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lilly et ses livres
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15 juillet 2021

Journal (1867) - Anna Dostoïevski

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Après la mort de sa première épouse, Fiodor Dostoïevski se remarie avec sa sténographe, âgée d'à peine vingt ans. Le couple, pour se soustraire aux problèmes financiers que rencontre l'auteur, se rend à l'étranger. Après un désastreux séjour à Baden, où l'auteur perd ses biens et ceux de sa femme aux jeux, ils s'établissent à Genève. En septembre, Anna débute un journal dans lequel elle va consigner ses réflexions, son quotidien, ainsi que ses souvenirs autour de sa rencontre avec son mari.

Cette lecture est à recommander aussi bien aux admirateurs de Dostoïevski qu'à ceux qui aiment les journaux intimes. Comme le souligne la préface, le fait qu'il ait été rédigé par une autrice qui ne le destinait qu'à son propre usage et souhaitait sa destruction rend son propos spontané et sincère.

La vie d'Anna Dostoïevski n'est pas simple, malgré toute l'affection qu'elle porte à son mari. On ressent vivement les humiliations répétées dues au manque d'argent, qui la contraignent à se rendre chaque jour à la poste, dans l'espoir de recevoir quelque argent. A de maintes reprises, elle doit mettre en gages ses maigres possessions pour pouvoir manger et se loger. Le simple fait d'envoyer des lettres fait l'objet de réflexions intenses en raison du coût que cela implique. Enceinte, la situation matérielle d'Anna ne lui permet pas d'appréhender aussi sereinement qu'elle le désire l'arrivée de cet enfant.

Ce texte pourrait faire l'objet d'une lecture à la lumière de ce que dénoncent les féministes d'aujourd'hui, tant la charge mentale de ce couple repose sur cette femme qui doit ruser et mentir pour garder quelques ressources de secours. Son époux n'est pas toujours facile à vivre. Il lui reproche ses dépenses, critique sa mise, l'incendie lorsque sa mère lui envoie des lettres non affranchies, et à deux reprises part se ruiner aux jeux, la laissant seule avec ses angoisses à Genève.

Anna Dostoïevski n'est pas qu'une jeune fille follement amoureuse de son époux et jalouse (même si cela lui arrive). Elle est aussi intelligente, cultivée (elle dévore Balzac, Dickens et George Sand) et fait preuve d'une grande vivacité d'esprit, comme lorsqu'elle analyse avec humour le passage de Garibaldi à Genève. Son admiration ne l'aveugle que jusqu'à un certain point. A plusieurs reprises, elle laisse éclater par écrit sa colère contre l'attitude inconséquente de son époux. Elle sait lorsqu'il lui ment et ne comprend pas le soin qu'il prend de sa belle-soeur dont il paie l'appartement alors qu'elle-même est contrainte à vivre dans la pauvreté.

Les références au travail d'écriture de Dostoïevski sont peu nombreuses, bien que l'on devine qu'il est alors en pleine rédaction de Crime et Châtiment, et que c'est à l'occasion de la rédaction du Joueur que les deux époux se rencontrent. Ce journal est avant tout un document remarquable pour pénétrer l'intimité de l'un des plus grands auteurs russes.

Syrtes. 234 pages.
Traduit par Jean-Claude Lanne.
2019.

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2 mai 2021

Un été sans les hommes - Siri Hustvedt

hustvedtLorsque son mari lui annonce qu'il veut faire une pause (une pause française et âgée de vingt ans de moins qu'elle), Mia est admise dans un service psychiatrique. A sa sortie, elle prend provisoirement congé de la fac dans laquelle elle enseigne et rejoint sa ville natale. 
Là-bas, elle rencontre les membres de la résidence pour personnes âgées où vit sa mère, toutes veuves. Elle est également engagée pour animer un atelier de poésie avec de jeunes adolescentes.

J'ai apprécié ce livre, qui m'a donné l'impression d'être dans un cocon, entre filles (même si les filles ne sont pas toujours tendres). C'est à la fois enchanteur et emprunt de nostalgie. 

Siri Hustvedt n'est pas tendre avec les hommes, leurs injustices et leurs lâchetés envers les femmes qu'ils ont épousées. Mia est une femme blessée et en colère. Bien que banale, sa souffrance est réelle. Elle et son époux ont vécu des décennies ensemble, au point qu'ils mélangent leurs souvenirs. Une séparation n'est pas qu'un chagrin d'amour, c'est aussi une perte de repères.

"Il n’y a pas de vie sans un sol, sans un sentiment de l’espace qui n’est pas seulement extérieur mais intérieur aussi – les lieux mentaux. Pour moi, la folie avait constitué une suspension. Quand Boris s’en fut de cette manière abrupte promener ailleurs son corps et sa voix, je me mis à flotter. Un jour, il laissa échapper son désir d’une pause, et ce fut tout. Sans doute avait-il médité sa décision, mais je n’avais eu aucune part à ses réflexions."

Un immense sentiment d'injustice habite l'héroïne, digne et dévouée épouse de scientifique reconnu. Cette expérience met en valeur le déséquilibre dans les rapports entre hommes et femmes. Ces dernières sont toujours défavorisées. Elles sont rares à parvenir à se faire entendre et à jouir d'une autorité naturelle. On attend d'elles un souci constant du bien-être des personnes qui leur sont proches Condamnées à faire essentiellement un travail invisible, à être le soutien de l'homme, même si elles ont elles-mêmes une carrière (on pense mille fois à Simone de Beauvoir en lisant ce livre), elles ont en plus une date de péremption.
En tant que poétesse, Mia s'interroge sur le rapport à l'écriture et à la lecture, qui n'est pas le même selon que l'on est un homme ou une femme.

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Les femmes lisent des fictions écrites par des femmes et par des hommes. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime avoir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver à cet appareil génital externe si l’on s’immergeait dans des faits et gestes imaginaires concoctés par quelqu’un qui a le sien à l’intérieur. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : “Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit.”

J'ai parlé de colère, mais il n'est pas seulement question de se morfondre. Durant cet interlude, Mia et ses nouvelles amies expérimentent une vie débarassée des contraintes du mariage. Les veuves ne sont pas forcément inconsolables. Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer au premier abord, ne pas se remarier n'est en rien une preuve de dévotion envers l'époux disparu.

"Les veufs se remarient parce que ça leur facilite la vie. Les veuves non, le plus souvent, parce que leur vie en serait plus difficile."

N'étant que séparée, Mia tente de se découvrir, de se rappeler qui elle est. Une pause nécessite de se préparer aux différentes issues possibles, à savoir la reconstruction seule ou les retrouvailles sous conditions. 

Si j'ai apprécié l'ambiance et le propos du livre, je n'ai pas adhéré à la forme, qui énonce une théorie en début de chapitre pour en offrir une démonstration. C'est parfois flou et donne à l'histoire un caractère artificiel. 

Un roman frais mais très imparfait. Je crois que j'ai été d'autant plus indulgente avec ce livre qu'il énonce des idées auxquelles j'adhère en grande partie et que cela en a fait une lecture reposante.

L'avis de Lili que je partage très largement.

Babel. 224 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2011 pour l'édition originale.

10 avril 2021

La Papeterie Tsubaki - Ito Ogawa

ito ogawaAprès la mort de l'Aînée, Hatoko est revenue à Kamakura pour tenir la papeterie familiale. Ses clients lui achètent généralement des articles de bureau, mais requièrent aussi ses services d'écrivain public pour des demandes particulières et souvent délicates.

Cela fait quelques années que je vois passer les livres d'Ito Ogawa sur les blogs et les réseaux sociaux. J'ai profité de la perspective du Mois du Japon pour la découvrir.

La Papeterie Tsubaki est un livre sur un métier tombé en désuétude, celui d'écrivain public.
De nos jours, la plupart des Occidentaux savent écrire. Nous n'utilisons d'ailleurs plus tellement nos stylos puisque la correspondance est de plus en plus électronique.
Pourtant, qui n'aime pas recevoir du courrier ? Certaines circonstances méritent particulièrement que l'on prenne le temps de montrer que nous n'avons pas fait les choses à la va-vite. Dans une société aussi policée que le Japon, c'est encore plus vrai.
A travers les rencontres que son héroïne fait dans sa papeterie, Ito Ogawa révèle l'art d'écrire. Qui, mieux qu'un écrivain public connaît l'importance du choix des mots, de l'encre, du timbre, ou même du papier ?

En tant que novice, aussi bien en ce qui concerne la littérature japonaise que dans la connaissance de l'histoire de l'écriture, j'ai sans doute davantage adhéré à ce livre qu'un lecteur averti le ferait. Cela dit, je dois reconnaître qu'il ne m'en reste déjà plus grand chose.
Les personnages sont sympathiques mais sans originalité et l'auteur creuse trop peu son histoire pour qu'elle soit réellement émouvante.

Un livre à découvrir pour passer un doux moment, mais qui ne marquera pas mon parcours de lectrice.

Moka est nettement plus convaincue que moi. Lewerentz partage mon avis.

Le Livre qui parle. 6h50.
Lu par Peggy Martineau.
2016.

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1 février 2021

Fictions - Jorge Luis Borges

borgesDans toutes les fictions, chaque fois que diverses possibilités se présentent, l’homme en adopte une et élimine les autres ; dans la fiction du presque inextricable Ts’ui Pên, il les adopte toutes simultanément. Il crée ainsi divers avenirs, divers temps qui prolifèrent aussi et bifurquent. De là, les contradictions du roman. Fang, disons, détient un secret ; un inconnu frappe à sa porte ; Fang décide de le tuer. Naturellement, il y a plusieurs dénouements possibles : Fang peut tuer l’intrus, l’intrus peut tuer Fang, tous deux peuvent être saufs, tous deux peuvent mourir, et cetera. Dans l’ouvrage de Ts’ui Pên, tous les dénouements se produisent ; chacun est le point de départ d’autres bifurcations.

Il y a plus de dix ans, une enseignante de l'université où j'étudiais avait inscrit ce livre dans la bibliographie associée à son cours. Elle nous avait particulièrement recommandé la lecture de La Bibliothèque de Babel. Je ne me souviens plus si j'ai réussi à lire ce texte en entier. Ce qui est certain, c'est que malgré sa brièveté (les nouvelles de ce recueil excèdent rarement les dix pages), je n'y ai rien compris. 

Des penseurs créent une planète où la réalité que nous connaissons n'existe plus. Un auteur du XXe siècle essaie de réécrire Don Quichotte en imaginant être Cervantès. Un homme utilise le pouvoir du rêve pour créer un individu et se brûle. Babylone invente une étrange loterie pour explorer les méandres du hasard. La Bibliothèque de Babel est un monstre infini qui engloutit les hommes. Un auteur écrit moultes fois la même histoire ou presque. Pendant la Première Guerre mondiale, un espion se rend chez un homme en possession de l'oeuvre de son aïeul qui se révèle être un livre infini...

Fictions est indiscutablement un livre déstabilisant et exigeant. Il ne ressemble à rien d'autre et nécessite à la fois une grande concentration et un grand lâcher-prise. Cependant, c'est un énorme coup de coeur. Un de ces livres qui vous arrache des exclamations d'admiration à chaque page. A peine ai-je trouvé quelques nouvelles un peu moins réussies que les autres.

Sur le papier, il serait facile de se lasser. Ces nouvelles sont une sorte de mise en abîme. Borges réécrit sans cesse le même texte, dans lequel il est question des inombrables tournures que pourraient prendre un récit. Mais l'ennui ne vient pas. L'auteur change de genre, d'époque, de ton. On commence avec une sorte de dystopie aux accents orwelliens, on voyage dans l'absurde, le rêve, l'espace, l'Histoire... Borges est un formidable conteur.

Tout est fiction, y compris la réalité. D'ailleurs, qu'est-ce que la réalité ? Peut-on la saisir?  Le doit-on ? Lorsque Borges découvre des secrets, il s'empresse de les recouvrir. Lorsque l'homme croit saisir la complexité de la réalité, il paie de sa vie son erreur. La condition humaine n'est rien face à la Littérature, et rien n'est impossible en matière de fiction. 

Est-il possible de créer des oeuvres nouvelles ? D'écrire à la manière de, des siècles plus tard ? L'Histoire est-elle cyclique, et donc condamnée à se répéter ? Le Temps existe-t-il ? Avec des effets de miroir, l'appel à la philosophie, en se contredisant parfois, Borges nous emmène dans les méandres de sa prolifique imagination.

On se pose beaucoup de questions avec ces nouvelles. On doit admettre qu'on ne comprendra pas tout. Mais on joue aussi, beaucoup. J'ai toujours aimé les auteurs qui trompent et déstabilisent leur lecteur. Borges est indiscutablement un maître du genre. 

L'avis d'Ellettres.

Folio. 185 pages.
Traduit par P. Verdevoye, Ibarra et Roger Caillois.
1944 pour l'édition originale.

LOGO SUD AMERI

10 octobre 2018

Trajectoire - Richard Russo

russoAuteur de romans reconnus, Richard Russo revient pour cette rentrée littéraire avec Trajectoire, un recueil de nouvelles. Bien que n'étant pas amatrice du genre la plupart du temps, je suis ravie de m'être laissé tenter.

Dans la première nouvelle de ce recueil, Cavalier, il ne faut que quelques vers lus à son fils autiste le soir et le devoir plagié d'un étudiant pour que Janet se remémore sa rencontre avec le professeur qui a fait d'elle l'universitaire qu'elle est devenue.
Voix nous promène dans Venise. Alors qu'il traverse une mauvaise passe professionnelle, Nate, la soixantaine, a la surprise d'être convié par son frère Julian à un voyage organisé.  Ces vacances seront-elles l'occasion de briser la glace entre eux ?
Intervention met en scène Ray, agent immobilier. La crise a touché durement le marché, aussi bien pour les professionnels que pour les particuliers. Ray essaie ainsi de vendre la maison d'une amie de sa femme qui ne parvient plus à payer son crédit tout en se refusant à vendre ses biens inutiles et à désencombrer sa maison des cartons qui occupent tout l'espace.
Enfin, Ryan est contacté pour scénariser Milton et Marcus, un texte dont il a écrit l'ébauche des années auparavant et alors que l'un des deux acteurs principaux envisagés pour ce film est décédé.

Les deux premières nouvelles forment un sorte de dyptique et sont particulièrement puissantes. Elles mettent toutes deux en scène le milieu universitaire et cherchent ce qui fait qu'un étudiant en lettres est brillant ou simplement banal. Qu'est-ce qui permet à un travail de laisser transparaître la présence et la personnalité de son auteur ?
Richard Russo fait un parallèle judicieux entre les devoirs copiés presque exclusivement sur internet et ceux produits trop timidement par leur auteur, sans voix.

"J'en suis sûr, Janet. C'est un devoir soigné. Impeccable." Il recula pour avoir une vue d'ensemble des livres et périodiques entreposés sur l'étagère du haut. "Seulement, ce n'est pas la vôtre."
- Je crois que je ne comprends pas, répondit-elle en déglutissant à peine. Vous insinuez que j'ai plagié un autre devoir ?
-Mon Dieu, non ! Détendez-vous."
Comme si c'était possible.
"Même si, reprit-il sans se retourner, un plagiat serait plus révélateur. Au moins, je saurais ce que vous admirez, alors que je suis incapable de savoir où vous êtes dans ce que vous avez écrit. Idem avec vos devoirs précédents. C'est comme si vous n'existiez pas... "

Parler à voix haute n'est pas non plus une condition indispensable à la réussite d'un travail. Nate est estomaqué par la qualité des devoirs rendus par Opal Mauntz, son étudiante autiste dont il n'a même jamais croisé le regard.
L'écriture est également un thème fort de Milton et Marcus qui évoque le travail déconsidéré des scénaristes et met en scène l'un d'entre eux, aussi auteur de romans de moins en moins réussis.
Derrière cette idée d'exister par l'écriture, Richard Russo s'interroge sur ce qui permet de définir si une personne traverse l'existence ou fait réellement ses propres choix. Il n'est pas question d'étudiants en lettres ou d'auteurs dans Intervention, mais Ray, tout comme son père ont eu un baratineur dans leur vie, toujours prêt à leur répéter qu'ils gâchaient leur vie à ne pas s'engager dans toutes sortes de plans douteux.

Dans ces nouvelles, l'auteur nous dépeint avec brio l'Amérique actuelle, ses habitants les plus ordinaires et les relations souvent compliquées entre proches. A chaque fois, les personnages prennent une leçon de vie qui leur en apprend un peu plus sur eux-mêmes. C'est simple, écrit avec peu de mots mais diablement émouvant.

L'avis de Maeve.

Je remercie les éditions de La Table Ronde pour ce livre.

La Table Ronde. 296 pages.
Traduit par Jean Esch.
2017 pour l'édition originale.

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1 juin 2018

Le Monde infernal de Branwell Brontë - Daphné du Maurier

branwellDe nombreuses légendes existent au sujet des membres de la famille Brontë. Comment ces trois soeurs, filles de pasteur et vivant isolées du monde ont-elles pu écrire certains des romans anglais les plus célèbres ? Leur unique frère, Branwell, était-il aussi doué, violent et fou qu'on l'a dit ?

Le monde infernal du titre, bien qu'il semble jouer sur la légende noire de Branwell Brontë, fait en réalité référence aux histoires écrites par les enfants de la fratrie. En effet, dès leur plus jeune âge, Charlotte et Branwell, alors inséparables, écrivent leurs chroniques angrianes. Emily et Anne participeront également à cette entreprise. Selon Daphné du Maurier, ces écrits de jeunesse sont la source de l'esprit créatif des Brontë. J'ai eu l'occasion de lire quelques extraits de ce monde inventé par Branwell et ses soeurs il y a quelques années. Si elles ne sont pas, loin s'en faut, au niveau des romans qui ont rendu la famille célèbre, ces juvenilia ont visiblement eu une influence énorme sur leurs auteurs, Branwell Brontë en tête.
Petit, roux et myope, le seul fils Brontë, très complexé, a selon Daphné du Maurier utilisé son monde infernal pour se créer un alter ego qui est son parfait contraire : grand et fort, aussi séduisant que séducteur.

Bien qu'il n'ait jamais bénéficié d'une instruction en dehors de chez lui (Du Maurier soupçonne que l'attitude protectrice de son père s'explique par le fait que Branwell était probablement épileptique), la famille Brontë est persuadée que le jeune homme est promis à un avenir brillant. Cependant, ses écrits ne trouveront jamais le moindre éditeur, et les extraits de ses poèmes fournis par Daphné du Maurier deviennent de plus en plus éprouvants à lire, aussi répétitifs et indigestes que morbides. 
On connaît aussi quelques portraits réalisés par Branwell Brontë, mais après un refus d'admission à la Royal Academy et une très courte et peu florissante carrière de portraitiste, il semble abandonner ses ambitions.
Ses tentatives d'exercer en tant qu'employé des chemins de fer ou de précepteur seront également des échecs.

Autorportrait de Branwell Brontë

En parallèle, Charlotte et Emily se rendent à Bruxelles. Anne est préceptrice pour les Robinson. Si Daphné du Maurier n'est pas certaine que l'on puisse établir des liens systématiques entre leurs oeuvres et les rencontres qu'elles font ou l'état de leur frère, elle pense que cette ouverture sur le monde et la confrontation de leurs textes avec des professeurs a permis aux soeurs Brontë de dépasser le stade des écrits de leur enfance, chance dont Branwell ne bénéficiera pas. Plus leur frère sombre et plus elles agissent discrètement pour se faire publier. Après un premier recueil de poèmes qui ne trouvera que deux acheteurs et de nombreux refus d'éditeurs, Jane Eyre est publié en un temps record et rencontre un véritable succès.

"Combien l'enfant Branwell se serait réjoui des succès de sa soeur... Mais l'homme, non. A l'homme, il fallait tout dissimuler. Il ne pouvait les partager."

De son côté, plus l'on avance dans le temps, et plus Branwell se réfugie dans son monde imaginaire et semble accumuler les mensonges. Ainsi, s'est-il réellement pris de passion pour Mrs Robinson ou a-t-il inventé cet amour pour se valoriser auprès de sa famille, de ses amis et (surtout) de lui-même ? A-t-il écrit le début des Hauts de Hurlevent ? Il semblerait qu'Alexander Percy, son héros de fiction, ne suffisait plus dans les dernières années de sa vie, alors que plus personne excepté lui n'espérait le voir devenir quelqu'un.
Au presbytère où tous les enfants Brontë sont rentrés, rien ne va plus. Alors que sa biographe insistait sur l'affection et la complicité qui unissait dans sa jeunesse Branwell et sa famille, les lettres de Charlotte à une amie montre l'exaspération qu'il provoque avec ses crises et ses excès d'alcool. On le traite toujours avec affection, mais comme un enfant qui se comporterait mal. Il dort dans la chambre de son père, et personne ne songe qu'il puisse souffrir d'une maladie réelle avant qu'il ne soit trop tard.
On connaît la suite, les quatres membres de la fratrie passés à la postérité meurent très jeunes, même si Charlotte aura le temps de publier quatre romans.

Une biographie adoptant un angle de vue original, très agréable à lire et bien documentée (même si les sources existantes sont peu nombreuses). J'ai envie de me replonger dans les oeuvres des soeurs Brontë.

Un autre avis ici.

Je remercie les Editions de la Table Ronde pour ce livre.

Petit Quai Voltaire. 344 pages.
Traduit par Jane Fillion.
1960 pour l'édition originale.

 

moisanglais

 

15 septembre 2016

Celle que vous croyez - Camille Laurens

A14387Camille Laurens est un auteur que j'ai découvert à l'occasion de la polémique l'opposant à Marie Darrieussecq qui avait fait couler beaucoup d'encre il y a quelques années. N'ayant jamais lu ni l'une ni l'autre, j'avais simplement été découragée de me plonger dans leurs oeuvres. C'est Carolivre qui a publié une vidéo faisant une présentation alléchante de ce livre qui m'a fait changer d'avis.

Claire est en hôpital psychiatrique. Cette femme brillante, cinquantenaire, divorcée et mère de deux enfants, a chaviré quelques années plus tôt.
Alors dans une relation toxique avec un certain Joël, elle décide pour l'espionner de faire par le biais d'un faux profil Facebook, une demande d'amitié à son colocataire, Chris. Celui-ci est un photographe trentenaire très conscient de l'effet qu'il produit sur la gente féminine. Chris tombe immédiatement sous le charme du personnage créé par Claire, et cette dernière ne tarde pas à se prendre bien trop au jeu également.

Ce livre pourrait être une banale histoire d'amour qui a mal tourné, mais le profil de l'héroïne, la construction du livre et le style de l'auteur en font un très bon roman.
D'abord, la narratrice raconte ce qui lui est arrivé, à toute allure, sans reprendre son souffle. L'ensemble est brouillon, décousu. Elle s'adresse à un psychiatre que l'on n'entend qu'à travers sa patiente, lorsqu'elle reformule ses questions. Cette partie est sous tension, car on sait qu'il s'est passé quelque chose d'horrible, mais on ignore quoi, et dans quel mesure Claire est responsable.
Puis, par deux fois, on pense toucher la vérité. Les personnages sont toujours les mêmes, mais ils ne tiennent plus le même rôle, et on referme finalement ce livre en se demandant si l'auteur ne s'est pas un peu moqué de nous. Ce roman est-il un roman totalement inventé ? de l'autofiction ? un peu des deux ?
Dans tous les cas, à travers son personnage, Camille Laurens en profite pour évoquer la place peu reluisante accordée aux femmes de plus de cinquante ans (voire moins) dans notre société. La charge est violente, mais elle corrobore ce que j'ai moi-même constaté plusieurs fois dans mon entourage (même si la presse nous assure ces derniers jours que les femmes sont de plus en plus nombreuses à avoir un compagnon plus jeune, au moins 10% ! *). Tout, la littérature, les sites de rencontres, le monsieur avec qui l'on discute qui se détourne dès qu'une jeune fille arrive, comme si sa précédente interlocutrice était transparente, tout rappelle aux femmes qu'elles ont une date de péremption.
Alors, dans ce monde, comment ne pas céder à la tentation de se créer un personnage ? Tout le monde le fait après tout. Je connais peu de profils qui montrent autre chose qu'une vie parfaite sur les réseaux sociaux. Notre narratrice vole donc une identité et en savoure les avantages tout en sachant que le temps lui est compté. Et là, ironie du sort, c'est bien son expérience qui lui permet de savoir ce que Chris veut entendre, et comment le séduire. Cela dit, l'auteur nous propose une héroïne loin d'être irréprochable elle-même, pleine de failles et agaçante, ce qui évite de rendre le tout trop manichéen.

Une réflexion originale sur certains aspects de notre société. J'ai été bluffée par cette première lecture de Camille Laurens.

Les avis de Papillon et de Violette.

*Non, je ne suis pas du tout sarcastique.

Gallimard. 192 pages.
2016.

23 août 2016

Ma bibliothèque : Lire, écrire, transmettre - Cécile Ladjali

ladjaliN'importe quel lecteur, lorsqu'il se rend chez une connaissance, ne peut s'empêcher de regarder la bibliothèque (si elle existe). C'est indiscret, cela donne tellement d'indications celui qui la possède. Alors, lorsque Cécile Ladjali nous invite d'elle-même à découvrir ses livres, il n'y a pas le moindre scrupule à avoir.

On se figure dès les premières pages le lieu qu'elle décrit. "Elle tient sur un grand mur de pierre. Une colonne de livres la prolonge sur la gauche. Et au milieu, il y a une porte. Quand il entre dans l'appartement, le visiteur paraît au milieu des in-folio, et quand il en sort, il disparaît englouti par eux." Cette bibliothèque a bien entendu été construite au fil des envies, des rencontres et des travaux de sa propriétaire. Elle a son propre classement, personnel. On y trouve les auteurs qu'elle a aimés, les auteurs aujourd'hui délaissés, les livres de ses amis écrivains, des livres plus ou moins chéris, certains toujours à portée de vue, d'autres presque dissimulés.
Aux énumérations s'ajoutent des passages sur les auteurs importants. Virginia Woolf, Dostoïevski, Emily Dickinson, Paul Celan et Ingeborg Bachmann (évidemment)... Et au milieu de ces poètes et romanciers, George Steiner, le "maître" de Cécile Ladjali. Tous, ils permettent à cette dernière de s'interroger sur l'écriture, le rapport entre la lecture et le travail de l'écrivain, la possibilité d'innover dans l'art, la transmission (faut-il un intermédiaire ? quel est son rôle ? tout le monde peut-il être touché par les plus grands ?). "Qu'est-ce qu'un classique ? Un texte que l'on relit, et qui nous semble toujours nouveau. Une fable qui nous en apprend davantage sur nous-mêmes que sur le monde. Un poème qui nous parle plus que nous le disons. Pourquoi refuser aux élèves pareils enchantements ?"
En évoquant sa bibliothèque, Cécile Lajali nous parle avant tout d'elle-même et de son métier d'écrivain. Elle nous raconte la genèse de ses livres, qui évoquent (pour ceux que je connais du moins) directement des auteurs qu'elle aime, le besoin irrépressible d'écrire sur un sujet, sa peur d'être illégitime pour parler d'une guerre, son sentiment de petitesse lorsqu'on la sermonne sur ce qu'elle a dit de Paul Celan.
Les écrivains, nous dit-elle, ont un pouvoir certain, celui du langage. Celui-ci n'est pas sans risque, il a inspiré nombre de bourreaux. Mais c'est avant tout un pouvoir merveilleux qui permet à celui qui prend le temps de lire d'avancer dans sa réflexion. A condition bien entendu de vivre, de désirer, en dehors des livres. D'être soi, pas semblable à ses maîtres.

Lorsqu'elle évoque George Steiner, Cécile Ladjali le décrit comme étant "de ceux qui ne placent rien au-dessus de la création authentique". Elle égratine au passage la critique, qui "oublie trop souvent qu'elle est au service des textes, et non l'inverse". Après avoir décrit sa bibliothèque, l'auteur rappelle que le rapport entre le texte et le lecteur est avant tout personnel, que l'analyse technique (surtout scolaire) peut l'abîmer. Sans aucun doute. Cependant, parce que je sais que je peux prendre et laisser ce que je veux dans les livres qui parlent de livres, et parce que j'aime la plume de Cécile Ladjali, je me suis laissée envoûtée par cet essai.

Un grand merci à Margotte dont l'avis m'a donné envie de faire cette lecture.

Seuil. 196 pages. Version électronique.
2014.

20 octobre 2014

Les robots ont-ils une âme ?

esprit-d-hiver,M119310Holly se réveille avec un horrible pressentiment le matin de Noël. Elle a trop dormi, son mari Eric aussi. Alors que ce dernier se précipite à l'aéroport pour y chercher ses parents, elle se retrouve seule avec leur fille, Tatiana. Holly doit donc se préparer à l'arrivée de toute sa belle-famille ainsi que de deux familles d'amis, mais rien ne va.

Esprit d'hiver avait beaucoup fait parler de lui lors de sa sortie l'an dernier. Je savais donc que je devais m'attendre à un rebondissement final frappant, mais il a dépassé toutes mes prévisions et je termine ma lecture nauséeuse (certes, je suis malade aussi).
Il y a beaucoup de choses dans ce livre, un peu trop d'ailleurs, mais les romans de Laura Kasischke ont toujours un côté too much pour moi. D'habitude, c'est la fin qui me dérange le plus, cette fois c'est plus l'accumulation de choses qui sont arrivées à Holly dans sa vie et qui rassemblées semblent avoir une signification qui me gêne. Je ne crois pas au destin, ce qui fait que j'aurais toujours à redire sur les livres de cet auteur. Je sais, je l'aime pourtant assez pour en être à mon troisième livre d'elle, elle me fascine et m'agace à la fois.
Fermons cette parenthèse pour évoquer ce qui est une réussite totale dans ce livre, le huis-clos auquel on assiste, et la tension qui se fait de plus en plus forte au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'explication finale. Holly est une mère adoptive et plus généralement une femme angoissée, soucieuse de ce que l'on pense d'elle et désireuse de faire le bonheur de sa fille ramenée de Russie presque quatorze ans plus tôt. En ce jour de Noël, les invités vont se décommander les uns après les autres en raison de la mauvaise météo, laissant Holly en tête à tête avec une adolescente irritée, distante, puis progressivement violente et terrifiante.

Pourquoi Tatiana se change t-elle constamment ? Pourquoi accuse t-elle sa mère de choses complètement absurdes ? Qui est ce M. Inconnu qui harcèle Holly sur son portable ?

Par des allers-retours entre le présent et le passé, on remonte peu à peu le fil de l'histoire. Très habilement, Laura Kasischke nous laisse nous impatienter, capturer les indices qu'elle a semés, devenir presque hystérique à force de nous demander si l'on a trouvé la bonne explication (de la plus logique à la plus irrationnelle) à toute cette tension avant de nous asséner un coup de massue dans les dernières lignes.

Un roman sur la maternité très réussi et glaçant.

Les avis de Titine et d'Emma.

Esprit d'hiver. Laura Kasischke.
Christian Bourgeois.
283 pages. 2013

6 août 2011

Le Monde selon Garp - John Irving

9782020363761-monde-selon-garp-leJohn Irving a toujours été cité dans mon entourage comme étant un monstre de la littérature américaine contemporaine. Les blogs aussi sont très enthousiastes, et Ofelia (qui a parfois bon goût) le compte parmi ses grands chouchous. D'où mon plongeon un demi-siècle plus tard dans l'un des romans les plus connus de l'auteur.

S.T. Garp naît d'une étreinte entre Jenny Fields, infirmière résolument indépendante et célibataire, et le sergent Garp, un petit homme agonisant, au point qu'il ne réalise pas ce qui se passe. De cet homme dont Jenny a presque abusé, Garp ne gardera que le nom. Il est élevé à Steering School, où sa mère a été engagée en tant qu'infirmière. Là-bas, il effectue toute sa scolarité, apprend la lutte, et rencontre Helen, qui sera plus tard la femme de sa vie.
Quand Garp atteint dix-huit ans, Jenny et lui quittent Steering, et décident de se rendre à Vienne pour écrire. Durant les quelques mois qu'ils y passent, Garp se lie avec des prostituées, et écrit sa première nouvelle. Jenny sera plus productive, et avec les plus de mille pages de Sexuellement suspecte, son autobiographie, elle devient une icône du féminisme. Rentré aux Etats-Unis, Garp essaiera de concilier ses ambitions d'écrivain, sa vie d'homme, et l'influence que la lutte des femmes exerce sur lui.

Je pense que je garderai une bonne impression de ce livre, mais je ne peux m'empêcher d'être tout de même en partie déçue, car j'attendais bien plus de ce livre.
Garp et moi, on a déjà mal commencé. J'ai eu besoin de plus de cent cinquante pages pour me sentir intéressée par ce que je lisais. C'est sans doute en partie volontaire. John Irving nous livre un récit très déconcertant, dans lequel il faut trouver ses marques. Mais contrairement à d'autres livres étranges, je n'ai pas eu envie de jouer avec l'auteur, et c'est de l'ennui profond que je ressentais jusqu'à ce que le tableau s'éclaircisse.
Une fois le roman lancé, je n'ai plus eu aucune difficulté pour avaler le reste du livre, apprécier l'humour de John Irving et surtout son imagination débordante. Les personnages de John Irving m'ont fait penser à ceux de Dickens, dans le sens où on a l'impression qu'ils ne sont pas humains, qu'ils ont des proportions étranges, des spécificités physiques inhabituelles. J'ai bien aimé aussi la place du féminisme dans ce livre, dans toute sa nécessité comme dans ses excès. Les rapports entre hommes et femmes sont violents, brouillés, la sexualité à la fois omniprésente et absente. L'écriture enfin est le sujet du livre, avec un personnage écrivain, des récits dans le récit, des questionnements sur les rapports entre fiction et réalité.
Mais, parce qu'il y a un mais, j'ai de gros regrets.
Là où le roman pêche, c'est en ne parvenant pas à allier cette loufoquerie avec de la profondeur. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être impliquée dans cette histoire. Je n'ai ni ri, ni ragé, ni pleuré avec les personnages. Garp est complètement terrifié à l'idée qu'il arrive quelque chose à ses enfants, il a des faiblesses, mais je me suis sentie très extérieure à tout ce qui lui arrivait. Même les drames (et malgré les apparences, Le Monde selon Garp en contient suffisamment) ne m'ont pas retournée. Ils sont décrits de manière cocasse, alors on les oublie. Il y a bien quelques passages qui ont une résonnance particulière, mais ils sont trop rares à mon goût. Les dernières lignes notamment, avec le fameux "nous sommes tous des incurables", sont brillantes, mais elles m'ont paru collées artificiellement.

Au final, un sorte de conte étrange et sympathique, mais dont je n'ai jamais trouvé la clé.

"Et le pape, qui a fait voeu de chasteté, tranche pour des millions d'êtres le problème de la contraception. Le monde est fou."

D'autres avis chez Kalistina, Praline et Choupynette.

Points. 648 pages.

Traduit par Maurice Rambaud.

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