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lilly et ses livres
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18 avril 2022

Pastorale américaine - Philip Roth

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"La vie de Levov le Suédois avait été, à ma connaissance, très simple et très banale, et par conséquent formidable, l’étoffe même de l’Amérique."

Lorsqu'il était dans le secondaire, Nathan Zuckerman et tous ses camarades éprouvaient une admiration sans bornes pour Seymour Levov, dit "le Suédois", le héros du lycée. Juif, très beau garçon, grand sportif, la moindre attention de sa part provoquait une fierté immense à celui qui en était l'objet.
Un demi-siècle plus tard, lorsque le Suédois le contacte, officiellement pour lui parler de son père, Zuckerman, devenu romancier, n'a pas oublié l'idole de sa jeunesse. Pourtant, l'histoire qu'il va écrire n'est pas celle qu'il imaginait.

Il y a quelque chose d'extraordinaire chez Philip Roth. Il commence par mettre en éveil nos préjugés, puis les retourne contre nous et en profite pour nous bouleverser. J'ai réellement cru détester Seymour Levov, au point de me demander comment j'allais réussir à le supporter durant presque six cents pages. Le style de l'auteur, volontairement lourd et ironique, ne me semblait pas assez séduisant pour apprécier ce que je croyais être une caricature.
En fin de compte, je ne suis que frustration depuis que j'ai achevé ce roman. Il me faut combler les blancs, chose impossible bien entendu.

Pastorale américaine, c'est l'histoire d'une ascension familiale à la façon du rêve américain. Sauf qu'il n'y a rien qui amuse autant les auteurs américains que de montrer que ça finit toujours par foirer, et nous en avons ici une démonstration magistrale et émouvante. Certes, Seymour Levov est l'homme le plus lisse du monde, marié à une reine de beauté et chef d'entreprise. Mais nous serions aussi à côté de la plaque que lui lorsque sa vie a volé en éclats si nous croyions qu'il n'y a rien de plus à en dire. Cet homme qui aime l'Amérique, qui n'a fait que la célébrer dans chacune de ses actions, a vu celle-ci lui exploser à la figure.

" Est-ce cela le détonateur ? Y a-t-il eu un détonateur ? Se peut-il que cette explosion n’ait pas eu besoin de détonateur ? "

Tout le récit va essayer de saisir où est-ce que ça a déraillé. Au sein de la famille Levov bien entendu, mais aussi dans l'Amérique des années 1960-1970, de la guerre du Vietnam, de la lutte pour les droits civiques, des affrontements sociaux. Nous allons croiser Angela Davis, parler politique, judaïsme, terrorisme et surtout paternité. Le tout jusqu'à un dîner final interminable où l'ancien dieu assiste impassible à la fin de son monde, sous le rire de l'une de ces personnes qui savourent la vue de "la crue du désordre".

Pour évoquer Portnoy et son complexe, j'avais parlé de livre provocateur, tendre et hilarant. Une description tout aussi juste de cette Pastorale américaine qui m'a encore plus touchée.

Folio. 580 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
1997 pour l'édition originale.

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27 novembre 2021

La Brodeuse de Winchester - Tracy Chevalier

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Violet Speedwell, trente-huit ans et célibataire, quitte son acariâtre de mère pour s'installer à Winchester où elle travaille en tant que dactylo. Après avoir involontairement assisté à un office réunissant des brodeuses dans la cathédrale, elle décide de rejoindre leur cercle.

J'ai ouvert ce livre avec beaucoup d'enthousiasme et un peu d'appréhension. Si Tracy Chevalier a su m'enchanter avec Prodigieuses créatures, La Dernière fugitive m'a bien moins convaincue. Heureusement, la lecture de La Brodeuse de Winchester a été une vraie lecture bonbon par ce temps froid et pluvieux.

J'ai beau ne rien connaître à la broderie, l'autrice m'a passionnée avec ses agenouilloirs, ses coussins et la description des différents points. La cathédrale de Winchester, cet espèce de "crapaud gris" peu conventionnel au milieu des grandes cathédrales gothiques, qui abrite la tombe de Jane Austen, est un lieu passionnant. Nous la parcourons jusque dans les hauteurs réservées aux sonneurs de cloches et découvrons quelques secrets de ces discrets individus. 

Nous plongeons également dans l'Angleterre des années 1930, où les séquelles de la guerre sont encore très vives. Des centaines de milliers d'hommes manquent à l'appel, ce qui est une catastrophe pour leurs familles mais aussi une condamnation pour toutes les femmes restées célibataires, une condition aussi méprisée que suspecte dans "une société conçue pour le mariage". Malgré sa profession, Violet n'a pas les moyens de manger à sa faim, le salaire d'une femme ne devant être qu'un complément de revenus en attendant qu'elle se marie. Les allées et venues de Violet sont surveillées, elle ne peut parler à quiconque de ses "partenaires de sherry", et gare à la tentation du lesbianisme...

Pour être complètement honnête, je n'ai pas compris l'intérêt du personnage de Jack Wells et je trouve que l'histoire d'amour principale manque de crédibilité. Une complicité amicale entre les deux protagonistes concernés aurait été bien plus efficace à mon sens. Mais ces petites réserves ne m'empêchent pas de vous recommander chaudement ce titre.

Je remercie les éditions Folio pour ce livre.

Folio. 381 pages.
Traduit par Anouk Neuhoff.
2019 pour l'édition originale.

27 octobre 2021

Nous avons toujours vécu au château - Shirley Jackson

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Les Blackwood font partie des familles les plus aisées de la région. On les hait pour cela. Depuis quelques années, il n'y a plus que Mary-Katherine qui sort faire les courses deux fois par semaine, sous les regards narquois et terrifiés des gens. Ensuite, elle referme le verrou qui empêche les intrus de pénétrer dans son immense propriété et retourne se terrer avec son oncle Julian et sa soeur Constance. Ils sont les seuls survivants.

Toujours dans l'ambiance du Challenge Halloween, j'ai sorti ce livre des tréfonds de ma PAL avec beaucoup d'attentes. De Shirley Jackson, j'avais lu une seule nouvelle, La Loterie, qui m'a marquée à jamais. Je n'ai pas trouvé dans ce roman le récit d'horreur que j'attendais, mais cette lecture est tout de même très dérangeante à sa façon.

Nous avons toujours vécu au château est un conte, sans lieu ni époque. Il pourrait être une métaphore pour d'inombrables situations. L'autrice nous plonge dans un univers ambigu, malsain, mêlant méchanceté humaine et rumeurs. Les habitants du village se comportent de façon ignoble envers la jeune Mary-Katherine, la harcelant et poussant les enfants à le faire. Le rapport de force n'est cependant pas si simple à évaluer. Les Blackwood sont aussi en position dominante sur leur territoire et aiment le rappeler. Même après les événements qui surviennent, ils apparaissent comme des demi-dieux capables de détruire ceux qui les ont offensés.

Ce livre flirte avec le surnaturel avec brio. On ignore s'il se déroule dans un monde où les sortilèges existeraient ou s'il ne décrit que des manies enfantines.  Il met en scène des êtres dont on ne sait s'ils sont fous ou hors de la réalité. La vérité est relative et Shirley Jackson distille les informations au compte-goutte.

Un texte d'autant plus déstabilisant qu'on ne sait de quel côté le couperet va tomber, et qui nous offre une vision de la nature humaine des plus sombres.

Rivages. Traduit par Jean-Paul Gratias.
234 pages.
1962 pour l'édition originale.

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20 octobre 2021

De sang froid - Truman Capote

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"Comme les eaux de la rivière, comme les automobilistes sur la grand-route, et comme les trains jaunes qui filent à la vitesse de l’éclair sur les rails du Santa Fe, la tragédie, sous forme d’événements exceptionnels, ne s’était jamais arrêtée là. "

Le matin du 15 novembre 1959, la tranquille communauté de Holcomb, au Kansas, est frappée d'horreur. Quatre membres de la très respectable famille Clutter ont été ligotés avant d'être abattus d'une balle dans la tête. En raison de la gravité du crime, le K.B.I. est saisi de l'affaire.

Grand classique de la littérature américaine faisant partie des précurseurs dans le genre des true crimes, De sang froid est un choix de premier ordre pour le Challenge Halloween.

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Avec ce livre, Truman Capote  nous plonge dans le quotidien des Clutter, paisible et prospère famille de fermiers. Le père, Herb, est un homme droit et généreux. Son épouse, bien que dépressive, est appréciée de tous. Quant aux deux adolescents, ils justifient autant que leurs parents l'impression qu'on s'en est pris à la dernière famille qui pouvait avoir des ennemis. Le drame plonge la communauté dans une angoisse profonde, d'autant plus que les meurtriers ne sont pas arrêtés avant plusieurs mois.

Du côté de la police, la description de l'enquête, est passionnante. Confrontés à une attente immense de la part de la population et dotés d'un nombre très faible d'indices qui handicape aussi bien l'enquête que le procès, les agents doivent faire preuve d'une rigueur extrême et espérer un peu de chance.

" Pourtant, sur le plan théorique, ceci n’était pas sans failles non plus. Dewey trouvait difficile, par exemple, de comprendre « comment deux individus pouvaient atteindre le même degré de fureur, le genre de fureur de psychopathe qu’il fallait pour commettre un crime semblable. "

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Quant aux meurtriers, nous les suivons également dans leur périple, depuis leur entreprise mortelle jusqu'au gibet. Si l'on connaît rapidement le dénouement, les zones d'ombre qui entourent l'affaire suffisent à rendre ces hommes fascinants et inquiétants. Davantage présents que les victimes, le lecteur devient un juré sans doute moins impassible que ceux qui ont condamné Smith et Hickock à mort.

Bien qu'il ne prenne aucunement parti et que cette affaire soit moins intense que ce que j'imaginais (pas de folie meurtrière de la part de la population, pas de vrais rebondissements), cette lecture est aussi addictive que marquante. De sang froid n'est pas un simple récit, c'est aussi un livre qui nous amène à questionner les limites et les aberrations du système judiciaire américain. Smith et Hickock ont-ils eu un jugement équitable ?  La société ne doit-elle pas se montrer exemplaire dans ce genre de cas ? La peine de mort est-elle une violence légitime et acceptable ?
Enfin, et c'est sans doute le point le plus intéressant, l'auteur évoque la prise en compte encore très faible de la psychologie des auteurs de crimes. Pourtant, celui qui a vraisemblablement commis les quatre meurtres, détruit par la pauvreté, l'absence de cadre affectif et ayant un rapport à la réalité complexe, est d'une certaine manière un homme bien plus touchant que son complice. Peut-on ignorer le contexte dans lequel un individu a évolué ? Est-ce une insulte à la mémoire des victimes de considérer qu’un meurtrier ne peut pas être considéré que comme un monstre ?

Folio. 506 pages.
Traduit par Raymond Girard.
1966 pour l'édition originale.

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7 mai 2021

A l'Est d'Eden - John Steinbeck

eden"Au cours des hivers pluvieux, les torrents s’enflaient et venaient grossir la Salinas qui, bouillonnante et furieuse, quittait son lit pour détruire. Elle entraînait la terre des fermes riveraines ; elle arrachait et charriait granges et maisons ; elle prenait au piège et noyait dans son flot bourbeux vaches, cochons et moutons, et les roulait vers la mer. Puis, avec la fin du printemps, la rivière regagnait son lit et les bancs de sable apparaissaient. En été, elle se terrait. De l’élément liquide, seules subsistaient des flaques à l’emplacement des tourbillons hivernaux. reculait et les saules se redressaient, empanachés de débris. La Salinas n’était qu’une rivière saisonnière et capricieuse, tour à tour dangereuse et timide – mais nous n’avions que celle-là et nous en étions fiers. On peut être fier de n’importe quoi si c’est tout ce que l’on a. Moins on possède, plus il est nécessaire d’en tirer vanité."

La Vallée de la Salinas en Californie est une terre capricieuse. Les chanceux et les riches ont de l'eau pour survivre durant les années de sécheresse, les autres doivent se contenter de vastes terrains sur lesquels ils n'ont aucune chance de prospérer. Samuel Hamilton est de ces derniers. Pourtant, cet immigré irlandais est un homme reconnaissant. Père d'une famille nombreuse, marié à une femme admirable et grand inventeur incapable de tirer profit de ses nombreuses qualités, il est l'un des hommes les plus respectés de la vallée.
C'est ici aussi que va se dérouler la vie des Trask, dont la destinée ressemble à s'y méprendre à l'histoire de Caïn et Abel.

Les Raisins de la colère a été l'un de mes plus gros coups de coeur de 2020, A l'Est d'Eden sera sans aucun doute dans mes favoris 2021.

Avec une écriture extraordinaire qui décrit avec une même justesse les décors dans lesquels se déroulent l'histoire que les sentiments des personnages, Steinbeck nous transporte d'un bout à l'autre des ces presque huit cents pages. Il nous plonge dans la vallée de la Salinas, nous emmène ensuite sur la côte Est avant de nous ramener en Californie. Il nous fait voyager du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale.

Comme de nombreux romanciers, l'auteur s'interroge sur la préexistence du bien et du mal chez les individus. Ca pourrait être barbant, banal, il n'en est rien.

"Au monstre, le normal doit paraître monstrueux, puisque tout est normal pour lui. Et pour celui dont la monstruosité n’est qu’intérieure, le sentiment doit être encore plus difficile à analyser puisque aucune tare visible ne lui permet de se comparer aux autres. Pour l’homme né sans conscience, l’homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule. Pour le voleur, l’honnêteté n’est que faiblesse. N’oubliez pas que le monstre n’est qu’une variante et que, aux yeux du monstre, le normal est monstrueux."

Les monstres de Steinbeck sont captivants, nuancés. Ils font froid dans le dos, nous tiennent en haleine et nous montrent surtout la complexité de l'humanité. L'église et la maison close sont nécessaires l'une à l'autre. Les Samuel, Lee, Adam ou Aron ne sont pas les plus nombreux, et leurs blessures les rendent parfois bien plus cruels que les "monstres". Si Caïn a tué Abel, est-ce seulement sa faute ou bien surtout celle de son père ?

"La traduction de King James avec son tu le domineras promet à l’homme qu’il triomphera sûrement du péché. Mais le mot hébreu, le mot timshel – tu peux – laisse le choix. C’est peut-être le mot le plus important du monde. Il signifie que la route est ouverte. La responsabilité incombe à l’homme, car si tu peux, il est vrai aussi que tu peux ne pas, comprenez-vous ?"

Si le discours social est moins passionné que dans Les Raisins de la colère, il reste omniprésent. Vols de brevets, profits et crimes de guerre, hypocrisie des classes dirigeantes, appauvrissement des paysans, Steinbeck n'oublie pas les ravages du capitalisme. Les bons seront seront toujours ceux qui résistent à l'argent sale. Là encore, ce qui prime, c'est le choix.

"Voici ce que je crois : l’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté pour l’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité. Tel je suis, telle est ma position. Je comprends pourquoi un système conçu dans un gabarit et pour le respect du gabarit se doit d’éliminer la liberté de l’esprit, car c’est elle seule qui, par l’analyse, peut détruire le système. Oui, je comprends cela et je le hais, et je me battrai pour préserver la seule chose qui nous mette au-dessus des bêtes qui ne créent pas. Si la grâce ne peut plus embraser l’homme, nous sommes perdus."

Même s'il ne raconte pas des histoires très amusantes, il y a chez Steinbeck un optimisme certain. On sent qu'il aime les hommes et qu'il espère pour eux un monde meilleur. L'amitié entre Lee, Samuel et Adam redonne foi en l'humanité. Les relations fraternelles entre Charles et Adam ou Cal et Aron sont complexes et tragiques, mais leurs faiblesses crient le besoin de l'homme d'être aimé.

Si vous ne l'avez pas encore compris, A l'Est d'Eden est un énorme coup de coeur. A lire et à relire.

Les avis d'Ingannmic et de Mes pages versicolores.

Le Livre de Poche. 785 pages.
Traduit par Jean-Claude Bonnardot.
1952 pour l'édition originale.

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2 mai 2021

Un été sans les hommes - Siri Hustvedt

hustvedtLorsque son mari lui annonce qu'il veut faire une pause (une pause française et âgée de vingt ans de moins qu'elle), Mia est admise dans un service psychiatrique. A sa sortie, elle prend provisoirement congé de la fac dans laquelle elle enseigne et rejoint sa ville natale. 
Là-bas, elle rencontre les membres de la résidence pour personnes âgées où vit sa mère, toutes veuves. Elle est également engagée pour animer un atelier de poésie avec de jeunes adolescentes.

J'ai apprécié ce livre, qui m'a donné l'impression d'être dans un cocon, entre filles (même si les filles ne sont pas toujours tendres). C'est à la fois enchanteur et emprunt de nostalgie. 

Siri Hustvedt n'est pas tendre avec les hommes, leurs injustices et leurs lâchetés envers les femmes qu'ils ont épousées. Mia est une femme blessée et en colère. Bien que banale, sa souffrance est réelle. Elle et son époux ont vécu des décennies ensemble, au point qu'ils mélangent leurs souvenirs. Une séparation n'est pas qu'un chagrin d'amour, c'est aussi une perte de repères.

"Il n’y a pas de vie sans un sol, sans un sentiment de l’espace qui n’est pas seulement extérieur mais intérieur aussi – les lieux mentaux. Pour moi, la folie avait constitué une suspension. Quand Boris s’en fut de cette manière abrupte promener ailleurs son corps et sa voix, je me mis à flotter. Un jour, il laissa échapper son désir d’une pause, et ce fut tout. Sans doute avait-il médité sa décision, mais je n’avais eu aucune part à ses réflexions."

Un immense sentiment d'injustice habite l'héroïne, digne et dévouée épouse de scientifique reconnu. Cette expérience met en valeur le déséquilibre dans les rapports entre hommes et femmes. Ces dernières sont toujours défavorisées. Elles sont rares à parvenir à se faire entendre et à jouir d'une autorité naturelle. On attend d'elles un souci constant du bien-être des personnes qui leur sont proches Condamnées à faire essentiellement un travail invisible, à être le soutien de l'homme, même si elles ont elles-mêmes une carrière (on pense mille fois à Simone de Beauvoir en lisant ce livre), elles ont en plus une date de péremption.
En tant que poétesse, Mia s'interroge sur le rapport à l'écriture et à la lecture, qui n'est pas le même selon que l'on est un homme ou une femme.

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Les femmes lisent des fictions écrites par des femmes et par des hommes. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime avoir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver à cet appareil génital externe si l’on s’immergeait dans des faits et gestes imaginaires concoctés par quelqu’un qui a le sien à l’intérieur. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : “Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit.”

J'ai parlé de colère, mais il n'est pas seulement question de se morfondre. Durant cet interlude, Mia et ses nouvelles amies expérimentent une vie débarassée des contraintes du mariage. Les veuves ne sont pas forcément inconsolables. Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer au premier abord, ne pas se remarier n'est en rien une preuve de dévotion envers l'époux disparu.

"Les veufs se remarient parce que ça leur facilite la vie. Les veuves non, le plus souvent, parce que leur vie en serait plus difficile."

N'étant que séparée, Mia tente de se découvrir, de se rappeler qui elle est. Une pause nécessite de se préparer aux différentes issues possibles, à savoir la reconstruction seule ou les retrouvailles sous conditions. 

Si j'ai apprécié l'ambiance et le propos du livre, je n'ai pas adhéré à la forme, qui énonce une théorie en début de chapitre pour en offrir une démonstration. C'est parfois flou et donne à l'histoire un caractère artificiel. 

Un roman frais mais très imparfait. Je crois que j'ai été d'autant plus indulgente avec ce livre qu'il énonce des idées auxquelles j'adhère en grande partie et que cela en a fait une lecture reposante.

L'avis de Lili que je partage très largement.

Babel. 224 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2011 pour l'édition originale.

15 décembre 2020

Et m*** ! - Richard Russo

russoLe lendemain de l'élection de Donald Trump, David et sa femme Ellie, deux universitaires à la retraite, reçoivent deux couples d'anciens collègues et amis. Ces derniers ont profité de la fin de leur carrière professionnelle pour quitter le centre-ville et s'établir en périphérie.
A la fin de la soirée, Ellie découvre un étron dans le jacuzzi de la maison, le premier d'une série.

A la fin de l'été, Ingannmic a lancé l'idée d'une lecture commune autour de Richard Russo. J'avais prévu de me lancer dans l'une de ses oeuvres les plus connues, mais étant débordée de travail en ce moment et ayant déjà eu la riche idée de profiter de l'occasion pour poursuivre ma lecture du Deuxième sexe et entamer Les Frères Karamazov, j'ai dû me rabattre sur cette toute petite nouvelle sortie en début d'année.

Ce n'est pas forcément le livre le plus subtil de l'année, ni l'oeuvre la plus originale de Russo, qui comme dans les quelques autres oeuvres de lui que je connais met en scène des universitaires d'un certain âge, mais en peu de pages l'auteur nous dresse un portrait amusant de l'Amérique de Trump, dont les habitants se sont pour beaucoup réveillés avec la gueule de bois début novembre 2016.
Il est très courant aux Etats-Unis d'afficher publiquement pour qui l'on vote, et forcément cela ne plaît pas à tout le monde.
Alors ces étrons, farce, vengeance, menace ou métaphore ?
Car cette nouvelle évoque aussi en sous-texte l'amitié, le mariage et les relations entre hommes et femmes. Ceux qui nous sont proches agissent parfois d'une façon si étonnante à nos yeux que l'on est prêt à renoncer à des décennies d'amitié en un instant. La merde du titre est aussi celle que David a dans les yeux, qui l'empêche de voir le désarroi des femmes de sa famille, et surtout, qui lui fait considérer les avertissements de sa femme comme des manifestations de son hystérie.

Une curiosité rappelant avec humour que ce que l'on prend comme acquis peut disparaître en un battement d'aile (de mouche). Décidément, Russo est un très bon nouvelliste.

L'avis de Maeve.

La Table Ronde. 64 pages.
Traduit par Jean Esch.

21 octobre 2020

La Vallée de la Lune - Jack London

luneOakland, début du XXème siècle. Saxonne est jeune, idéaliste et volontaire. Descendante d'une poétesse ayant participé à la conquête de l'Ouest, elle est persuadée d'être destinée à une existence peu ordinaire. Lorsqu'elle rencontre Billy, charretier de profession mais ancien boxeur, c'est le coup de foudre.
Cependant, la lutte entre patrons et syndicats fait rage et pourrait bien ruiner leur bonheur.

C'est peu dire que j'ai lutté pour venir à bout de ce roman de six cents pages. Il contient énormément de passages qui auraient mérité d'être supprimés et son discours est tour à tour ennuyeux et dérangeant.

On dit souvent de la littérature américaine qu'il s'agit d'une littérature de pionniers, qu'on y trouve une réécriture perpétuelle de la Bible. Avec La Vallée de la Lune, difficile de passer à côté de la recherche de la Terre Promise entreprise par Billy et Saxonne après avoir subit les brimades du capitalisme.

La première partie est une charge contre les inégalités sociales, les grands patrons, l'injustice du système judiciaire. Du pur Jack London. Lorsque les grèves s'enclenchent, l'auteur décrit avec précision la violence qui s'empare des individus, les meurtres des briseurs de grève, les condamnations à mort en représailles. Les quelques richesses que Saxonne et Billy avaient amassées sont bien vite englouties et remplacées par des dettes de toutes parts. La tentation de l'alcool n'est pas loin non plus. 

" Archie, ce gosse, a volé deux dollars et quatre-vingt cents à un poivrot, et il en a pris pour cinquante ans. J. Allison Forbes, lui, a fauché deux millions de dollars à l'Alta Trust et on lui a collé moins de deux ans de prison. Qu'est-ce que c'est que ce foutu pays ? "

Saxonne n'est pas du genre à se résigner. Elle est convaincue qu'en tant que descendante de combattants américains, elle n'a pas moins de droits que les autres. Après une rencontre avec un jeune garçon rêvant d'ailleurs ayant de sérieux airs de Jack London en personne, elle trouve la solution à ses problèmes. Quitter Oakland, sa violence et sa misère.

C'est à ce moment que le roman devient problématique dans son discours. C'est d'abord insidieux. Au fil de leurs rencontres, Billy et Saxonne accumulent du savoir sur le monde rural, les cultures et adoptent un discours qui n'est plus seulement idéaliste. On retrouve dans ce roman toutes les contradictions de Jack London. Bien que méprisant les élites, il les envie et les célèbre également. C'est ainsi que Mrs Mortimer, ancienne bibliothécaire ou les intellectuels de Carmel apparaissent comme de véritables modèles.
Si j'ai souri à ce dernier point, j'ai en revanche eu beaucoup de mal à voir Saxonne et Billy se comporter de plus en plus comme leurs anciens ennemis. Au fil du roman, les héros de London adhèrent de plus en plus visiblement à l'idée selon laquelle les individus obtiennent ce qu'ils méritent. Les dernières pages, dans lesquelles Saxonne et Billy se montrent condescendants à l'extrême envers les "têtes à deux dollars par jour" et magouillent pour obtenir le meilleur prix de terres dont ils ont deviné la grande valeur au détriment de celui qu'ils voient comme un imbécile m'ont donné la nausée. Je ne connaissais pas le Jack London simpliste.

On passe de la violence de la lutte des classes à la célébration du rêve américain sans la moindre nuance. Dérangeant et franchement raté.

Libretto. 601 pages.
Traduit par Louis et François Postif.
1913 pour l'édition originale.

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11 septembre 2020

Nickel Boys - Colson Whitehead

Whitehead

"Ils seraient toujours en cavale, quel que soit le moyen par lequel ils avaient quitté cette école."

Victime d'une erreur judiciaire, Elwood, jeune Noir réputé pour son sérieux et sensibilisé à la lutte pour les droits civiques, est envoyé à la Nickel Academy, un établissement pour mineurs délinquants.
Lui qui est convaincu qu'un avenir meilleur l'attend ne va pas tarder à apprendre de la plus brutale des manières que ses espoirs sont pour l'heure un doux rêve.

Colson Whitehead est un auteur que je veux découvrir depuis la publication d'Underground Railroad. Bien que j'accorde peu d'importance aux prix littéraires, le fait que Nickel Boys soit le deuxième Prix Pulitzer de l'écrivain m'a interpelée. Colson Whitehead y explore un nouveau pan de l'histoire et particulièrement celle des Noirs.

La force de ce livre ne réside pas dans l'originalité de la plume de son auteur, mais dans l'exposition froide des faits rapportés. Les seuls passages solennels sont des citations de Martin Luther King qui résonnent dans la tête du personnage principal. Avec des mots simples, un ton presque journalistique et sans jamais tomber dans le voyeurisme, Colson Whitehead nous plonge dans l'horreur.

Il est très facile de visualiser Nickel telle qu'Elwood la découvre pour la première fois, sous le beau soleil de Floride et bordée de grands espaces. L'école semble presque accueillante. Pourtant, dès le prologue, nous savons qu'elle dissimule des charniers.
Avant même de mettre les pieds à la Nickel Academy, Elwood a pu expérimenter la ségrégation raciale. Dans l'hôtel où travaille sa grand-mère, les Noirs ne sont que des employés. Son lycée leur fournit des livres ayant préalablement servi aux établissements réservés aux élèves Blancs et soigneusement annotés d'insultes racistes par ces derniers. Quant à la mésaventure qui conduit Elwood en maison de correction, elle ne serait jamais arrivée à un adolescent blanc.

Nickel Academy est une institution vieille de plusieurs décennies lorsqu'Elwood y est interné. De nombreuses dénonciations ont déjà eu lieu concernant les sévices subits par les adolescents. Les disparitions sont régulières. Mais, pas plus que dans Le Vagabond des étoiles de Jack London, qui décrivait aussi les tortures infligées dans les prisons californiennes, les détenus ne peuvent attendre d'aide de l'administration. L'école est prévenue des inspections, la corruption présente à tous les niveaux. Qui s'inquièterait du sort de délinquants sans famille ? Pas grand monde, encore moins s'ils n'ont pas la bonne couleur de peau.

Bouleversant et révoltant.

Albin Michel. 272 pages.
Traduit par Charles Recoursé.
2019 pour l'édition originale.

27 août 2020

Retour à Martha's Vineyard - Richard Russo

russo1971. Alors qu'ils viennent d'achever leurs études, Lincoln, Teddy et Mickey se retrouvent pour un week-end dans la maison familiale de la mère de Lincoln à Martha's Vineyard. Jacy, la fille dont ils sont tous les trois amoureux, se joint à eux.
A la fin du week-end, les trois garçons se séparent et ne se reverront pas avant de nombreuses années. Jacy, partie avant eux en laissant un mot disparaît. La police ne retrouvera jamais sa trace.
2015. Lincoln et sa femme, pour assurer leur stabilité économique mise à mal par la crise de 2008, décident de vendre la maison de Martha's Vineyard. Les trois amis, désormais des hommes d'âge mur, vont s'y retrouver.

Après mon coup de coeur pour Trajectoire, je voulais retrouver la plume de Richard Russo. Retour à Martha's Vineyard est un joli roman que j'ai savouré avec grand plaisir.

C'est un livre assez mélancolique, évoquant l'importance et l'inxorabilité de nos choix. Tout au long du récit, les personnages s'interrogent sur ce qui s'est joué en un week-end.
La question centrale, celle qui hante les trois amis concerne Jacy et ce qui lui est arrivé. Est-elle morte ? Si oui, le coupable est-il le voisin libidineux ou bien l'un d'entre eux ?
Derrière cette interrogation, Lincoln et Teddy remontent le fil de leur vie et se livrent à une véritable introspection. Près d'un demi-siècle plus tard, avec l'expérience, ils interprétent mieux certains gestes ou paroles. Qu'auraient-ils fait de leur vie à la lumière de ces connaissances s'ils les avaient eu en 1971 ?
Dans un premier temps, si l'aspect presque policier du livre qui m'a attirée, j'ai surtout été touchée par les découvertes que nous faisons sur ces trois hommes, Teddy en particulier. Avec une subtilité rare, Richard Russo nous montre à quel point la communication entre êtres humains est complexe. Même, voire surtout, entre membres d'une même famille.
Il nous prouve aussi que les actes que l'on trouve absurdes ou stupides ont souvent une explication très simple, à condition que les parties en jeu veuillent discuter.

En fond de toile, nous percevons l'histoire des Etats-Unis, de la Guerre du Viêtnam à l'Amérique pré-Trump. Le rêve américain n'est qu'une chimère.

Un chouette roman.

Je remercie les Editions de la Table Ronde pour cette lecture.

La Table Ronde. 377 pages.
Traduit par Jean Esch.
2019 pour l'édition originale.

 

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