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lilly et ses livres
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japon
8 octobre 2017

Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

9782356415783-TGros succès de la rentrée littéraire il y a quelques années, j'ai profité du Mois américain pour enfin découvrir ce livre de l'auteur américaine d'origine japonaise, Julie Otsuka.

Dans les années 1920, de nombreuses jeunes femmes japonaises prennent le bateau pour rejoindre aux Etats-Unis un mari qu'elles n'ont jamais rencontré. Les marieuses ont bien fait leur travail, promettant à ces filles issues de milieux sociaux hétérogènes qu'un avenir brillant les attendait. Après plusieurs semaines à voyager inconfortablement, les nouvelles mariées rencontrent enfin leur époux. Au déracinement s'ajoute alors la déception d'avoir été trompée : les maris n'ont pas la profession promise, ni les biens. Ils sont plus âgés et leurs manières souvent brutales. Parties trouver une vie meilleure, les jeunes femmes doivent exercer des professions fatiguantes, peu rémunératrices voire humiliantes, tout en étant de plus regardées comme des êtres inférieurs par les Américains.

Ce roman frappe d'abord par sa forme originale. On s'attend à découvrir des personnages dessinés nettement, une narratrice principale, mais nous n'entendrons jamais que le chant uni de ces femmes s'exprimant majoritairement à la première personne du pluriel. Loin d'affaiblir les individualités, ce choix de l'auteur renforce l'expression de leurs peurs, de leurs souffrances. Parfois, un "je" traverse le texte, mais sans que l'on sache qui l'a prononcé ni s'il s'agit d'une voix déjà entendue (et peu importe). Ce style est poétique, dansant, et très bien adapté au format court (je pense que ça lasse sur plusieurs centaines de pages). Lorsqu'à un moment, le chant s'interrompt pour laisser la place à d'autres narrateurs, on sent toute la brutalité de ce qui s'est produit.
Moi qui aime les livres évoquant des destins de femmes, j'ai été servie. Nos héroïnes ne sont pas des victimes sans personnalité, Julie Otsuka ne tombe pas dans le misérabilisme et décrit les faits simplement, voire avec détachement. Elle ne nous épargne rien des brutalités subies lors de la nuit de noce ou ensuite, du mépris dont elles sont victimes, de leurs difficultés à s'habituer à leur nouvelle vie, à avoir des enfants. Mais ce sont aussi des femmes déterminées. Dès la traversée vers les Etats-Unis, certaines choisissent de laisser leur corps s'exprimer ou de renoncer à leur projet marital. Le mariage n'est pas synonyme de malheur pour toutes, et certains passages concernant les Japonaises employées dans les belles maisons m'ont rappelé le meilleur des relations employeur/employée de La Couleur des sentiments. A l'image de la plupart des gens, elles construisent leur vie à partir des possibilités qui s'offrent à elles.
Être une femme n'est pas simple au début du XXe siècle, être une migrante l'est encore moins. Ces femmes sont d'abord contraintes de faire des métiers qui sont les plus mal vus dans leur pays d'origine. Leurs propres enfants finissent par rejeter leur mode de vie (il y a par ailleurs de superbes passages sur la maternité dans ce livre). Enfin, le regard qu'on porte sur elles n'est pas celui que l'on destine à des êtres humains libres et égaux. On souhaite posséder leur corps, leur savoir-faire. Certains compliments sur les Japonais sont de simples préjugés racistes auxquels elles ne peuvent que se conformer. Si elles ne tirent pas parti de l'idée selon laquelle les Japonais sont les plus sérieux, que pourront-elles faire ? 
Enfin, quand vient la guerre après l'attaque de Pearl Harbor, ces Japonaises réalisent que plusieurs décennies aux Etats-Unis ne les ont pas rendues moins suspectes. Traitées comme du bétail et jugées coupables sans procès, personne ou presque ne trouve anormal qu'on les déplace en leur faisant abandonner toute leur vie derrière eux. Pire, beaucoup profitent de la situation et prennent ce qu'ils ont toujours jalousé (les migrants mieux lôtis que les "vrais habitants", ça ne vous rappelle rien ? ).

Un beau texte qui raconte bien plus que l'histoire de ces femmes et qui trouve une résonnance particulière encore aujourd'hui.

L'avis de Lili.

Audiolib. 3h47.
Traduit par Carine Chichereau.
Lu par Irène Jacob.
2012 pour l'édition originale.

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27 octobre 2015

1Q84 - Haruki Murakami

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Pour une fois, j'ai une bonne excuse à mon long silence. Je lisais un roman de plus de 1500 pages. Oui, parce qu'on nous vend 1Q84 comme un livre en trois parties distinctes, mais en fait on ne comprend rien si on s'arrête en route (les mauvaises langues diraient qu'on n'y comprend pas non plus grand chose quand on le lit en entier).
Donc, au lieu de mettre quinze jours à lire cette oeuvre de Murakami, il m'a fallu un bon mois et demi.

De quoi ça parle ? C'est compliqué. Nous sommes à Tokyo en 1984 et nous suivons alternativement deux personnages qui n'ont à première vue pas le moindre lien.
Ca commence doucement. Une jeune femme, Aomamé, est coincée dans un taxi sur la voie rapide. Le chauffeur a allumé la radio qui passe la Sinfonietta de Janacek (moi non plus je ne connaissais pas). Craignant d'être en retard à un rendez-vous, Aomamé décide, sur les recommandations de son chauffeur, de prendre un escalier de secours et de rejoindre la gare la plus proche. Le chauffeur la prévient alors que la réalité pourrait bien être alterée une fois qu'elle sera arrivée en bas des escaliers.
De son côté, Tengo Kawana est un jeune professeur de maths et un écrivain non publié dont l'existence n'a rien de remarquable, jusqu'au jour où l'éditeur qui l'a remarqué lui propose de servir de ghostwriter pour le livre d'une jeune fille de dix-sept ans. Celle-ci, Fukaéri, a une imagination débordante, mais elle manque de style pour que son livre se vende.
De ces deux actes, certes illégaux, mais plutôt insignifiants, vont découler des événements de plus en plus incompréhensibles.

Bien entendu, j'ai décidé de lire ce livre CVT_1Q84-Livre-3--Octobre-Decembre_1586en raison du titre, qui fait immanquablement penser au superbe roman d'Orwell. Au final, les liens entre les deux oeuvres sont peu évidents. L'histoire se passe en 1984, il est question d'une secte dérivée du communisme, diverses allusions sont faites à Orwell, mais l'oeuvre de Murakami prend clairement une direction qui lui est propre. 1Q84, c'est surtout un livre fantastique (au sens littéraire du terme). Nous débutons dans un monde normal, puis nous découvrons que les petits lutins et des choses vraiment beurk peuvent avoir une sorte d'explication, avant de ressortir de ce livre en nous demandant si tout ça n'est pas le fruit d'une grosse hallucination.

1Q84 est un monde fascinant, dans lequel j'ai adoré être plongée. Il m'a séduite par sa poésie, terrifiée par moments aussi (il n'y a rien de plus effrayant que les petites choses inoffensives, les enfants ou les Little people en tête). Murakami arrive à capter l'attention du lecteur grâce à un talent de conteur remarquable, ce qui fait qu'on lui pardonne les nombreuses répétitions. Le rythme est étrange, à la fois rapide et très lent. Rien ne semble se passer, et pourtant nous assistons à des meurtres, des phénomènes surnaturels, des fuites, des mises au point. La routine est aussi rompue dans le troisième tome, où un troisième narrateur entre en jeu.

Dans les trucs gonflants (oui, parce que je suis malgré tout un peu partagée), il y a l'histoire d'amour entre Aomamé et Tengo, sur laquelle se concentre le dernier tome. Les seins de la jeune femme occupent aussi une place à mon sens assez excessive dans ce livre. C'est d'autant plus regrettable que des personnages disparaissent de la scène sans explication pour laisser la place au couple central. Fukaéri par exemple. Au moment où l'on commence à percevoir une explication à ses actes, où l'auteur soulève une interrogation essentielle (qui avons-nous vraiment en face de nous ? ), l'intrigue s'en détourne pour ne plus y revenir. Je n'ai rien contre les livres qui laissent des questions en suspens, la frustration a du bon, mais dans ce livre, j'ai l'impression que Murakami se concentre sur quelque chose qui n'est pas essentiel, et tombe dans la facilité, faisant d'une oeuvre originale une lecture qui laisse un arrière-goût de mièvrerie.

Un pavé qui se lit avec beaucoup de plaisir et servi par un suspens qui tombe malheureusement un peu à plat dans la dernière ligne droite. A découvrir.

Belfond. 3 tomes (environ 1800 pages).
Traduit par Hélène Morita.
2009-2010.

4 juin 2014

Le peintre d'éventail - Hubbert Haddad

3218992835_1_2_CXL00NYqAprès des années d'absence, Hi-han retourne voir Matabei, son vieux maître. Celui-ci lui livre alors l'histoire de sa vie, dans la pension de Dame Hison, où il fut amant de l'ancienne courtisane puis jardinier.

J'ai mis un moment à me plonger dans ce livre. J'ai même songé à renoncer, tellement les descriptions me gonflaient, tellement les petites phrases de début et de fin de chapitre me semblaient surfaites. Je ne suis pas quelqu'un de patient, peu d'auteurs parviennent à me captiver avec des pages entières de descriptions.

Et puis, j'ai décidé de me secouer, de lâcher prise et de me concentrer, pour finalement laisser la magie opérer.
Le peintre d'éventail, c'est une drôle d'histoire. Le prologue laisse entendre qu'il faut s'attendre à découvrir une histoire captivante, à un personnage extraordinaire (ce fameux peintre d'éventail), mais lorsque la rencontre se produit, c'est déstabilisant d'une façon que l'on n'avait pas anticipée.
L'espace dans lequel se déroule l'action est très restreint. Une maison semblant hors du monde, ainsi que quelques montagnes et un lac alentours. Le nombre des acteurs aussi est réduit : à peine une dizaine, les habitants de la pension, presque des fantômes au début tellement ils se confondent. Puis, on se met à distinguer Dame Hison, les amants Ken et Anna, le maladroit Hi-han, et surtout Matabei et son obsession pour le jardin. Ils nous deviennent familiers, et dans ce havre de paix on se prend à se sentir en sécurité, apaisé.
Chacun de ces personnages a fuit le monde. Dame Hison est une ancienne courtisane, Ken et Anna fuient la haine d'un mari jaloux, Enjo est une jeune fille égarée. Ils semblent n'exister que dans le monde clos que forment la maison et son magnifique jardin.
L'art de communier avec la nature, de la dessiner, de l'écrire, est d'abord maîtrisé par Osaki qui le transmet à Matabei. Lorsque Hi-han rejoint la demeure, le nouveau jardinier tente de l'initier.

Puis, tout s'écroule. Matabei était arrivé à la pension de Dame Hison en partant sur les traces de la jeune fille qu'il avait renversée sous un tunnel à Kobe, peu avant le tremblement de terre. La seconde réplique de ce drame précipite à nouveau Matabei dans une réalité insupportable.

Pourtant, Hubert Haddad ne modifie son écriture à aucun moment. Le rythme reste calme, et c'est sans doute ce qui m'a le plus impressionnée dans ce livre : comment l'auteur parvient à faire passer tant de choses, tant d'émotions en restant si simple dans son propos.

Un beau moment de lecture.

Merci à Lise et Anna de Folio pour le livre.

Folio. 179 pages.
2013 pour l'édition originale.

2 février 2014

" Les plus belles choses, disait-il toujours, vivent une nuit et s'évanouissent avec le matin. "

56757571Rien de tel, pour mettre un terme à une panne de lecture, que de se tourner vers les auteurs qui savent vous envoûter. Cela faisait presque cinq ans que je n'avais pas lu Kazuo Ishiguro, mais les retrouvailles ont été somptueuses.

1948. Masugi Ono est un peintre retraité. Il s'est retiré dans une villa confortable avec la plus jeune de ses filles, Noriko. Alors que les négociations pour le mariage de cette dernière sont en cours, il se remémore sa jeunesse, ses erreurs, et observe le basculement du Japon vers un nouveau monde.

Comme à son habitude, c'est par le biais d'un narrateur faisant le bilan de sa vie que Kazuo Ishiguro s'exprime. Le début est donc posé, assez vague. On comprend qu'Ono a été un personnage important, et sa vie semble tranquille. A mesure qu'il fait des allers-retours dans le temps, on perçoit cependant qu'il a beaucoup perdu avec la guerre, mais qu'il n'est pas seulement une victime pour la société japonaise.
Un artiste du monde flottant devient en fait assez vite un livre parlant de l'histoire du Japon. Il nous explique comment ce pays a basculé vers l'impérialisme, à quel point le patriotisme a compté durant la guerre, et comment il a fallu gérer l'après, les conséquences de la capitulation. Le tout est fait avec beaucoup de retenue et de finesse. Kazuo Ishiguro met l'accent sur l'être humain, reste à son niveau, et c'est ce qui rend son livre aussi réussi.

"Nous avons été des hommes ordinaires durant une époque qui ne l'était pas : nous n'avons pas eu de chance."

J'ai une connaissance très limitée de la littérature japonaise, mais il semble y avoir de nombreuses oeuvres traduisant le malaise des générations nées après la Deuxième Guerre mondiale vis à vis de ce que leurs aînés ont fait, comme on peut en trouver en Allemagne. Les mentalités japonaises ont évolué. Les visées expansionnistes, le rejet du modèle occidental font partie du passé, et ce livre met l'accent sur les différents bouleversements que cela entraîne dès la fin de la guerre. Ono rencontre des jeunes gens très désireux de tirer un trait sur la guerre. Le ménage est fait dans les entreprises, le suicide de certains dirigeants est accueuilli avec soulagement, un homme handicapé est roué de coups parce qu'il continue à entonner des chants patriotiques.
Ono lui-même est renié par ses anciens disciples car ce livre pose aussi la question des finalités de l'art. Clairement, plusieurs visions s'opposent dans ce livre par le biais des grands maîtres que l'on croise. Le peintre doit-il peindre l'invisible, rester dans le monde flottant, ou au contraire ancrer son travail dans le monde réel ? Ono est allé au-delà de cette dernière conception de son travail. Il a "trahi" son ancien maître pour soutenir la politique de propagande de son pays. Bien que rempli de bonnes intentions, il ne peut que reconnaître son erreur quelques années plus tard. D'abord de manière sous-entendue, puis clairement lorsque s'achève le livre.

Probablement l'un des meilleurs romans de l'auteur (je sais, je dis ça à chaque fois). 

Un artiste du monde flottant - Kazuo Ishiguro
Folio. 342 pages.

Traduit par Denis Authier.
1986 pour l'édition originale.

 

20 septembre 2010

Le Clan des Otori, I : Le Silence du Rossignol ; Lian Hearn

9782070302581Folio ; 371 pages.
Traduit par Philippe Giraudon.
2002
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Tomasu, un adolescent membre de la communauté des Invisibles, dans un Japon ancien et imaginaire, vit paisiblement avec sa mère, son beau-père et ses soeurs. Mais cette communauté est méprisée par Iida le plus important chef de guerre Tohan. Un soir, alors qu'il rentre dans son village, il découvre que les siens ont été massacrés. Repéré, il offense Iida en personne, avant de s'enfuir. Dans sa course, il rencontre sire Shigheru, un seigneur Otori, qui le place sous sa protection et le ramène chez lui où il lui donne un nouveau nom, Takeo.
Là-bas, il se trouve mêlé à des intrigues de palais, mais découvre également ses origines et les étonnantes facultés qui en découlent. Il rencontre également l'amour, à travers la belle Kaede, et le désir de vengeance, qui lui était jusqu'alors défendu.

Heu... Vous m'aviez bien dit que cette série était géniale, non ? Juste pour que les choses soient claires, voici un extrait savoureux, bien écrit, auquel il est impossible de résister. Kaede vient de rencontrer Takeo, et il lui a fait un effet dingue :

"Quand le garçon fut hors de vue, elle eut l'impression d'avoir perdu une part d'elle-même. Elle rentra à l'auberge avec Shikuza, qu'elle suivit comme une somnambule. En regagnant sa chambre, elle tremblait comme sous l'effet d'une fièvre violente."

Très franchement, le traitement des relations amoureuses est vraiment moyen dans ce livre, et cela sans doute en raison de la faiblesse du traitement du personnage de la jeune fille, que j'ai trouvé à la fois contradictoire et caricatural. Kaede a été négligée depuis son enfance, mais elle fait preuve d'une très grande lucidité d'esprit et d'une capacité à encaisser les chocs remarquable malgré tout, sans oublier d'être nunuche à souhait, à la fois femme affirmée et princesse en détresse (et le pire est que l'on va forcément se farcir cette intrigue amoureuse dans les tomes suivants... sauf si Lian Hearn en élimine un, mais je vais y revenir).
Au niveau du reste du récit, je suis davantage convaincue, même si je n'ai malheureusement pas ressenti le coup de coeur que j'attendais. Lian Hearn développe ainsi longuement les valeurs et les traditions des cultures qu'elle décrit. Celles-ci ont une importance de premier plan, d'autant plus que la magie a sa place  dans ce livre, et c'est ainsi que Takeo découvre peu à peu ses origines. Si j'ai trouvé que l'intrigue peinait à décoller, cet aspect est bien traité et crée une ambiance un peu onirique et poétique.
De plus, l'auteur ne s'enfonce finalement pas entièrement dans une histoire facile et prévisible. La violence de certaines scènes en témoigne, on ne fait pas que se regarder dans le blanc des yeux quand on est amoureux (ou pas), et la fin est loin de ressembler à celle des contes de fées. Même si encore une fois, la séparation des deux amoureux, est un aspect traité un peu trop facilement.   

Le tout est donc plutôt sympathique, permet de se dépayser un peu, mais est surtout assez creux.  Sur un support différent, mais dans un genre assez proche et beaucoup plus réussi, j'avais été envoûtée par Princesse Mononoke d'Hayao Miyazaki. La série de Lian Hearn s'arrête là pour moi...

L'avis de Lou, complètement opposé au mien (ça change !).

 

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18 novembre 2009

Faire l'amour ; Jean-Philippe Toussaint

1037346_gf_1_Minuit ; 159 pages.
2002
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Pour me repérer un peu dans l'actualité littéraire, j'ai décidé d'écouter Le masque et la plume il y a quelques semaines. Les chroniqueurs, très partagés sur les autres livres critiqués, ont tous adoré le dernier livre d'un auteur que je connaissais jusque là vaguement de nom, La Vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint. Il s'agit du troisième livre mettant en scène Marie et son narrateur et amant. Voulant pour une fois bien faire les choses (et aussi ne pas mettre encore de l'argent dans un livre que j'aurais ensuite envie de jeter), j'ai décidé de commencer par le début, à savoir Faire l'amour.

Nous sommes à Tokyo, et Marie pleure. Elle sait, comme notre narrateur, que son histoire d'amour est en train de s'achever, et qu'ils s'apprêtent à faire l'amour pour la dernière fois. "Mais combien de fois avons-nous fait l'amour pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent." Ils occupent une chambre dont le lit est jonché de robes de collection, et ils ne savent pas encore exactement comment les choses vont s'achever. Elle se cache les yeux, lui se réconforte avec le flacon d'acide qu'il garde dans sa poche.

Faire l'amour est un livre ensorcelant, grâce à l'écriture de Jean-Philippe Toussaint, qui nous donne le sentiment de toucher ce qu'il décrit.  Tout est à l'envers. Le rythme est lent, mais il y a une tension permanente dans ce récit. Les personnages font l'amour, mais c'est de la haine qu'ils crient.

"... à mesure que l'étreinte durait, que le plaisir sexuel montait en nous comme de l'acide, je sentais croître la terrible violence sous-jacente de cette étreinte."

Le narrateur et Marie sont venus ensemble à Tokyo, mais tous d'eux savent qu'ils n'ont jamais été plus loin l'un de l'autre. La bouche de Marie est close, et son compagnon, malgré le désir infini qu'il éprouve pour elle, ne fera rien pour la reconquérir. Peu de mots sont échangés, mais tout ce qu'ils vont faire ou ne pas faire les précipite vers la fin de leur histoire. Comme ce parapluie tombé sur le sol, qui semble représenter une dernière chance.

"Il était impossible, de toute façon, qu'un de nous ramasse jamais ce parapluie à présent."

Dans un Japon hypnotique, à la fois complice et lointain, les derniers instants de cet amour défilent. Notre narrateur cherche des signes qu'il ne cesse finalement de repousser. Et l'on ignore jusqu'aux dernières lignes si la violence et la frustration, qui semblent parfois se substituer à son indécision va finalement prendre le dessus.

C'est un très belle surprise.

Pour un billet digne de ce nom, allez plutôt du côté de chez Gaëlle

18 mars 2009

Lumière pâle sur les collines ; Kazuo Ishiguro

resize_4_10/18 ; 256 pages.
Traduit par Sophie Mayoux.
V.O. : A Pale View of Hills. 1982.

Lettre I du Challenge ABC :

Kazuo Ishiguro est l'un de mes auteurs préférés, même si jusque là je n'avais lu que Les vestiges du jour et surtout Auprès de moi toujours.
Avec Lumière pâle sur les collines, le premier roman de l'auteur, j'ai pu le suivre pour la première fois dans son pays d'origine, le Japon. Je pensais vraiment m'attaquer à une oeuvre assez mineure d'Ishiguro, mais je peux vous assurer que ce livre défend à lui tout seul le génie de l'auteur.

Etsuko est une Japonaise, qui a quitté son pays d'origine quelques années après la guerre, en compagnie d'un deuxième époux. De son premier mariage, elle avait eu une fille Keiko. Celle-ci vient d'être retrouvée pendue dans sa chambre à Manchester lorsque le livre débute, des années plus tard. Elle avait quitté sa mère depuis six ans, incapable de s'adapter à la vie en Angleterre et à sa nouvelle famille.
A l'occasion d'une visite de sa deuxième fille Niki, Etsuko se remémore son passé. Elle se souvient de Jiro, son premier mari, au temps où elle attendait Keiki. Elle revoit aussi les deux occupantes mystérieuses d'une petite maison près de chez elle, Sachiko et sa fille Mariko. Cette gamine qui aimait tant les chats, et qui ne voulait pas s'en aller.

Dans ce livre, on retrouve tout ce qui fait le charme d'Ishiguro. Son style d'abord, faussement détaché, qui nous fait pourtant ressentir parfaitement l'atmosphère dans laquelle l'histoire se déroule. Les phrases se suffisent à elles mêmes, et ne nécessitent aucun artifice. Une remarque ironique n'a pas besoin d'être signalée, ni même un immense chagrin.
Etsuko nous emmène à Nagasaki, ville qui, comme chacun le sait, a été particulièrement meurtrie par la Deuxième Guerre mondiale. Les familles sont détruites, et les repères ont disparu. Car au-delà des personnages que nous cotoyons et des bâtiments détruits, le Japon tout entier voit s'opérer des changements très importants. Les légendes entourant l'Histoire du Japon sont remises en cause, les tenants de l'ancienne doctrine sont poussés vers la sortie. Tout n'est qu'opposition entre les modes de vie occidental et japonais, et l'existence d'Etsuko sera exactement à cette image.
Elle est mariée à un homme qui ne partage pas les événements qui le touchent avec elle, et qui lui accorde une place qui ferait bondir à peu près n'importe quel individu qui a intégré les valeurs occidentales (dans mes rêves en tout cas). Son beau-père est quant à lui profondément choqué d'apprendre qu'une femme peut ne pas partager les opinions politiques de son mari. En face d'Etsuko, se reflète l'image de Sachiko qui, elle, ne rêve plus que d'ailleurs, et qui refuse d'attendre la vieillesse dans les pièces vides et silencieuses de la maison de son oncle. Elle ne peut accepter une vie dans laquelle les femmes se battent pour faire le repas, non parce qu'elles aiment faire la cuisine, mais parce que cela leur permet de s'occuper un peu. Elle préfère espérer en vain plutôt que de renoncer. Elle veut offrir le meilleur à sa fille, et essaie de se convaincre qu'elle fait le bon choix.
Aucun jugement n'est prononcé dans ce livre, et personne n'est diabolisé. Au contraire, si on ressort de ce roman avec le sentiment que quelque chose n'a pas marché, on réalise surtout que toute décision aurait nécessité des sacrifices. Etsuko le sait, et l'on voit apparaître chez cette femme la terrible résignation propre aux personnages d'Ishiguro. Il m'arrive parfois de me demander comment je réagirais si dans quelques années, je devenais quelqu'un que la fille d'aujourd'hui mépriserait. Ce roman montre bien à quel point il s'agit d'une situation compliquée sans réponse toute faite. 

Lumière pâle sur les collines ne lève pas tous ses mystères, mais il s'agit surtout d'un livre magnifique et bouleversant. J'ai été soufflée.

L'avis d'Erzébeth, conquise elle aussi (et là je vois que Fashion n'aime pas Ishiguro !!). Erzébeth, si tu passes par là, j'aimerais bien discuter de quelques trucs avec toi.
Rose aussi a aimé.

Mon compte en banque tient aussi à remercier la personne qui a revendu Un artiste du monde flottant dans sa toute nouvelle édition Folio à mon bouquiniste, sans même l'avoir ouvert visiblement. 

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