Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lilly et ses livres
Newsletter
Derniers commentaires
xixe siecle
31 octobre 2020

Portrait de femme - Henry James

portrait" - Je l'ai trouvée par un jour pluvieux dans une vieille maison d'Albany, assise dans une pièce lugubre, lisant un ouvrage indigeste et s'ennuyant à périr. Elle ignorait qu'elle s'ennuyait mais je ne lui ai laissé aucun doute sur ce point et elle m'a paru très reconnaissante de ce service. "

Lorsque Mrs Touchett, épouse d'un respectable banquier américain établi en Angleterre, revient chez son époux avec sa nièce, elle est loin de se douter des conséquences de sa décision. Isabel Archer, jeune américaine peu fortunée mais avide de connaissances et d'expériences, va charmer l'Europe, à commencer par son oncle et son cousin, le chétif Ralph.
Son tempérament orgueilleux et quelques mauvaises rencontres vont cependant bien vite lui jouer des tours.

C'est avec beaucoup d'appréhensions que j'ai ouvert ce livre. Henry James est un auteur dont j'ai adoré certains titres, essentiellement des nouvelles, mais qui m'a également procuré d'inoubliables moments d'ennuis avec ses romans.
La malédiction semble rompue. Portrait de femme est peut-être mon plus gros coup de coeur de l'année (j'hésite encore avec Les Raisins de la colère). Je ne me rappelle plus à quand remonte la dernière fois où j'ai, comme ici, repoussé l'heure de mon coucher de façon très imprudente pour avoir le plaisir de lire encore un chapitre, puis un autre. J'ai atteint la dernière page avec un mélange d'impatience et d'appréhension tant j'étais avide de connaître le dénouement tout en souhaitant que cette histoire s'étire encore et encore.

L'intrigue m'a captivée de bout en bout. J'ai autant savouré l'aventure anglaise d'Isabelle Archer que son arrivée en Italie. J'ai éprouvé toute l'affection du monde pour le vieux Mr Touchett et son fils, bien que ce dernier ne soit pas exempt de défauts. J'ai admiré avec un peu de mépris Henrietta Stackpole, Mrs Touchett et même la comtesse Gemini. J'ai évidemment détesté Mrs Merle et Mr Osmond.
James étudie avec une finesse absolue la psychologie de ses personnages. Certes, il se moque souvent d'eux, critique leurs travers et ceux de leur époque : le radicalisme hypocrite de Warburton, l'indépendance et la frivolité de la journaliste américaine, l'attitude encourageante d'Osmond face aux idées de son épouse, à condition que ce soit aussi les siennes... Mais derrière cette légèreté, tous les habitants de ce livre ont leur complexité et sont incarnés de façon admirable. Les lecteurs naïfs (dont je suis) peu habitués à rencontrer des personnages aussi peu manichéens, sont bernés et éprouvés par l'auteur. Les mariages sont tous désastreux, les amitiés parfois très malsaines. S'il semble impossible de comprendre Isabel  à première vue tant ses décisions semblent absurdes, une prise en compte du décalage entre ses aspirations, ses prétentions, ses faiblesses et ses traditions ne peut que conduire au destin qui est le sien. De même, des personnages comme la comtesse Gemini et Henrietta Stackpole se révèlent bien moins superficielles et stupides qu'elles n'y paraissent ou le clament.

" - Quelle dommage qu'elle soit si charmante, déclara la comtesse. Pour être sacrifiée, la première venue aurait fait l'affaire. Pas besoin d'une femme supérieure.
- Si elle ne l'était pas, votre frère ne l'aurait jamais regardée. Il exige ce qu'il y a de mieux. "

Et si Mrs Touchett a ses défauts, sa dernière phrase au sujet de la maternité m'a brisé le coeur. 

J'aimerais vous citer tous les passages que j'ai notés. Chaque phrase de ce roman est un bijou. Chaque mot est à la bonne place pour produire l'effet voulu. Jusqu'à la dernière page (quelle fin !!! ). Il y a de la répartie, de l'humour, toute une palette de sentiments, des descriptions grandioses. On compare parfois James à un peintre, la lecture de ce livre m'a également donné cette impression.

" Le vieux gentleman assis près de la table basse était arrivé d'Amérique trente ans plus tôt ; il avait apporté avec lui, dominant tout son bagage, sa physionomie américaine. Non content de l'avoir apportée, il l’avait entretenue dans un état parfait, de telle sorte qu’il aurait pu la ramener en toute confiance dans son pays natal, en cas de nécessité. "

James est donc un peintre de la physionomie et de la psychologie humaine, mais aussi un peintre des lieux qu'il nous fait visiter. L'Italie surgit sous sa plume. Je suis retournée dans les ruines de Rome et à la Galerie des Offices. J'ai senti la douceur de Florence; l'amertume de Rome et le temps pour le moins changeant (mais tout aussi délicieux à mon goût) de l'Angleterre.

Un livre qui m'a fait rire, qui m'a enchantée, bouleversée et révoltée à la fois. L'une des meilleures recettes pour faire un chef d'oeuvre.  Lisez-le !

Les avis de Dominique et Keisha.

10/18. 689 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.

Publicité
6 juillet 2020

Le Guépard - Giuseppe Tomasi di Lampedusa

guépardAlors que l'Italie s'apprête à devenir une nation en conquérant le royaume des Deux Siciles, Don Fabrizio, prince de Salina, contemple la disparition de son monde. Ses enfants le déçoivent, sa pieuse épouse ne lui inspire plus que des sentiments fraternels. Seul Tancredi, son neveu, pourtant engagé auprès des Piémontais, suscite son affection.

Il m'est difficile de parler de cette œuvre. J'ai peur de vous rebuter alors qu'il s'agit d'un coup de coeur. Vous ne trouverez pas de passion contrariée ici, ni de batailles épiques. Toutes ces choses se passent au loin et le lecteur n'est témoin que de leur impact sur les Salina. Inexorablement, sous l'action du temps, Don Fabrizio, le vieux guépard, voit ses maisons se fissurer, ses terres être démembrées, son influence disparaître.

Ce livre étonnant a été accusé d'être réactionnaire lors de sa parution. En effet, l'ambiance est surranée et Don Fabrizio est décrit avec une admiration nostalgique. C'est un personnage superbe. Face à lui, la classe montante est incarnée par Don Calogero Sedàra, le maire de Donnafugata,  dont le style vestimentaire laisse à désirer et dont l'épouse, une simple paysanne est soigneusement cachée. Lorsque Tancredi s'éprend d'Angelica, la flamboyante fille de Don Calogero, personne n'imagine qu'il puisse naître un attachement entre un jeune homme de si haute naissance et la petite fille de celui qui était surnommé " Peppe ’Mmerda ".

Pourtant, le clairvoyant don Fabrizio est sincère lorsqu'il appelle le peuple de ses terres à voter contre ce qu'il représente. En refusant une fonction honorifique et inutile au nouveau sénat, il prouve également qu'il a accepté son sort. Sa fille ne se battra pas davantage quand la maison Salina ne sera plus habitée que par des fantômes ou le vieux chien de son enfance empaillé.

"J’appartiens à une génération malheureuse, à cheval entre les temps anciens et les nouveaux, et qui se trouve mal à l’aise dans les deux. De plus, comme vous-même avez pu vous en rendre compte, je suis sans illusions ; que ferait donc le Sénat de moi, d’un législateur inexpérimenté à qui manque la faculté de se leurrer lui-même, cette qualité essentielle requise pour ceux qui veulent guider les autres ? Ceux de notre génération doivent se retirer dans un coin et regarder les culbutes et les cabrioles des jeunes autour de ce fastueux catafalque. "

On pourrait éventuellement voir dans la description des membres du parti piémontais, qui truquent les élections, ou dans celle du fonctionnaire chargé de recruter un sénateur effrayé par les histoires horribles que les Siciliens prennent un malin plaisir à lui raconter, une taquinerie contre le nouveau régime.

" ...ces cochons de la Mairie engloutissent mon opinion, ils la mâchent et puis la chient transformée comme ils veulent. Moi, j’ai dit noir et eux me font dire blanc ! Pour une fois que je pouvais dire ce que je pensais, cette sangsue de Sedàra m’annule, comme si je n’avais jamais existé, comme si je n’étais rien mêlé à personne, moi qui suis Francesco Tumeo La Manna fils de feu Leonardo, organiste de l’Église Mère de Donnafugata, mille fois son maître à lui auquel j’ai même dédié une mazurka que j’ai composée quand est née cette… (et il se mordit un doigt pour se retenir) sa mijorée de fille ! "

J'y vois davantage une description des excès de toutes les révolutions ainsi qu'un fort attachement à la Sicile et à ses habitants.

Et puis, quelle finesse dans l'écriture ! Bien que l'on ressente la résignation du vieux guépard, l'auteur fait preuve d'un humour teinté d'amertume qui ajoute de la légèreté dans le récit au point que je me suis surprise à rire à plusieurs reprises.

Je vous recommande absolument ce livre aussi beau que tragique. 

Comme souvent, c'est Dominique qui m'a convaincue de découvrir enfin ce grand classique.

Audiolib. 9h05.
Lu par Denis Padalydès.
1958 pour l'édition originale.

30 juin 2020

Vingt mille lieues sous les mers - Jules Verne

Vingt mille lieues sous les mersAlors qu'un supposé monstre marin géant sème la terreur sur toutes les mers du globe, un navire est affrété pour le capturer. Le Professeur Arronax, professeur au Musée d'Histoire naturelle de Paris, fait partie de l'équipage. Il est accompagné par son serviteur, le fidèle Conseil. A bord de l'Abraham Lincoln, ils font la connaissance d'un harponneur canadien, Ned Land.
L'expédition ne se déroule pas comme prévu, mais elle conduira nos personnages à vivre de nombreuses aventures jusqu'au fond des mers.

C'est Ellettres et Lili qui m'ont enfin décidée à découvrir Jules Verne, dont je ne crois pas avoir lu la moindre ligne ni même vu une seule adaptation jusque-là. Cette rencontre n'est pas un coup de foudre, mais je l'ai quand même appréciée.

La première raison pour laquelle ma lecture n'a pas été un succès complet est totalement indépendante de l'oeuvre de Jules Verne. La version audio est déplorable. Le lecteur a une voix semblable à celle des répondeurs vocaux des services après-vente. Il ne respecte pas la ponctuation et lit toutes les phrases avec le même enthousiasme benêt. Tous les personnages ont la même voix, ce qui est très perturbant. Moi qui écoute beaucoup de livres, c'est la première fois que je suis confrontée à ce problème.
En ce qui concerne le texte, certaines énumérations d'espèces de poissons m'ont un peu lassée et la vision du monde de Jules Verne est assez caractéristique du XIXe siècle. L'auteur n'est pas non plus toujours très fin lorsqu'il nous donne des explications scientifiques. Le ton professoral adopté par le Capitaine Nemo, qui explique en détails toutes ses inventions, n'est pas ce qu'il y a de plus passionnant, surtout pour un lecteur de notre époque.
Pour en finir avec les défauts du livre, les personnages manquent de profondeur à mon goût. Nous n'avons pas accès à leurs pensées profondes ni à aucun détail intime les concernant. Les trois "invités" du Nautilus parlent uniquement de leurs conditions de vie, de leur envie de partir de plus en plus pressante. Ils n'évoquent jamais le moindre la moindre personne qui les attendrait, comme s'ils étaient aussi retirés du monde que leur capitaine.

Malgré tout, coincée dans un sous-marin avec ces quatre personnages assez hermétiques, j'ai été plutôt captivée par l'histoire du Professeur Arronax. Nous explorons toutes les mers du monde, certaines batailles contre les éléments ou certains animaux sont épiques et donnent de la vivacité au récit.

Enterrement sous-marin -Edouard RiouSurtout, l'énigmatique Capitaine Nemo est un personnage à la hauteur de sa réputation. Dans Bleak House de Dickens, un personnage prend ce pseudonyme signifiant "personne" pour se dissimuler aux yeux du monde. Le commandant du Nautilus aussi a décidé de rayer sa personne de la surface. Il apparaît comme misanthrope, rejette la terre et ses habitants avec le plus grand dégoût. Ne se nourrissant que des produits de la mer, il a juré qu'il ne remettrait jamais les pieds sur un continent émergé. Malgré cela, il reste un homme comme en témoigne son attitude affable à l'égard de ses passagers. Son affection pour son équipage transparaît à plusieurs reprises. Plus tard, nous découvrons aussi qu'il n'a pas complètement tourné le dos à ses semblables mais je ne vous en dirais pas plus. Ce personnage est la force principale du livre.

J'ai aussi apprécié le discours écologiste de ce roman. Ce n'est pas la première fois qu'un auteur du XIXe siècle parle de la protection de l'environnement dans une oeuvre que je lis. J'imagine qu'un amoureux des merveilles de la Terre comme Verne ne pouvait ignorer ces questions.

 

" — A quoi bon, répondit le capitaine Nemo, chasser uniquement pour détruire ! Nous n’avons que faire d’huile de baleine à bord.

— Cependant, monsieur, reprit le Canadien, dans la mer Rouge, vous nous avez autorisés à poursuivre un dugong !

— Il s’agissait alors de procurer de la viande fraîche à mon équipage. Ici, ce serait tuer pour tuer. Je sais bien que

c’est un privilège réservé à l’homme, mais je n’admets pas ces passe-temps meurtriers. En détruisant la baleine australe comme la baleine franche, êtres inoffensifs et bons, vos pareils, maître Land, commettent une action blâmable. C’est ainsi qu’ils ont déjà dépeuplé toute la baie de Baffin, et qu’ils anéantiront une classe d’animaux utiles. Laissez donc tranquilles ces malheureux cétacés. Ils ont bien assez de leurs ennemis naturels, les cachalots, les espadons et les scies, sans que vous vous en mêliez. »

Je laisse à imaginer la figure que faisait le Canadien pendant ce cours de morale. Donner de semblables raisons à un chasseur, c’était perdre ses paroles. Ned Land regardait le capitaine Nemo et ne comprenait évidemment pas ce qu’il voulait lui dire. Cependant, le capitaine avait raison. L’acharnement barbare et inconsidéré des pêcheurs fera disparaître un jour la dernière baleine de l’Océan. "


Un première lecture de Jules Verne dont je ressors surtout intriguée. Il me faudra d'autres lectures pour me faire un avis sur l'auteur.

Audible. 17h02.
Lu par Mathieu Thomas.
1869-1870 pour l'édition originale.


Il existe aussi chez Folio. 705 pages.

 

Source: Externelogo-challenge-pavevasion

21 juin 2020

Bleak House - Charles Dickens

bleak housePersonne ne se sait exactement depuis quand le procès Jarndyce contre Jarndyce fait rage. " D’innombrables enfants sont devenus parties au procès par la naissance ; d’innombrables jeunes gens par le mariage ; d’innombrables vieillards ont cessé de l’être en mourant. Des dizaines et des dizaines de personnes se sont trouvées de manière affolante impliquées dans l’affaire Jarndyce et Jarndyce sans savoir comment ni pourquoi ; des familles entières ont hérité de haines légendaires en même temps que du procès. Le petit demandeur ou le petit défendeur à qui l’on avait promis un nouveau cheval à bascule pour le jour où l’affaire Jarndyce et Jarndyce serait réglée a grandi, a fait l’acquisition d’un vrai cheval et s’en est allé trotter dans l’autre monde. "
C'est dans ce contexte que la jeune orpheline Esther Summerson, élevée par une marraine lui ayant répété toute son enfance qu'elle a fait le déshonneur de sa famille en voyant le jour, puis envoyée après la mort de sa bienfaitrice dans une école, est finalement employée par Mr Jarndyce dans sa demeure de Bleak House. Elle rencontre lors de son voyage vers son nouveau domicile les deux pupilles de Mr Jarndyce, Ada Clare et Richard Carstone. Les trois jeunes gens vont dès lors former un trio inséparable.
Au même moment, l'orgueilleuse Lady Deadlock, également impliquée dans le procès, s'évanouit à la vue d'un simple document tendu par Mr Tulkinghorn, avoué de son mari.

Même si je dois avouer que j'ai été contente de voir le bout de cette énorme brique (presque 1400 pages), je tiens enfin le livre qui me donne envie de rajouter Dickens à la liste des auteurs que j'admire.

Sa plume est incroyable. Il nous fait passer du rire aux larmes, excelle aussi bien dans la description des phénomènes météorologiques que dans l'art de croquer les personnages.
Il utilise son art pour critiquer les institutions politico-judiciaires anglaises, et le moins que l'on puisse dire est qu'elles (ainsi que leurs membres) en prennent pour leur grade.

« Question (numéro cinq cent dix-sept mille huit cent soixante-neuf) : Si je vous comprends bien, il est incontestable que ces procédures réglementaires sont source de retards ? Réponse : Oui, d’un certain retard. Question : Et de frais considérables ? Réponse : Bien évidemment elles ne peuvent pas être appliquées pour rien. Question : Et d’indicibles tracasseries ?. Réponse : Je ne suis pas en mesure de l’affirmer. Elles n’ont jamais été source de tracasseries pour moi personnellement ; tout au contraire. Question : Mais vous estimez que leur abolition porterait tort à une catégorie d’hommes de loi ? Réponse : Je n’en ai pas le moindre doute. Question : Pouvez-vous donner en exemple un type de cette catégorie ? Réponse : Oui. Je citerais sans hésitation M. Vholes. Il serait ruiné. Question : M. Vholes est-il considéré dans les milieux professionnels comme un homme respectable ? Réponse (qui a porté le coup de grâce à l’enquête pour dix ans) : M. Vholes est considéré dans les milieux professionnels comme un homme éminemment respectable. »

Jarndyce contre Jarndyce préfigure Le Procès de Kafka, comme le note Jean-Pierre Ohl dans sa biographie de l'auteur. Nous n'en savons rien, n'y comprenons rien. Krook, le vieux fou qui entasse des masses de papier est un reflet de tous les Chanceliers ayant officié dans l'affaire. Le coup de grâce final est aussi terrible que brillant, mais je ne vous en dirais pas plus.

Si l'entreprise de Dickens avec ce roman est de critiquer la société anglaise, il y met aussi bien d'autres choses, à commencer par des personnages inoubliables.
Esther Summerson, l'une des deux voix du roman (l'autre étant celle de l'auteur), a des airs de Jane Eyre, aussi bien en raison de son enfance qu'à cause de sa personnalité. Son destin est moins fougueux que celui de l'héroïne de Charlotte Brontë, mais elle affronte la pauvreté, le scandale, la déception amoureuse, pour elle ou pour ses amis. C'est une vraie héroïne de roman victorien.

Coavinses arrête SkimpoleLes autres personnages sont nombreux (cela m'a d'ailleurs déboussolée au début) et représentent chacun une profession ou une classe sociale. Certains sont détestables tant ils sont pervertis par l'appât du gain et ont un comportement absurde. Le vieil usurier incapable de marcher, les dames de charité négligeant leurs enfants pour poursuivre des causes plus nobles (même si la vision de la femme par Dickens qui ressort est très conservatrice), Mr Turveydrop obsédé par son maintien, le soit-disant enfant Mr Skimpole qui refuse de prendre la moindre responsabilité et précipite sans scrupule commerçants, amis et famille dans la misère, pourraient sortir d'un roman de Lewis Carroll. Dickens ne se gêne pas pour les traiter avec sarcasme et mépris. Derrière ces personnages, on entrevoit les ombres de certains personnages de la vie de Dickens, en particulier ses parents. Mr Skimpole a le même rapport à l'argent que le père de Dickens. Ses proches le traitent en enfant, et Esther elle-même est d'abord magnanime envers lui. C'est pourtant l'un des personnages les plus détestables du livre.

A travers d'autres figures Dickens rend heureusement son histoire poignante. Les pauvres gens ont évidemment sa sympathie. Le petit Jo, qui balaye son carrefour, mange les mots et vit dans un taudis de Tom-tout-seul sans rien demander à personne est un exemple de la misère scandaleuse dans laquelle vivent de trop nombreux enfants dans l'Angleterre triomphante du XIXème siècle. Il m'a fait pleurer le bougre.

" Jo vit — c’est-à-dire que Jo n’est pas encore mort — dans un coin en ruine, connu de ses semblables sous le nom de Tom-tout-seul. C’est une rue noirâtre, délabrée, évitée par tous les gens convenables ; d’entreprenants vagabonds s’y sont emparés des maisons branlantes, quand leur décrépitude était déjà fort avancée, et, après s’être rendus maîtres des lieux, se sont mis à les louer en appartements. À présent ces habitations croulantes contiennent nuitamment un grouillement de misère. De même que sur une créature humaine tombée en ruine apparaît une vermine parasitaire, de même ces abris en ruine ont engendré un pullulement d’existences nauséabondes qui se glissent pour entrer et sortir par les interstices des murs et des palissades, qui se pelotonnent pour dormir, nombreux comme des asticots, là où dégoutte la pluie ; ces êtres vont et viennent, apportent et remportent la fièvre et sèment trop de maux à chacun de leurs pas pour que Lord Coussif, Sir Thomas Doussif et le duc de Foussif et tous ces beaux messieurs du gouvernement, jusqu’à Zoussif inclus, y portent remède en cinq cents ans, bien que nés expressément pour le faire. "

Aucun mariage de gens modestes n'est célébré sans que Dickens évoque la nécessité d'éduquer les mariés, hommes ou femmes. Krook qui essaie d'apprendre à lire, est aussi fou que triste à contempler. Lorsque le naïf Richard est englouti comme tant d'autres avant lui dans le procès qui a gouverné la vie de sa famille, on tremble pour lui.
Il y a aussi le si brave soldat George, le généreux Alan Woodcourt, le suprenant inspecteur Bucket, Charley, Jenny...

C'est un monde que nous offre Dickens avec ce roman, dont les thèmes sont bien plus nombreux et les intrigues sont bien plus subtilement imbriquées que ce que mon pauvre billet laisse entendre. Un chef d'oeuvre que Gallimard a eu mille fois raison d'éditer enfin dans une édition grand public de qualité. A quand les autres ?

Les avis de Keisha et de Cuné.

Folio. 1469 pages.
Traduit par Sylvère Monod.
1853 pour l'édition originale.

8 juin 2020

Charles Dickens - Jean-Pierre Ohl

dickens" Pour trouver un équivalent français à sa gloire, il faudrait additionner celles de Balzac, pour l’ampleur et la richesse du tableau social d’une époque, Hugo ou Zola, pour la stature morale et l’envergure de l’homme public, Dumas, enfin, pour l’engouement populaire. Et encore échouerait-on à saisir le lien si particulier qui unissait l’auteur à sa nation, le tacite plébiscite en vertu duquel il devint, malgré les critiques féroces que lui inspiraient bien des coutumes et des institutions de son pays, le chantre de tout un peuple. "

J'ai beau aimer les auteurs anglais plus que tous les autres, Charles Dickens ne m'a pour l'instant jamais conquise au point de le citer parmi mes incontournables. Autant dire qu'il fallait bien que j'admire des admirateurs de l'écrivain pour que je me lance de nouveau dans l'un de ses romans.
J'ai lu la biographie de Marie-Aude Murail juste après la naissance de mon fils. Ce livre est très beau, mais avec un nouveau-né je n'envisageais pas de lire des pavés de plus de mille pages. En revanche, cette biographie de Jean-Pierre Ohl, dont j'ai adoré Les Maîtres de Glenmarkie et apprécié les autres livres est tombée au bon moment. Ohl n'a pas écrit cette biographie par hasard. Ses livres sont truffés d'allusions à Charles Dickens, quand ils ne sont pas des réécritures de ses livres (Monsieur Dick ou le dixième livre est une drooderie).

Les amateurs de biographies exhaustives et pointues préfèreront sans doute se plonger dans la biographie de Peter Ackroyd dont la renommée n'est plus à faire, mais pour les autres ce travail de Jean-Pierre Ohl sera une délicieuse incursion dans la vie de Charles Dickens.

On y découvre d'abord l'enfance plutôt traumatisante du petit Charles. Né dans une famille qui aurait pu vivre confortablement, il est victime de l'insouciance de ses parents. Vivant au-dessus de leurs moyens ou montant des projets irréalistes, John et Elizabeth Dickens vont compromettre l'éducation de leur fils qui devra de plus travailler dans des conditions difficiles alors que son père est enfermé à la prison pour dettes. De cette expérience heureusement brève, il gardera une rancune tenace contre ses parents (surtout sa mère), une connaissance parfaite de Londres et de ses rues ainsi qu'une vision précise des bas-fonds de la capitale anglaise.

Prison de la Marshalsea

Dès son entrée dans la vie adulte, il devient un journaliste remarquable, capable de retranscrire les événements parlementaires qu'il couvre comme nul autre. Mais, très vite, il se lance dans l'écriture de feuilletons. Son succès est foudroyant, aussi bien grâce à son génie qu'en raison de son culot. Ainsi, lorsqu'on lui propose de collaborer à une oeuvre illustrée par Robert Seymour, alors bien plus connu que lui, il obtient que ce soit sa vision et non celle du dessinateur qui prime. L'oeuvre en question deviendra Les Papiers posthumes du Pickwick Club. Il y aura ensuite de nombreux romans que l'auteur se chargera de faire publier de la façon la plus rentable pour lui, quitte à se brouiller avec ses éditeurs.
Bourreau de travail, Dickens tient à publier un récit de Noël chaque année. Il lance son propre journal, publie Elizabeth Gaskell, se lie avec Wilkie Collins (en revanche, George Eliot refuse ses propositions). C'est un auteur très engagé dans la lutte contre la pauvreté. Les workhouses le dégoûtent. Sa popularité est telle que ses oeuvres inspirent les politiques. Il ne se gênera donc pas pour se servir de sa plume en faveur des plus faibles.
Avec le soutien de ses éditeurs, il entreprend un grand voyage aux Etats-Unis dont il reviendra très mitigé. L'esclavage le révolte, l'amour de l'argent des Yankees aussi. De plus, en l'absence d'une loi internationale sur les droits d'auteur, les éditeurs américains publient les textes de Dickens sans le rétribuer, ce qui constitue pour lui une perte financière considérable.

Catherine Hogarth par Maclise, ami de DickensMalgré son succès, les deuils se succèdent tout au long de sa vie et expliquent selon son biographe la tristesse qui se dégage des oeuvres de Dickens, même dans les situations comiques. Après avoir connu un premier échec amoureux, l'écrivain épouse Catherine Hogarth, dont il aura dix enfants. Cependant, il est très attaché à la soeur de son épouse, Mary, qui vient vivre avec eux et dont la mort brutale semble avoir été le plus grand drame de sa vie.

"Charles ôte alors de la main de Mary une bague qu’il glisse à son propre doigt où elle restera jusqu’à sa mort."

Georgiana, la cadette des soeurs Hogarth prendra la place de Mary et se montrera très proche de son beau-frère également, allant jusqu'à le soutenir lors de la rupture des époux Dickens, lorsque Charles rencontre le dernier amour de sa vie, Ellen Ternan, une jeune actrice.

S'il admire son oeuvre et fait avec brio des liens entre la vie de son sujet et son oeuvre, Jean-Pierre Ohl ne fait pas de Charles Dickens un saint. C'est un génie qui a inspiré jusqu'à Kafka, un homme soucieux de l'éducation des masses, qui abhorre la violence, mais dans l'intimité il est un père plutôt absent et un mari difficile. Avec ses amis, ses éditeurs et ses ennemis, il sait se montrer impitoyable et revanchard. La seule chose qu'il ne peut supporter est la vision d'une veuve ou d'un orphelin.

" Lorsque Macrone meurt subitement, il consacre de longues semaines de son temps précieux à composer un volume dont les ventes seront intégralement versées à la veuve de son ancien « ennemi ». "

La fin de sa vie, bien qu'il soit au sommet de sa gloire, que ses lectures publiques soient plébiscitées et qu'il double son patrimoine, est marquée par l'angoisse. Dès quarante ans il ressemble à un vieil homme. Le scandale provoqué par sa liaison avec Ellen Ternan le plonge dans la paranoïa. Cinq ans exactement avant sa mort, il est victime d'un accident de train terrible qui le marque profondément. Le Dickens dont les tenues bariolées attiraient les moqueries a bien changé.

La biographie ne prend pas fin avec la mort de Dickens, qui a trouvé le moyen de garder son oeuvre vivante pour l'éternité. En effet, il laisse derrière lui un roman inachevé, Le Mystère d'Edwin Drood, qui a rendu fou nombre de ses admirateurs, dont Jean-Pierre Ohl qui consacre un dernier chapitre à ce sujet.

Une lecture très agréable qui m'a donné envie de lire la biographie des soeurs Brontë par Jean-Pierre Ohl et de redonner sa chance à Dickens. Depuis ma lecture de cette biographie, j'ai débuté Bleak House. Affaire à suivre donc (1350 pages tout de même ! ).

L'avis de Karine.

Folio. 320 pages.
2011.

Publicité
1 juin 2020

Middlemarch - George Eliot

middlemarch" Middlemarch, ce livre magnifique qui, malgré toutes ses imperfections, est l'un des rares romans anglais écrits pour des adultes." (Virginia Woolf)

Alors que l'Angleterre est en proie à des bouleversements religieux et politiques, Tertius Lydgate, jeune et ambitieux médecin, vient s'installer à Middlemarch. Avec le soutien du riche M. Bulstrode, il veut créer un nouvel hôpital et bouleverser les pratiques traditionnelles de la médecine, au grand dam de ses confrères. La douce et belle fille du maire, Rosamond Vincy, est séduite par ce nouveau venu.
Dorothea Brooke, de son côté, rejette la main de Sir James Chettam, préférant s'unir au vieux M. Casaubon dans lequel elle voit un grand intellectuel, digne de Pascal ou Milton, qui aurait bien besoin d'une épouse aussi admirative que dévouée pour l'aider dans son travail.

Je pense que Middlemarch était dans ma PAL depuis ma découverte de la littérature anglaise, soit depuis 2006...
Comme souvent lorsqu'on découvre un tel livre, je me suis demandée pourquoi j'avais attendu si longtemps avant de le lire. Je suis cependant ravie de l'avoir gardé de côté puisque certains aspects qui m'ont enchantée m'auraient peut-être moins intéressée il y a quelques années. Il m'a fallu quelques pages pour entrer dans l'histoire, mais ensuite cela a été un plaisir jusqu'à la dernière page.

Si la plume de George Eliot n'a pas la finesse de celle de Jane Austen, si son monde est moins sombre et passionné que celui des soeurs Brontë, elle leur est supérieure par bien d'autres aspects. Middlemarch est un roman réaliste, brillant et complet. En le lisant, j'avais en tête les mots de Mona Chollet sur la tendance des auteurs féminins à parler de l'intime quand les auteurs masculins évoquent ce qui est considéré comme les "grands problèmes du monde". George Eliot réalise avec succès la synthèse de ces deux objectifs.

George EliotJ'ai dû au cours de ma lecture relire une brève biographie de l'auteur, parce que j'étais persuadée qu'elle était l'épouse tranquille d'un pasteur (ce qui est en réalité la vie d'Elizabeth Gaskell) et que cela me semblait très incompatible avec l'écriture d'un livre tel que Middlemarch. George Eliot a eu une vie bien plus sulfureuse, et cela se ressent dans ce roman, aussi bien dans la vision de la société qu'il offre que dans la peinture de ses personnages, les femmes en particulier.

L'auteur n'hésite pas à parler des affaires du monde, qu'il s'agisse de politique, de religion ou de sciences. Middlemarch est une ville dans laquelle les forces en présence sont représentatives de la société et s'affrontent plus ou moins violemment. Ce livre est loin de n'être qu'un roman intimiste comme on pourrait s'y attendre en lisant son résumé. La destinée des personnages est avant tout guidée par leurs prises de position (ou celles de leurs proches) dans les débats qui agitent la société anglaise. Le docteur Lydgate en particulier, très attaché à l'idée de pratiquer une médecine moderne et honnête, est immédiatement haï des autres médecins de la ville qui n'attendent qu'une occasion de lui faire perdre toute crédibilité. Son attitude déconcerte aussi nombre de ses patients en attente de miracles et de méthodes placebo.
Dorothea se bat pour l'amélioration des conditions de vie des métayers, harcèle son oncle et son beau-frère, se lamente lorsqu'elle ne peut trouver des individus à soutenir. Comme le souligne son ami Will Ladislaw, l'équilibre de la société est en train d'être bouleversé, que les Lords le veuillent ou non.

Dorothea Brooke et Will LadislawLa place des femmes est aussi un sujet central du roman. A la docile cadette des Brooke, Célia, qui trouve dans le mariage et la maternité l'aboutissement heureux de son existence, s'opposent les trois figures féminines principales du roman, Dorothea Brooke, Mary Garth, et même à sa façon et malgré elle, Rosamond Vincy. George Eliot en fait des personnages de caractère, ayant leur propre vision de ce qu'une femme est en droit d'exiger dans le mariage. De leur côté les hommes voient dans les femmes des êtres incapables de prendre des décisions bonnes pour elles-mêmes (et, souligne ironiquement George Eliot, pour la réputation de leur digne famille). Dorothea est ainsi tenue dans l'ignorance d'un fait la concernant soit-disant pour son bien, un fait décidé encore une fois pour l'empêcher de commettre une grave erreur. Même Lydgate, qui a à coeur le bonheur de sa femme et admire en Dorothea la femme indépendante et déterminée, espère trouver en Rosamond "ce parfait échantillon de féminité qui allait vénérer l'esprit de son mari à la manière d'une sirène accomplie et ne se servir de son peigne et de son miroir et ne chanter ses chansons que pour offrir à son mari une détente à la sagesse de ce seul homme adoré" (on appréciera le sarcasme dont fait preuve l'auteur).
Que ce soit en matière d'amour, de relation matrimoniale ou de politique, les représentantes de la gent féminine n'hésitent pas à interpeler violemment leurs interlocuteurs et à dénoncer leur lâcheté en les regardant droit dans les yeux. 

Pour finir, Middlemarch est également un roman délicieusement anglais, avec des vieilles filles appréciant de participer aux complots des amoureux, de vertueuses femmes mariées plaignant aussi sincèrement que possible les scandales éclaboussant leurs amies tout en savourant leur thé, et des individus prêts à se jeter sur le moindre morceau d'héritage ou d'argent à portée de main sans la moindre pudeur.

Un incontournable pour tous les amateurs de littérature anglaise et de quoi débuter ce Mois anglais de la meilleure façon !

Les avis de Keisha et de Dominique.

logo-le-mois-anglais-2020

Folio. 1152 pages.
Traduit par Sylvère Monod.
1862 pour l'édition originale.

9 mai 2020

Les Misérables - Victor Hugo

misérables" Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. "

En 1815, après avoir passé dix-neuf ans au bagne (initialement pour un simple vol de pain), Jean Valjean est libéré. " Il avait cru à une vie nouvelle. Il vit bien vite ce que c'était qu'une liberté à laquelle on donne un passeport jaune. " Rejeté par tous, il trouve refuge pour une nuit chez le père Myriel, évêque de Digne.
Durant la nuit, l'ancien forçat vole les couverts en argent du prélat et s'enfuit. Arrêté par les gendarmes et ramené au domicile du père Myriel, Jean Valjean se croit perdu. Pourtant, l'évêque nie le vol et offre deux chandeliers au récidiviste.
" - Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu. "
Décidé à ne plus faire que le bien, Jean Valjean s'établit à Montreuil-sur-Mer, fait fortune, aide les pauvres, conseille les paysans.
Cependant, un inspecteur de police, Javert, est bien décidé à traquer l'ancien forçat et à ne pas le laisser mener l'existence d'un homme ordinaire.

Jean Valjean à la sortie du bagne. Gustave Brion

Si Zola, Balzac et Dumas sont régulièrement évoqués sur les blogs littéraires, d'autres auteurs emblématiques du XIXème siècle sont beaucoup plus discrets. Victor Hugo est pourtant un auteur que j'apprécie depuis de très nombreuses années et que je compte bien découvrir davantage.

Je ne vais pas vous dire que je n'ai jamais trouvé le temps long. Hugo est un maître dans le domaine de la digression et, selon ses affinités, tel ou tel passage de cet énorme pavé va presque inévitablement sembler interminable au lecteur.

Et pourtant, quel souffle romanesque, quelle solennité, quelle richesse et quelle poésie on trouve dans ce livre !

Hugo nous offre un panorama du premier tiers du dix-neuvième siècle, de Waterloo aux débuts de la Monarchie de Juillet. Bien que l'Empire puis la royauté aient triomphé, ils portent involontairement en eux les apports de la Révolution française.
Les Misérables est un livre politique. Hugo y plaide à de nombreuses reprises pour l'instruction gratuite et obligatoire pour tous. Son héros, qui n'en a pas bénéficié, va s'instruire par les livres. L'auteur attaque aussi la gestion de la société par ses dirigeants. Il s'indigne du manque d'équité dans la redistribution des richesses (décidément, mes lectures se répondent en ce moment). Pour lui, toute réflexion, toute pensée doit avoir pour but le progrès, elle ne peut se suffire à elle-même. Les auteurs ont un rôle à jouer.
Le système judiciaire indigne Hugo. La peine de mort lui est insupportable, de même que le bagne, qui brise les hommes et les pousse à la récidive.

" Jean Valjean était entré au bagne sanglotant et frémissant ; il en sortit impassible. Il y était entré désespéré ; il en sortit sombre. Que s'était-il passé dans cette âme ? "

Cosette. Gustave BrionUn personnage incarne la Justice implacable, l'inspecteur Javert. Cet homme intelligent, incorruptible, même à son endroit, voit en Jean Valjean un criminel alors même que toutes ses actions en font un saint.

" Javert était né dans une prison d'une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. En grandissant, il pensa qu'il était en dehors de la société et désespéra d'y rentrer jamais. Il remarqua que la société maintient irrémissiblement en dehors d'elle deux classes d'hommes, ceux qui l'attaquent et ceux qui la gardent ; il n'avait le choix qu'entre ces deux classes ; en même temps il se sentait je ne sais quel fond de rigidité, de régularité et de probité, compliqué d'une inexprimable haine pour cette race de bohèmes dont il était. Il entra dans la police. "

Javert n'est pas qu'un personnage, c'est le porte-parole de la société, qui ne voit pas l'homme derrière le forçat et qui n'attend qu'une occasion pour le renvoyer au bagne. Mais, est-ce cela, la justice ?

Je disais plus haut que certains passages m'avaient paru interminables. Je dois cependant reconnaître qu'ils ont malgré mon ressenti leur utilité. En effet, ce livre n'est pas l'histoire d'un pan de la société comme la plupart des autres romans. C'est un monde à lui tout seul. On y croise toutes les tendances politiques, le clergé, les riches et les pauvres, les honnêtes et les malfrats.

Pour incarner ce monde, on trouve dans Les Misérables une galerie de personnages inoubliables. L'évêque de Digne, qui devrait être insupportable tant il est bon. Le vieux conventionnel fidèle à ses idéaux révolutionnaires jusqu'à son lit de mort. Le Père Mabeuf, cet amoureux des livres et de son jardin, qui sacrifie son dernier trésor pour sa femme de charge. Eponine, la fille Thénardier, fidèle à celui qu'elle aime jusqu'à la mort. Monsieur Gillenormand, ce vieillard plein de défauts mais fou de son petit-fils. Javert et Jean Valjean, évidemment.

Et puis, les enfants. Hugo est magnifique lorsqu'il parle des enfants. J'ai été bouleversée par Cosette, brimée par les Thénardier, mais déposant son soulier dans la cheminée le soir de Noël.

L'Eléphant de la Bastille. Les Misérables" Cosette, avec cette touchante confiance des enfants qui peut être trompée toujours sans se décourager jamais, avait mis, elle aussi, son sabot dans la cheminée.
C'est une chose sublime et douce que l'espérance dans un enfant qui n'a jamais connu que le désespoir. "

Mais mon préféré restera sans conteste Gavroche, ce bébé mal-aimé des Thénardier devenu un garçon aussi généreux qu'insolent, aussi brave qu'inconscient. On rit de toutes ses bêtises et de toutes ses effronteries. Croisant deux gamins abandonnés, il les ramène dans son abri, l'éléphant de la Bastille, projet artistique napoléonien avorté, mais refuge de choix.

" L'Empereur avait eu un rêve de génie ; dans cet éléphant titanique, armé, prodigieux, dressant sa trompe, portant sa tour, et faisant jaillir de toute part autour de lui des eaux joyeuses et vivifiantes, il voulait incarner le peuple ; Dieu en avait fait une chose plus grande, il y logeait un enfant. "

Enfin, Les Misérables est un hommage à Paris. L'auteur connaît par coeur les rues, les bâtiments et même les égouts de la capitale, cette ville qui connaît tant de transformations au dix-neuvième siècle. Il nous en décrit les moindres briques.
Il connaît son peuple et la révolte qui l'anime.

Un roman que j'aurais aimé découvrir sans en connaître le moindre morceau. Je pense que je l'aurais encore plus apprécié.

L'avis d'Icath.

logo-challenge-pavevasion

Thélème. 56h52.
Lu par Michel Vuillermoz, Elodie Huber, Pierre-François Garel, Louis Arène et Mathurin Voltz.
1862 pour l'édition originale.

30 avril 2020

Les Vagabonds du rail - Jack London

vagabonds" J’ai souvent songé que c’est à cet entraînement particulier de mes jours de vagabondage que je dois une grande partie de ma renommée de conteur. "

En 1894, à tout juste dix-huit ans, Jack London devient un hobo, l'un de ces vagabonds qui montent clandestinement à bord des trains afin de se déplacer. A travers les Etats-Unis et le Canada, l'auteur, récemment converti au socialisme, observe et s'indigne. Cette expérience lui servira plus tard à écrire Les Vagabonds du rail.

Certains chapitres sont plutôt légers. Ils décrivent comment les vagabonds du rail parviennent à se faufiler dans les wagons. Cela nécessite une habileté incroyable tant les cheminots ont pour ordre et pour habitude de les déloger. Comme le note l'auteur dans son livre, chasser les vagabonds est le gagne-pain de nombreux employés, qu'ils soient policiers ou contrôleurs.
Ce mode de vie pourrait paraître solitaire, mais les vagabonds du rail forment une véritable communauté. Les hobos ont des codes, des surnoms et des itinéraires codés. Ils jouent parfois à se poursuivre en laissant des traces de leur passage.

Il ne faut cependant pas oublier que cette impression de liberté qui se détache des aventures ferrovières de London est indissociable d'une misère certaine. Les ventres grognent et le froid pénètre la chair de ces sans-abris.
Ils sont pourchassés sans relâche et méprisés. Ainsi, nous passons trente jours en prison avec l'auteur. Jack London, comme tous les vagabonds arrêtés en même temps que lui est condamné à cette peine pour "vagabondage". Le juge prononce la sentence sans prendre la peine d'écouter les accusés. Celui qui a en plus l'audace d'avoir quitté son travail avant de prendre la route voit sa peine doublée. On le sait, les pauvres sont des fainéants...
Bien que l'organisation de la société, qui saigne les plus faibles, répugne Jack London, ce dernier se montre aussi impitoyable vis-à-vis de ses co-détenus. Devenu "homme de confiance" de la prison, il forme avec les autres membres de cette espèce (qu'il critiquera violemment dans Le Vagabond des étoiles) une nouvelle classe de puissants et exploite les simples prisonniers.

" Songez donc ! Treize contre cinq cents ! Nous ne pouvions dominer que par la terreur ! Nous ne tolérions ni la moindre infraction au règlement ni la plus légère insolence, sans quoi nous étions perdus. Notre principe général était de frapper un détenu dès qu’il ouvrait la bouche, de le frapper durement, et avec ce qui nous tombait sous la main. L’extrémité d’un manche à balai appliqué en plein visage produisait d’ordinaire un effet des plus calmants. Mais ce n’était pas tout. De temps à autre il fallait faire un exemple. Aussi notre devoir était-il de courir sur le délinquant. Tous les prévôts circulant à proximité venaient aussitôt se joindre à la poursuite : cela faisait partie du règlement. Dès qu’un homme de hall se trouvait aux prises avec un convict, tous ses camarades étaient venus lui prêter main-forte. Peu importe qui avait raison : on devait frapper, et frapper avec n’importe quoi, en un mot, maîtriser l’homme. "

Coxey's Army marchers leaving their campLes vagabonds ne sont pas uniquement des rigolos jouant au chat et à la souris avec les employés des chemins de fer. Il leur arrive de battre à mort des ivrognes pour les voler.
Ils ont également des revendications et parviennent à s'organiser. London nous livre ainsi une anecdote qui ne doit plus être connue de grand monde aujourd'hui. En 1893, lorsqu'une crise économique frappe les Etats-Unis, les chômeurs décident de se rassembler et de marcher sur Washington afin d'obtenir l'aide du gouvernement. Participant à ce mouvement, l'auteur raconte le racket que la nuée de vagabonds exerce sur les villes croisées. Evidemment, dans cette histoire, il est difficile de blâmer complètement le comportement des marcheurs.

Un livre plutôt intéressant qui reprend les thématiques chères à l'auteur mais qui n'a clairement pas la puissance des autres écrits de l'auteur que j'ai lus ces derniers temps.

Thélème. 4h37.
Lu par Julien Allouf.
1907 pour l'édition originale.

Challenge jack london 2copie

2 avril 2020

Captive - Margaret Atwood

atwoodLe 18 juillet 1843, au nord de Toronto, Thomas Kinnear et sa femme de charge, Nancy Montgommery, sont sauvagement assassinés. Les meurtriers sont James McDermott et Grace Marks, deux autres employés de la maison, qui s'enfuient ensuite avec les objets de valeur qu'ils peuvent emporter. Rattrapés aux Etats-Unis, ils sont enfermés puis jugés à Toronto, procès à l'issue duquel ils sont condamnés à mort. La peine de Grace Marks est finalement commuée en prison à vie.
Dès les premiers instants, des voix s'élèvent pour prendre la défense de Grace Marks. Des pétitions demandant la libération de la jeune fille de seize ans voient le jour. Ces défenseurs pensent que Grace n'est pas coupable et qu'elle est la troisième victime de James McDermott.
Des années plus tard, le docteur Simon Jordan décide de rencontrer Grace et de découvrir la vérité.

Quand on s'intéresse au féminisme et à l'histoire des femmes en général, Margaret Atwood est un auteur qui semble incontournable. Captive est en effet un portrait de femme, mais pas seulement.
A travers cette histoire, nous voyons apparaître devant nous le Canada du XIXe siècle. Née en Irlande dans une famille d'autant plus pauvre que le père dépense en alcool les maigres ressources à disposition, Grace s'embarque avec les siens vers le continent américain alors qu'elle est à peine une adolescente. La traversée est éprouvante, mais une partie de la famille arrive finalement en Ontario. Nous l'observons alors faire ses premiers pas en tant qu'employée de maison.
La période est instable, les tensions politiques et religieuses nombreuses. A cette époque, les femmes sont particulièrement vulnérables. Atwood nous décrit avec précision la vie de Grace, à tel point que le drame qui l'a rendue célèbre n'est pas toujours en ligne de mire. Aimant les romans ayant un fond historique, j'ai apprécié cet aspect du livre, même si je pense que quelques coupes auraient été appréciables. Grace Marks et James McDermott étant Irlandais, les enquêteurs sont d'autant plus sévères à leur égard que la réputation de cette population est mauvaise.

J'ai dit plus haut que Margaret Atwood était connue pour ses écrits engagés. Sur ce point, j'ai été un peu déçue. Il est bien question de femmes maltraitées, d'avortements, de grossesses et de relations sexuelles hors mariage. Mais le destin de Grace n'est pas assez utilisé pour faire une illustration de cela. Captive est une histoire basée sur des faits réels. C'est à la fois une force, puisque cela rend le récit plus palpitant et une faiblesse étant donné que le parti pris de Margaret Atwood est de ne pas trop dévier des faits connus. Cela donne une fin à mon sens assez décevante. Pendant tout le récit, on s'interroge sur Grace. On se demande s'il s'agit d'une victime, d'une femme souffrant de troubles mentaux, d'une Shéhérazade ou bien d'une manipulatrice hors pair. Pourtant, au lieu de nous dévoiler une femme dans toute sa complexité, Atwood tourne autour du pot et se contente d'utiliser Grace Marks pour évoquer l'arrivée de la psychologie dans les enquêtes et de poser sans y répondre la question de la responsabilité des criminels en cas de troubles mentaux.
Par ailleurs, la majeure partie du récit se concentre sur les souvenirs de Grace et sa version du drame. L'enquête du docteur sur le terrain commence très tardivement. Le personnage de Simon Jordan lui-même est décevant. Il disparaît au moment où l'on aurait besoin de son éclairage.

J'ai donc apprécié ma lecture tout en déplorant quelques longueurs et un contrat de base qui n'est à mon sens pas complètement respecté à cause d'un refus de l'auteur de prendre parti. Cela ne m'empêchera pas de lire d'autres de ses oeuvres.

Les avis de Lili et de Maggie.
Une lecture qui rentre dans le Challenge Pavévasion de Brize.

Audible. 18h.
Lu par Elodie Huber.
1996 pour l'édition originale.

logo-challenge-pavevasion

26 mars 2020

Drame de chasse - Anton Tchekhov

drameUn rédacteur en chef reçoit la visite d'un certain Ivan Kamychov qui lui remet le manuscrit de ce qu'il appelle un roman. Il laisse cependant entendre que son texte a une dimension autobiographique.

Un juge d'instruction, Serguéï Pétrovitch Zinoviev, jeune et beau garçon reçoit, après deux ans sans le voir, l'invitation du comte Karnéïev. Bien qu'il le méprise, Zinoviev n'a jamais pris la peine de refuser son amitié au noble propriétaire terrien. Ainsi se rend-il sur son domaine où, accompagné du comte, de son intendant Ourbénine et d'un invité hostile, il voit pour la première fois la jeune fille en rouge.
Lors de leur rencontre avec la jeune fille en rouge, Zinoviev, Karnéïev et Ourbénine sont envoûtés par elle. Vivant avec son père sénile, la jeune Olga va accorder sa main au vieil intendant de façon irréfléchie. Ses actions ultérieures et celles de ses deux autres prétendants vont précipiter tous les personnages vers leur perte.

Unique roman d'Anton Tchekhov et publié en feuilleton, Drame de chasse est présenté comme étant un roman policier. La préface précise que c'est surtout une parodie du genre.
Ainsi, si vous cherchez une enquête policière palpitante, je ne suis pas certaine que vous serez contenté avec ce livre dont Tchekhov, sous les traits du rédacteur en chef, avertit dès le début qu'il s'agit d'une oeuvre médiocre.

Union mal assortie de Vassili Poukirev"Ce récit n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Il comporte bien des longueurs, bien des aspérités... L'auteur a un faible pour les effets et les phrases clinquantes... On sent bien que c'est la première fois de sa vie qu'il écrit, d'une main novice, inexpérimentée."

En effet, j'ai beau être bon public, il n'est pas difficile de deviner le pot aux roses bien avant la fin et Tchekhov n'est vraiment pas dans la nuance avec Drame de chasse.
La critique du "beau monde" est sévère. Les nobles passent les messes à discuter, organisent des orgies, sont ignorants de tout, hypocrites. Le domaine du comte est dans un état de délabrement indigne, le comte est grossier et son apparence physique ridicule.
Le seul personnage semblant digne de respect est le médecin, ami de Zinoviev, homme honnête et malheureux en amour. Tchekhov exerçant la même profession, il n'est pas étonnant qu'il ait accordé son indulgence à ce personnage en particulier.
J'ai eu de gros espoirs, pensé trouver dans la description de cette société une certaine complexité. Le narrateur et son ancienne conquête, Nadia, semblent être de nouveaux Eugène et Tatiana. Olga pourrait être autre chose qu'une écervelée. Le médecin, dont le nom m'échappe déjà, pourrait ne pas être présent uniquement parce que Tchekhov crée un personnage de cette profession dans chacune de ses oeuvres. Malheureusement, l'auteur semble avoir été déterminé à proposer une intrigue médiocre.

Un roman assez inégal, qui m'a tour à tour intriguée, passionnée puis lassée.

Babel. 316 pages.
Traduit par André Markowicz et Françoise Morvan.
1884-1885.

Un billet qui s'inscrit dans le Mois de l'Europe de l'Est de Patrice, Eva et Goran.

logo-epg

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité