Testament à l'anglaise - Jonathan Coe
"Il n'y a pas de jasmin par ici, n'est-ce pas ?"
Angleterre, 1942. Lors d'un raid aérien contre l'Allemagne, Godfrey Winshaw, fils de l'une des plus importantes familles de l'aristocratie anglaise, est abattu par les nazis. Sa soeur, Tabitha, accuse alors leur aîné, Lawrence, d'avoir comploté avec les Allemands et fait tuer Godfrey. Pour la récompenser, sa famille la fait enfermer dans un asile. C'est de là que quarante ans plus tard, elle contacte Michael Owen, un modeste écrivain, et lui demande d'écrire l'histoire des Winshaw.
J'ai conscience de ne pouvoir vous donner qu'une vision tronquée de ce livre, mais vous devez savoir à quel point je l'ai aimé.
Testament à l'anglaise mélange aussi bien les genres (roman policier, satire politique et sociale) que les formes d'écriture (roman, journal, chronique, extrait de film...), et alterne autant les époques que les narrateurs (tour à tour chacun des membres de la famille Winshaw et Michael Owen).
Nous sommes dans l'Angleterre des année 1970 et 1980 et les Winshaw sont partout. Ils dominent le monde politique, celui de la finance, l'industrie agro-alimentaire, le marché de l'art, le trafic d'armes, et y inoculent leur venin. A travers eux, ce sont les années Thatcher et la première guerre en Irak que Jonathan Coe décortique. Animés par l'appât du gain ou des penchants pervers, les Winshaw démantèlent les services publics, piétinent tous les scrupules qui les empêcheraient de s'en prendre à un être humain ou un animal si cela peut leur apporter quelque profit. C'est évidemment tiré à l'extrême, caricatural, mais c'est amené avec un cynisme délicieux. J'ai particulièrement apprécié la tristesse de Mark après la mort de son épouse dans un accident de la route.
"Mark fut désespéré par cette perte. La voiture était un coupé Morgan Plus 8 1962 bleu nuit, l'une des trois ou quatre existant au monde, et elle était irremplaçable."
Tentant d'écrire sur cette famille, Michael Owen est un homme seul, qui vit dans son passé. Il reste fasciné par une scène du film What a carve up ! (qui est aussi le titre du roman en anglais) vu au cinéma alors qu'il était encore un enfant, ainsi que par le souvenir de Youri Gagarine, le premier homme à avoir voyagé parmi les étoiles. Ces éléments semblent assez anodins, mais prendront tout leur sens lors d'une dernière soirée au manoir des Winshaw, dont le récit clôture le livre, et qui revendique son lien de parenté avec les romans d'Agatha Christie.
"J'ai envie d'une bonne partie de Cluedo. Il n'y a rien de mieux."
Terriblement anglais et magistral.
Folio. 678 pages.
Traduit par Jean Pavans.
1994 pour l'édition originale.