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lilly et ses livres
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11 août 2018

Dolores Claiborne - Stephen King

dolores-claiborne-de-stephen-king" Elle m’a bien eue, et vous savez ce qu’on dit : tu me roules une fois, honte à toi, tu me roules deux fois, honte à moi. "

Alors que Vera Donovan, riche propriétaire d'une demeure sur l'île de Little Tall dans le Maine, vient de mourir, Dolores Claiborne, son employée, est accusée de l'avoir assassinée. Interrogée, cette femme de soixante-cinq ans décide alors de se confier. Elle leur dit tout aux policiers qui l'interrogent, à commencer par le meurtre de son mari trente ans plus tôt. Mais, elle le jure, elle est innocente des accusations portées contre elle concernant le décès de sa patronne.

Dolores Claiborne n'est pas un roman de genre, ce n'est même pas réellement une enquête policière. Il s'agit d'un long monologue. Si Dolores interpelle régulièrement et avec impertinence les trois personnes qui l'entourent, deux policiers et une secrétaire, ils n'interviennent jamais. Cela peut sembler curieux et beaucoup d'auteurs se seraient cassé les dents avec ce type de roman, mais j'ai déjà remarqué que Stephen King était un formidable conteur et ce livre en est un bel exemple.
C'est avant tout l'histoire de sa famille que Dolores Claiborne raconte. On découvre d'abord une femme mariée trop jeune à un homme violent, intolérant et bien plus encore. Malgré cela, Dolores élève ses enfants et n'hésite pas à tenir tête à son mari. Elle s'exprime franchement, parfois de façon vulgaire et sans langue de bois. Dès les premières pages, on apprend que la mort de Joe Saint-George n'était pas accidentelle, que sa femme l'a bel et bien liquidé trente ans plus tôt. S'il est facile de supposer que les violences conjugales et l'alcoolisme sont les motifs de ce meurtre, nous devrons attendre que le récit arrive au jour de l'éclipse en 1963 pour en avoir la confirmation.
Avec sa patronne aussi Dolores a connu une histoire chaotique. Vera n'est pas une personne agréable et la confrontation entre ces deux femmes de poigne a fait des étincelles durant des décennies. Cette relation est parfois malsaine, puisque soumise aux changements d'humeur de Vera notamment, mais il s'agit d'une forme d'amitié. Sans doute parce qu'elle lui tient tête, l'impitoyable Vera se laisse aller avec Dolores. Tout ou presque entre elles repose sur des non-dits, des phrases prononcées l'air de rien, et pourtant... j'étais déjà fascinée par cette relation, mais la fin du roman lui donne une autre profondeur et laisse le lecteur interloqué.

Si je ne pense pas pouvoir lire un jour les romans d'épouvante de Stephen King, je réalise qu'il est un auteur bien plus complet et touche à tout que ce que je pouvais imaginer. Pas de surnaturel ici, simplement des moments d'angoisse et de terreur provoqués par les drames auxquels les personnages ont été confrontés. C'est bouleversant.

Encore une belle version audio des éditions Thélème, mais j'ai regretté que la voix de la lectrice soit aussi jeune pour un personnage de soixante-cinq ans.

Un autre avis ici.

Thélème. 8h24.
Lu par Elodie Huber.

Traduit par Dominique Dill.
1992 pour l'édition originale.

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29 novembre 2017

Le Temps de l'innocence - Edith Wharton

9782080707864"Rien ne lui était plus agréable chez sa fiancée que la volonté de porter à la dernière limite ce principe fondamental de leur éducation à tous les deux : l'obligation rituelle d'ignorer ce qui est déplaisant."

Dans le New York des années 1870, Newland Archer s'apprête à épouser la ravissante May Welland. Durant une représentation, une jeune femme attire son regard dans la loge de sa fiancée. Il s'agit de la Comtesse Ellen Olenska, cousine de May, rentrée en Amérique après un mariage désastreux qui s'est achevé dans le scandale.
Ellen est une femme envoûtante, peu respectueuse des conventions, mais sa famille met tout en oeuvre pour protéger sa réputation. Newland se sent immédiatement responsable de la comtesse, et ne tarde pas à développer des sentiments profonds à son égard, des sentiments partagés. Cependant, la société new-yorkaise ne pardonne pas ce genre de passion.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu cette grande dame de la littérature américaine, et j'ai passé un excellent moment à la suivre dans le New York du XIXème siècle. La Comtesse Olenska revient dans un monde où les membres de droit de l'aristocratie luttent contre la montée en puissance de ceux qu'ils jugent comme des parvenus et où l'hypocrisie règne. Les premières pages sont savoureuses et nous offrent des répliques dignes des auteurs les plus piquants. Je déteste ces comparaisons qui nous procurent souvent des déceptions lorsqu'on en attend trop, mais la mère de Newland démontrant que rien ne va plus parce qu'on ne sort plus dans le monde avec des robes datant d'il y a au moins deux ans vaut bien l'obsession de Mrs Allen pour le prix des tissus dans Northanger Abbey de Jane Austen.
Outre son humour, Edith Wharton nous plonge dans une ambiance envoûtante. Certaines scènes sont de véritables tableaux, qui prennent le lecteur aux tripes. C'est le cas de beaucoup de scènes de la comtesse, depuis sa première apparition à l'opéra dans sa robe bleue trop décolletée à sa dernière scène, en passant par sa silhouette au bord de la mer, lorsqu'elle attend et redoute la venue de Newland qui ne la rejoindra pas.

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Lorsque le jeune homme réalise, lors d'un dernier repas de famille, que tous ont compris bien mieux que lui ce qu'il se passait :

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Archer est un homme qui rêve d'amour plus qu'il ne le vit. A chaque occasion, il trouve un prétexte pour reculer. Certaines sont pourtant énormes, comme lorsque May lui propose de revenir sur leurs fiançailles ou à la fin du roman. Il me rappelle Frédéric Moreau de L'éducation sentimentale, roman que je n'ai jamais réussi à terminer parce que le héros m'exaspérait. Celui d'Edith Wharton ne vaut pas beaucoup mieux en définitive. Newland Archer est entouré d'une société qu'il juge, dont il pense connaître tous les usages quand il n'en maîtrise pas le moindre bout. Sa relation avec la comtesse, et même le trio qu'ils forment avec May, ne provoque aucun coup d'éclat, aucun cri. Archer est beaucoup trop enfermé dans les principes reçus dans son éducation. Son comportement en amour se retrouve dans son rapport aux femmes. Il est admiratif de la grand-mère d'Ellen, prête à défendre la comtesse et à se moquer de toutes les critiques. Très vite, le jeune homme défend Ellen, juge sévèrement le manque de personnalité de May. Pourtant, il préfère oublier au plus vite les quelques phrases sortant de la bouche de sa fiancée qu'il n'imagine pas possible chez une jeune fille bien éduquée.

"Néanmoins, il serait tenu à défendre, chez la cousine de sa fiancée, une liberté que jamais il n'accorderait à sa femme, si un jour elle venait à la revendiquer."

Ce sont finalement elles, May et Ellen, qui maîtrisent le plus leur existence. Leur présence est discrète, mais elles dégagent énormément de choses, malgré l'aveuglement du personnage principal à travers lequel on les voit.
Si je devais faire un (petit) reproche à ce livre, ce serait l'insistance de Wharton sur les règles de la bonne société. C'est certes le thème du livre, mais leur rappel incessant n'est pas nécessaire et donne un côté scolaire à certains passages. J'ai cependant aimé le dernier chapitre, trente ans plus tard, qui analyse les évolutions de la société new-yorkaise et le ton féministe du roman.

Pas un coup de coeur, mais un délicieux moment de lecture. J'ai décidé de me replonger dans les classiques que je délaissais, je m'en réjouis. A moi le film maintenant (oui, je fais des captures d'écran sans l'avoir vu).

L'avis de Romanza.

GF Flammarion. 313 pages.
Traduit par Madeleine Taillandier.
1920 pour l'édition originale.

2 novembre 2017

Nulle part sur la terre - Michael Farris Smith

11Nulle part sur la terre est l'un des romans américains qui ont retenu mon attention en cette rentrée littéraire 2017. Moins mis en avant que les livres de Colson Whitehead et Nathan Hill, il semble cependant avoir séduit ses lecteurs.

Après des années loin de chez elle et bien que plus personne ne l'y attende, Maben revient dans le Mississippi accompagnée de sa petite fille. Elles n'ont que quelques dollars en poche et tous leurs biens sont contenus dans un vieux sac poubelle. Maben espère trouver un travail, un foyer pour sa fille, et surtout laisser ses vieux démons derrière elle.
Au même moment, Russell revient lui aussi dans sa ville natale, après avoir purgé une peine de onze ans de prison. Il peut compter sur l'aide de son père, mais certains n'ont pas oublié ce qu'il leur a fait.
Peut-on se reconstruire lorsqu'on est tombé si bas qu'il ne semble y avoir de place pour nous nulle part ?

On entre sans la moindre difficulté dans ce livre, on évolue aux côtés des deux personnages principaux dont les histoires vont évoluer en parallèle avant de se croiser assez tard dans le récit. Maben et Russell sont des personnages abîmés par ce qu'ils ont vécu, habitués à se débrouiller seuls, à encaisser les coups, et à tomber toujours plus bas. Ce que montre Michael Farris Smith avec ce livre, c'est la façon dont la société, une fois que l'on s'est écarté des rails qu'elle a tracés pour nous, nous écarte et nous empêche de revenir. La conseillère en réinsertion de Russell l'affirme bien, statistiques à l'appui : la majorité des anciens détenus récidivent. Mais la faute à qui ? A ceux qui ne respectent pas les règles ou à cette société qui refuse la réintégration, que ce soit par le regard porté sur ces individus ou par les difficultés qu'ils auront à trouver un emploi, un logement, un cercle amical ? Dès le début du roman, un policier verreux est retrouvé mort, tué avec son arme. Russell étant revenu en ville le jour même fait un coupable idéal, et ses quelques mauvais choix à ce moment-là, qui n'auraient pas eu la moindre incidence s'ils avaient concerné quelqu'un d'autre, pourraient bien lui valoir un retour immédiat en prison.
L'auteur laisse d'abord planer le doute sur les raisons qui ont amené Russell derrière les barreaux pendant plus de dix ans. Je vous laisse découvrir ce qu'il a fait, mais j'ai trouvé l'auteur un peu frileux à ce sujet. Tout comme l'avait fait Russell Banks dans Lointain souvenir de la peau, Michael Farris Smith nous dresse un portrait de personnage qu'il n'est pas trop difficile de comprendre. Russell a fait une énorme erreur et a mérité sa peine, mais ce n'est pas non plus un violeur, un tueur en série ou quelqu'un qui a torturé des chatons. Il est facile de ressentir de l'empathie à son égard. Ce serait moins agréable à lire, mais je pense qu'un livre posant réellement la question de la réinsertion de personnes ayant commis des actes monstrueux serait un projet autrement ambitieux.
Quoi qu'il en soit, ce doute planant sur la façon dont Maben et Russell en sont arrivés là, puis l'enquête concernant le meurtre donnent un côté roman policier au récit, qui permet de rester bien en alerte jusqu'au dénouement.
On sent dans ce livre une volonté de l'auteur de se montrer optimiste, confiant envers l'être humain. Contrairement à ce que laisse présager la quatrième de couverture, si les épreuves traversées par Maben et Russell sont réelles, elles sont atténuées par la chaleur qu'ils trouvent dans le foyer de Mitchell, le père de Russell et l'amitié entre Russell et Boyd, l'adjoint du shérif. Nous sommes dans une ville où la violence et la défiance ne sont jamais très loin, mais où l'on est aussi à proximité des marais, dans lesquels les petits vieux peuvent passer la nuit dehors en s'imaginant qu'ils sont courageux et où Mitchell, Consuela et Annalee peuvent oublier le reste du monde en pêchant toute la journée. J'aime la moiteur, les bruits et les couleurs auxquels les romans qui se déroulent dans le Vieux Sud des Etats-Unis me font penser, et on retrouve bien cette atmosphère ici.

J'ai été emportée sans difficulté par ce livre, son ambiance et ses personnages, mais je pense qu'il ne secoue pas suffisamment pour marquer de façon durable.

La livrophage a adoré, Violette et Eva ont beaucoup apprécié leur lecture mais ont quelques réserves. Maeve est plus mitigée.

J'ai lu ce livre dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire. Je remercie les organisteurs et les blogueuses ayant choisi les titre pour cette découverte.

Sonatine. 361 pages.
Traduit par Pierre Demarty.
2017.

8 octobre 2017

Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

9782356415783-TGros succès de la rentrée littéraire il y a quelques années, j'ai profité du Mois américain pour enfin découvrir ce livre de l'auteur américaine d'origine japonaise, Julie Otsuka.

Dans les années 1920, de nombreuses jeunes femmes japonaises prennent le bateau pour rejoindre aux Etats-Unis un mari qu'elles n'ont jamais rencontré. Les marieuses ont bien fait leur travail, promettant à ces filles issues de milieux sociaux hétérogènes qu'un avenir brillant les attendait. Après plusieurs semaines à voyager inconfortablement, les nouvelles mariées rencontrent enfin leur époux. Au déracinement s'ajoute alors la déception d'avoir été trompée : les maris n'ont pas la profession promise, ni les biens. Ils sont plus âgés et leurs manières souvent brutales. Parties trouver une vie meilleure, les jeunes femmes doivent exercer des professions fatiguantes, peu rémunératrices voire humiliantes, tout en étant de plus regardées comme des êtres inférieurs par les Américains.

Ce roman frappe d'abord par sa forme originale. On s'attend à découvrir des personnages dessinés nettement, une narratrice principale, mais nous n'entendrons jamais que le chant uni de ces femmes s'exprimant majoritairement à la première personne du pluriel. Loin d'affaiblir les individualités, ce choix de l'auteur renforce l'expression de leurs peurs, de leurs souffrances. Parfois, un "je" traverse le texte, mais sans que l'on sache qui l'a prononcé ni s'il s'agit d'une voix déjà entendue (et peu importe). Ce style est poétique, dansant, et très bien adapté au format court (je pense que ça lasse sur plusieurs centaines de pages). Lorsqu'à un moment, le chant s'interrompt pour laisser la place à d'autres narrateurs, on sent toute la brutalité de ce qui s'est produit.
Moi qui aime les livres évoquant des destins de femmes, j'ai été servie. Nos héroïnes ne sont pas des victimes sans personnalité, Julie Otsuka ne tombe pas dans le misérabilisme et décrit les faits simplement, voire avec détachement. Elle ne nous épargne rien des brutalités subies lors de la nuit de noce ou ensuite, du mépris dont elles sont victimes, de leurs difficultés à s'habituer à leur nouvelle vie, à avoir des enfants. Mais ce sont aussi des femmes déterminées. Dès la traversée vers les Etats-Unis, certaines choisissent de laisser leur corps s'exprimer ou de renoncer à leur projet marital. Le mariage n'est pas synonyme de malheur pour toutes, et certains passages concernant les Japonaises employées dans les belles maisons m'ont rappelé le meilleur des relations employeur/employée de La Couleur des sentiments. A l'image de la plupart des gens, elles construisent leur vie à partir des possibilités qui s'offrent à elles.
Être une femme n'est pas simple au début du XXe siècle, être une migrante l'est encore moins. Ces femmes sont d'abord contraintes de faire des métiers qui sont les plus mal vus dans leur pays d'origine. Leurs propres enfants finissent par rejeter leur mode de vie (il y a par ailleurs de superbes passages sur la maternité dans ce livre). Enfin, le regard qu'on porte sur elles n'est pas celui que l'on destine à des êtres humains libres et égaux. On souhaite posséder leur corps, leur savoir-faire. Certains compliments sur les Japonais sont de simples préjugés racistes auxquels elles ne peuvent que se conformer. Si elles ne tirent pas parti de l'idée selon laquelle les Japonais sont les plus sérieux, que pourront-elles faire ? 
Enfin, quand vient la guerre après l'attaque de Pearl Harbor, ces Japonaises réalisent que plusieurs décennies aux Etats-Unis ne les ont pas rendues moins suspectes. Traitées comme du bétail et jugées coupables sans procès, personne ou presque ne trouve anormal qu'on les déplace en leur faisant abandonner toute leur vie derrière eux. Pire, beaucoup profitent de la situation et prennent ce qu'ils ont toujours jalousé (les migrants mieux lôtis que les "vrais habitants", ça ne vous rappelle rien ? ).

Un beau texte qui raconte bien plus que l'histoire de ces femmes et qui trouve une résonnance particulière encore aujourd'hui.

L'avis de Lili.

Audiolib. 3h47.
Traduit par Carine Chichereau.
Lu par Irène Jacob.
2012 pour l'édition originale.

17 septembre 2017

Freedom - Jonathan Franzen

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"Pour l'accusation : Ses motivations étaient mauvaises. Elle était en compétition avec sa mère et ses soeurs. Elle voulait que ses enfants soient un reproche vivant adressé à ces dernières.
Pour la défense : elle adorait ses enfants."

Difficile de se lancer dans une lecture exigeante, surtout quand tout le monde appuie sur le fait qu'elle n'est pas toujours facile. Pourtant, quelle récompense !

Patty et Walter Berglund habitent un tranquille quartier pavillonaire dans le Minnesota. Mère au foyer dévouée, voisine exemplaire et épouse comblée, l'image d'elle-même que Patty s'est forgée en plus de vingt ans de vie de famille se fissure lorsqu'elle découvre que son fils Joey fréquente Connie, la fille de la vulgaire voisine des Berglund.
Dès lors, Patty sombre dans la dépression et l'alcool, devenant la risée de ses voisins conservateurs et une source d'embarras pour ses proches.
Comment cette championne de basket universitaire, fille de bonne famille, promise à un bel avenir, a-t-elle pu choisir le sérieux Walter plutôt que Richard, celui qui lui plaisait vraiment ? En prenant la plume pour rédiger son autobiographie, Patty va revenir sur sa vie et celle de sa famille, dressant au passage le portrait de la société dans laquelle elle vit.

Difficile de résumer ce livre foisonnant, au style percutant et dont les personnages, bien que pour la plupart antipathiques, sont tellement vivants qu'il est difficile de les quitter une fois la dernière page tournée. 
C'est Patty la principale narratrice du livre, bien qu'il s'agisse d'un roman choral faisant aussi intervenir directement Walter, Richard et Joey. En rédigeant un livre dans le livre, Franzen nous propose un roman aux ramifications complexes mais parfaitement maîtrisé. C'est grâce à cette structure que l'on comprend les personnages de Freedom, leurs interactions, leurs choix, leurs regrets et leurs excès. Ils sont souvent ridicules et faibles et le lecteur a souvent le sentiment qu'il y a des claques qui se perdent. En même temps, Patty, Walter et Joey sont tellement humains dans leurs maladresses et leurs mesquineries (voire leurs trahisons), qu'ils ressemblent à n'importe quelle famille psychotique sur laquelle les voisins se délectent de bavasser. La relation entre Patty et Walter, qui résulte du hasard au départ, ne fait pas franchement rêver à première vue. Pourtant, en découvrant leurs histoires familiales respectives jusqu'à une remarque de Richard, le jour où il découvre le livre de Patty, c'est une tout autre vision de leur relation que l'on adopte.
En arrière-plan de l'histoire de ces personnages se dessine une fresque incroyable de l'Amérique. Culture du viol, sytème judiciaire américain, attentats, guerre en Irak, environnement, batailles entre écologistes, hypocrisie, augmentation de la population mondiale, capitalisme, tout y passe à travers des scènes et des portraits souvent très drôles. Cela a beau être avant tout une critique de l'ère Bush, le discours n'a pas pris une ride.

Ce portrait de l'Amérique est dur, et l'espoir et les relations saines se font rares. J'ai aimé que Jonathan Franzen n'accable pas ses personnages outre mesure et qu'il leur offre une fin presque heureuse. Je ne suis pas certaine que j'aurais eu la patience de lire ce livre en format papier. La version audio, en revanche, m'a enchantée du début à la fin.

Le beau billet de Papillon.

C'est ma quatrième participation au challenge Pavé de l'été de Brize et également un billet pour le Mois américain de Titine.

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Thélème. 21h.
2010 pour l'édition originale.

 

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3 septembre 2017

Pêle-mêle de lectures

J'ai lu un certain nombre de livres sur lesquels je n'aurais pas le temps de faire des billets spécifiques, alors c'est parti pour un post commun.

001992658Le premier livre que j'ai lu n'est plus vraiment à présenter puisqu'il a eu un immense succès lors de sa sortie en 2009 et a été adapté au cinéma dès 2011.

Nous suivons trois femmes à Jackson, dans le Mississippi, au début des années 1960. Minnie et Aibileen sont employées de maison, considérées comme des êtres pas tout à fait humains et même indignes de s'asseoir sur les mêmes toilettes que les Blancs. Skeeter est quant à elle la fille d'un propriétaire terrien. Fraîchement sortie de l'université et déterminée à percer dans le journalisme, elle décide d'écrire sur les conditions de travail des femmes noires dans le sud des Etats-Unis, traditionnellement attaché à la ségrégation entre Blancs et Noirs.

J'ai adoré ce livre que je craignais de ne pas apprécier après en avoir autant entendu parler.
Les personnages sont bien campés, crédibles. Sans être un roman trop violent (il n'aurait jamais pu toucher autant de monde si ça avait été le cas), il contient des épisodes montrant bien l'horreur de la ségrégation et la dangerosité de ce que font les trois héroïnes qui prennent tour à tour la parole.
J'ai aimé aussi l'absence de manichéisme dans les témoignages, l'existence de belles histoires, et aussi l'emploi de l'humour. Si certains, comme Holly, sont clairement cruels, on voit aussi que le racisme dont font preuve d'autres personnages n'est pas de la méchanceté, mais vraiment dû à leur ignorance (ce qui est encore plus difficile à combattre).

J'ai aussi apprécié la fin, qui montre les conséquences d'une telle entreprise tout en laissant un peu de place pour l'espoir.

Un découverte à faire absolument.

Actes Sud. 608 pages.
Traduit par Pierre Girard.
2009 pour l'édition originale.

 

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La loterie annuelle du village va avoir lieu. En attendant que les habitants se rassemblent, les enfants jouent avec des cailloux, les parents discutent. Deux heures plus tard, la fête sera finie et tout le monde pourra retourner vaquer à ses occupations. 

Suite à plusieurs billets sur l'album tiré de la nouvelle La Loterie de Shirley Jackson, j'ai pris le temps de découvrir cette histoire glaçante. Elle fait une dizaine de pages, mais l'auteur a le temps de créer une atmosphère angoissante en nous décrivant cette journée du 26 juin où toutes les conditions semblent réunies pour que tout se passe bien, mais qui va tourner au cauchemar. C'est cruel, gratuit, et c'est sans doute pour cela que ce texte réussit si bien à nous horrifier.
Je pense sortir rapidement Nous avons toujours vécu au château de ma bibliothèque.

Le billet de Brize sur l'album.

Pocket. 1949 pour l'édition originale.

 

 

 

9782356419910-TOn finit avec un autre succès planétaire en littérature young adult cette fois, Nos étoiles contraires.

Hazel est atteinte d'un cancer. Bien qu'elle se sente plutôt bien parfois, elle se sait condamnée à plus ou moins brève échéance. Alors qu'elle participe à une séance de thérapie de groupe, elle rencontre Augustus, lui aussi touché très jeune par la maladie, mais en rémission. Ensemble, ils découvrent l'amour évidemment, mais cherchent aussi à connaître la fin d'Une impériale affliction de Peter Van Houten, un roman qui raconte l'histoire d'une jeune fille dont le destin est semblable à celui d'Hazel et d'Augustus.

J'ai lu ce livre suite à des avis très enthousiastes de lectrices dont je respecte particulièrement les avis et qui juraient que John Green était une voix originale de la littérature jeunesse. Sans crier au chef d'oeuvre, c'est effectivement un bon roman, mêlant humour (parfois très noir, les funérailles anticipées étant une scène très réussie) et réalisme. Au-delà de la réflexion sur la maladie, John Green interpelle chacun de nous sur la brièveté de la vie et son intérêt. 

Le billet de Tiphanie.

Audiolib. Lu par Jessica Monceau.
7h57.
2012 pour l'édition originale.

Ces trois lectures permettent de participer au Mois américain de Titine.

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19 août 2017

Intérieur nuit - Marisha Pessl

intérieur-nuitMarisha Pessl aura eu besoin de sept ans pour publier un second roman après une entrée remarquable dans le monde littéraire avec La Physique des catastrophes. Cette fois, elle nous embarque dans le monde de l'épouvante.

Scott McGrath, journaliste reconnu, auteur de plusieurs livres reportages salués, voit sa carrière brisée le jour où il sous-entend lors d'une émission que Stanislas Cordova, réalisateur de films d'horreur culte, serait l'auteur d'actes ignobles envers les enfants. Contraint de reconnaître qu'il a inventé son témoin et d'indémniser le réalisateur qui n'a pas été aperçu publiquement depuis plusieurs décennies, McGrath voit également sa femme le quitter pour un autre et emporter leur enfant.
Lorsqu'Ashley Cordova, la fille du cinéaste, est retrouvée morte après s'être jetée dans une cage d'escalier sur un chantier, le journaliste décide de reprendre son enquête pour comprendre ce qui lui est arrivé.

J'avais eu un énorme coup de coeur pour le premier roman de Marisha Pessl. Retrouver un autre de ses pavés à la forme originale et au sujet passionnant a été un vrai bonheur,  même si j'ai moins aimé ce livre que le précédent.
Comme je le disais à Maggie récemment, La Physique des catastrophes était un roman au scénario pour le moins tordu. Je n'en attendais donc pas moins d'Intérieur Nuit. Mais ce dernier propose une histoire un peu trop tirée par les cheveux, que le mystère entourant Cordova ne peut entièrement justifier sans tomber dans la facilité.
J'ai également trouvé quelques longueurs dans ce livre. Marisha Pessl nous livre une enquête journalistique dont certaines parties m'ont paru interminables, notamment au début. Quant au personnage du journaliste divorcé et déchu qui reprend le travail qui l'a fait sombrer, ce n'est pas l'invention la plus originale de Marisha Pessl.

31lRh4fQhqLOutre ces quelques reproches qui font que ce livre n'est pas un coup de coeur, je ne peux que vous recommander ce roman. Si Scott McGrath n'est pas un personnage très fouillé, Marisha Pessl a en revanche entrepris un travail titanesque pour créer l'univers cordoviste. Stanislas Cordova n'est pas un simple réalisateur à grand succès. Ses films sont tellement terrifiants qu'ils ne sont plus distribués sur le circuit habituel. Seuls les initiés parviennent à visionner ses oeuvres en se retrouvant dans des lieux insolites telles les catacombes de Paris après avoir suivi un itinéraire digne d'une chasse au trésor. Les copies pirates des films sont rares et s'arrachent à des prix exorbitants. Cordova lui-même est inaccessible. Personne ne l'a vu depuis des lustres en dehors de ses quelques proches et des acteurs de ses films qui refusent de s'exprimer à son sujet. Certains se demandent même s'il existe réellement. Ce mystère autour de Cordova et son univers horrifique ont créé sa légende noire, celle qui hante chaque page d'Intérieur nuit.
Qu'est-il réellement arrivé à Ashley Cordova ? A mesure qu'avance l'enquête, on pourrait penser que la vérité n'est plus très loin. Cependant, Marisha Pessl a travaillé dur pour que l'on ne puisse rien prendre pour acquis. Tous les personnages ont un lien particulier avec Cordova, certains en sont même des spécialistes. Aucun témoignage n'est objectif et tous pourraient être là pour faire échouer McGrath une seconde fois. Le journaliste lui-même n'est pas toujours clair, ce qui donne un passage où l'on est complètement à bout de souffle, immergé dans les décors des films de Cordova sans plus savoir où se situe la frontière entre fiction et réalité.
De plus, quand on a déjà lu Pessl, on sait qu'il y a deux histoires. Jouer avec la fiction est un art auquel elle excelle, et elle s'en donne à coeur joie avec toutes sortes de fac-similés disséminés tout au long du livre. Ma culture cinématographique a beau être mince, j'ai détecté un certain nombre d'éléments se rapportant à des réalisateurs ou à des acteurs ayant réellement existé, ancrant l'univers cordoviste dans l'histoire du cinéma. Tout se tient, même le plus invraisemblable. Et le pire est sans doute qu'on a envie que le fantasme soit la réalité, qui forcément va se révéler décevante.

Une réussite et une deuxième lecture pour le challenge Pavé de l'été de Brize.

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L'avis de Maggie.

Gallimard. 717 pages.
Traduit par Clément Baude.
2014 pour l'édition originale.

17 avril 2016

La physique des catastrophes - Marisha Pessl

9782070361311Attention, coup de coeur !

Bleue von Meer se souvient à peine de sa mère, amatrice de papillons, décédée dans un accident de voiture. Depuis, elle vit seule avec son père, le charismatique professeur de sciences politiques Gareth von Meer. Leur duo est à peine perturbé par les nombreuses conquêtes de ce dernier, que Bleue surnomme les Sauterelles, et qui ont toutes en commun d'avoir fait des passages fort éphémères et souvent pathétiques dans la vie de Gareth.
Jusqu'à ses dix-sept ans, Bleue n'a jamais effectué une année complète dans la même ville, son père travaillant en tant que professeur invité de deux ou trois (souvent obscures) universités par an.
Pourtant, pour l'année de terminale de Bleue, le père et la fille s'installent à Stockton, où se trouve la prestigieuse école de St-Gallway.
Là-bas, un groupe d'élèves surnommé "Le Sang Bleu" par les autres membres de l'école, à la fois envieux et effrayés, l'intègre étrangement. Bleue ne tarde pas à découvrir que cette invitation est en fait l'oeuvre d'Hannah Schneider, professeur à St-Gallway, amie secrète du Sang Bleu, qui porte un intérêt particulier à la nouvelle venue.

Marisha Pessl a publié ce premier roman avant même ses trente ans, et pourtant il a tout des grands.
Lorsqu'on lit le résumé et le début du roman, difficile de ne pas penser à un autre pavé enchanteur, Le maître des illusions. Comme dans le livre de Donna Tartt, Marisha Pessl évoque un groupe d'étudiants à part, choisi par un professeur, dont les réunions vont s'achever sur un drame annoncé dès le départ. Sauf que cette fois, ce n'est pas un élève qui est victime du dérapage, mais Hannah Schneider, le professeur.
Celle-ci est assez insaisissable. Dès le début, de nombreuses questions émergent. D'où lui vient cet intérêt pour Bleue ? Est-elle déséquilibrée, perverse, meurtrière ou simplement naïve, immature et amoureuse ? Le lecteur est dans la même position que l'héroïne, à la recherche d'indices. Mais chaque théorie est enterrée par des éléments contradictoires, puis revient sur la liste des hypothèses envisageables dans un cercle qui ne prend fin (et de façon incomplète) que lorsque le récit s'achève.
Résumer ce livre à un genre précis n'est pas possible. Officiellement, c'est une autobiographie fictive (celle de Bleue). Son universitaire de père l'a prévenue, on n'écrit pas le récit de sa vie sans bonne raison, sinon ça n'interessera personne, à part notre mère et notre chat. Il l'a aussi avertie de la nécessité de faire un travail rigoureux.

"Arrange-toi toujours pour que tes affirmations soient référencées avec précision, et, dès que possible, ajoute des supports visuels..."

De ce fait, Bleue parsème son récit de citations d'auteurs (sans doute pas tous réels, j'admets ne pas avoir vérifié), organise tous ses chapitres autour d'un livre classique (au lecteur de trouver le lien entre le titre du chapitre et son contenu, certains font mal au coeur lorsqu'on les relis). Cet hommage à la littérature rend le livre ludique, souvent drôle, érudit, et plutôt original. 
Mais La physique des catastrophes, on s'en rend compte essentiellement dans la deuxième moitié du livre, c'est aussi un thriller. A partir de la fête masquée chez Hannah, il n'est plus possible de nier que la relation qui lie le groupe d'élèves à son enseignante est malsaine, et qu'ils n'ont pas saisi quelle était leur place exacte dans le puzzle que Bleue tente tant bien que mal de reconstituer.
Enfin, on pourrait qualifier ce livre de roman d'apprentissage. Bleue arrive à Stockton avec une vision de la vie, de ses parents, du monde qui l'entoure, qui se retrouve totalement bouleversée un an plus tard. Il n'est alors plus question de courses de choses totalement inutiles dans des hypermarchés symbolisant le capitalisme triomphant.

Je pourrais vous dire que ce roman a des défauts. Quelques longueurs sur huit cents pages, des coïncidences un peu grosses. Mais étrangement, tout passe. Avec une vue d'ensemble, on s'aperçoit que de nombreux passages qui ressemblaient à des ellipses sans lien avec l'intrigue principale étaient en fait primordiaux pour comprendre l'histoire. Comme si Marisha Pessl avait joué avec nous en nous endormissant un peu avant de nous asséner une formidable gifle.

On ressort de cette lecture à la fois mal à l'aise et en manque d'un autre livre de cette trempe. Ca tombe bien, Marisha Pessl vient de publier Intérieur nuit, qui semble reprendre les ficelles de son premier roman.

Folio. 822 pages.
Traduit par Laeticia Devaux.
2006 pour l'édition originale.

9 mars 2016

Les forêts du Grand Nord...

9782859409043"D'autres voix lui parlaient encore. Des profondeurs de la forêt, il entendait résonner tous les jours plus distinctement un appel mystérieux, insistant, formel ; si pressant que parfois, incapable d'y résister, il avait pris sa course, gagné la lisière du bois."

Buck mène une vie de chien confortable auprès de son riche propriétaire lorsqu'il est enlevé par des trafiquants de chiens et envoyé au Canada pour devenir chien de traîneau. Cette superbe bête au grand coeur va devoir affronter l'hiver du grand Nord, mais aussi la brutalité de certains maîtres et certains de ses semblables pour avoir la chance de conduire tout à l'avant du traîneau.

Ceux qui me connaissent peuvent témoigner que je n'ai pas l'âme d'une aventurière. J'aime voyager, me promener au grand air, voir des paysages à couper le souffle. En revanche, je suis une trouillarde doublée d'une snob qui a besoin d'avoir son petit confort. Autant dire que les voyages de plusieurs semaines par des températures polaires sur un traîneau tiré par des chiens avec nuit sous une tente de fortune, c'est un peu la définition du cauchemar pour moi.

Cela ne m'empêche pas d'apprécier les récits comme ceux de Jack London, qui m'a une nouvelle fois comblée avec ce très court roman. Cet homme brillant prend les traits d'un loup pour nous parler des hommes et de leur faiblesse face à la nature. Il évoque aussi les liens qui peuvent attacher un chien à son maître, même lorsque l'appel de la forêt se fait de plus en plus fort. Le tout avec une écriture sombre et poignante.

Une centaine de pages de pur bonheur littéraire.

1903 pour l'édition originale.

20 janvier 2016

Le complot contre l'Amérique - Philip Roth

51DgC-NjtoLPhilip Roth a sept ans lorsque Charles Lindbergh, héros de l'aviation et antisémite notoire, remporte l'élection présidentielle américaine de 1940, privant ainsi Franklin D. Rossevelt d'un troisième mandat, et les Alliés d'une aide certaine dans leur combat contre l'Allemagne nazie.
Si certains juifs décident de travailler avec l'administration Lindbergh, d'autres, dont la famille Roth, sont effondrés par la nouvelle et redoutent le pire. Car les républicains ont beau jurer qu'ils n'oeuvrent que pour le bien de leur patrie, et qu'ils ne visent aucune communauté en particulier, les comportements antisémites se multiplient sans réaction ferme des autorités. De plus, les relations diplomatiques avec le régime hitlérien ont beau se faire sous couvert de vouloir préserver la paix aux Etats-Unis, elles semblent trop cordiales pour tromper les esprits critiques.

C'est une remarque de Cuné dans un de ses billets qui m'a poussée à enfin ouvrir un roman de Philip Roth, qui me tentait et m'effrayait depuis des années. J'aime l'histoire, les dystopies/uchronies, les romans sur l'enfance, alors celui-ci m'a comblée.
J'ai trouvé l'auteur très habile de mêler ses souvenirs d'enfance à une histoire qui n'a pas existé. Cela donne au récit une authenticité qui trouble le lecteur et lui fait ressentir d'autant plus fortement le drame de l'élection de Lindbergh. J'ignore si les incidents antisémites que vit son petit personnage ont eu lieu, mais j'imagine qu'il s'est servi de sa propre expérience pour relater l'expulsion de la famille Roth d'un hôtel de Washington et surtout les remarques des personnages qu'ils croisent.
Ce qui démarque cette uchronie de beaucoup d'autres (pourtant appréciées dans ces pages) sorties ces dernières années, c'est son actualité et l'engagement clair de son auteur. En lisant ce livre, je n'ai pu que penser à certains événements politiques actuels. L'élection de Lindbergh décomplexe un discours autrefois chuchoté par ses partisans. En France en 2015, grâce à l'intervention de politiques pas forcément d'extrême-droite, il n'est plus surprenant de tenir publiquement et fièrement des propos racistes ou de se vanter de voter pour des idées nauséabondes. Je me suis récemment demandé si la caissière qui me parlait des réfugiés comprendrait que je signale ses propos inadmissibles à sa direction il y a quelques semaines (je ne l'ai pas fait).
Ce que raconte ce livre, c'est aussi la façon dont une famille vit cet événement dramatique. Très peu d'autres personnages interviennent en dehors du cercle familial des Roth, et le théâtre des événements est essentiellement leur petit trois pièces du quartier juif de Newark. Chacun des membres de la famille vit l'élection de Lindbergh et ses conséquences sur sa vie à son échelle. Les parents de Philip sont effondrés, et leur responsabilité d'adulte vis à vis des enfants qu'ils ont à charge est difficile à tenir (faut-il fuir ? résister pour montrer l'exemple, au risque de perdre beaucoup socialement ?), la tante Evelyn y voit un moyen d'élever sa médiocre existence. Pour les plus jeunes, ils ne peuvent que mêler cette crise aux bouleversements qu'ils traversent en raison de leur âge. L'un s'engage dans l'armée canadienne, l'autre collabore en guise de crise d'adolescence. Le petit Philip, lui, ne comprend pas tout, écarquille les yeux, et continue à être un enfant. Quelles que soient les circonstances, un enfant rêve d'aventure, d'ailleurs, et n'ose pas se rendre à la cave sans demander aux morts qui s'y cachent de ne pas l'effrayer.

La maîtrise de Roth s'exprime jusqu'au bout. Ne pas savoir exactement ce qu'il advient de Lindbergh était la meilleure des fins. Après tout, ceci n'était qu'un fantasme, un cauchemar.

Un très beau livre et une belle rencontre avec Philip Roth.

Folio. 557 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
2004 pour l'édition originale.

 

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