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lilly et ses livres
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30 janvier 2022

Elle et Lui -George Sand

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« Un jeune homme, qui avait probablement des notions de sculpture, se prit d'un amour pour une statue de marbre couchée sur un tombeau. Il en devint fou, et ce pauvre fou souleva un jour la pierre pour voir ce qu'il restait de cette belle femme dans le sarcophage. Il y trouva… ce qu'il y devait trouver, l'imbécile! une momie! Alors la raison lui revint, et, embrassant ce squelette, il lui dit: «Je t'aime mieux ainsi; au moins, tu es quelque chose qui a vécu, tandis que j'étais épris d'une pierre qui n'a jamais eu conscience d'elle-même. »

Toute personne qui s'intéresse un peu à George Sand a entendu parler de sa relation avec Alfred de Musset. Ce dernier en a tiré La Confession d'un enfant du siècle. En 1859, George Sand livre sa version des faits dans Elle et Lui.

Si ce livre n'a pas émoussé mon intérêt pour l'autrice, aussi bien parce que je sais qu'elle a écrit des choses très différentes que parce qu'il comporte de nombreux points remarquables, je dois reconnaître qu'il n'a pas été un coup de coeur.

Dans son autobiographie, George Sand se montre critique vis-à-vis du réalisme. Force est de constater que l'autofiction n'est pas le domaine dans lequel elle est le plus à l'aise. J'ai eu le sentiment de lire une histoire maquillée de manière très artificielle. Thérèse et Laurent ne sont pas écrivains mais peintres, le troisième laron n'est pas médecin mais un vieil ami de la famille... La forme romanesque est grossièrement utilisée et n'apporte à mon avis pas grand chose au récit.

Cela dit, j'ai trouvé Thérèse très moderne. Ses réflexions disent beaucoup de l'autrice et de sa vision de l'amour et de la création artistique. La jeune femme, à l'image de George Sand, mêle sa soif d'indépendance et de bonheur amoureux à un tempérament extrêmement discret et à une attitude sérieuse. Pour elle, c'est ce qui permet à la fois d'aimer vraiment et de pouvoir travailler. A l'inverse, Laurent/Musset est en proie à des excès de désespoir, de colère et de joie, et il est d'autant plus instable qu'il aime boire et fréquenter des milieux qui gâchent son potentiel. 

La relation entre Thérèse et Laurent est également intéressante. Dès le début, rien ne va entre eux, et pourtant Thérèse ne parvient pas à mettre un terme à cette relation qui la détruit et qui brise sa fragile réputation.

" Et, d'ailleurs, cet amour de Thérèse pour Laurent était incompréhensible pour elle-même. Elle n'y était pas entraînée par les sens, car Laurent, souillé par la débauche où il se replongeait pour tuer un amour qu'il ne pouvait éteindre par sa volonté, lui était devenu un objet de dégoût pire qu'un cadavre. Elle n'avait plus de caresses pour lui, et il n'osait plus lui en demander. Elle n'était plus vaincue et dominée par le charme de son éloquence et par les grâces enfantines de ses repentirs. Elle ne pouvait plus croire au lendemain; et les attendrissements splendides qui les avaient tant de fois réconciliés n'étaient plus pour elle que les effrayants symptômes de la tempête et du naufrage. "

Elle se comporte en mère, en sauveuse. Il est un enfant capricieux qui aime jouer les désabusés. Ils s'aiment pour les mauvaises raisons et ce sont les mêmes mauvaises raisons qui les attachent l'un à l'autre. Mais, même si c'est Thérèse qui est la plus maltraitée et qui perd le plus, elle est en revanche loin de se contenter de cette position de dominée. La culpabilité qu'elle éprouve parce qu'elle ne se montre pas plus compréhensive finit par céder devant son besoin impérieux de faire ce qui est bien pour elle. Difficile d'être en désaccord avec cela.

Folio. 384 pages.
1859 pour l'édition originale.

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3 janvier 2022

Le Temps qu'il fait à Middenshot ; Edgar Mittelholzer

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"Cette maison et tout ce qu'elle renferme, voilà son univers, sa chrysalide. Entre ces quatre murs elle n'a pas à craindre le ridicule. Elle peut y faire des cabrioles, l'arbre droit et les pieds au mur. Qui oserait la blesser d'un éclat de rire ?"

Cela fait dix-sept ans que Mr Jarrow a perdu la raison. Depuis, il amasse des os d'animaux morts, affiche des photos macabres dans sa chambre à coucher et savoure chaque jour la lecture des faits divers rapportés dans les journaux. Sa femme, Agnès, et sa fille, Grace, subissent ses lubies sans broncher.
Lorsque Mr Holme, un voisin passionné d'orchidées, commence à s'intéresser à Grace, et qu'un fou furieux s'échappe de l'hôpital psychiatrique voisin, le fragile équilibre de Middenshot est mis à mal.

Le Temps qu'il fait à Middenshot emprunte au merveilleux pour nous conter une histoire qui explore la noirceur et la cruauté de l'être humain. Publié en 1952, le spectre des horreurs du nazisme y est omniprésent. Les contours du réel sont mal définis, la narration brouillée, obligeant le lecteur à réattribuer les flux de pensée qu'il perçoit aux différents personnages. De plus, ces derniers sont tous touchés par la folie, chacun à sa façon. Les éléments naturels sont des personnages de l'histoire, effrayant les personnages, dissimulant les crimes. Le vent, le brouillard puis la neige rythment notre lecture.

Cette forme inclassable est un prétexte pour nous livrer une réflexion passionnante sur la justice et la folie. Aurait-on pu empêcher la Shoah ? Suffit-il d'éliminer les mauvaises herbes pour empêcher le mal de se propager ? Peut-on distinguer les monstres des autres êtres humains ? Quels critères pour juger qu'un homme doit être mis hors d'état de nuire ?
L'auteur évoque le duel entre les tenants de la prise en compte de la psychologie et du contexte dans le jugement des crimes et ceux qui plaident pour une justice impitoyable. Les premiers sont-ils des idéalistes laxistes et irresponsables ? Les seconds ne nous condamneraient-ils pas à une société composée d'automates identiques ?

En plus de ces éléments déjà passionnants, j'ai été complètement envoûtée par la plume d'Edgar Mittelholzer. Ses descriptions sont d'une beauté à couper le souffle et sa plume retranscrit à merveille la violence des émotions et la complexité de ses personnages.

"Un soleil décoloré, semblable à une goutte d'huile de ricin coagulée, éclairait par moments le paysage convalescent. Quelques feuilles restaient encore aux châtaigniers, aux chênes et aux peupliers, mais beaucoup d'arbres, et surtout les plus verts, laissaient pendre leurs membres rompus, et les talus, les prairies défoncées par le bétail, les chemins creux, tout, jusqu'au portail des maisons, était jonché de débris de branchages. L'air froid sentait la feuille déchiquetée, l'arbre blessé, la plante violée par le vent. La fumée qui sortait des cheminées de briques rouges ne pouvait masquer cette odeur de bois qui saigne, de chlorophylle répandue, de sève encore à vif."

Avec ce livre je découvre également les éditions du Typhon et le travail d'édition remarquable a indéniablement ajouté à mon plaisir de lecture. Je vais me faire un plaisir de parcourir le reste de leur catalogue.

Un classique anglais dont je n'avais jamais entendu parler mais dont je ne peux que vous conseiller vivement la lecture.

Les éditions du Typhon. 336 pages.
Traduit par Jacques et Jean Tournier.
1952 pour l'édition originale.

27 avril 2022

J'ai épousé un communiste - Philip Roth

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" Vois les choses sous l'angle de Darwin. La colère sert à rendre efficace. C'est sa fonction de survie. C'est pour ça qu'elle t'est donnée. Si elle te rend inefficace, laisse-la tomber comme une pomme de terre brûlante. "

Nathan Zuckerman retrouve Murray Ringold, son ancien professeur, alors que ce dernier est au crépuscule de sa vie. Durant six soirées, ce passionné de Shakespeare va raconter l'histoire de son frère Ira, ancienne gloire de la radio et époux de la célèbre actrice Eve Frame. Ira a été à cette époque le mentor de Nathan avant de tout perdre à cause de son mariage et de ses idées politiques. On plonge alors dans l'Amérique de l'après-guerre, celle de la chasse aux sorcières et d'un antisémitisme habilement dissimulé mais toujours actif. C'est l'occasion pour les deux hommes de faire le procès de leur nation, celle d'hier et celle d'aujourd'hui. 

Je dois vous faire une confidence. Je crois que je suis en train de tomber amoureuse. Il s'appelle Philip, il me donne des claques, et j'aime ça.

Pastorale américaine m'a bouleversée, J'ai épousé un communiste m'a déprimée (j'ai hâte de voir si La Tâche me fait sauter par la fenêtre).

L'auteur n'est tendre avec personne. Surtout pas Eve, cette actrice digne de ces femmes fatales venimeuses que l'on trouve dans les vieux films. Depuis, j'ai lu que son personnage était inspiré de l'ex-femme de l'auteur, ce qui explique sans doute cette absence de nuances que Roth accorde à ses autres créatures et qu'il considère comme étant le privilège de la littérature sur la politique.

" Même quand on choisit d'écrire avec un maximum de simplicité, à la Hemingway, la tâche demeure de faire passer la nuance, d'élucider la complication, et d'impliquer la contradiction. Non pas d'effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l'intérieur de ses termes, se situe l'être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Il faut lui donner droit de cité. Autrement, on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu'elle aimerait se voir mise en publicité. "

Roth n'est pas du genre à faire dans la dentelle, et avec ce roman je réalise qu'il aime aussi asséner des vérités que ses lecteurs ne sont pas prêts à entendre. Il le fait de façon presque sournoise, lorsqu'il n'est plus possible de nier l'évidence puisque les centaines de pages qui précèdent la conclusion sont là pour parer à toute tentative de se défiler.
Je vous annonce donc que nous sommes tous des abrutis ballotés par la politique comme de vulgaires marionnettes. Tout ce qu'ont fait Ira et Murray, de leur adhésion au communisme à leur vie maritale, a été dicté par leurs idéaux qui sont avant tout l'expression de leurs faiblesses et de leurs contradictions (au choix, comment concilier une vie de camarade et un fantasme de famille américaine idéale ?).

" Ce qui l'empêche c'est qu'il est comme tout le monde – on ne comprend les choses que quand c'est fini. "

Il y aurait de quoi désespérer de la nature humaine, si prompte à trahir et à abandonner lâchement ceux qui tombent. Heureusement, on est chez Roth qui ne manque ni d'humour (je crois que c'est l'auteur qui me fait le plus rire) ni de cette affection qu'il témoigne à ses témoins et à son alter-ego écrivain. Quel conteur hors pair !

Folio. 442 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
1998 pour l'édition originale.

13 mars 2022

Les Carnets de la maison morte -Fédor Dostoïevski

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" ... cette maison étrange dans laquelle j'allais devoir passer tant d'années, ressentir tant de sensations dont, si je ne les avais pas éprouvées en vérité, je n'aurais pas pu avoir une idée même approximative. "

🍂Pour ses idées, Dostoïevski est arrêté et condamné à mort en 1849. Après un simulacre d’exécution, il est finalement envoyé dans un bagne de Sibérie. Il relate cette expérience dans Les Carnets de la maison morte de façon romancée. Son alter ego est un homme qui a été condamné à dix ans de travaux forcés pour le meurtre de sa femme.

🍂S’il m’arrive d’avoir des réserves concernant cet auteur, je n’en ai aucune en vous recommandant ce roman qui nous offre un témoignage factuel de la vie dans les bagnes au XIXe siècle ainsi que des questionnements beaucoup plus profonds sur la nature humaine et les châtiments auxquels on condamne les criminels (des éléments qui hantent l’œuvre de Dostoïevski).

🍂Protégé par ses origines nobles, le narrateur ne subit pas les sévices corporels que l’on inflige au petit peuple (marquage au fer rouge, centaines voire milliers de coups de cannes). Personne n'attend qu'il se compromette lors d'une rébellion contre le responsable du camp. De même, lorsque les prisonniers montent un spectacle de théâtre, ils espèrent son approbation d'homme de culture. Cela l’isole cependant de ses codétenus qui ne le considèreront jamais comme l’un des leurs.

🍂Si pour un homme libre, la prison semble être un espace hors du temps, à l’intérieur se recrée une société avec des groupes et des rituels qui rendent cet espace moins dépaysant qu’on l’imagine. Au bagne, on s’organise comme on peut, on magouille, parfois avec la silencieuse approbation des autorités qui préfèrent de l’alcool à un soulèvement.

🍂Les criminels sont des hommes qui ont parfois commis des actes monstrueux, mais ce qui ressort de ce récit est la façon dont ils s’accrochent à ce qui compte pour ne pas sombrer. Les fêtes religieuses sont un moment de grâce et permettent aux prisonniers de se sentir plus près de leurs semblables (qui les innondent de présents, puisque les dames patronesses de la ville envoient toutes des témoignages de leur magnanimité)..
De même, quoi de plus humain que de nier sa culpabilité ? À les croire, aucun forçat n’est responsable de sa situation.

🍂Il n’y a pas ici la haine des prisonniers qu’on lit dans les récits sur les camps nazis, ce qui change beaucoup de choses, mais l’absence de solitude, les magouilles, les fers et les soins sommaires rendent l’existence des détenus très difficile.

🍂Un livre magnifique faisant surgir l’humanité là où on tente de la faire taire.

Une première participation au Mois de l'Europe de l'Est de Patrice, Eva (et bien sûr Goran).

Babel. 543 pages.
Traduit par André Markowicz.
1861 pour l'édition originale.

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8 juin 2016

La Passe-miroir. 2. Les disparus du Clairdelune - Christelle Dabos

couv49338046Après un premier tome enchanteur qui a conquis de nombreux lecteurs (dans l'actualité, Gallimard a proposé son concours du premier roman jeunesse pour la deuxième fois, et le lauréat vient d'être dévoilé), Christelle Dabos nous permet de retrouver ses personnages dans un deuxième opus à nouveau très réussi.

Ophélie doit cesser de dissimuler son identité et faire son entrée officielle en tant que fiancée du sinistre Thorn à la cour de Farouk, le redoutable esprit de famille du Pôle. Bien que celui-ci tombe curieusement sous le charme de la maladroite jeune fille, la position du clan des Dragons, décimé depuis le terrible accident de chasse du tome précédent, reste précaire. Quelqu'un semble de plus décidé à ce que le mariage de l'intendant et de la jeune animiste n'ait jamais lieu, par crainte qu'il ne permette le déchiffrage du Livre de Farouk. Cet enjeu semble si important que des disparitions commencent à se produire au Clairdelune, l'ambassade, le seul lieu sûr du Pôle jusqu'à présent.
Et comme la situation n'était pas assez inquiétante, la famille d'Ophélie annonce son arrivée au Pôle.

J'avais dévoré le premier tome, je n'ai fait qu'une bouchée du second. Retrouver le Pôle et ses illusions, ses complots, la maladresse d'Ophélie, les tentatives de Thorn de se comporter en être humain, a été un véritable délice.
L'intrigue avance beaucoup. Bien entendu, de nombreuses questions restent en suspens (Christelle Dabos ayant décidé de nous gâter avec quatre tomes), mais les personnages se dévoilent, et leurs projets également. Par ailleurs, nous quittons Ophélie à intervalles réguliers dans ce tome pour découvrir les souvenirs intrigants d'un jeune être. Le fameux "Dieu" (dont il est question de façon si succinte dans le tome précédent, qu'on pense à des passages sans importance), commence à apparaître, et il ferait presque peur.
La Déchirure qui a fait naître les arches se met à occuper une place de plus en plus centrale. L'intrigue amoureuse est également développée, et si les ficelles utilisées n'ont rien de très original, je n'ai pas boudé mon plaisir et le couple formé par Ophélie et Thorn a fait battre mon grand coeur.

Je pourrais regretter le fait que les membres de l'entourage d'Ophélie (Bérénilde en tête) semblent avoir été privés des aspects de leur personnalité qui en faisait des êtres avec lesquels on ne savait pas sur quel pied danser, mais ce deuxième tome est autant un coup de coeur que le premier.

A quand la suite ?

Gallimard. 549 pages.
2015.

 

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1 juillet 2021

Femmes en colère - Mathieu Menegaux

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" Seul le droit nous permet de vivre ensemble, et il constitue le dernier rempart contre le populisme. « Continuez à bafouer le droit, laissez l’opinion juger à l’emporte-pièce, à coups de tweets et de posts, imposez l’instantanéité, et vous récolterez à coup sûr le chaos et la dictature ! » avait déclaré Largeron dans un éditorial rageur publié par Ouest France après la grâce présidentielle accordée à Jacqueline Sauvage. "

Mathilde Collignon est gynécologue et mère de famille divorcée. Un jour, elle a croisé la route de deux hommes qui lui ont fait du mal. Alors, elle s'est vengée. En juin 2020, c'est elle qui est sur le banc des accusés. Neuf jurés doivent déterminer s'il faut la punir. 

Femmes en colère est un livre qui se lit d'une traite. Alternant entre la cellule où Mathilde attend son jugement, retraçant son parcours, et la salle de délibérations où les jurés débattent, l'auteur questionne à la fois un sujet de société brûlant et le système judiciaire français.

Dans un jugement, il n'est pas question de souscrire à la loi du talion, mais de préserver l'harmonie de la société. Les victimes (ou du moins, les personnes considérées comme telles) ne sont considérées qu'en troisième lieu. Cependant, derrière ces belles intentions se cachent de nombreux biais.

Ainsi, quelle justice pour les femmes dans une institution si masculine ? Le livre, loin des scénarios mettant en scène une justice fantasmée et calquée sur le système américain, montre le cadre qui existe en France. Les jurés ne sont pas livrés à eux-mêmes, libres de juger ce qu'il veulent. Trois professionnels sont associés aux six citoyens tirés au sort, et il serait illusoire de considérer qu'il suffit d'enlever sa robe de juge pour ne plus impressionner personne. Par ailleurs, les questions auxquelles le jury doit répondre sont précises et ne laissent pas toujours une réelle marge de manoeuvre. Dans le cas de Mathilde, sa condamnation paraît inévitable.

L'affaire ayant fait grand bruit pour des raisons que je vous laisse découvrir, le "tribunal des réseaux sociaux", si souvent dénoncé par les dominants, s'est déchaîné, prenant parti pour ou contre l'accusée.  Faut-il alors professionnaliser la justice et procéder à une application pure et froide de la loi par des Inspecteurs Javert incapables de voir plus loin que leurs codes juridiques (et leurs ambitions personnelles) ? 

J'ai trouvé ce livre intéressant car il ne se contente pas d'évoquer une thématique vendeuse pour une partie de la population. Mon féminazisme fait de moi une cible de choix, mais je pense que la réflexion sur le système judiciaire et la société contemporaine est suffisamment réussie pour être transposable à d'autres situations. De plus, l'auteur prend parti sans se contenter d'écrire une thèse. 

J'ai cru ne pas parvenir à lire ce livre tant il provoquait chez moi une réaction épidermique. Je n'arrivais plus à respirer. Heureusement, l'auteur offre quelques sas d'air à son lecteur. Fait encore plus incroyable, il m'a arraché un sourire à la lecture des dernières lignes. Malin.

Grasset. 191 pages.
2021.

20 février 2024

La Longue vue - Elizabeth Jane Howard

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Années 1950. Antonia et Conrad Fleming sont mariés depuis plus de vingt ans et mènent une vie confortable. Les fiançailles de leur fils et les tracas amoureux de leur fille vont les amener à reconsidérer leur union en nous ramenant progressivement en arrière, jusqu'à leur rencontre.

Deuxième roman d'Elizabeth Jane Howard, La Longue vue semble être une histoire resserrée des couples parentaux de la saga des Cazalet, en particulier celui d'Edward et Violet. Grâce à la préface soulignant le caractère autobiographique de certains éléments, j'ai enfin saisi une explication à la frustration générée par un élément de ma précédente lecture de l'autrice.

Retrouver l'élégante plume d'Elizabeth Jane Howard a été très agréable. Par sa construction antéchronologique, La Longue vue explore ce qui fait un couple. Le lecteur part à la recherche aussi bien de l'étincelle de départ que de la vexation ultime. Mais, est-on certain d'en trouver ? Un mariage est-il autre chose que deux névrosés se lançant dans un numéro d'équilibriste fait de soubresauts et s'achevant pas une dégringolade inévitable ?

La longue vue n'est pas le seul effet d'optique du livre. Les premières et dernières pages du livre sont également un jeu de miroirs, et c'est peu dire que la vision proposée des relations humaines, faites de parements, de dialogues de sourds et de mauvaise foi, n'a rien de bien réjouissant en dehors du sens de la formule de l'autrice. Le tout sans tomber dans la caricature, et c'est sans doute ce qu'il y a de plus effrayant. Conrad et Antonia ne sont aucunement des monstres, pas plus que leurs enfants qui marchent avec la meilleure volonté vers le malheur conjugal...

La Table Ronde. 464 pages.
Traduit par Leïla Colombier.
1956 pour l'édition originale.

31 juillet 2023

Beloved - Toni Morrison

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Après la Guerre de Sécession, Sethe vit à Cincinnati avec sa belle-mère, Baby Suggs, et sa fille, Denver. Son mari a disparu. Quant à ses fils, ils se sont enfuis il y a des années, car la maison du 124 est hanté par le fantôme d'une petite fille de deux ans. Puis, Baby Suggs meurt. Un jour, Sethe trouve devant chez elle Paul D, un des anciens du Bon Abri.

Beloved n'est pas un livre qui laisse indifférent. La description de l'esclavage et les reflexions sur cette thématique m'ont évidemment bouleversée et passionnée. L'autrice montre sans retenue les horreurs de ce système qui traitait les Noirs comme des êtres sans le moindre droit, de leur naissance à leur mort souvent brutale. Aucune émotion ne leur est permise, et eux-mêmes apprennent très vite à ne pas s'attacher et à faire preuve d'une force et d'une capacité à l'oubli qui les sauve de la folie.
Toni Morrison s'interroge aussi sur la possibilité de quantifier la cruauté des maîtres. Bien que les anciens esclaves que nous suivons aient bénéficié durant quelques années d'un maître bien moins terrible que les autres (ce qui se traduit par une absence de viols, de sévices physiques ou de privations alimentaires...), ils ne sont pas tous d'accord sur les bénéfices qu'ils en ont tiré. Par ailleurs la précarité de cette situation a éclaté au grand jour à la mort du maître.

Le roman se déroule à une période charnière, alors que nos personnages sont libres en théorie. Cependant, la fin de l'esclavage ne met pas un terme à leur calvaire. La loi ne peut effacer d'une signature le racisme et la violence à l'égard des Noirs en place depuis des siècles. Et puis surtout, rien ne peut effacer les horreurs dont ont été victimes, ce que l'autrice construit avec brio dans une narration brouillée faisant alterner les narrateurs et les époques. 

J'ai cependant beaucoup plus de réserves concernant la partie fantastique du livre, que je trouve trop grossièrement utilisée, en particulier dans la dernière partie. Cela m'empêche d'avoir un avis complètement enthousiaste concernant cette lecture. Par ailleurs, je m'en veux d'avoir lu ce livre en français tant il me paraît évident qu'un tel texte doit être différent en version originale.

Il me faudra donc relire l'autrice. Avez-vous des titres à me conseiller ?

Une lecture faite pour la session mensuelle de Les classiques, c'est fantastique sur la littérature afro-américaine.

Source: Externe

10/18. 379 pages.
Traduit par Hortense Chabrier et Sylviane Rué.
1987 pour l'édition originale.

20 janvier 2023

Un coeur si blanc - Javier Marias

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"Car bien que les mots soient si nombreux et si bon marché, si insignifiants, rares sont ceux qui sont capables de n’y prêter aucune attention. On leur donne de l’importance. Ou non, mais on les a entendus."

Juan vient d'épouser Luisa, traductrice et interprète comme lui pour de grandes institutions internationales. Depuis, il se sent perturbé sans parvenir à distinguer la source de son malaise. Est-ce à cause de l'attitude de son père lors de son mariage ou bien suite à des événements plutôt anodins ?

Un coeur si blanc est un roman déstabilisant. Il s'ouvre sur une scène de suicide décrite avec une précision chirurgicale avant de nous embarquer à La Havane et dans des réflexions sur le métier d'interprète qui laissent le lecteur, qui s'attend à lire la chronique d'un mariage tout neuf, perplexe. Mêlant tragédie shakespearienne, folkore et ancêtres de papier des applications de rencontre, ce livre fonctionne avec un système d'échos dont on ne perçoit la présence qu'une fois notre lecture achevée.

S'il ne craque pas, le lecteur découvre ainsi un livre passionnant qui l'amène à se questionner sur ce qui change le cours d'une vie. "Aucun homme n'est une île", et c'est ce qui caractérise la réalité de la condition humaine. Tous, nous avons senti dans notre dos le souffle d'individus, qui tels Lady MacBeth, ont provoqué des changements radicaux dans notre existence. Nous-mêmes, nous avons parfois été ces instigateurs de changement.

Le mariage est nécessairement un état favorisant des bouleversements, ce qui est d'autant plus dangereux qu'il va de ce fait détruire en partie la raison pour laquelle ses membres se sont unis.

"les deux contractants exigent l’un de l’autre une abolition ou neutralisation, l’abolition de celui que l’autre était et dont il s’était épris ou dont il avait peut-être vu les avantages, car l’amour n’est pas toujours préalable, il se révèle parfois plus tard, parfois n’apparaît ni avant ni après."

Doit-on tout se dire ? Le peut-on ? Se dit-on autre chose que ce qui ne compte pas ? Et en même temps, si aucun mot n'est posé sur une situation et si plus personne ne sait que cette situation a existé, est-elle réelle ?

"Ainsi, ce que nous voyons et entendons finit par ressembler et même par se confondre avec ce que nous n’avons pas vu ni entendu, ce n’est qu’une question de temps, ou bien suffit-il que nous disparaissions."

Si Javier Marias aime les longues phrases et les digressions qui n'en sont pas vraiment, il n'y a rien d'ennuyeux dans ce livre. L'auteur mêle à merveille la gravité de ses propos avec un ton grinçant voire cynique. Il se paie les hommes politiques au langage abscons, les traducteurs-interprètes (dont il était) aux puériles querelles de clochers, ou encore le mariage avec ses nombreux paradoxes. Chaque détail, même les vidéos de charme ou le billet tendu à des musiciens de rue, cherche à résoudre le questionnement du narrateur.

Une rencontre fracassante avec cet auteur grâce à Lou qui m'a offert ce livre il y a de très nombreuses années.

Folio. 392 pages.
Traduit par Anne-Marie Geninet et Alain Keruzoré.
1992.

16 juillet 2022

Le Nom de la rose - Umberto Eco

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« Mais alors, dis-je, à quoi sert de cacher les livres, si on peut remonter des visibles à ceux qu’on occulte ?

— À l’aune des siècles, cela ne sert à rien. À l’aune des années et des jours, cela sert à quelque chose. De fait, tu vois à quel point nous sommes désorientés.

— Et donc une bibliothèque n’est pas un instrument pour répandre la vérité, mais pour en retarder l’apparition ? demandai-je pris de stupeur. 

Alors que le pape, réfugié en Avignon, est en conflit ouvert avec Louis de Bavière, les ordres religieux se déchirent entre ceux qui choisissent la pauvreté, s'indignant devant l'opulence de certains ecclésiastiques, et les autres, qui les accusent de prôner l'hérésie. C'est dans ce contexte que Guillaume de Baskerville, ex-inquisiteur, se rend dans l'abbaye bénédictine du nord de l'Italie qui doit accueillir des émissaires des deux camps. Lorsqu'il arrive, accompagné par Adso, un jeune novice, l'un des moines de l'abbaye vient d'être retrouvé mort. L'abbé leur confie l'enquête, qui ne tarde pas à s'épaissir avec de nouveaux assassinats. La bibliothèque, dont la réputation est aussi grande qu'il est difficile d'y pénétrer, pourrait bien renfermer la clé du mystère.

A ceux qui, comme moi, reculent la lecture de ce livre par peur d'y trouver un texte indigeste, je souhaite apporter quelques éléments rassurants. Oui, Umberto Eco a écrit un texte dans lequel il met en scène des débats théologiques pointus qui ont bousculé la chrétienté. Certaines phrases sont écrites en latin et non traduites. Cependant, le propos est très clair et l'intrigue bien plus abordable qu'il n'y paraît. Umberto Eco réussit brillamment le pari de mettre à la portée du plus grand nombre ses connaissances et ses réflexions (un joli pied de nez à certains personnages de son roman).

Je ne suis pas friande de romans policiers (pour être honnête, cette lecture me l'a encore confirmé), mais il s'agit avant tout ici de réfléchir aux rapports entre les détenteurs du savoir et la diffusion des idées. L'hypocrisie des ecclésiastiques et leur brutalité sont mis en scène tout au long du roman. La luxure, qu'elle soit physique ou intellectuelle, empeste dans ce lieu censément habité par des hommes visant l'humilité.
Par ailleurs, l'énigme est un point d'appui pour sonder la nature humaine, celle qui cherche une logique, quitte à la forcer, celle qui aime les explications simples bien que tirées par les cheveux.

" Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité. "

Un livre qui vout fera sentir l'amour des livres et la frustration des manuscrits perdus à cause du fanatisme.

Le Livre de Poche. 763 pages.
Traduit par Jean-Noël Schifano.
1980 pour l'édition originale.

Nouvelle participation au Challenge Pavé de l'été de Brize !

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23 avril 2023

Sous la verte feuillée - Thomas Hardy

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A Mellstock, la chorale occupe une place importante dans la vie de la communauté. Elle fait la tournée des maisons le soir de Noël et joue à l'église pendant l'office dominical. La famille Dewy est très impliquée dans ce choeur. Lorsque le jeune Dick Dewy aperçoit la nouvelle institutrice, Miss Fancy Day, il en tombe amoureux. Mais d'autres hommes plus fortunés et bien nés que lui sont également sensibles aux charmes de la jeune fille, et cette dernière a des apparences de frivolité.

Je craignais un peu cette lecture tant j'ai pu lire qu'il s'agit d'un roman mineur de Thomas Hardy que j'apprécie davantage à chaque lecture. Il est certain que la minceur de l'intrigue et quelques maladresses inhabituelles chez l'auteur expliquent le plaisir nuancé de beaucoup d'adeptes de l'écrivain. Sous la verte feuillée fait pâle figure face au roman qu'il annonce, Les Forestiers, et qui est à ce jour mon favori.

Pourtant, dès les premières lignes, le charme opère avec la plume de Thomas Hardy décrivant la nature de façon somptueuse. Il nous plonge dans son univers à la fois imaginaire et très réaliste, avec pour une fois une dose de merveilleux l'emportant sur le tragique (les illusions de la jeunesse probablement). Je me suis régalée avec les scènes de drague à l'époque victorienne basée sur le fait de toucher un objet précédemment frôlé par l'être aimé et par les périphrases de l'auteur dissimulant des baisers.

"La chance favorisa les amours de Dick pendant le repas. Il se trouva assis à côté de Fancy et eut le bonheur inouï de boire dans un verre dont elle s’était tout d’abord servie par erreur. Sa semelle touchait l’ourlet de sa jupe. Et, pour ajouter à son ivresse, un chat, demeuré plusieurs minutes en cachette sur les genoux de la jeune fille, passa sur ses genoux à lui et il frôla la fourrure que sa main, à elle, caressait quelques instants auparavant."

Autre force de l'auteur qui ne fait pas exception ici, l'imperfection des personnages et l'absence de jugement définitif. Fancy Day s'inscrit dans la lignée des héroïnes de Thomas Hardy. Sa coquetterie et son indécision la rendent frivole, mais l'absence de perspectives pour les femmes dans l'Angleterre victorienne et les renoncements qu'exige le mariage rendent son choix de fiancé plus complexe qu'il n'y paraît.

Archipoche. 245 pages.
Traduit par Eve Paul-Marguerite.
1872 pour l'édition originale.

13 avril 2021

Vivre ! - Yu Hua

yu huaUn colporteur rencontre au cours de l'un de ses voyages un vieil homme, Fugui, dont l'histoire le marque profondément. Son attitude inconséquente dans sa jeunesse lui a valu de perdre tous ses biens et de plonger sa famille dans la misère.
Lors de l'affrontement entre les forces nationalistes et celles de Mao, il est enrôlé contre son gré, mais s'en sort avec la vie sauve.
Cependant, la terreur communiste et la révolution culturelle passeront aussi par là.

Yu Hua est un auteur chinois qui m'était complètement inconnu jusqu'à ces derniers mois où j'ai vu fleurir les avis concernant Brothers, qui raconte l'histoire de deux hommes traversant l'histoire de la Chine durant la deuxième moitié du XXe siècle et dont la taille (mille pages) m'a conduite à me tourner vers Vivre !, bien plus court.
J'ai d'abord un peu regretté d'avoir joué la carte de la prudence. Arrivée au tiers du livre, je lui trouvais un goût de trop peu, un enchaînement d'événements trop rapide. Je trouvais que Fugui s'en sortait plutôt bien. Laissez-moi vous dire que j'étais dans la position idéale pour que la claque que constitue la suite de l'histoire me laisse dévastée.

Comme son nom l'indique, Vivre ! est une histoire de résilience. Les coups du sort successifs n'empêchent pas les personnages de trouver la force de continuer. Plus de quoi faire cuire le riz livré aux forces nationalistes assiégées ? Il suffit de profiter des bagarres pour voler le caoutchouc des chaussures d'autres soldats !!! Toutes les épreuves ne seront malheureusement pas aussi faciles à contourner, mais il y a dans ce livre un véritable optimisme. La nature est belle, les êtres humains même dépouillés ne peuvent rester insensibles face à la souffrance d'autrui. Le bonheur, bien que souvent fugace et inattendu, permet aux personnages de ne pas mener une existence vaine.
Même seul, Fugui continue, à l'aide de ses buffles imaginaires, à conserver ses proches auprès de lui.

La brièveté du livre ne permet pas d'avoir une vision complète de ce qu'a réellement été le régime maoïste, mais la dimension historique du livre est passionnante. Après la guerre civile, nous assistons à la nationalisation et au partage des terres entre les habitants. Les anciens propriétaires et les personnes occupant des postes à responsabilité sont harcelés, battus, exécutés. Pour les autres, les bonnes nouvelles ne durent pas. Les mauvaises décisions en matière agricole entraînent la famine et la mort de millions de personnes. Sans aucune protection sociale, les individus sont mal soignés et travaillent souvent jusqu'à en mourir.

J'ai refermé ce livre extrêmement émue et avec la ferme intention de ne pas en rester là avec Yu Hua. Une (presque) première expérience  avec la littérature chinoise très convaincante.

Babel. 248 pages.
Traduit par Yang Ping.
1994 pour l'édition originale.

9 mars 2016

Les forêts du Grand Nord...

9782859409043"D'autres voix lui parlaient encore. Des profondeurs de la forêt, il entendait résonner tous les jours plus distinctement un appel mystérieux, insistant, formel ; si pressant que parfois, incapable d'y résister, il avait pris sa course, gagné la lisière du bois."

Buck mène une vie de chien confortable auprès de son riche propriétaire lorsqu'il est enlevé par des trafiquants de chiens et envoyé au Canada pour devenir chien de traîneau. Cette superbe bête au grand coeur va devoir affronter l'hiver du grand Nord, mais aussi la brutalité de certains maîtres et certains de ses semblables pour avoir la chance de conduire tout à l'avant du traîneau.

Ceux qui me connaissent peuvent témoigner que je n'ai pas l'âme d'une aventurière. J'aime voyager, me promener au grand air, voir des paysages à couper le souffle. En revanche, je suis une trouillarde doublée d'une snob qui a besoin d'avoir son petit confort. Autant dire que les voyages de plusieurs semaines par des températures polaires sur un traîneau tiré par des chiens avec nuit sous une tente de fortune, c'est un peu la définition du cauchemar pour moi.

Cela ne m'empêche pas d'apprécier les récits comme ceux de Jack London, qui m'a une nouvelle fois comblée avec ce très court roman. Cet homme brillant prend les traits d'un loup pour nous parler des hommes et de leur faiblesse face à la nature. Il évoque aussi les liens qui peuvent attacher un chien à son maître, même lorsque l'appel de la forêt se fait de plus en plus fort. Le tout avec une écriture sombre et poignante.

Une centaine de pages de pur bonheur littéraire.

1903 pour l'édition originale.

2 novembre 2017

Nulle part sur la terre - Michael Farris Smith

11Nulle part sur la terre est l'un des romans américains qui ont retenu mon attention en cette rentrée littéraire 2017. Moins mis en avant que les livres de Colson Whitehead et Nathan Hill, il semble cependant avoir séduit ses lecteurs.

Après des années loin de chez elle et bien que plus personne ne l'y attende, Maben revient dans le Mississippi accompagnée de sa petite fille. Elles n'ont que quelques dollars en poche et tous leurs biens sont contenus dans un vieux sac poubelle. Maben espère trouver un travail, un foyer pour sa fille, et surtout laisser ses vieux démons derrière elle.
Au même moment, Russell revient lui aussi dans sa ville natale, après avoir purgé une peine de onze ans de prison. Il peut compter sur l'aide de son père, mais certains n'ont pas oublié ce qu'il leur a fait.
Peut-on se reconstruire lorsqu'on est tombé si bas qu'il ne semble y avoir de place pour nous nulle part ?

On entre sans la moindre difficulté dans ce livre, on évolue aux côtés des deux personnages principaux dont les histoires vont évoluer en parallèle avant de se croiser assez tard dans le récit. Maben et Russell sont des personnages abîmés par ce qu'ils ont vécu, habitués à se débrouiller seuls, à encaisser les coups, et à tomber toujours plus bas. Ce que montre Michael Farris Smith avec ce livre, c'est la façon dont la société, une fois que l'on s'est écarté des rails qu'elle a tracés pour nous, nous écarte et nous empêche de revenir. La conseillère en réinsertion de Russell l'affirme bien, statistiques à l'appui : la majorité des anciens détenus récidivent. Mais la faute à qui ? A ceux qui ne respectent pas les règles ou à cette société qui refuse la réintégration, que ce soit par le regard porté sur ces individus ou par les difficultés qu'ils auront à trouver un emploi, un logement, un cercle amical ? Dès le début du roman, un policier verreux est retrouvé mort, tué avec son arme. Russell étant revenu en ville le jour même fait un coupable idéal, et ses quelques mauvais choix à ce moment-là, qui n'auraient pas eu la moindre incidence s'ils avaient concerné quelqu'un d'autre, pourraient bien lui valoir un retour immédiat en prison.
L'auteur laisse d'abord planer le doute sur les raisons qui ont amené Russell derrière les barreaux pendant plus de dix ans. Je vous laisse découvrir ce qu'il a fait, mais j'ai trouvé l'auteur un peu frileux à ce sujet. Tout comme l'avait fait Russell Banks dans Lointain souvenir de la peau, Michael Farris Smith nous dresse un portrait de personnage qu'il n'est pas trop difficile de comprendre. Russell a fait une énorme erreur et a mérité sa peine, mais ce n'est pas non plus un violeur, un tueur en série ou quelqu'un qui a torturé des chatons. Il est facile de ressentir de l'empathie à son égard. Ce serait moins agréable à lire, mais je pense qu'un livre posant réellement la question de la réinsertion de personnes ayant commis des actes monstrueux serait un projet autrement ambitieux.
Quoi qu'il en soit, ce doute planant sur la façon dont Maben et Russell en sont arrivés là, puis l'enquête concernant le meurtre donnent un côté roman policier au récit, qui permet de rester bien en alerte jusqu'au dénouement.
On sent dans ce livre une volonté de l'auteur de se montrer optimiste, confiant envers l'être humain. Contrairement à ce que laisse présager la quatrième de couverture, si les épreuves traversées par Maben et Russell sont réelles, elles sont atténuées par la chaleur qu'ils trouvent dans le foyer de Mitchell, le père de Russell et l'amitié entre Russell et Boyd, l'adjoint du shérif. Nous sommes dans une ville où la violence et la défiance ne sont jamais très loin, mais où l'on est aussi à proximité des marais, dans lesquels les petits vieux peuvent passer la nuit dehors en s'imaginant qu'ils sont courageux et où Mitchell, Consuela et Annalee peuvent oublier le reste du monde en pêchant toute la journée. J'aime la moiteur, les bruits et les couleurs auxquels les romans qui se déroulent dans le Vieux Sud des Etats-Unis me font penser, et on retrouve bien cette atmosphère ici.

J'ai été emportée sans difficulté par ce livre, son ambiance et ses personnages, mais je pense qu'il ne secoue pas suffisamment pour marquer de façon durable.

La livrophage a adoré, Violette et Eva ont beaucoup apprécié leur lecture mais ont quelques réserves. Maeve est plus mitigée.

J'ai lu ce livre dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire. Je remercie les organisteurs et les blogueuses ayant choisi les titre pour cette découverte.

Sonatine. 361 pages.
Traduit par Pierre Demarty.
2017.

17 juin 2018

American Gods - Neil Gaiman

Source: ExterneAprès avoir effectué trois ans de prison, Ombre s'apprête à rentrer chez lui, auprès de son épouse Laura et de Robbie, son meilleur ami. Mais, ceux-ci sont tués dans un accident de voiture, laissant l'ex-détenu sans foyer et sans travail.
Lors d'un voyage en avion vers la ville où il va enterrer sa femme, Ombre fait la connaissance de Voyageur, un homme étrange aux moeurs clairement douteuses, qui lui propose de travailler pour lui en tant qu'homme de main. D'abord réticent, Ombre finit par accepter, et se met à parcourir l'Amérique aux côtés de son nouveau patron.

N'attendez pas une histoire de gangsters ou d'aventure traditionnelle avec American Gods. Ce livre est une réécriture des mythologies du monde
Nous croisons donc des dieux et des créatures légendaires, mais ils sont clairement déchus. Alcooliques, isolés, vulgaires, réduits à exercer des professions mal considérées (prostituées, employés des pompes funèbres...), difficile de percevoir derrière ces personnages ceux qui dominaient les mondes anciens.
Avec cette histoire complètement barrée, l'auteur se livre à une critique de certains aspects de la culture américaine et aborde le choc ressenti par les migrants lorsqu'ils arrivent sur cette terre, souvent en très mauvaise posture (esclavage, repris de justice...). Si les divinités m'ont plus amusée qu'autre chose, j'ai été particulièrement intéressée par les passages (trop peu nombreux) où l'on croise des êtres humains (à Lake Side notamment). En découvrir davantage sur Ombre et le voir interagir avec ses semblables me l'a également rendu plus attachant car il manque un peu d'épaisseur au début du roman.
Je me suis longtemps demandé comment Neil Gaiman allait achever cette histoire qui semble ne jamais finir. Mon intérêt était systématiquement relancé lors des passages évoquant les étapes de la colonisation de l'Amérique et les derniers chapitres éclairent tout le reste, montrant le brio de Neil Gaiman qui a bien piégé son lecteur. J'ai toutefois ressenti des longueurs au cours de ma lecture de ce livre (qui est un gros pavé).

Je n'ai pas tout aimé dans ce livre (c'est une constante pour moi lorsque je lis cet auteur), mais c'est assurément un roman qui devrait plaire aux adeptes de Gaiman lorsqu'il se montre irrévérencieux et qu'il mélange les genres. J'ai commencé à regarder la série qui en a été tirée, elle semble très fidèle.  

L'avis de Lili.

Je remercie Audible et Angèle Boutin pour ce livre audio.

Audiolib. 19h11.
2001 pour l'édition originale.

(malgré le thème du livre, Gaiman est bien britannique)

Source: Externe

25 novembre 2017

Le Survenant - Germaine Guèvremont

9782762131284-v1A l'occasion de Québec en novembre, je me suis dit qu'il était temps de sortir ce classique québécois de ma bibliothèque.

Un soir d'automne, un étranger frappe à la porte des Beauchemin. Le père, Didace, sont fils Amable et sa bru Alphonsine voient donc entrer dans leur vie un survenant, c'est à dire quelqu'un qui s'installe chez eux en échange de son travail. Tout le Chenal du Moine fait rapidement la connaissance du nouveau venu qui ne veut pas même dire son nom. Peu à peu, la présence du survenant bouleverse l'équilibre qui existait chez les Beauchemin et leurs voisins. 

Ce livre ne plaira pas à ceux qui cherchent une histoire pleine de rebondissements et d'aventure, pourtant on ne s'ennuie jamais dans ce livre. Il y règne une ambiance délicieuse et le fait de ne pas comprendre tous les dialogues ajoute du charme à cette histoire. En raison du milieu et de l'époque, les personnages s'expriment en effet en patois. 
Les personnages sont très bien croqués, pas forcément attachants mais les rapports qu'ils entretiennent les uns avec les autres sont très réalistes. Les Beauchemin sont les premiers à être impactés par la présence du survenant. En le voyant si volontaire, si dur à la tâche, Didace ne peut s'empêcher de regretter que son propre fils, Amable, se montre si réticent à poursuivre le travail de ses aïeux sur leur domaine. Quant à Alphonsine, elle doit se montrer meilleure maîtresse de maison que d'ordinaire, mais elle n'arrive pas à la cheville de sa défunte belle-mère ou de sa belle-soeur. Chez les voisins, l'arrivée d'un étranger dans le bourg est un événement. On s'en méfie tout en voulant le connaître davantage. Pour les jeunes femmes, cet homme attirant est également l'occasion de tester leur pouvoir de séduction. L'indifférence du survenant à l'égard de celles qui sont considérées comme étant les plus belles est une déception pour ces dernières, d'autant plus cruelle que c'est une boîteuse, Angélina, qui semble avoir remporté le gros lot. N'allez pas imaginer une grande histoire d'amour, les échanges sont succins, mais cet aspect du roman a un fort impact sur certains membres de la communauté.
Le survenant reste longtemps au Chenal. Au printemps, il ne semble pas décidé à reprendre la route. Lui qui refuse de parler de lui, de reconnaître la moindre attache, va-t-il décider de s'établir quelque part ?
En plus des interactions entre les personnages, j'ai aimé les promenades dans la campagne autour du Chenal, les descriptions de l'hiver puis du retour du printemps. C'est vraiment l'idéal de lire ce roman emmitouflée dans un plaid avec la lumière du mois de novembre.

Une lecture très agréable pour participer à Québec en novembre. Il est regrettable que ce livre soit presque introuvable en France. Geneviève Guèvremont a été une suite à cette histoire, Marie-Didace, je vais essayer de me la procurer.

Québec-en-novembre-2017

Romanza a été charmée, Karine beaucoup moins.

Fides. 224 pages.
1945 pour l'édition originale.

30 mars 2016

La part des flammes - Gaëlle Nohant

9782253087434-001-TLe Bazar de la Charité est un événement incontournable en 1897. Toutes les femmes de la haute société veulent en être afin de montrer à tous leur générosité.
Violaine de Raezal, une jeune veuve dont le nom est entaché d'un scandale plus ou moins oublié, tente de s'y introduire. Après avoir essuyé un refus plein de mépris de la part d'une marquise hypocrite, le hasard la mène à la rencontre de la plus flamboyante (ah, ah) des participantes à la grande vente de bienfaisance, la duchesse d'Alençon. Violaine, peu sûre d'elle et un peu trop tendre pour le monde qui l'entoure, découvre une femme qu'elle ne tarde pas à admirer pour son indépendance d'esprit et son altruisme. La duchesse également s'entiche de Violaine, et lui propose une place à son comptoir au Bazar de la Charité, où les deux femmes rencontreront également la jeune et très pieuse Constance d'Estingel.
L'incendie qui éclate le deuxième jour de la vente va rapprocher d'une façon étrange ces trois femmes un peu trop intelligentes et volontaires.

A partir d'un fait divers retentissant, Gaëlle Nohant traite de la question des femmes dans la société française du XIXe siècle. Tout est mis en oeuvre pour les cloîtrer et les conformer au moule prévu pour elles. La religion poursuit son oeuvre entreprise depuis des siècles pour les réduire à des créatures qu'il faut infantiliser, dont il faut se méfier et susceptibles d'être touchées par le péché à tout moment. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, certaines évolutions de la société, au lieu d'apporter une vision plus moderne des femmes, contribue à les rendre suspectes. La presse d'abord, bien que plus développée et libre, peut ruiner des réputations en un article. Quant à la médecine, elle ne sert qu'à confirmer grâce à certains de ses praticiens les diagnostics de maladies typiquement féminines, telles l'hystérie ou la nymphomanie, maladies qui touchent systématiquement les femmes vues comme indépendantes.
On peut cependant regretter des personnages un peu trop prévisibles (Lazlo, le beau noble au nom exotique, poète et journaliste, en est un parfait exemple) et manichéens. Ce manque de consistance des héros gâche un peu un propos par ailleurs bien documenté. Seuls les "méchants" sont plutôt bien croqués, en particulier la marquise de Fontenilles, qui nous ferait presque de la peine dans sa volonté de briser Lazlo pour faire oublier qu'une femme autrefois exhibée comme un trophée ne vaut plus rien quand elle est défigurée.
L'écriture aussi m'a tantôt charmée, tantôt laissée de marbre. Elle est très juste dans la description de l'incendie, dans l'évocation de la soufrance des victimes ou encore dans la charge contre les aliéniste, mais tend à devenir un peu trop banale voire artificielle dès lors qu'il s'agit d'évoquer l'intrigue amoureuse.

Si j'ai lu ce livre avec beaucoup de facilité et apprécié ses qualités, je n'ai pas éprouvé le coup de coeur qu'ont eu Choupynette et Yueyin. Je suis cependant ravie de voir que Gaëlle Nohant poursuit sa route d'écrivain en rencontrant un joli succès.

Le Livre de Poche. 544 pages.
2015 pour l'édition originale.

1 septembre 2013

La plume empoisonnée - Agatha Christie

LaPlumeEmpoisonnee"Comment veux-tu que, dans un coin comme celui-ci, il vous arrive quelque chose de fâcheux ?"

Après ma relecture du délicieux Dix petits nègres, je n'ai pas eu envie de quitter Agatha Christie. Cette fois, j'ai choisi un titre que je ne connaissais pas et qui est très différent.

Suite à un accident d'avion, Jerry Burton est contraint de partir se reposer à la campagne. Il s'installe donc à Lymstock, un charmant village à l'écart de Londres en compagnie de sa soeur. Seulement, il n'y trouve pas le calme escompté. A peine installés, Jerry et Joanna reçoivent une lettre les accusant de ne pas être frère et soeur. Ils découvrent alors qu'ils ne sont pas les seules victimes du mystérieux corbeau.

Voilà un livre tout à fait charmant qui prend son temps pour installer l'intrigue. Dans La plume empoisonnée, l'auteur décortique la vie d'un village anglais où l'on transforme le moindre geste en ragot afin de tromper l'ennui. Les destinataires des lettres sont choquées, mais tout le monde se régale d'une telle intrigue, même lorsqu'une première victime, la très respectable épouse du notaire, est à déplorer.
Il y a également énormément d'humour dans ce livre. Joanna, la soeur du narrateur, est très sarcastique, Megan est impertinente, le narrateur lui même ne se prive pas de faire quelques traits d'humour, ce qui rend l'ambiance presque plaisante et les rappels en fin de chapitre que nous sommes en présence d'une affaire de crime, n'en sont que plus délicieux. Agatha Christie s'amuse en effet avec son lecteur en parsemant son récit d'indices alambiqués qui ne servent qu'à le faire trépigner davantage et rager devant son incapacité à résoudre l'énigme. 
Finalement, Miss Marple fait son entrée de façon assez saugrenue. Pour qui ne connaîtrait pas du tout la vieille dame, il est très difficile de voir en elle un détective hors pair. Elle est présentée comme une simple amie de la femme du pasteur de passage dans la petite ville où les crimes sont commis.
L'auteur est tellement tranquille qu'elle nous offre même des intrigues amoureuses. Celles-ci sont moyennement intéressantes, mais une intrigue de village sans histoires de coeur, c'est toujours étrange.

Au final, un roman qui est loin d'égaler Dix petits nègres, mais plein de charme et intéressant dans la mesure où il permet de montrer qu'Agatha Christie est capable de jouer sur différents registres de romans policiers.

L'avis de Cécile.

1942 pour l'édition originale.

1930181881 logo-challenge-littc3a9rature-culture-du-commonwealth

 

 

10 décembre 2014

La soif primordiale - Pablo de Santis

product_9782070455294_195x320Buenos Aires, années 1950. Santiago, jeune réparateur de machines et homme à tout faire d'un journal, se retrouve propulsé enquêteur spécialisé dans la recherche de personnes en lien avec l'occulte. Envoyé à la recherche d'informations sur les "antiquaires", il rencontre un professeur d'université et sa fille Luisa, dont il tombe amoureux. Mais celle-ci est fiancée à Montiel, un disciple de son père, et lorsque les deux hommes sont mêlés à un interrogatoire d'antiquaire qui s'achève par la mort de ce dernier, la vie de Santiago prend une tournure découlant entièrement de cet événement.

Autant le dire tout de suite, cette lecture a été pour moi un échec total. J'ai mis des semaines à terminer cette histoire manquant cruellement de rythme.
C'est vraiment une question de forme, car le fond y est. Le fantastique arrive de façon impromptue pour le héros, il assiste à un meurtre, passe de l'autre côté de la barrière. Avec la transformation vient la soif primordiale, mais aussi le métier de bouquiniste, l'amour des vieilles choses, et la quête d'un livre permettant à un vampire d'aimer une mortelle. Ces thèmes font généralement mouche tant ils sont indémodables ou précieux pour les boulimiques de lecture, mais ici ça ne fonctionne pas. Les événements, pourtant violents parfois, semblent déconnectés les uns des autres, les personnages ressemblent à des automates, rien n'est familier.
Impossible donc d'éprouver la moindre empathie pour les personnages, à commencer par Santiago. Il est jeune, passionné par les livres, mais complètement spectateur de sa propre vie. Pour le lecteur, relegué spectateur d'un spectateur, ça devient dur de se sentir impliqué.

Le thème de la soif primordiale, celle des vampires, m'a rappelé un film récent, Only lovers left alive. Le rythme y était pourtant très lent aussi, mais il possédait ce truc qui fait qu'on entre dans une histoire (non, je ne parle pas de Tom Hiddleston).

Les seuls passages qui m'ont plu sont ceux qui évoquent les livres et ce qu'ils révèlent de nous.

Pablo de Santis m'aura quand même permis, contre toute attente, de réaliser mon challenge Myself, qui consistait à lire un livre de langue espagnole cette année.

Merci à Anna pour cette lecture.

Vous pouvez trouver ici un avis dithyrambique et très intéressant sur ce livre.

Folio. 273 pages.
Traduit par François Gaudry.
2012 pour l'édition originale.

24 mai 2009

Les maîtres de Glenmarkie ; Jean-Pierre Ohl

resize_4_Gallimard ; 360 pages.
2008.

Manu a été fabuleuse lors du Victorian Christmas Swap. Ce troisième livre, que je viens de refermer, m'a procuré un plaisir de lecture immense. Fashion, Cryssilda, Erzébeth, Karine, Isil, Pimpi, Cuné (pour Dickens) et tous les amoureux de littérature anglaise, vous devez ab-so-lu-ment lire ce roman ! (les autres aussi d'ailleurs)

Ce texte à deux voix commence dans les années 1950, en Ecosse, sur l'île d'Islay. Mary Guthrie s'apprête à partir à Edimbourg afin d'y effectuer des études de lettres. Elle est curieuse et impulsive. "Je raffolais des têtes de chapitres interminables à la Tom Jones, tous les Dans lequel..., Où il advient que... Ma propre vie, pensais-je, n'en était encore qu'à ces préambules, mais connaîtrait bientôt des développements insoupçonnés." Elle est troublée par Ebenezer Krook, le prêtre catholique de l'île, avec lequel elle connaît une aventure d'une nuit. Le lendemain, il fuit, mais Mary a découvert un moyen de continuer à le sentir près d'elle. Il a le sang des Lockhart, une famille écossaise restée fidèle aux Stuarts lors de la première révolution anglaise. Thomas Lochkart est son représentant le plus célèbre. Cet auteur farfelu a, selon la légende, amassé un trésor destiné à la lutte pour le rétablissement des Stuarts sur le trône d'Angleterre, avant de mourir de rire en 1660. Mary va donc entreprendre un mémoire de recherche sur ce personnage, ce qui va la mener à fréquenter la demeure des Lockhart, peuplée de personnages improbables, et de secrets aussi intrigants que dangereux.
En parallèle, Krook renonce à l'Eglise après sa nuit avec Mary, qui est suivie d'une bonne cuite en compagnie de Robin Dennison, un journaliste d'Edimbourg, et d'une bagarre avec son évêque. Il part donc en compagnie de Robin, qui lui trouve un emploi à la librairie Walpole, où l'on ne vend que des livres qui ont plus de cinquante ans, et qui possède des clients aussi loufoques qu'attachants. Krook ne se sépare jamais de Martin Eden, le roman de Jack London que son père, disparu pendant la guerre civile espagnole affectionnait, mais au départ il n'aime pas lire. Il va en découvrir peu à peu le plaisir, et remonter peu à peu la trace du passé de sa famille.

Les maîtres de Glenmarkie est l'un de ces livres qui nous font nous demander comment on a pu attendre aussi longtemps avant de les lire, et qui nous obligent à rogner sur nos heures de sommeil.
La première chose qui séduit est bien évidemment le cadre dans lequel se déroule le récit, les Hébrides intérieures, Edimbourg, le manoir des Lockhart. Le charme de ces lieux semble encore plus familier grâce aux multiples références qui parsèment l'histoire. Dickens est le premier que l'on repère, avec le personnage d'Ebenezer Krook. Stevenson également, est très présent, et je pense que je réaliserais à quel point lorsque j'aurais davantage découvert son oeuvre. Walter Scott, Jacques London, George Orwell, Shakespeare, mais aussi quelques auteurs français et américains sont encore convoqués.
Car ce livre est une véritable déclaration d'amour à la littérature, aux livres, au lecteur et à l'écrivain. Je me suis régalée en notant les références des romans dont il est question, en faisant la connaissance de la librairie Walpole (pour Horace ? ), en écoutant le libraire Walpole parler des livres qu'il vend et des lecteurs loufoques qui poussent la porte de sa merveilleuse boutique (Duff et ses petites-amies qui lui volent toujours sa collection complète de Shakespeare quand elles le quittent, Mitchell qui voudrait établir les règles de la librairie), ou en observant le rapport entre Krook et les livres évoluer. "La première fois que je suis venu, j'ai poussé la porte et j'ai dit : 'Vous avez le dernier... ? ' Mais il ne m'a pas laissé finir, il a dit simplement : ' Non. - Comment ça, non ? - Non, je n'ai pas le dernier roman de Mr. Encore-lui. Ni le quatorzième tome des mémoires de Mrs. Toujours-là... et pas davantage l'ultime opus des gentlemen Coucou-c'est-moi, Je-publie-impertubablement-un-livre-par-an, et Celui-là-est-encore-plus-mauvais-que-le-précédent...' Vous imaginez la tête que je faisais... 'Mais qu'est-ce que vous vendez alors ? - Seulement des livre parus depuis au moins cinquante ans. - Dommage pour James Joyce, Virginia Woolf et Malcolm Lowry... -Sans doute, mais c'est la règle. Cinquante ans, pas un de moins : c'est le no man's land qui nous sépare de l'ennemi... La digue qui nous sépare du flot malsain des livres de circonstance. Des livres superflus, vite écrits, vite lus, vite oubliés.' Il avait son petit air en coin, à la fois patelin et furibard. Puis il m'a tendu la main et offert un cigare ! Et vous savez le plus drôle ? Chez McAvoy ou chez Stone, j'achète les nouveautés en douce, comme si j'avais quelque chose à me reprocher ! "
A ces éléments, Jean-Pierre Ohl a associé une intrigue absolument passionnante, qui amène le lecteur à explorer dans une course folle les secrets d'une famille minée par les émotions trop fortes, par la folie et par la haine, en voyageant dans le temps et dans l'espace, depuis Cromwell jusqu'à la guerre civile espagnole. Le tout avec une bonne dose d'humour, des personnages irresistibles (la folie des Lockhart a eu un effet aphrodisiaque sur moi, je suis tombée amoureuse de Thomas, d'Alexander et de Krook, rien de moins !).

Je ne peux pas vous en dire plus, ce serait un crime de vous gâcher un peu du plaisir intense que l'on éprouve à la lecture de cet excellent livre. Pour ma part, je tente de ne pas me jeter tout de suite sur le premier livre de l'auteur, parce qu'après il n'y en a plus...

Merci encore Manu pour ce cadeau.

Lou, Cécile (Le grand nulle part), Cécile (Cécile's Blog), Ys, Sentinelle, Chiffonnette, Celsmoon et Choupynette ont été conquises elles aussi.
Brize a été déçue. 

27 septembre 2008

Le bruit et la fureur ; William Faulkner

412N12CQA3LFolio ; 384 pages.
Traduction de Maurice Coindreau. 1929.
Titre original : The Sound and the Fury.

Comme vous le savez, je suis d'une nature extrêmement généreuse, et cela donne souvent lieu à des abus. Ainsi, après ma lecture laborieuse de Tandis que j'agonise, Erzébeth, la bouche en coeur, m'a demandé de tester Le bruit et la fureur qui la tentait bien.
Bon, j'avoue que j'avais ce titre en ligne de mire depuis Lumière d'août. La petite fille de la couverture me fait penser à ma cousine (même si ce n'est qu'une impression, de près elles ont juste eu la même coupe de cheveux à un moment donné). Du coup, je ne l'ai pas non plus ouvert en traînant des pieds, et bien m'en a pris.

Encore une fois avec Faulkner, il est impossible de faire un résumé de ce livre. Il se découpe en quatre parties, quatre dates, mises dans le désordre, et dont la chronologie individuelle est également perturbée puisque l'histoire se passe dans la tête de narrateurs troublés. Nous suivons en effet les Compson, une ancienne famille respectée de Jefferson, qui s'effondre.

Ce roman est pour moi le livre de l'année, et sans doute bien plus. Il ne détrône pas Wuthering Heights, je suis bien trop fidèle à mes amours de jeunesse, mais Le bruit et la fureur intègre assurément mon top 10 des meilleurs livres. 
C'est bien simple, il y a tout dedans. On ne comprend d'abord pas dans quoi on se plonge, comme d'habitude, mais c'est encore plus normal dans Le bruit et la fureur que dans les autres romans de Faulkner que j'ai lus. Parce que c'est un roman vrai. Nous suivons les pensées des narrateurs, du coup ces derniers ne pensent pas toujours à préciser de quoi ils parlent, ni de qui, ni de quand, ni d'où. Les phrases sont coupées, parce que les pensées s'entremêlent. Tout cet ensemble donne une justesse et une force incroyable au récit, et dégage une émotion que l'on ne ressent que dans les meilleurs romans. D'une façon générale, des trois livres de Faulkner que j'ai lus, il s'agit de celui qui est étrangement le plus facile à suivre. Dès le début, alors même que l'on ne comprend pas encore qui est qui, ni à quelle date nous sommes, le récit est déjà passionnant. Les pages sans ponctuation, dont il faut deviner les dialogues, sont celles qui m'ont le plus touchée. Parce que ce sont celles où le narrateur (Quentin en l'occurrence) est le plus désespéré.
Oui, parce qu'on peut le dire, ce n'est pas la joie chez les Compson. Ils sont torturés, à la limite de la folie, et remplis d'obsessions, dans une maison lugubre et maudite selon Caroline, la mère. Mais encore une fois, ils sont vrais, grâce à l'usage incessant des monologues intérieurs chers à Faulkner, qui bien que décousus d'apparence, permettent de voyager dans le temps et de comprendre les personnages. Tous les garçons Compson ont une tare. Ben est handicapé, Quentin est amoureux de la seule femme qui lui est absolument défendue, et Jason n'a rien d'un type charmant. Pourtant, si j'ai autant aimé ce roman, c'est parce que ses personnages m'ont bouleversée. Surtout Ben et Quentin, j'ai toujours eu un faible pour les personnages au destin brisé. Nous avons accès à leurs réflexions, à leurs ressentis, et c'est parfois terrible. Même Jason peut être attendrissant, malgré son comportement odieux dans bien des circonstances.
Autour des enfants Compson et de leur mère gravitent les Noirs qui les servent. Ils sont la vie et la stabilité de l'histoire, les derniers piliers de la famille Compson encore debout. Dilsey a élevé les enfants, prépare les repas, empêche les bagarres. Luster s'occupe de Ben. Par ailleurs, le fond et la forme se mêlant sans cesse dans ce livre, ce sont également ces serviteurs qui donnent sa cohérence à l'ensemble du roman.   

Un livre dur donc, mais surtout très émouvant, et parfaitement maîtrisé. Pour moi, il s'agit incontestablement d'un chef d'oeuvre. 

L'avis de Thom.

25 septembre 2008

Twist ; Delphine Bertholon

9782709629942_G_1_JC Lattès ; 428 pages.

Je déteste les romans basés sur des faits divers, alors ma première réaction en lisant le résumé de ce livre qui avait attiré mon attention a été : surtout pas. Puis, j'ai vu une vidéo dans laquelle l'auteur évoque son roman. Les avis de Clarabel et Solène étaient dithyrambiques, alors je me suis laissée convaincre.

Madison est encore une petite fille lorsqu'elle se fait enlever par R., un homme étrange au volant de sa Volvo noire. Elle restera enfermée pendant cinq ans dans une pièce de neuf mètres carrés, à tuer le temps en noircissant des cahiers d'écriture, et à chercher un moyen d'échapper à son ravisseur. Dehors, le temps s'est arrêté pour les parents de Madison. Quant à Stanislas, son professeur de tennis pour lequel elle avait le béguin, il mène une existence triste à Paris.

C'est en effet un roman à trois voix solidement construit que nous propose Delphine Bertholon. Madison, la petite fille enlevée. Stanislas, le garçon pommé. Et la mère, dévastée par la disparition de son enfant.
Cela permet au livre de ne pas se centrer sur le thème de l'enfant séquestré. Aucun détail glauque dans ce roman. Même dans les deux récits qui ne concernent pas directement Madi, la sexualité n'est pas évoquée de façon prolongée, et je pense que c'est volontaire de la part de l'auteur. Le voyeurisme est totalement rejeté. Delphine Bertholon avait un autre objectif avec ce livre, celui de nous parler d'enfermement. Pour Madi, c'est une évidence, la cage qui l'entoure est bien réelle. Sa mère, elle, s'est murée dans son chagrin, et Stanislas, lui, est prisonnier d'une relation qui le détruit mais de laquelle il ne parvient pas à se sortir.
Tous ces personnages deviennent attachants et familiers au cours du récit. Même R., dans une certaine mesure. Car, de la même façon qu'il ne s'agit pas de raconter de la manière la plus croustillante possible le calvaire vécu par Madison, Delphine Bertholon n'a pas écrit sur un monstre. Il ne s'agit pas de raconter que l'on se trouve au pays des bisounours, que cela soit clair. R. reste quelqu'un de distant, et Madison ne le considère jamais autrement que comme un pommé pouvant perdre son sang-froid à tout moment. Mais la personnalité de R. est intéressante dans la mesure où il semble parfois que c'est Madi qui a le contrôle. Elle écrit, et ça la libère, elle le gronde quand il ment, elle l'aide à réorganiser son espace intérieur. Et puis, elle est pleine de vie, dynamique, entreprenante, drôle. Au bout du compte, on a l'impression que celle qui est enfermée est la seule qui cherche la vie.
C'est aussi la seule qui ne souffre pas de son amour. C'est pour Stanislas qu'elle écrit ses cahiers, quand ce dernier se vautre de chagrin après que "Moi-même" soit encore partie sans lui.

Enfin bref, vraiment un roman sympa, à mon tour de vous le recommander !

20 avril 2021

Normal People - Sally Rooney

rooneyMarianne et Connell sont originaires d'une petite ville du nord-ouest de l'Irlande. Bien que Marianne soit issue d'une famille très aisée, elle n'a aucun ami dans le lycée qu'ils fréquentent. Ce n'est pas le cas de Connell, le fils de la femme de ménage, après lequel toutes les filles courent. Durant leur année de terminale, les deux adolescents entament une relation amoureuse, que Connell exige de tenir secrète.
L'année suivante, Marianne et Connell se retrouvent à Trinity College. A Dublin, c'est Marianne dont on recherche la compagnie et qui séduit les hommes, tandis que Connell vit dans un appartement exigu et doit travailler pour financer ses études.

Je mentirais en disant que j'ai détesté ce livre. Je l'ai lu en deux jours et j'étais pressée de le retrouver entre chaque pause. Pourtant, objectivement, le succès de ce livre, en particulier dans le secteur adulte, est assez incompréhensible.
Sur la forme tout d'abord, on ne peut que remarquer l'absence totale de style de l'auteur. Les phrases sont courtes et banales. Les personnages sont des caricatures jusque dans leurs vêtements. Ils boivent comme des trous, fument comme des pompiers, et vomissent quand ils se sentent coupables (que celui qui a déjà vu quelqu'un faire ça ailleurs qu'à la télé lève la main).

Sur le fond ensuite, on ne peut que déplorer la superficialité de l'histoire. Tout va très vite puisqu'on balaie en trois cents pages très aérées une relation de plusieurs années.
Sally Rooney nous rapporte presque uniquement des dialogues entre Marianne et Connell, et c'est là que le bât blesse. Si l'on finit par avoir une idée de la relation entre ces deux jeunes gens (assez intéressante au demeurant), tous les autres sujets abordés comme la maltraitance, l'amour de la littérature, la difficulté de s'élever socialement, sont à peine développés.
Je trouve de plus en plus que les auteurs masculins ne savent pas créer des personnages féminins convaincants, originaux, qui sortent des fantasmes habituels. Ce livre est la preuve que les autrices ne sont pas toujours plus douées. J'attends avec impatience que l'on me présente un jeune homme qui, comme Connell, tire d'Emma de Jane Austen une leçon de vie...

"Un soir, la bibliothèque a fermé au moment précis de sa lecture d’Emma où l’on croit que Mr Knightley va épouser Harriet, et après avoir refermé le livre il est rentré chez lui dans un étrange état d’agitation émotionnelle. Il rit de lui-même, de se laisser prendre aux rebondissements de ce genre de romans. Ce n’est pas très sérieux, intellectuellement, de s’inquiéter pour des personnages de fiction qui décident de se marier. Mais il n’y peut rien : la littérature l’émeut."

A part à la toute fin du roman (et encore, c'est d'une banalité affligeante et utilisé pour clôturer le livre), nous n'avons aucune démonstration du talent de Connell pour l'écriture.

A aucun moment, les discussions entre les personnages ne mettent en valeur les questions soulevées par l'auteur. Marianne boude lorsque Connell dépasse les bornes. Elle ne le confronte jamais, bien qu'il se soit permis de dissimuler leur relation par peur d'entacher sa réputation. A l'inverse, lorsque Marianne décroche une bourse dont elle n'a pas besoin, Connell ne lui dit à aucun moment que son attitude est la définition même de l'égoïsme. C'est au lecteur de remplir les manques.

La deuxième moitié du livre est un peu plus intéressante, puisque Connell questionne sa relation avec Marianne, sa dépendance vis-à-vis de lui et son envie de se sentir normal. Pour sa part, Marianne découvre l'envers de ses amitiés et prend davantage sa vie en main, surtout avec son ultime décision (même si je ne suis pas convaincue que c'est ce que l'auteur voulait montrer). Malgré tout, il n'y a pas de réelle rupture avec le début du roman.

Ce livre n'est donc pas la meilleure pioche si vous aimez les campus novels. Dans le même genre, chez le même éditeur et en nettement plus réussi, je vous conseille Le Roman du mariage de Jeffrey Eugenides. Pour ma part, n'étant pas à une contradiction près, je vais rapidement visionner la série qui l'adapte et dont j'ai entendu le plus grand bien.

Editions de l'Olivier. 320 pages.
Traduit par Stéphane Roques.
2018 pour l'édition originale.

31 mai 2022

Premier amour - Ivan Tourgueniev

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Lors d'une soirée entre amis, Vladimir Petrovitch lit le récit de sa rencontre avec Zinaïda, la fille d'une princesse ruinée, lorsqu'il avait seize ans. Eblouissante, la jeune fille s'entoure d'une nuée d'admirateurs espérant être son futur époux. Vladimir Petrovitch, fortement épris, ne tarde pas à soupçonner que Zinaïda aime un homme et cherche à l'identifier.

J'ai découvert la littérature russe avec ce livre il y a une quinzaine d'années. Le rebondissement final m'avait suffisamment marquée pour que je veuille le relire afin de déterminer si j'avais été aussi naïve que le narrateur. Je dois admettre que oui, qu'iil suffit d'un peu de cynisme et de résignation à l'égard de la nature humaine pour voir le problème arriver à des kilomètres.

Cette constatation de ma défunte et navrante nature fleur bleue mise à part, la redécouverte de cette nouvelle initiatique a été un enchantement. A ceux qui ont peur des auteurs russes, je conseille la lecture de Tourguniev. Il est moins survolté qu'un Tolstoï, moins perturbé qu'un Dostoïevski, tout en étant passionnant et propriétaire d'une très belle plume.

En peu de pages, nous plongeons dans cette intrigue de campagne et rencontrons la communauté dont est entouré le narrateur : ses riches parents qui ont fait un mariage de raison, leurs nouvelles voisines (Zinaïda et sa très vulgaire mère), ainsi que les vieux célibataires (cosaque, médecin, comte...) essayant d'obtenir les faveurs de la jeune princesse. 

Les rapports entre Vladimir Petrovitch et son père sont également très réussis. L'incompréhension entre les membres d'une famille est un thème cher à Tourgueniev, et même s'il ne s'agit pas de politique comme dans Pères et Fils, l'attitude du père du narrateur envers son fils est déterminante pour la construction de ce dernier.

Je suis bien plus friande de pavés que de nouvelles, mais celle-ci fait partie des exceptions.

Librio. 96 pages.
1860 pour l'édition originale.

Source: Externe

6 mai 2022

La Tache - Philip Roth

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Alors que l'affaire Lewinsky défraie la chronique, Coleman Silk, respectable professeur de lettres classiques juif et ancien doyen de la faculté de lettres de l'université d'Athena, est accusé d'avoir tenu des propos racistes par deux étudiants n'ayant jamais assisté à ses cours. Ce scandale est une opportunité pour ses rivaux, en particulier Delphine Roux, la nouvelle doyenne. Même ses amis ne se bousculent pas pour le défendre. L'épouse de Silk ne survivra pas au scandale.
Deux ans plus tard, encore aigri au point d'avoir demandé à Nathan Zuckerman d'écrire un livre sur l'affaire, l'ancien universitaire désormais retraité reçoit un courrier l'accusant d'entretenir une relation abusive avec une femme de ménage de l'université âgée de trente-quatre ans.

Ce roman, pensé comme une suite de J'ai épousé un communiste, est d'une actualité brûlante tout en me semblant moins pertinent que d'ordinaire (pardon Philip). Le parallèle avec la chasse aux sorcières est à nuancer parce que les jeux de pouvoir sont bien différents. Quelle que soit la portée des discours antiracistes et féministes ou de leurs dérives, ils ne sont pas portés par des gouvernants (ou alors par opportunisme électoral, et donc à la merci d'un retournement de veste qui ne manquera pas d'intervenir). Le harcèlement et la cancel culture sont avant tout des armes servant les groupes dominants. Une Delphine Roux est au mieux une exception, plus probablement encore un pur personnage de papier, quoi qu'en disent les petits chéris terrorisés par le soit-disant "islamo-gauchisme".

En revanche, il serait réducteur et périlleux de considérer ce livre comme un simple pamphlet réactionnaire et provocateur. Si Coleman Silk ne peut être considéré comme un cas général, il n'en est pas moins un drame individuel scandaleux. Nous sommes peu de choses face au caractère définitif d'une étiquette. Les individus sont bien plus complexes que ce que n'importe quelle idéologie tente de nous faire croire, et cela vaut aussi pour les chevaliers blancs autoproclamés.

Et puis, quand bien même j'ai grincé des dents, Roth nous présente comme à son habitude des personnages principaux d'une intensité et d'un réalisme incroyables. A l'image d'Ira Ringold et Seymour Levov, Coleman Silk a mené une vie pleine d'espérance, a bâti son rêve américain avant de le voir s'effondrer. Est-on condamné à se piéger soi-même ?

Folio. 479 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
2000 pour l'édition originale.

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