Lumière pâle sur les collines ; Kazuo Ishiguro
10/18 ; 256 pages.
Traduit par Sophie Mayoux.
V.O. : A Pale View of Hills. 1982.
Lettre I du Challenge ABC :
Kazuo Ishiguro est l'un de mes auteurs préférés, même si jusque là je n'avais lu que Les vestiges du jour et surtout Auprès de moi toujours.
Avec Lumière pâle sur les collines, le premier roman de l'auteur, j'ai pu le suivre pour la première fois dans son pays d'origine, le Japon. Je pensais vraiment m'attaquer à une oeuvre assez mineure d'Ishiguro, mais je peux vous assurer que ce livre défend à lui tout seul le génie de l'auteur.
Etsuko est une Japonaise, qui a quitté son pays d'origine quelques années après la guerre, en compagnie d'un deuxième époux. De son premier mariage, elle avait eu une fille Keiko. Celle-ci vient d'être retrouvée pendue dans sa chambre à Manchester lorsque le livre débute, des années plus tard. Elle avait quitté sa mère depuis six ans, incapable de s'adapter à la vie en Angleterre et à sa nouvelle famille.
A l'occasion d'une visite de sa deuxième fille Niki, Etsuko se remémore son passé. Elle se souvient de Jiro, son premier mari, au temps où elle attendait Keiki. Elle revoit aussi les deux occupantes mystérieuses d'une petite maison près de chez elle, Sachiko et sa fille Mariko. Cette gamine qui aimait tant les chats, et qui ne voulait pas s'en aller.
Dans ce livre, on retrouve tout ce qui fait le charme d'Ishiguro. Son style d'abord, faussement détaché, qui nous fait pourtant ressentir parfaitement l'atmosphère dans laquelle l'histoire se déroule. Les phrases se suffisent à elles mêmes, et ne nécessitent aucun artifice. Une remarque ironique n'a pas besoin d'être signalée, ni même un immense chagrin.
Etsuko nous emmène à Nagasaki, ville qui, comme chacun le sait, a été particulièrement meurtrie par la Deuxième Guerre mondiale. Les familles sont détruites, et les repères ont disparu. Car au-delà des personnages que nous cotoyons et des bâtiments détruits, le Japon tout entier voit s'opérer des changements très importants. Les légendes entourant l'Histoire du Japon sont remises en cause, les tenants de l'ancienne doctrine sont poussés vers la sortie. Tout n'est qu'opposition entre les modes de vie occidental et japonais, et l'existence d'Etsuko sera exactement à cette image.
Elle est mariée à un homme qui ne partage pas les événements qui le touchent avec elle, et qui lui accorde une place qui ferait bondir à peu près n'importe quel individu qui a intégré les valeurs occidentales (dans mes rêves en tout cas). Son beau-père est quant à lui profondément choqué d'apprendre qu'une femme peut ne pas partager les opinions politiques de son mari. En face d'Etsuko, se reflète l'image de Sachiko qui, elle, ne rêve plus que d'ailleurs, et qui refuse d'attendre la vieillesse dans les pièces vides et silencieuses de la maison de son oncle. Elle ne peut accepter une vie dans laquelle les femmes se battent pour faire le repas, non parce qu'elles aiment faire la cuisine, mais parce que cela leur permet de s'occuper un peu. Elle préfère espérer en vain plutôt que de renoncer. Elle veut offrir le meilleur à sa fille, et essaie de se convaincre qu'elle fait le bon choix.
Aucun jugement n'est prononcé dans ce livre, et personne n'est diabolisé. Au contraire, si on ressort de ce roman avec le sentiment que quelque chose n'a pas marché, on réalise surtout que toute décision aurait nécessité des sacrifices. Etsuko le sait, et l'on voit apparaître chez cette femme la terrible résignation propre aux personnages d'Ishiguro. Il m'arrive parfois de me demander comment je réagirais si dans quelques années, je devenais quelqu'un que la fille d'aujourd'hui mépriserait. Ce roman montre bien à quel point il s'agit d'une situation compliquée sans réponse toute faite.
Lumière pâle sur les collines ne lève pas tous ses mystères, mais il s'agit surtout d'un livre magnifique et bouleversant. J'ai été soufflée.
L'avis d'Erzébeth, conquise elle aussi (et là je vois que Fashion n'aime pas Ishiguro !!). Erzébeth, si tu passes par là, j'aimerais bien discuter de quelques trucs avec toi.
Rose aussi a aimé.
Mon compte en banque tient aussi à remercier la personne qui a revendu Un artiste du monde flottant dans sa toute nouvelle édition Folio à mon bouquiniste, sans même l'avoir ouvert visiblement.