Le Vagabond des étoiles - Jack London
"N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi."
(John Donne)
Darrell Standing, professeur d'agronomie, va être pendu. Condamné à la prison à vie pour meurtre, il a passé de nombreuses années dans la prison de San Quentin en Californie. Suite à l'agression d'un gardien et en application d'une règle absurde, sa peine a été transformée en condamnation à mort.
En attendant l'exécution de sa sentence, Darrell Standing écrit ses souvenirs. Il raconte la prison, les maltraitances endurées, mais aussi comment il a réussi à s'échapper de sa cellule à de nombreuses reprises pour remonter le fil des ses vies antérieures.
Le Vagabond des étoiles, s'il a légèrement titillé mon féminisme sur la fin et si la représentation d'autres populations y est parfois marquée par les préjugés, est un roman sublime. Je suis ravie d'avoir encore quelques livres de Jack London dans ma bibliothèque parce que je vais pouvoir les dévorer comme j'aime le faire lorsqu'un auteur entre dans mon panthéon personnel.
Mais revenons-en au Vagabond des étoiles. C'est l'un de ces livres dans lesquels il y a tout.
En premier lieu, c'est un livre politique. La préface de Francis Lacassin rappelle à quel point on a fait de Jack London un auteur pour enfants, racontant des histoires d'animaux, niant ainsi son engagement politique. L'auteur a fait un séjour de trente jours en prison en 1894 pour "vagabondage". A cette expérience s'ajoutera son envie d'aider l'un des personnages qu'il a inclus dans son livre. Pour cela, il décide d'alerter l'opinion publique sur les conditions de détention aux Etats-Unis. La camisole de force, les cellules d'isolement, la règle permettant à un directeur de condamner à mort certains détenus en cas d'agression, les violences physiques, l'encouragement de la délation (et surtout de la calomnie) entre prisonniers, Jack London ne nous épargne aucune de ces pratiques barbares et indignes qui ont cours dans l'univers carcéral.
" Non, aucun code n'a jamais pu promulguer une telle loi ! La Californie est un pays civilisé, ou du moins qui s’en vante. La cellule d’isolement à perpétuité est une peine monstrueuse dont aucun État, semble-t-il, n’a jamais osé prendre la responsabilité ! Et pourtant je suis le troisième homme, en Californie à avoir entendu prononcer contre lui cette condamnation. "
" Les profanes seraient peut-être tentés de croire qu’un condamné à vie a subi le pire et que, par suite, un simple gardien n’a aucune qualité ni aucun pouvoir pour le contraindre à obéir quand il lui défend de s’exprimer ainsi. Eh bien, non ! II reste la camisole. Il reste la faim. Il reste la soif. Il reste les coups. Et l'homme enfermé dans sa cellule est totalement impuissant à se rebiffer. "
Bien avant le héros de Stefan Zweig, Darrell Standing, privé de toute occupation, joue avec les mouches et imagine un jeu d'échecs. Entre deux séances de camisole de force, il parvient à communiquer avec ses co-détenus, Ed. Morrell et Jack Oppenheimer. C'est ainsi que le premier lui parle de sa capacité à s'évader de son corps, de tuer le physique pour préserver l'esprit quand la douleur et la sensation d'étouffement deviennent insupportables. Bien qu'enfermé, Darrell Standing va parvenir à s'enfuir par la pensée et transformer son histoire en roman d'aventure.
Il sera tour à tour duelliste français, colon américain, époux occidental d'une princesse coréenne, naufragé, viking à la solde de Rome, homme des cavernes... A chaque fois, les personnages dont Darrell Standing prend les traits sont querelleurs, dotés d'une volonté de fer. La plupart des histoires contées sont des ébauches de livres jamais publiés de Jack London. Elles sont toujours passionnantes et touchantes, en particulier celle reconstituant le Massacre de Mountain Meadows que l'on vit à travers les yeux d'un enfant. Jack London utilise les aventures de son héros pour étudier la nature humaine profonde et ce n'est pas reluisant.
" J’ai vécu d'innombrables existences tout au long de temps infinis. L’homme, individuellement, n’a fait aucun progrès moral depuis les dix derniers milliers d'années, je l'affirme solennellement. La seule différence entre le poulain sauvage et le cheval de trait patient n'est qu’une différence de dressage. L’éducation est la seule différence morale qui existe entre l’homme d’aujourd’hui et celui d’il y a dix mille ans. Sous le faible vernis de moralité dont il a enduit sa peau, il est resté le même sauvage qu'il était il y a cent siècles. La moralité est une création sociale, qui s’est agglomérée au cours des âges. Mais le nourrisson deviendra un sauvage si on ne l’éduque, si ou ne lui donne un certain vernis de cette moralité abstraite qui s’est accumulée le long des siècles.
« Tu ne tueras point », quelle blague ! On va me tuer demain matin. « Tu ne tueras point », quelle blague, encore ! Dans tous les arsenaux des pays civilisés, on construit aujourd'hui des cuirassés et des croiseurs. Mes chers amis, moi qui vais mourir, je vous salue en vous disant : « Quelle blague ! » "
Pourtant, on voit à travers ce roman à quel point l'auteur était ambivalent. Bien que pessimiste (ou clairvoyant si l'on est cynique), Jack London aimait ses semblables. Il proclame l'unicité de l'homme et la supériorité de l'esprit sur la matière. Ce que vit l'homme, ce qu'il apprend, ce sont tous les hommes qui le vivent et l'apprennent. Jusqu'à un monde meilleur ?
Libretto. 390 pages.
Traduit par Paul Gruyer, Louis Postif et François Postif.
1915 pour la traduction originale.