de voir le désarroi des femmes de sa famille, et surtout, qui lui fait considérer les avertissements de sa femme comme des manifestations de son hystérie.

Une curiosité rappelant avec humour que ce que l'on prend comme acquis peut disparaître en un battement d'aile (de mouche). Décidément, Russo est un très bon nouvelliste.

L'avis de Maeve.

La Table Ronde. 64 pages.
Traduit par Jean Esch.

4 août 2018

The Travelling Cat Chronicles (Mémoires d'un chat) - Hiro Arikawa

catQuoi ? Si c’est vrai que nous, les chats, on peut voir les esprits ? Eh bien, figurez-vous… qu’il y a certaines choses qu’il vaut mieux laisser sans explication. Un peu de mystère, ça fait pas de mal dans la vie, non ?

Un chat errant, renversé par une voiture, est recueilli par Satoru Miyawaki, un jeune homme de vingt-cinq ans. Celui-ci finit par l'adopter et le nomme "Nana", "sept" en japonais. Nana n'aime pas beaucoup ce prénom, trop féminin à son goût, mais il abandonne volontiers la rue pour vivre avec son nouvel ami.
Cinq ans plus tard, Satoru ne peut plus garder Nana, et se met en quête d'un nouveau maître pour lui. Il contacte alors ses anciens amis, et leur rend visite avec son chat afin de vérifier qu'il pourra s'épanouir chez eux.

Lorsque j'ai découvert l'existence de ce livre, je n'ai lu que des extraits mettant en scène Nana. De ce fait, je pensais lire un texte très léger. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce livre m'a bouleversée durablement, ce n'est pas un grand roman, mais il en dit beaucoup sur les liens pouvant attacher un animal à son maître ainsi que sur les relations humaines.
La forme du livre est à mi-chemin entre le roman et un recueil de nouvelles qui aurait toujours les mêmes personnages principaux, Satoru et Nana. Seules les dernières parties permettent de relier entre eux les autres textes. Il y a peu d'action, et la dernière étape du voyage de Nana et Satoru est même plutôt contemplative, mais j'ai effectué cette lecture presque d'une traite.
Bien entendu, si vous n'êtes pas ce que Nana appelle un amoureux des chats, vous ne serez pas autant touché que moi par ce livre. Hiro Arikawa décrit toutes les manies et bizarreries que peuvent avoir les chats et se moque avec tendresse de leur indépendance, de leur possessivité et de leur fierté.

" Rester jusqu’à ce que je sois rétabli, oui, évidemment, mais après… ciao bye-bye ! Enfin, peut-être pas exactement. Disons qu’il me semblait que je devais partir. Partir avant de me faire mettre à la porte, question d’amour-propre. Rester toujours droit dans ses bottes, c'est important pour un chat. "

Si Nana et les autres animaux que nous croisons nous permettent de rire et de mieux comprendre certaines réactions des humains (comme ce garçon qui a toujours pensé que sa femme lui aurait peut-être préféré Satoru si celui-ci s'était déclaré), ce roman est également un beau livre sur les amitiés enfantines.
En cherchant un nouveau propriétaire pour son chat, Satoru remonte le fil de sa vie et chacun de ses amis fait également ressurgir ses propres souvenirs. Si peu de mots sont échangés entre eux, leurs pensées sont nombreuses et l'on s'attache à tous ces personnages. Je ne peux pas vous en dire trop, car l'intérêt du lecteur est maintenu par les différentes surprises qui parsèment le livre, mais j'ai terminé ce roman avec la gorge nouée. Comme Aki Shimazaki, Hiro Arikawa ne fait pas de grandes phrases, mais cela ne l'empêche pas plus de faire des descriptions superbes des paysages d'Hokkaido que de nous faire ressentir l'amour qui unit Nana et Satoru.

Un roman au style léger mais émouvant et attachant pour ceux qui aiment les animaux. Je l'ai lu en anglais car on me l'a offert dans cette langue, mais il est traduit du japonais et disponible en français chez Actes Sud.

Penguin. 246 pages.
Traduit par Philip Gabriel.
2015 pour l'édition originale.

27 décembre 2016

Regarde les lumières mon amour - Annie Ernaux

Source: Externe

Le supermarché peut-il être objet d'écriture ?

"Nous choisissons nos objets et nos lieux de mémoire ou plutôt l'air du temps décide de ce dont il vaut la peine qu'on se souvienne. Les écrivains, les artistes, les cinéastes participent de l'élaboration de cette mémoire."

Le succès des romans "tranches de vie" témoigne de l'intérêt que nous éprouvons pour les témoignages autour des métiers que nous côtoyons et pensons connaître. Beaucoup de lecteurs ont ri aux anecdotes d'une caissière ou découvert le quotidien d'un vigile avec ce type de livres. Cependant, une fois ces ouvrages refermés, il me manquait une invitation à me questionner, un "et après ?". Annie Ernaux est une simple cliente de supermarché, mais dans son très court journal consignant les visites effectuées dans le magasin Auchan des Trois Fontaines à Cergy, elle nous invite à nous interroger sur ce que notre rapport au supermarché dit de nous et de notre société.

Comme elle est écrivain, Annie Ernaux se demande ce qui explique l'absence des supermarchés dans la littérature. Pourquoi n'ont-ils pas accédé à la "dignité littéraire" un demi-siècle après leur apparition ? Après tout, il s'agit de l'un des rares endroits où tout le monde ou presque se croise, "où chacun a l'occasion d'avoir un aperçu sur la façon d'être et de vivre des autres", que ce soit par les heures ou ils fréquentent un lieu ou par les articles qu'ils posent sur le tapis roulant. Mais un supermarché, c'est de façon communément admise l'opposé de la culture. A tel point qu'y acheter un livre est un acte presque honteux. Pourquoi alors l'écrivain s'y intéresserait-il ? 
Autre raison évidente à cette absence du lieu dans la littérature : "les super et hypermarchés demeurent une extension du domaine féminin". Tout est fait essentiellement pour les femmes, à commencer par la publicité beaucoup plus agressive quand il s'agit de toucher ce public. Les rayons jouets estampillés "filles" apprennent même à jouer aux courses dès le plus jeune âge.

Bref, le supermarché, un sous-sujet. Et pourtant...

On dit toujours d'Annie Ernaux qu'elle a une écriture plate. Ici, elle décrit sans le moindre effet de style, sans chercher à provoquer le rire ou la consternation. Ses phrases sont dépouillées, froides, laconiques. Elle rend l'inhumanité de la grande distribution en égrénant à la manière de dépêches AFP les destructions meurtrières d'usines fabriquant des produits pour Auchan, Carrefour et autres chaînes de magasins grand public. Elle compte les caisses libre-service qui remplacent peu à peu les caissières, décrit l'empressement de chacun à la caisse, évoque les chariots arpentant les rayons sans que les regards de leurs chauffeurs ne se croisent une seule fois. Elle rend visible ce que nous ne voyons pas, à savoir tous ces gens qui sont des personnages trop souvent dissimulés par l'omniprésence de l'hypermarché quand nous faisons nos courses. Rien que du vrai que n'importe qui pourrait confirmer, mais qui fixé sur une page glace et interpelle.

Brillant.

L'avis de Clara.

Folio. 2016.
96 pages.

28 juillet 2018

Le Joueur - Fédor Dostoïevski

joueur" Vous êtes courageux ! vous êtes très courageux ! me dirent-ils, mais partez demain matin, sans faute, aussitôt que vous pourrez, sinon, vous allez tout reperdre, tout... "

Alexei Ivanovitch, un précepteur de vingt-cinq ans, se rend à Roulettenbourg avec la famille du général pour lequel il travaille. Ruiné, ce dernier attend avec impatience le message qui lui apprendra la mort d'une vieille tante. Si Alexei Ivanovitch n'éprouve pas la moindre compassion pour son employeur, il est en revanche fou amoureux de Polina, la belle-fille du général. Bien qu'elle refuse de se confier, il devient vite évident quela jeune fille est dans une situation délicate et qu'elle a un besoin d'argent pressant. Pour l'aider, Alexei Ivanovitch commence à jouer à la roulette.

Je n'ai pas tout aimé dans ce livre. Malgré ses deux cents pages, j'ai été tour à tour captivée et franchement ennuyée. Malgré tout, c'est un texte extrêmement intéressant.
Ce qui frappe d'abord, c'est la modernité du style. Notre héros a beau avoir des airs bien de son époque, frappé par le spleen qui touche les héros romantiques, j'ai eu du mal à ne pas rapprocher son histoire de celles vécues par les héros de Schnitzler et de Zweig. Pas de narrateur omniscient ici, l'histoire est racontée avec fébrilité par Alexei Ivanovitch, qui couche ses émotions sur le papier durant près de deux ans. Nous pénétrons brutalement dans ses pensées, obscures, dès le début du livre, ce qui me paraît très peu commun pour un livre du XIXe siècle. La psychologie du personnage occupe une telle place dans ce roman que je n'ai pas été surprise d'apprendre que Freud l'avait étudié de près. On sent le personnage principal instable, inconséquent. Ses émotions sont exacerbées et malgré sa clairvoyance il laisse les autres le manipuler à leur guise.
Si vous cherchez des personnages attachants, passez votre chemin. Le général, Alexei Ivanovitch, Des Grieux, Mademoiselle Blanche, Polina, tous sont intéressés, égoïstes, méprisants et méprisables. La seule qui se détache un peu du lot et qui apporte de la légèreté est la vieille tante qui refuse de mourir et à laquelle on permet tout en raison de son âge et de son argent. On trouve dans ce livre toute la haine que l'auteur éprouvait pour les Allemands, les Français, même si les Russes sont loin d'être épargnés à travers leurs représentants.
Il semblerait que ce livre soit partiellement autobiographique puisque Dostoïevski était joueur, et qu'une fois sa passion du jeu vaincue, il l'a remplacée par une dévotion religieuse extrême. J'ai toujours trouvé les casinos sordides, mais l'auteur nous décrit si bien la fièvre qui s'empare du joueur, qu'il ait gagné ou qu'il soit au bord de la ruine, que l'on est comme hypnotisé par le jeu décrit.

Dostoïevski continue à me surprendre et à me bousculer, et je dois dire que j'aime plutôt ça.

Babel. 233 pages.
Traduit par André Markowicz.
1866 pour l'édition originale.

14 mai 2017

Le chemin du diable - Jean-Pierre Ohl

jpohlAngleterre, 1824. Alors que la construction du chemin de fer a commencé, supervisée par l'ingénieur George Stephenson, les ouvriers découvrent le cadavre d'une femme enfoui sous l'eau. Un poignard, encore enfoncé dans le corps de la victime, et les lambeaux de vêtements rafinés qui l'habillent font immédiatement penser qu'il pourrait s'agir de Lady Mathilde Beresford, l'épouse française du maître de Wooler Manor exilé depuis des années en Amérique du Sud.
Alors qu'Edward Bailey et son clerc Seamus Snegg débutent leur enquête, Leonard Vholes, avocat londonien des Beresford, se souvient de sa rencontre avec cette famille qui lui a apporté beaucoup de malheur.

Si je n'ai pas trouvé ce livre sans défaut, je ne me suis pas ennuyée une seconde en le lisant et je l'ai même trouvé bien trop court.
On retrouve bien dans ce livre l'amoureux des livres et surtout de l'Angleterre victorienne qu'est Jean-Pierre Ohl. Byron est abondamment cité, Jane Austen et Jane Eyre ne sont pas loin, de même que les romans  gothiques de Matthew G. Lewis et d'Ann Radcliffe. On retrouve tous ces auteurs dans les thèmes et l'ambiance du livre. Charles Dickens, qui occupe une place particulière dans l'univers de Jean-Pierre Ohl, est cette fois un personnage du roman.
Encore tout jeune garçon, le futur auteur est aussi bien croqué que les autres personnages centraux. J'espérais retrouver Crook, qui m'avait beaucoup marquée dans ses précédents romans, mais Ohl nous gâte avec le duo formé par Bailey et Snegg. De même, lorsqu'on suit Vholes dans ses souvenirs, les époux Beresford et la frêle Ophelia nous laissent entrevoir l'atmosphère tendue qui règne dans leur intimité, et l'exotique Newton nous donne l'impression d'être plongé dans un mystère de Wilkie Collins. Voir ces personnages évoluer à des époques et par des biais différents (témoignage, journal intime, enquête de Bailey) est d'autant plus intriguant qu'on ne comprend pas tout de suite qui est le personnage qui tire les ficelles.
Impossible de parler de ce livre sans évoquer son discours sur la condition ouvrière, les femmes et l'industrialisation dans l'Angleterre du XIXe siècle. J'ai lu ce roman en pleine période électorale, donc les réflexions de ces personnages de fiction sur le libéralisme d'Adam Smith, les luttes de classes ou encore la main d'oeuvre étrangère (même s'il s'agissait alors d'Irlandais) m'ont d'autant plus touchée.
En ce qui concerne l'enquête, je la trouve intéressante et j'aime découvrir la vérité par bribes, mais je trouve que les ficelles de certaines histoires périphériques (Byron, Sam Davies...) sont un peu grosses et les explications bancales. De même, l'attitude finale des Beresford me semble incohérente avec ce qu'ils ont montré durant tout le reste du roman.

Mais je chipote et il faut bien admettre que j'ai fini ce roman avec une furieuse envie de recroiser les personnages dans de futurs romans. Je pourrais bien relire Les Maîtres de Glenmarkie en attendant.

Gallimard. 367 pages.
2017.

25 avril 2018

Mémoire de fille - Annie Ernaux

ernauxJe n'en parle pas beaucoup ici, mais depuis ma lecture de Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux est devenue l'un des auteurs que je lis le plus.

Dans Mémoire de fille, elle convoque la jeune fille de dix-huit ans qu'elle était en 1958, alors que la Guerre d'Algérie n'est encore connue que sous le nom "d'événements".
Annie Duchesne, cloîtrée dans des institutions scolaires religieuses et surveillée étroitement par ses parents, se rend dans un centre où elle a été engagée comme monitrice d'une colonie de vacances durant l'été. Là-bas, elle va connaître ses premières expériences sexuelles et rencontrer son premier amour.

Annie Ernaux s'est toujours mise en scène dans ses livres, non par besoin de se montrer, mais afin de créer des romans universels. Certaines de ses thématiques sont douloureuses et d'autres honteuses, ce qui est le cas ici.

Avant même les premières lignes du roman, dès la citation de Poussière de Rosamond Lehmann, relatant l'embarras ressenti par l'héroïne d'avoir exposé ses sentiments, Annie Ernaux annonce la couleur. Elle n'est pas fière de la jeune fille de 1958, et elle n'admet leur lien de parenté que difficilement. Le portrait que l'auteur brosse d'elle-même est tout sauf flatteur : on découvre une jeune fille immature, inexpérimentée et transparente, fascinée par les icônes de ces années-là, qui n'a aucune conscience que tous se moquent d'elle et en abusent.

Outre la gêne que ressent l'auteur vis-à-vis de celle qu'elle était il y a un demi-siècle, elle explique qu'elle n'est évidemment plus la même, et qu'il lui est très difficile de reconstituer la personne qu'elle était alors, de deviner ses ressentis, sans être polluée par des expériences ultérieures. Annie Ernaux mène une véritable réflexion sur l'écriture autobiographique, soulevant des questions que je n'avais jamais lues aussi clairement dans un récit autobiographique.

Plus je fixe la fille de la photo, plus il me semble que c’est elle qui me regarde. Est-ce qu’elle est moi, cette fille ? Suis-je elle ? Pour que je sois elle, il faudrait que
je sois capable de résoudre un problème de physique et une équation du second degré
je lise le roman complet inséré dans les pages des Bonnes soirées toutes les semaines
je rêve d’aller enfin en "sur-pat"
je sois pour le maintien de l’Algérie française
je sente les yeux gris de ma mère me suivre partout
je n’aie lu ni Beauvoir ni Proust ni Virginia Woolf ni etc.
je m’appelle Annie Duchesne.

L'entreprise d'Annie Ernaux est une réussite absolue. Elle décortique les faits, les gestes et les émotions du premier amour (premier gros béguin) avec un réalisme saisissant. Elle analyse avec brio ce que même l'^tere le lus indifférent permet à celle qui l'aime de découvrir sur elle-même, même des mois plus tard.

Paradoxalement, si j'ai admiré le talent de l'auteur, ce livre ne sera pas mon préféré d'elle. En effet, l'Annie Duchesne que l'on découvre n'est pas très attachante (ni même intéressante). Ce n'est pas de sa faute, elle ressemble à la plupart des adolescentes de son âge. Mais, la vieille peau que je suis (en fait, pas tellement, mais l'adolescence commence à remonter pas mal) a largement dépassé le stade de ces tergiversations typiques des premières amours. C'est un pari osé de créer sciemment une héroïne si peu intéressante afin de respecter son engagement initial, mais Ernaux s'y tient sans complexe.

Outre la reconstitution de la jeune fille du titre, on retrouve les thématiques qui hantent l'oeuvre d'Annie Ernaux : la réussite scolaire, toujours couplée à la honte du milieu d'origine, les relations compliquées avec les parents, et la place de la femme. J'ai presque cinquante ans de moins que l'auteur, mais ce qu'elle raconte de sa jeunesse est universel. Même, malheureusement, pour les filles pour le coup nettement plus jeunes que moi, certaines réflexions  qu'Annie Duchesne a entendues dix ans avant Mai 68, sont toujours d'actualité. 

Un roman sur un autre maillon de la vie d'Annie Ernaux et ses conséquences, et peut-être celui où elle se montre le moins sûre de son entreprise, à la fois obsédée et terrifiée par la réalité de ce qu'elle retranscrit.

"Il me semble que j'ai désincarcéré la fille de 58, cassé le sortilège qui la retenait prisonnière depuis plus de cinquante ans dans cette vieille bâtisse majestueuse longée par l'Orne, pleine d'enfants qui chantaient C'est nous la bande des enfants de l'été.
Je peux dire : elle est moi et je suis elle."

Les avis de Sylire et de Lou.

Je remercie les éditions Folio pour cette lecture.

Folio. 164 pages.
2016 pour l'édition originale.

 

15 septembre 2016

Celle que vous croyez - Camille Laurens

A14387Camille Laurens est un auteur que j'ai découvert à l'occasion de la polémique l'opposant à Marie Darrieussecq qui avait fait couler beaucoup d'encre il y a quelques années. N'ayant jamais lu ni l'une ni l'autre, j'avais simplement été découragée de me plonger dans leurs oeuvres. C'est Carolivre qui a publié une vidéo faisant une présentation alléchante de ce livre qui m'a fait changer d'avis.

Claire est en hôpital psychiatrique. Cette femme brillante, cinquantenaire, divorcée et mère de deux enfants, a chaviré quelques années plus tôt.
Alors dans une relation toxique avec un certain Joël, elle décide pour l'espionner de faire par le biais d'un faux profil Facebook, une demande d'amitié à son colocataire, Chris. Celui-ci est un photographe trentenaire très conscient de l'effet qu'il produit sur la gente féminine. Chris tombe immédiatement sous le charme du personnage créé par Claire, et cette dernière ne tarde pas à se prendre bien trop au jeu également.

Ce livre pourrait être une banale histoire d'amour qui a mal tourné, mais le profil de l'héroïne, la construction du livre et le style de l'auteur en font un très bon roman.
D'abord, la narratrice raconte ce qui lui est arrivé, à toute allure, sans reprendre son souffle. L'ensemble est brouillon, décousu. Elle s'adresse à un psychiatre que l'on n'entend qu'à travers sa patiente, lorsqu'elle reformule ses questions. Cette partie est sous tension, car on sait qu'il s'est passé quelque chose d'horrible, mais on ignore quoi, et dans quel mesure Claire est responsable.
Puis, par deux fois, on pense toucher la vérité. Les personnages sont toujours les mêmes, mais ils ne tiennent plus le même rôle, et on referme finalement ce livre en se demandant si l'auteur ne s'est pas un peu moqué de nous. Ce roman est-il un roman totalement inventé ? de l'autofiction ? un peu des deux ?
Dans tous les cas, à travers son personnage, Camille Laurens en profite pour évoquer la place peu reluisante accordée aux femmes de plus de cinquante ans (voire moins) dans notre société. La charge est violente, mais elle corrobore ce que j'ai moi-même constaté plusieurs fois dans mon entourage (même si la presse nous assure ces derniers jours que les femmes sont de plus en plus nombreuses à avoir un compagnon plus jeune, au moins 10% ! *). Tout, la littérature, les sites de rencontres, le monsieur avec qui l'on discute qui se détourne dès qu'une jeune fille arrive, comme si sa précédente interlocutrice était transparente, tout rappelle aux femmes qu'elles ont une date de péremption.
Alors, dans ce monde, comment ne pas céder à la tentation de se créer un personnage ? Tout le monde le fait après tout. Je connais peu de profils qui montrent autre chose qu'une vie parfaite sur les réseaux sociaux. Notre narratrice vole donc une identité et en savoure les avantages tout en sachant que le temps lui est compté. Et là, ironie du sort, c'est bien son expérience qui lui permet de savoir ce que Chris veut entendre, et comment le séduire. Cela dit, l'auteur nous propose une héroïne loin d'être irréprochable elle-même, pleine de failles et agaçante, ce qui évite de rendre le tout trop manichéen.

Une réflexion originale sur certains aspects de notre société. J'ai été bluffée par cette première lecture de Camille Laurens.

Les avis de Papillon et de Violette.

*Non, je ne suis pas du tout sarcastique.

Gallimard. 192 pages.
2016.

17 avril 2016

La physique des catastrophes - Marisha Pessl

9782070361311Attention, coup de coeur !

Bleue von Meer se souvient à peine de sa mère, amatrice de papillons, décédée dans un accident de voiture. Depuis, elle vit seule avec son père, le charismatique professeur de sciences politiques Gareth von Meer. Leur duo est à peine perturbé par les nombreuses conquêtes de ce dernier, que Bleue surnomme les Sauterelles, et qui ont toutes en commun d'avoir fait des passages fort éphémères et souvent pathétiques dans la vie de Gareth.
Jusqu'à ses dix-sept ans, Bleue n'a jamais effectué une année complète dans la même ville, son père travaillant en tant que professeur invité de deux ou trois (souvent obscures) universités par an.
Pourtant, pour l'année de terminale de Bleue, le père et la fille s'installent à Stockton, où se trouve la prestigieuse école de St-Gallway.
Là-bas, un groupe d'élèves surnommé "Le Sang Bleu" par les autres membres de l'école, à la fois envieux et effrayés, l'intègre étrangement. Bleue ne tarde pas à découvrir que cette invitation est en fait l'oeuvre d'Hannah Schneider, professeur à St-Gallway, amie secrète du Sang Bleu, qui porte un intérêt particulier à la nouvelle venue.

Marisha Pessl a publié ce premier roman avant même ses trente ans, et pourtant il a tout des grands.
Lorsqu'on lit le résumé et le début du roman, difficile de ne pas penser à un autre pavé enchanteur, Le maître des illusions. Comme dans le livre de Donna Tartt, Marisha Pessl évoque un groupe d'étudiants à part, choisi par un professeur, dont les réunions vont s'achever sur un drame annoncé dès le départ. Sauf que cette fois, ce n'est pas un élève qui est victime du dérapage, mais Hannah Schneider, le professeur.
Celle-ci est assez insaisissable. Dès le début, de nombreuses questions émergent. D'où lui vient cet intérêt pour Bleue ? Est-elle déséquilibrée, perverse, meurtrière ou simplement naïve, immature et amoureuse ? Le lecteur est dans la même position que l'héroïne, à la recherche d'indices. Mais chaque théorie est enterrée par des éléments contradictoires, puis revient sur la liste des hypothèses envisageables dans un cercle qui ne prend fin (et de façon incomplète) que lorsque le récit s'achève.
Résumer ce livre à un genre précis n'est pas possible. Officiellement, c'est une autobiographie fictive (celle de Bleue). Son universitaire de père l'a prévenue, on n'écrit pas le récit de sa vie sans bonne raison, sinon ça n'interessera personne, à part notre mère et notre chat. Il l'a aussi avertie de la nécessité de faire un travail rigoureux.

"Arrange-toi toujours pour que tes affirmations soient référencées avec précision, et, dès que possible, ajoute des supports visuels..."

De ce fait, Bleue parsème son récit de citations d'auteurs (sans doute pas tous réels, j'admets ne pas avoir vérifié), organise tous ses chapitres autour d'un livre classique (au lecteur de trouver le lien entre le titre du chapitre et son contenu, certains font mal au coeur lorsqu'on les relis). Cet hommage à la littérature rend le livre ludique, souvent drôle, érudit, et plutôt original. 
Mais La physique des catastrophes, on s'en rend compte essentiellement dans la deuxième moitié du livre, c'est aussi un thriller. A partir de la fête masquée chez Hannah, il n'est plus possible de nier que la relation qui lie le groupe d'élèves à son enseignante est malsaine, et qu'ils n'ont pas saisi quelle était leur place exacte dans le puzzle que Bleue tente tant bien que mal de reconstituer.
Enfin, on pourrait qualifier ce livre de roman d'apprentissage. Bleue arrive à Stockton avec une vision de la vie, de ses parents, du monde qui l'entoure, qui se retrouve totalement bouleversée un an plus tard. Il n'est alors plus question de courses de choses totalement inutiles dans des hypermarchés symbolisant le capitalisme triomphant.

Je pourrais vous dire que ce roman a des défauts. Quelques longueurs sur huit cents pages, des coïncidences un peu grosses. Mais étrangement, tout passe. Avec une vue d'ensemble, on s'aperçoit que de nombreux passages qui ressemblaient à des ellipses sans lien avec l'intrigue principale étaient en fait primordiaux pour comprendre l'histoire. Comme si Marisha Pessl avait joué avec nous en nous endormissant un peu avant de nous asséner une formidable gifle.

On ressort de cette lecture à la fois mal à l'aise et en manque d'un autre livre de cette trempe. Ca tombe bien, Marisha Pessl vient de publier Intérieur nuit, qui semble reprendre les ficelles de son premier roman.

Folio. 822 pages.
Traduit par Laeticia Devaux.
2006 pour l'édition originale.

19 juillet 2017

Ecouter des contes lus par Marlène Jobert

9782344019313-LMarlène Jobert met en scène de nombreux contes populaires disponibles en version audio. On m'a proposé de vous en présenter deux. J'ai choisi le premier car c'est une histoire que j'ai toujours appréciée, et le second parce qu'à l'inverse, je ne connaissais pas la version originale.

Très rapidement, parce que tout le monde connaît l'histoire, je vous remets le résumé de Robin des Bois. Alors que le roi Richard est en croisade, son frère Jean a usurpé son trône avec l'aide du cruel Guy de Guisbourne. Pour venir en aide au peuple d'Angleterre, Robin de Locksley est entré en résistance et mène la lutte depuis la forêt de Sherwood.

Quant àLa Reine des Neiges, elle brise un miroir ensorcelé dont un morceau se loge dans le coeur du jeune Kay. La maléfique souveraine enlève alors le jeune garçon afin de récupérer ce qu'il lui a involontairement volé. Gerda, la meilleure amie de Kay, se lance alors à leur poursuite pour le ramener chez eux. Elle devra déjouer tous les pièges et affronter les alliés de la reine pour atteindre son but.

9782344014592

Normalement, ces histoires se lisent avec un livre support, que je n'avais pas. Si je pense qu'un enfant de quatre ans aura sûrement quelques difficultés supplémentaires à se concentrer sans les illustrations, ces lectures sont suffisamment vivantes pour maintenir l'attention des petits lecteurs. Le format est court, puisque chacune de ces deux histoires dure une quinzaine de minutes. La lecture est mise en musique et différents acteurs accompagnent Marlène Jobert pour incarner les personnages secondaires.

Les histoires en elles-mêmes ne sont pas très originales. Si vous avez simplement vu la version Disney de Robin des Bois, cette lecture en propose une version encore plus écourtée. L'écoute de La Reine des Neiges m'a davantage intéressée, puisque comme je l'ai dit, je n'avais jamais lu ce conte. Il va maintenant falloir que je lise la version d'Andersen (disponible ici).

Simple mais efficace pour les jeunes lecteurs.

Glénat Jeunesse.

30 mars 2014

"Et lorsque tout s'écroula, il ne sut que tirer, car il n'avait rien appris d'autre."

14La guerre est terminée, et les soldats rentrent chez eux. Ernst est l'un d'eux. Il a passé des années dans les tranchées, et retourne dans sa ville, retrouve ses parents et les bancs de l'école pour devenir instituteur. Mais reprendre le cours de sa vie est impossible quand on attend de lui qu'il soit un tout jeune homme, encore presque un enfant, alors qu'il est allé plus loin que tous ces gens restés à l'arrière.

Après est une véritable suite à A l'ouest, rien de nouveau. On y avait laissé nos jeunes soldats trop vite précipités dans l'âge adulte, désemparés devant l'inutilité de cette guerre et prêts à poser des questions.
Lorsque le livre débute, la rumeur court que cette fois, c'est la bonne, la paix va être signée. Les soldats ont du mal à le croire, surtout lorsqu'on les envoie au charbon une dernière fois pour la forme, et qu'on en voit mourir encore plus inutilement que les autres.
Finalement, le signal est donné, ils peuvent prendre la route du retour. Tout est confus, ils ne réalisent pas encore qu'ils circulent sans risque pour la première fois depuis des années. Le choc est tel qu'il n'est pas question d'être euphorique, les soldats restent bien regroupés, un peu comme s'ils craignaient la suite. 

Ce que montre Erich Maria Remarque dans ce livre, c'est l'impossible compréhension entre ceux qui ont fait la guerre et ceux qui n'y sont pas allés. Les anciens combattants semblent presque gêner la société allemande, leur présence empêchant d'oublier qu'une guerre est passée par là. On leur jette quelques vêtements pour les remercier, puis on les laisse se débrouiller ou crever de faim. Ernst et ses camarades sont plutôt débrouillards et leur condition physique n'est pas trop ébranlée, mais la procession des anciens combattants décrite à la fin du livre, qui fait défiler les mutilés de guerre comme d'inombrables morts-vivants, insiste sur le désintérêt dont les anciens soldats ont été victimes. Même parmi ses proches, Ernst se sent étranger. Ses parents ne comprennent pas qu'il quitte son travail d'instituteur. Pour eux aussi la guerre a été synonyme de privations et ils ne comprennent pas qu'elle a pris bien plus à leur fils.

Au début, en dehors des excès de rage des uns et des autres, nos jeunes anciens soldats ne s'en sortent pas trop mal. Ils sont ensemble, magouillent pour trouver de la nourriture, règlent leurs comptes et se soutiennent. Jusqu'au jour où ils réalisent qu'ils ne portent plus l'uniforme et que les simples cordonniers sont redevenus simples cordonniers quand les plus aisés ont retrouvé leur statut social. Ce n'est qu'un détail, mais cela montre à quel point ils sont seuls, et plusieurs d'entre eux ne trouvent qu'une seule façon d'y remédier. 

"Ah ! au front, c'était plus simple. Là-bas, il suffisait d'être vivant pour que tout aille bien !"

On pourrait s'attendre à les voir hurler, comme ils se l'était promis, pourtant ce n'est pas le cas. Il faut attendre que l'un des soldats soit jugé pour meurtre pour qu'enfin l'un de ces soldats mette la société en accusation. Parce qu'ils sont vidés, littéralement, et parce qu'ils savent à quel point le gouffre qui les sépare du monde des vivants est profond, rendant le dialogue impossible.

Ce que l'on ressent tout de suite en ouvrant Après, c'est qu'il s'agit d'un livre écrit avec les tripes, plein d'amertume et de lassitude malgré la franche camaraderie qui règne entre nos survivants. C'est toujours très bien écrit, mais il est difficile de ne pas en sortir écoeuré.

L'avis d'Aaliz.
Merci à Lise pour le livre.

Folio. 397 pages.
Traduit par Raoul Maillard et Christian Sauerwein.
1931 pour l'édition originale.

12 janvier 2014

Zeitoun - Dave Eggers

zeitounZeitoun est un entrepreneur venu de Syrie établi à la Nouvelle Orléans depuis plus de dix ans en août 2005. Marié à une Américaine convertie à l'Islam, Kathy, il est aussi le père de trois filles et son activité professionnelle en fait une personne très respectée. 
Lorsque Katrina  s'abat sur la Nouvelle Orléans, il reste d'abord pour s'occuper de ses biens, puis se met à arpenter la ville, sur son canoë, afin de secourir des habitants et des animaux.  
Au bout de quelques semaines, il est finalement arrêté et accusé de pillage par les autorités.               

Ce livre est assez particulier dans sa forme. En fait, il raconte une histoire vraie. Les personnages existent, les faits se sont réellement produits. C'est cependant écrit comme un roman, avec des dialogues, des pensées retranscrites. Ca ne m'a pas du tout gênée en fin de compte, mais j'avoue avoir été un peu surprise. 
N'allez donc pas chercher un grand roman ici, l'intérêt principal de Zeitoun est qu'il nous rapporte comment la première puissance mondiale a géré le fait qu'une de ses grandes métropoles se soit transformée en espace du tiers monde suite à une catastrophe naturelle mal anticipée.       
Au début, les habitants de la Nouvelle-Orléans ne croient pas du tout au danger de Katrina. Zeitoun en a vu d'autres, il ne voit pas en quoi cela pourrait être différent cette fois. Même lorsque Kathy décide de fuir, et que les autorités ordonnent l'évacuation de la ville, il décide de rester, inconscient du danger.
Lorsque Katrina s'abat finalement sur la ville, la situation dépasse toutes les prévisions. La plupart des quartiers de la Nouvelle-Orléans sont inondés, il n'y a évidemment plus d'électricité, les habitants sont obligés de se réfugier dans les étages et d'attendre une aide qui ne vient pas forcément.
L'évacuation, qui ne devait initialement durer que quelques jours se prolonge. De nombreux animaux ont été laissés par leurs propriétaires et meurent donc de faim. Dans les rues, l'eau est de plus en plus polluée et les pillages commencent. Au début, Zeitoun se sent en sécurité. Il utilise son canoë pour aider des gens, surveiller des maisons. Il veut se rendre utile à cette ville qui lui a apporté la stabilité et ignore donc les supplications de sa femme et de son frère qui lui demandent de partir.
La tension monte au fil des jours, Zeitoun et le lecteur le sentent, mais l'entrepreneur décide de l'ignorer. Puis, Kathy doit affronter plusieurs semaines de silence, d'un seul coup. Elle apprend seulement grâce à un religieux qui a décidé d'enfreindre la loi que son mari a été arrêté et qu'il est emprisonné. En fait, Zeitoun et plusieurs de ses compagnons ont passé quelques nuits dans une prison de fortune, à dormir à même le sol et à se voir attribuer de la nourriture ne respectant pas ses convictions religieuses avant d'être tranférés vers une maison d'arrêt. L'attitude des gardiens dans ce premier lieu est à vomir. La situation est tellement hors de contrôle qu'ils gazent les prisonniers, s'en prenant même à un homme visiblement handicapé qui n'a pas respecté des consignes qu'ils ne peut pas comprendre.
Nous sommes dans une Amérique post-11 Septembre, et cela a un impact très fort sur ce qui arrive à Zeitoun. Certes, il n'est pas le seul à être arrêté, et parmi les prisonniers accusés injustement de pillage, certains sont des Américains pur jus. Cependant, de par ses origines, Zeitoun est suspecté de bien plus. Il faut à Kathy une énergie folle et de nombreux contacts pour avoir l'assurance que son mari est bien en vie, et encore plus pour le voir et le faire libérer. 

Viennent alors les questions : comment une ville comme la Nouvelle-Orléans a t-elle pu être dévastée dans de telles proportions par un ouragan ? Comment les autorités ont-elles pu être prises de cours à ce point ? Comment la situation a t-elle ensuite pu dégénérer, donnant libre cours aux pillages d'une part, aux arrestations arbitraires et au non respect des bases de la justice d'un sytème démocratique d'autre part ?                        

C'est évidemment une histoire révoltante et un livre à charge. A découvrir.           

Merci à Lise pour le livre.

Folio. 416 pages.
Traduit par Clément Baude. 
2009 pour l'édition originale.

2 janvier 2013

La garde blanche - Mikhaïl Boulgakov

la-garde-blanche-4363-250-400"Simplement, la neige fondra, la verte herbe ukrainienne sortira et flottera comme une chevelure sur la terre... les épis splendides mûriront... l'air brûlant vibrera sur les champs, et toute trace de sang aura disparu. Le sang ne coûte pas cher sur les terres rouges, et personne ne le rachètera.
Personne."

Nous sommes à Kiev, en décembre 1918. De nombreuses familles russes issues des classes favorisées ont fuit la Russie bolchevik en 1917 pour se réfugier dans la capitale ukrainienne. Cependant, c'est la débandade lorsque le roman commence, puisque les Allemands, qui viennent de perdre la Première Guerre mondiale, abandonnent le navire. Le champs est donc libre pour le général Petlioura, opposant au régime, qui s'aprête à prendre la ville.
Les enfants Tourbine, trois frères et une soeur, enterrent leur mère. Les frères sont des soldats chargés de défendre la ville ou de soigner les blessés. Avec leur soeur Elena et plusieurs de leurs amis soldats, ils vont être les témoins du tumulte dans lequel Kiev va être plongée.

Si ce livre n'est pas aussi flamboyant que Le Maître et Marguerite, il reste un beau roman. En fait, ce qui me plaît le plus chez Boulgakov, c'est son écriture merveilleuse, qui le rend tour à tour peintre, conteur et dénonciateur. Durant tout le livre, on voyage ainsi entre monde réel et fantastique.
Les descriptions de Boulgakov font penser à des tableaux vivants et emprunts de surnaturel. On est également à la lisière du fantastique grâce à la place donnée aux rêves des personnages qui font revivre les grands hommes de l'époque tsariste.
L'histoire en elle-même ne m'a pas beaucoup intéressée. Un peu plus d'un mois après ma lecture, je n'en garde déjà plus beaucoup de souvenirs. Les personnages restant distants, ce sont vraiment les événements et la façon dont ils sont décrits qui ont retenu mon attention et provoqué mon admiration.
La ville de Kiev, centrale, apparaît comme un personnage du roman. Sa population semble à la fois faite de milliers de voix et d'une seule clameur. On sent tour à tour son calme, sa peur, son agitation et son incertitude, à mesure que l'attente devient insupportable, que les coups de feu retentissent ou que les rumeurs se répandent. Boulgakov ne nous épargne pas les horreurs de la guerre, et si certaines de ses descriptions nous font oublier le monde réel, d'autres se chargent de nous ramener là où les humains pleurent et cherchent leurs morts et là où l'on empile les cadavres.

Une lecture à faire donc, notamment pour ceux qui, comme moi, connaissent très mal l'histoire de l'Europe Centrale. C'est un belle occasion de l'aborder.

"Oh, seul celui qui a déjà été vaincu sait ce que signifie ce mot ! Il ressemble à une soirée hiver-russe1à la maison, quand il y a une panne de lumière. Il ressemble à une chambre dont le papier est mangé par la moisissure verte, pleine d'une vie morbide. Il ressemble à du beurre rance, à un petit monstre rachitique, à des injures obscènes lancées par des voix de femmes dans l'obscurité. En un mot, il ressemble à la mort."

Pocket. 317 pages.
Traduit par Claude Ligny.
1926 pour la version originale.

 

21 février 2013

La fiancée de Lammermoor - Walter Scott

7877504_4034968"Le jour qu'en son château de Ravenswood rentrera,
Morte il trouvera sa douce fiancée ;
Son cheval au Kelpy tout droit il mènera,
Et sera lors sa race à jamais effacée."

Roman sans doute imparfait, dont l'intrigue est plutôt mince et le récit entrecoupé de parenthèses qui permettent davantage à l'auteur de se faire plaisir qu'à faire avancer l'histoire, La fiancée de Lammermoor n'en est pas moins mon premier coup de coeur de l'année.

Nous sommes à la fin du XVIIe siècle, au bord des côtes écossaises. Après avoir été chassé de ses terres par l'habile Sir William Ashton, le vieux Maître de Ravenswood s'éteint, transmettant à son fils le devoir de venger leur nom. Désormais seul et ruiné, reclus dans la tour miteuse de Wolf's Crag, le jeune Edgar a pour projet de rejoindre la cour des Stuarts à Saint-Germain. Alors qu'il fait ses adieux à ses terres ancestrales, il sauve un homme et sa fille de la folie meurtrière d'un taureau. Le coup de foudre est immédiat entre les jeunes gens, et la tragédie est lancée, car la jeune fille n'est évidemment autre que Lucy Ashton, la fille du pire ennemi de Ravenswood.

Ce qui m'a emportée dans ce roman, c'est son ambiance passionnée, sombre. On sent un vent glacial souffler dans la tour où vit le dernier des Ravenswood. On pense au Général du Roi de Daphné du Maurier pour l'époque, au Maître de Ballantrae de Stevenson pour l'Ecosse et la haine qui anime les coeurs, et évidemment à Roméo et Juliette de Shakespeare pour la relation entre le Maître de Ravenswood et Lucy Ashton. La noirceur de l'âme humaine est montrée dans toute sa laideur à travers plusieurs personages. Lady Ashton évidemment, la grande responsable de tous les malheurs des deux familles en jeu, en est un exemple frappant. Mariée à un homme qu'elle sait de rang inférieur au sien, elle se réjouit qu'il ait usé de ses ruses pour s'approprier le domaine d'une ancienne grande famille. Incapable de se soucier de quiconque, et encore moins de reconnaître que son mari peut avoir raison (bien qu'il ne soit pas beaucoup plus sympathique qu'elle), elle sacrifie sa propre fille au nom de son orgueil en s'alliant à un être aussi vil et revanchard qu'elle.
L'histoire d'amour entre Lucy et Edgar n'est pas la seule chose qui nous occupe. En fait, durant plus de la moitié du livre, la pauvreté de Ravenswood et les intrigues des uns et des autres accaparent davantage le devant de la scène que les deux amants. L'issue fatale de l'union des jeunes gens est toutefois un fil conducteur, puisque la sorcellerie et la fatalité, qui prédisent leur fin rapide, sont omniprésentes.
Loin d'être totalement plombant, ce livre nous offre énormément d'éléments comique. Le serviteur de Ravenswood, menteur, manipulateur, mais surtout très dévoué à son maître, est prêt à tout pour lui permettre de garder la face devant les autres. Il va jusqu'à feindre un incendie pour dissimuler la misère à laquelle Ravenswood est réduit. Le style de Walter Scott également est plein de touches d'humour, jusque dans les dernières phrases, qui clôturent pourtant une fin désastreuse.

Après ma lecture, j'ai lu la préface qui nous apprend que l'histoire de Lucy de Lammermoor est en fait basée sur une histoire vraie. Je ne peux pas vous la raconter afin de ne pas gâcher votre lecture (car je sais que vous allez forcément vous jeter sur ce livre très rapidement), mais je comprends qu'une telle histoire ait interpellé Walter Scott, et qu'il ait vu en elle de quoi alimenter un roman.

C'était ma première rencontre avec Walter Scott, et je suis désormais impatiente de découvrir le reste de ses romans.

Karine a moins aimé que moi

Phébus. 379 pages.
Traduit par Louis Labat.
1819 pour l'édition originale.

20 juin 2012

Précoce automne - Louis Bromfield

precoce-automne-9782859406233_0C'est le soir, et un bal est organisé par Anson et Olivia Pentland, en l'honneur de leur fille Sybil, qui revient de pension. Cette soirée marque aussi le retour de Sabine, une parente dont le franc-parler fait trembler la tante Cassie et Anson.
Cependant, Olivia se sent au contraire de son époux stimulée par ce retour. Après avoir vécu vingt ans à jouer les maîtresses de maison parfaites aux Pentlands, elle rêve de changer sa vie et d'offrir à sa fille la possibilité d'être heureuse.

Précoce automne est un de ces romans qui vous envoûte dès les premières pages. Un sentiment de délectation nous prend alors qu'on déambule aux Pentlands, et que l'on suit les personnages dans leurs réflexions alors qu'ils voient leur petit univers qu'ils voudraient immuable bouleversé. Les Pentlands, cette grande famille, qui mène la danse depuis très longtemps, n'accepte pas de voir son influence menacée par des nouveaux venus, à commencer par O'Hara, cet Irlandais, d'origine très populaire, qui a osé s'acheter des terres.
Les vieux dossiers ressortent également tous en même temps. A travers Sabine, une divorcée que l'on trouve trop peu soucieuse des intérêts de sa famille. Mais il y a aussi ce cousin enclin à provoquer des scandales, qui a la mauvaise idée de mourir, et surtout vouloir se faire enterrer dans sa terre d'origine, après avoir été exilé en France par les siens pendant des années. La vieille folle dans le grenier (ou plutôt de l'aile nord) décide aussi de contribuer à faire tomber la façade qui recouvre la famille. Enfin, Jack, l'héritier malade, agonise.

On parle aussi de mariage, de raison et d'amour. Louis Bromfield s'en prend très durement à l'éducation des jeunes filles, qui  les prive de toute chance de connaître le bonheur conjugal. Olivia et Anson n'ont jamais fait que jouer à être amoureux, et encore, sans trop se forcer, ni sans essayer de faire durer l'illusion. Sabine y a perdu l'homme de sa vie. Je n'ose imaginer la vie conjugale de Tante Cassie. Quant à la belle-mère d'Olivia, elle ne s'est jamais remise de sa nuit de noces. Les hommes ne sont pas beaucoup mieux lôtis, entre John qui a élevé le sentiment de culpabilité au rang d'art de vivre et Anson qui se contente d'être apathique en toutes circonstances.

Tout semble sur le point d'exploser, Olivia paraît prête à échapper à ce précoce automne dont parle le titre, et pourtant. J'ai aimé que ces personnages prêts à tout remettre en cause se révèlent souvent bien moins novateurs qu'ils ne le laissent penser. Ca me fait souvent rager, mais je pense que c'est bien plus réaliste ainsi. On pense à Edith Wharton en lisant ce livre. Il y est d'ailleurs clairement fait allusion. Le monde décrit ici est le même que celui qu'on observe dans Chez les heureux du monde, plein de craquelures mais encore capable de résister et de détruire ceux qui tentent d'y échapper.

" - Ne vous fiez pas trop à Sabine, insinua t-il en se redressant tout à fait dans son fauteuil. Elle est des nôtres malgré tout. Elle ressemble beaucoup à ma soeur Cassie, beaucoup plus que vous ne pouvez l'imaginer. Voilà pourquoi elles se détestent tant. On pourrait dire que Sabine c'est tante Cassie retournée. Toutes deux ne reculeraient devant aucun sacrifice pour créer de maux ou des malheurs dont le spectacle les intéresserait. Elles vivent des émotions des autres."

Une belle découverte.

C'est Titine qui m'avait donné envie de lire ce livre. Romanza en parle aussi très bien.

Phébus. 287 pages.
Traduit par A. Baillon de Wally.
1926 pour l'édition originale.

5 septembre 2012

Polars islandais

cit_jarresLe commissaire Erlendur Sveinsson a la cinquantaine. Il est divorcé et père de deux enfants qui ont mal tourné (en même temps, avec des noms pareils, n'importe qui aurait des problèmes). Sa vie professionnelle est beaucoup plus brillante, puisqu'il résoud les crimes avec ses deux équipiers, Elinborg et Sigurdur Oli.

J'ai profité des vacances pour lire ses deux premières enquêtes relatées par Arnaldur Indridason.

Dans La Cité des jarres, Erlendur est confronté au meurtre d'un homme âgé, tué dans son appartement de Reykjavik. Le meurtrier semble avoir agi de manière impulsive, mais cette impression est contredite par le message mystérieux qu'il a laissé.
En enquêtant sur la victime, Erlendur découvre qu'il s'agit d'un homme accusé de viol dans les années 1960, mais jamais inquiété.

J'avais entendu énormément de bien sur ce livre et cet auteur mais j'ai été déçue dans l'ensemble. Erlendur est un homme sympathique, même si taciturne et souvent dépassé par les événements de sa vie privée. Le coup de la fille toxicomane est un peu gros, mais j'ai été intéressée par leur relation. Elinborg et Sigurdur Oli me plaisent aussi beaucoup. Ils sont très différents d'Erlendur, mais c'est sans doute ce qui explique qu'ils forment une si bonne équipe.
Les thématiques abordées sont intéressantes. Il est question du viol dans les années 1960, de la peur des victimes et de la réaction des gens et en particulier de certains policiers. En gros, ces derniers leur rient au nez quand ils ne leur disent pas carrément qu'elles sont des salopes. On parle aussi de recherches génétiques et des précautions indispensables pour éviter que cela ne dérappe pour des raisons financières ou pire.
Cependant, j'ai trouvé cette enquête peu entraînante. Le suspens n'est pas vraiment présent, et la résolution de l'affaire réside dans une succession de coincidences invraisemblables. Par ailleurs, on comprend aux deux tiers du livre ce qui s'est passé, mais l'auteur fait traîner la fin de son livre sur une centaine de pages.

Ce n'est pas une lecture atroce, mais je m'attendais à quelque chose de plus palpitant.

Arnaldur Indridason. La cité des jarres. Myrin (VO).
327 pages.
Traduit par Eric Boury.
2000 pour l'édition originale.

J'ai étla_femme_en_verté nettement plus convaincue par La Femme en vert. Cette fois, c'est un bébé machouillant un os humain qui lance l'enquête. Cela permet de découvrir l'existence d'un squelette enfoui dans la terre depuis plus d'un demi-siècle.

La construction du livre est déjà plus élaborée et originale, puisqu'on suit à la fois l'enquête pour trouver l'identité du squelette, et le quotidien d'une femme battue dans les années 1930 et 1940. Bien que cela restreigne le nombre de personnes pouvant être la vicime retrouvée par Erlendur et son équipe, il est difficile de savoir ce qui s'est réellement passé sur la colline avant la fin. De cette manière, le lecteur participe activement à l'enquête, et élabore toutes sortes d'hypothèses. Par ailleurs, cela permet de rencontrer les personnages impliqués dans le drame familial qui est relaté, de sentir la peur de "la femme" et de ses enfants.
A nouveau, Indridasson évoque la question de la femme, de sa place et de ses droits dans la société. J'ai particulièrement apprécié la réponse du pasteur à "la femme" venue lui demander de l'aide. L'auteur nous fait aussi plonger dans l'histoire de l'Islande à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. J'ignorais tout de la présence des Anglais et des Américains sur l'île, donc cette lecture m'aura appris quelques détails sur ce pays.
Les liens avec le premier épisode sont présents, et permettent aux personnages de prendre davantage d'épaisseur, entre Erlendur qui n'est pas au bout de ses peines avec sa fille, et Sigurdur Oli qui est à un moment crucial de sa relation avec sa compagne. J'espère que le personnage d'Elinborg est plus développée par la suite, car elle me plaît décidément beaucoup.

Indridason n'est pas une grande découverte, mais ce deuxième opus m'a malgré tout émue, et je retrouverai volontiers Erlendur d'ici quelques mois.

Arnaldur Indridason. La femme en vert.
Traduit par Eric Boury.
346 pages.
2001 pour l'édition originale.

16 février 2010

Meshugah ; Isaac Bashevis Singer

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Folio ; 343 pages.
Traduit de l'anglais par Marie-Pierre Bay.
1994 (pour la version anglaise).
 

L'été dernier, après avoir découvert Witold Gombrowicz, j'ai jeté un oeil à la littérature polonaise selon Wikipedia. Parmi les noms d'auteurs proposés, j'ai relevé totalement au hasard celui d'Isaac Bashevis Singer, qui est en fait considéré comme un auteur américain. Comme je n'en avais jamais entendu parler, c'est donc également par hasard que j'ai choisi d'intégrer Meshugah à ma bibliothèque.

Quelques années après la Deuxième Guerre mondiale, à New York, Aaron, le narrateur, un écrivain à succès qui publie articles et textes de fiction dans un quotidien yiddish, retrouve Max, un ancien ami de Varsovie. "C'était déjà arrivé plus d'une fois : quelqu'un que je croyais mort dans les camps hitlériens surgissait devant moi, vivant et en bonne santé." Max a près de soixante-dix ans, il parle énormément, et c'est aussi un tombeur. Sa première femme et ses filles étant mortes pendant la guerre, il s'est remarié avec Priva, et ensemble, ils vivent avec une maîtresse de Max, Tzolva. Mais son grand amour du moment, c'est Miriam, une jeune femme de vingt-sept ans, qui lui voue un amour inconditionnel. Lorsqu'Aaron la rencontre pour la première fois, il fasciné par elle. Cette dernière n'est pas en reste, puisqu'elle lit tout ce qu'Aaron peut écrire depuis des années, et qu'elle a même débuté un mémoire sur son oeuvre. Avec la bénédiction de Max, l'écrivain et la jeune femme débutent une liaison.

Ce piètre résumé vous laisse peut-être perplexe, mais ce postulat de départ permet à Isaac B. Singer de nous faire plonger dans l'univers yiddish et d'y mêler son travail d'écrivain, qu'il associe à une réflexion plus générale sur l'existence.

Le récit se déroule après que la communauté dont il est question ait vécu des événements inqualifiables, mais, s'il y a des scènes bouleversantes et si les sujets abordés sont graves, je ne me suis jamais sentie submergée par l'horreur. L'auteur traite son sujet avec recul, par le biais de l'humour, et aussi en montrant une volonté d'aller de l'avant ébranlée seulement de manière ponctuelle. Les personnages sont meurtris, c'est évident. La solitude d'Aaron ressort souvent, Miriam est hantée par son passé. Le suicide et la mort sont évoqués comme une issue possible tout au long du roman. Les personnages ne savent plus quelle est leur place, et la question de savoir si faire des enfants, qui revient souvent, fait partie de cette réflexion. Mais c'est la soif de vie qui ressort le plus. "j'avais en moi cette sorte d'ambition de tout surmonter et de ressortir intacte et forte de cette période infecte. Je dirais que c'était devenu une sorte de pari, ou de sport, pour moi : y arriverais-je ou pas ? Tu écris souvent que la vie est un jeu, un défi, ou quelque chose de semblable. J'avais décidé de glisser entre les doigts de l'Ange de la mort à tout prix."

De plus, Singer nous montre par le biais de son narrateur une communauté juive dans toute sa complexité, qui n'est pas seulement déterminée par l’holocauste, et qui n‘est pas constituée que de martyrs. Singer décrit des êtres qui ont davantage de traditions que de pratiques religieuses en commun. Les questions de mœurs occupent une large place, avec le trio formé par Max, Miriam et Aaron (plus les innombrables amants des uns, des autres, et des personnages périphériques). Si les textes juifs sont cités, c'est dans une perspective qui est plus philosophique que religieuse. Il y a une confrontation entre le passé et le présent caractérisée par la question de la langue à adopter, le yiddish ou l’hébreu, ou même l‘anglais si on veut simplement du succès. Pour quelqu’un comme moi qui ne connaît absolument pas la culture juive, ce roman m’a permis de dégager de nouveaux questionnements.

Meshugah est donc un livre foisonnant et captivant. C’est un coup de cœur.

D'autres avis sur le blog des Chats.

11 février 2010

Le Procès ; Franz Kafka

procesFolio ; 360 pages.
Traduit par A. Vialatte. 1925
.

Le Procès est un roman qui a connu une histoire assez peu commune. Franz Kafka avait demandé à Max Brod, son exécuteur testamentaire (et ami de Zweig), de détruire ses travaux après sa mort. Mais Brod ne pu s'y résoudre, et procéda à la publication des textes qu'il pu retrouver (d'autres ont été saisis et détruits par les nazis).
Seulement, en raison de l'aspect fragmentaire des romans retrouvés, non seulement Le Procès est un roman inachevé, mais également un texte dont l'organisation n'était peut-être pas exactement celle envisagé par Kafka.

Jospeh K., un homme occupant de hautes fonction dans une banque et vivant dans une pension, se voit signifier son arrestation le matin de son trentième anniversaire, au saut du lit. Toutefois, il n'a aucune information sur la nature de ce dont on l'accuse. De plus, il reste libre de vaquer à ses occupations, et à l'exception d'un interrogatoire qui n'en est pas vraiment un, ses contacts avec la justice seront tous de son fait (jusqu'à la fin). 

L'été dernier, j'ai lu (ou relu, je n'en suis pas sûre) La Métamorphose. Une lecture qui m'avait beaucoup enthousiasmée, mais qui ne suffisait pas à me faire tomber amoureuse de Kafka, ou à comprendre cette vénération de l'auteur que je peux voir aussi bien chez quelques uns de mes amis que par les nombreux ouvrages contribuant à faire de l'auteur un mythe. Maintenant que j'ai lu Le Procès, je sais (sans parler du fait que j'ai maintenant une idée plus précise de ce que désigne ce mot bizarre qu'est "kafkaïen"), et je crois ne pas me tromper en disant que ce livre m'a procuré l'un de mes plus grands moments de lecture.
On est plongé dans une ambiance absolument unique, à la fois comique, froide et oppressante. K. semble évoluer dans un cauchemar, comme en témoignent les différentes histoires dans l'histoire, les passages étranges que constituent la porte de sortie de l'atelier du peintre ou le placard ou les deux hommes ayant arrêté K. sont battus. Le temps semble ne pas passer, la situation prend des airs d'immobilisme qui conduisent à la lassitude et à un renoncement fatals.
Et pourtant, ce second degré grinçant ressemble de façon troublante à la réalité. Dans le style d'abord, qui est très précis. Dans les thèmes traités ensuite. La Justice est partout, dans tous les greniers de la ville et tout le monde semble de mèche avec elle. Certes, c'est beaucoup moins concret dans le monde réel, mais tout homme n'est-il pas en permanence tenu de la respecter ? De même, K. ignore ce qui l'a conduit à une telle situation, mais ça doit arriver fréquemment de violer une loi qu'on ignore. Et les incohérences, l'inaccessibilité des services administratifs nécessaires, je crois que ça rappelle des souvenirs à tout le monde.
Ce qu'a fait K., nous ne le saurons jamais. Il se dit convaincu de son innocence, mais quand on ignore la loi (et que tous les personnages que l'on rencontre l'ignorent également), cela n'a pas une valeur très grande. Nous n'avons jamais accès aux pensées de ce curieux personnage, de cet anti-héros, son nom lui-même est incomplet (et son oncle, le seul qui pourrait nous aider à le définir, s'évapore très vite), le récit est à la troisième personne, et son caractère difficile à percer. Il s'agit d'un être solitaire, dont les relations sont très distantes. Il oublie sans cesse s'il est amoureux, ses bourreaux sont aussi les seuls avec lesquels il peut discuter. Son attitude aussi est très étrange. Il est l'accusé, mais aussi celui qui accorde la miséricorde ou l'intérêt, comme lorsque Franz et Willem sont fouettés ou qu'il croise Block chez l'avocat.

Je sais qu'il existe un nombre incalculable de théories sur la signification de ce roman, sur ce qu'il dénonce, sur ce dont il parle, et sur ses influences. En ce qui me concerne, je peux surtout vous dire que je m'attendais à un livre très ennuyeux et que j'ai finalement découvert un nouveau chouchou, ce qui fait qu'on reparlera très vite de Franz Kafka sur ce blog.

Les avis de Yohan, de Loupiote et de Thom.  

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