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20 octobre 2017

Le Château des Bois Noirs - Robert Margerit

CVT_Le-chateau-des-Bois-Noirs_4827Robert Margerit est un auteur qui semble plutôt tombé dans l'oubli. L'excellente maison d'édition Phébus continue cependant de publier ses oeuvres, ce qui ne pouvait qu'attirer mon attention. De plus, la Booktubeuse Lemon June, dont je suis les avis avec attention, a publié une vidéo sur ce roman qui ne peut que convaincre de se jeter dessus.

Peu après la Seconde Guerre mondiale, Hélène, jeune femme de la bonne société parisienne, épouse un propriétaire terrien auvergnat, Gustave Dupin de la Vernière. Après un voyage de noces en Italie, le couple rentre chez lui. En voyant pour la première fois son nouveau foyer, Hélène découvre que son mari lui a menti sur sa situation. Le "château" est une bâtisse bien plus modeste que ce qu'elle imaginait, et l'état de délabrement dans lequel se trouvent aussi bien la maison que son parc les rend lugubres. De plus, si la mère de Gustave est une femme chaleureuse, les serviteurs font peur à la jeune femme et son mari passe ses journées seul à contempler les timbres qu'il collectionne.
Très vite, Hélène s'ennuie. Le désir que son époux éprouve pour elle ne compense pas la solitude à laquelle elle est livrée la plupart du temps, il a même tendance à la dégoûter de plus en plus. Lorsque Fabien, le frère cadet de Gustave, rentre à la Vernière, la vie d'Hélène reprend des couleurs. Pour combien de temps ?

Le Château des Bois Noirs est un roman que j'avais très envie d'adorer. J'aime les ambiances gothiques, les maris ambigus (le résumé me faisait penser à Rebecca et à Vera), les huis-clos oppressants. Cependant, si la lecture de ce texte a été très facile, je ne pense pas en garder un souvenir impérissable.

Le début est pourtant prometteur, le domaine de la Vernière se prêtant à merveille à une histoire sombre. On imagine sans mal la maison battue par les vents, les murs et les sols délabrés, l'odeur de renfermé, les allées laissées à l'abandon et les bois profonds du domaine. Ces lieux ont été le théâtre d'horribles scènes au cours de l'histoire, quoi de plus normal qu'il s'en produise de nouveaux ? Quant aux domestiques, le mutique Antoine et sa sorcière de mère, ils semblent sortis tout droit d'un film d'horreur.

J'ai beaucoup aimé la dernière partie, lorsque la noirceur reprend ses droits et que l'on se retrouve à mener l'enquête pour comprendre les événements qui se sont produits.

Mais, si le décor est bien planté et le dénouement réussi, je n'ai pas cru à cette histoire en raison des incohérences entre les différentes parties du roman. La description du couple central est un échec. Le drame qui se joue à la Vernière repose sur la personnalité monstrueuse de Gustave, sa part bestiale et passionnée, mais il y a des chaînons manquants entre le Gustave que rencontre Hélène et l'homme froid des derniers chapitres. D'abord présenté par l'auteur comme timide et maladroit (mais plein de bonnes intentions), on se retrouve avec un homme décrit comme égoïste, calculateur et cruel. J'ai davantage vu dans cette histoire un mariage raté, des époux qui n'ont rien en commun (et qui devraient s'ennuyer ferme l'un avec l'autre), qu'un homme suffisamment intéressé par son épouse pour agir comme il le fait. Les deux principaux personnages féminins du roman ne m'ont pas non plus convaincue. Hélène a davantage le profil d'une jeune femme allergique à la campagne voire snob que celui d'une victime. Je trouve également l'attitude de Mme Dupin incohérente. Une femme aussi généreuse et clairvoyante vis-à-vis de son fils n'aurait jamais laissé Hélène épouser Gustave. Seuls les personnages secondaires, Fabien, les deux serviteurs et les voisins restent fidèles à eux-mêmes du début à la fin.

Je vous assure que cela me fait enrager de devoir dire du mal de ce livre, même si ma déception est loin d'être totale. J'aurais adoré vivre ma lecture comme Lemon June. La plume de Robert Margerit étant très agréable, je pense malgré tout relire un jour l'auteur.

Libretto. 259 pages.
1954 pour l'édition originale.

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8 octobre 2017

Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

9782356415783-TGros succès de la rentrée littéraire il y a quelques années, j'ai profité du Mois américain pour enfin découvrir ce livre de l'auteur américaine d'origine japonaise, Julie Otsuka.

Dans les années 1920, de nombreuses jeunes femmes japonaises prennent le bateau pour rejoindre aux Etats-Unis un mari qu'elles n'ont jamais rencontré. Les marieuses ont bien fait leur travail, promettant à ces filles issues de milieux sociaux hétérogènes qu'un avenir brillant les attendait. Après plusieurs semaines à voyager inconfortablement, les nouvelles mariées rencontrent enfin leur époux. Au déracinement s'ajoute alors la déception d'avoir été trompée : les maris n'ont pas la profession promise, ni les biens. Ils sont plus âgés et leurs manières souvent brutales. Parties trouver une vie meilleure, les jeunes femmes doivent exercer des professions fatiguantes, peu rémunératrices voire humiliantes, tout en étant de plus regardées comme des êtres inférieurs par les Américains.

Ce roman frappe d'abord par sa forme originale. On s'attend à découvrir des personnages dessinés nettement, une narratrice principale, mais nous n'entendrons jamais que le chant uni de ces femmes s'exprimant majoritairement à la première personne du pluriel. Loin d'affaiblir les individualités, ce choix de l'auteur renforce l'expression de leurs peurs, de leurs souffrances. Parfois, un "je" traverse le texte, mais sans que l'on sache qui l'a prononcé ni s'il s'agit d'une voix déjà entendue (et peu importe). Ce style est poétique, dansant, et très bien adapté au format court (je pense que ça lasse sur plusieurs centaines de pages). Lorsqu'à un moment, le chant s'interrompt pour laisser la place à d'autres narrateurs, on sent toute la brutalité de ce qui s'est produit.
Moi qui aime les livres évoquant des destins de femmes, j'ai été servie. Nos héroïnes ne sont pas des victimes sans personnalité, Julie Otsuka ne tombe pas dans le misérabilisme et décrit les faits simplement, voire avec détachement. Elle ne nous épargne rien des brutalités subies lors de la nuit de noce ou ensuite, du mépris dont elles sont victimes, de leurs difficultés à s'habituer à leur nouvelle vie, à avoir des enfants. Mais ce sont aussi des femmes déterminées. Dès la traversée vers les Etats-Unis, certaines choisissent de laisser leur corps s'exprimer ou de renoncer à leur projet marital. Le mariage n'est pas synonyme de malheur pour toutes, et certains passages concernant les Japonaises employées dans les belles maisons m'ont rappelé le meilleur des relations employeur/employée de La Couleur des sentiments. A l'image de la plupart des gens, elles construisent leur vie à partir des possibilités qui s'offrent à elles.
Être une femme n'est pas simple au début du XXe siècle, être une migrante l'est encore moins. Ces femmes sont d'abord contraintes de faire des métiers qui sont les plus mal vus dans leur pays d'origine. Leurs propres enfants finissent par rejeter leur mode de vie (il y a par ailleurs de superbes passages sur la maternité dans ce livre). Enfin, le regard qu'on porte sur elles n'est pas celui que l'on destine à des êtres humains libres et égaux. On souhaite posséder leur corps, leur savoir-faire. Certains compliments sur les Japonais sont de simples préjugés racistes auxquels elles ne peuvent que se conformer. Si elles ne tirent pas parti de l'idée selon laquelle les Japonais sont les plus sérieux, que pourront-elles faire ? 
Enfin, quand vient la guerre après l'attaque de Pearl Harbor, ces Japonaises réalisent que plusieurs décennies aux Etats-Unis ne les ont pas rendues moins suspectes. Traitées comme du bétail et jugées coupables sans procès, personne ou presque ne trouve anormal qu'on les déplace en leur faisant abandonner toute leur vie derrière eux. Pire, beaucoup profitent de la situation et prennent ce qu'ils ont toujours jalousé (les migrants mieux lôtis que les "vrais habitants", ça ne vous rappelle rien ? ).

Un beau texte qui raconte bien plus que l'histoire de ces femmes et qui trouve une résonnance particulière encore aujourd'hui.

L'avis de Lili.

Audiolib. 3h47.
Traduit par Carine Chichereau.
Lu par Irène Jacob.
2012 pour l'édition originale.

25 avril 2016

L'heure zéro - Agatha Christie

9782253030164Neville Strange est un homme comblé. Sa situation matérielle est assurée par ses activités professionnelles et par sa position d'héritier d'une immense fortune venant de Sir Matthew, son père adoptif, qui a cependant laissé l'usufruit de ses biens à sa veuve, Lady Tressilian. Sa vie sentimentale est tout aussi merveilleuse. Après huit ans de mariage avec la belle et impénétrable Audrey, il a tout quitté pour la sublime Kay, jeune femme de vingt-trois ans pleine de vie, qui l'adore et partage son amour du sport.
La seule ombre au tableau est son malaise à l'idée d'avoir brisé le coeur d'Audrey. Suite à une modification d'emploi du temps, il saute sur l'occasion de réunir les deux femmes de sa vie à Saltcreek, dans la demeure des Tressilian, où ils sont tous les trois conviés en même temps. ll espère que Kay et Audrey deviendront amies.
Cependant, l'atmosphère pendant le séjour est  extrêmement lourde. Malgré tous les efforts de Mary Aldin, la dame de compagnie et parente éloignée de Lady Tressilian, et la présence de Thomas Royde, ami d'enfance d'Audrey revenu d'Extrême-Orient, les crises de nerfs ne sont pas loin.
Puis, le drame survient...

Parmi les inombrables romans d'Agatha Christie, il est souvent difficile de décider lequel choisir. Si je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà passé un horrible moment en compagnie de cet auteur, il faut bien admettre que certaines de ses oeuvres n'ont passé l'épreuve du temps que grâce à la notoriété de leur créatrice. Ce n'est absolument pas le cas de L'heure zéro.
Outre les recettes habituelles qui font le délice des romans d'Agatha Christie, avec les vieilles dames, les potins, les vielles demeures et leur charme fou, l'auteur nous livre une enquête policière inhabituelle.
En effet, Agatha Christie décide de débuter le roman bien avant le crime, la fameuse "heure zéro", et d'intervenir en tant que narrateur spécialiste des romans policiers pour nous dire comment on devrait normalement évoquer un meurtre. Ainsi, nous suivons dès le début le meurtrier, dont on ne devine rien (ce serait trop facile), en train de préparer minutieusement son affaire. Puis, les acteurs du drame arrive sur la scène du crime.
L'atmosphère créée est pesante, les personnages évoluant en huis-clos, et certains se vouant une haine plus ou moins avouée. Le lecteur est d'autant plus sensible à la tension qui l'entoure qu'il sait qu'un meurtre va avoir lieu. Il guette alors les indices qui pourraient lui indiquer quels sont les coupables et les victimes potentielles.
Finalement, Agatha Christie nous mène en bateau du début à la fin. Les réactions de ses personnages ont une explication qui échappe complètement au narrateur, qui interprète les faits froidement, sans évoquer la possibilité que les réactions des personnages puissent avoir une explication qui n'est pas celle qu'il expose.

J'imagine que les vrais amateurs de romans policiers ne vivront pas la résolution de l'enquête avec la sensation d'assister à un coup de théâtre, mais ce livre vaut de toute façon la peine d'être lu pour son propos sur la construction d'un roman policier. Un très bon Agatha Christie.

L'avis de Restling.

Le Livre de poche. 250 pages.
1944 pour l'édition originale.

30 mars 2016

La part des flammes - Gaëlle Nohant

9782253087434-001-TLe Bazar de la Charité est un événement incontournable en 1897. Toutes les femmes de la haute société veulent en être afin de montrer à tous leur générosité.
Violaine de Raezal, une jeune veuve dont le nom est entaché d'un scandale plus ou moins oublié, tente de s'y introduire. Après avoir essuyé un refus plein de mépris de la part d'une marquise hypocrite, le hasard la mène à la rencontre de la plus flamboyante (ah, ah) des participantes à la grande vente de bienfaisance, la duchesse d'Alençon. Violaine, peu sûre d'elle et un peu trop tendre pour le monde qui l'entoure, découvre une femme qu'elle ne tarde pas à admirer pour son indépendance d'esprit et son altruisme. La duchesse également s'entiche de Violaine, et lui propose une place à son comptoir au Bazar de la Charité, où les deux femmes rencontreront également la jeune et très pieuse Constance d'Estingel.
L'incendie qui éclate le deuxième jour de la vente va rapprocher d'une façon étrange ces trois femmes un peu trop intelligentes et volontaires.

A partir d'un fait divers retentissant, Gaëlle Nohant traite de la question des femmes dans la société française du XIXe siècle. Tout est mis en oeuvre pour les cloîtrer et les conformer au moule prévu pour elles. La religion poursuit son oeuvre entreprise depuis des siècles pour les réduire à des créatures qu'il faut infantiliser, dont il faut se méfier et susceptibles d'être touchées par le péché à tout moment. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, certaines évolutions de la société, au lieu d'apporter une vision plus moderne des femmes, contribue à les rendre suspectes. La presse d'abord, bien que plus développée et libre, peut ruiner des réputations en un article. Quant à la médecine, elle ne sert qu'à confirmer grâce à certains de ses praticiens les diagnostics de maladies typiquement féminines, telles l'hystérie ou la nymphomanie, maladies qui touchent systématiquement les femmes vues comme indépendantes.
On peut cependant regretter des personnages un peu trop prévisibles (Lazlo, le beau noble au nom exotique, poète et journaliste, en est un parfait exemple) et manichéens. Ce manque de consistance des héros gâche un peu un propos par ailleurs bien documenté. Seuls les "méchants" sont plutôt bien croqués, en particulier la marquise de Fontenilles, qui nous ferait presque de la peine dans sa volonté de briser Lazlo pour faire oublier qu'une femme autrefois exhibée comme un trophée ne vaut plus rien quand elle est défigurée.
L'écriture aussi m'a tantôt charmée, tantôt laissée de marbre. Elle est très juste dans la description de l'incendie, dans l'évocation de la soufrance des victimes ou encore dans la charge contre les aliéniste, mais tend à devenir un peu trop banale voire artificielle dès lors qu'il s'agit d'évoquer l'intrigue amoureuse.

Si j'ai lu ce livre avec beaucoup de facilité et apprécié ses qualités, je n'ai pas éprouvé le coup de coeur qu'ont eu Choupynette et Yueyin. Je suis cependant ravie de voir que Gaëlle Nohant poursuit sa route d'écrivain en rencontrant un joli succès.

Le Livre de Poche. 544 pages.
2015 pour l'édition originale.

6 janvier 2016

Thérèse Raquin - Emile Zola

product_9782070418008_195x320Dès les premières lignes, lorsqu'on ouvre un Zola, il est impossible de ne pas être happé, tant les décors sont précis et vivants (oui, j'ai décidé d'écrire des choses étranges). C'est dans le passage du Pont-Neuf que le drame de la famille Raquin va se jouer, et nous y pénétrons pour la première fois alors que les protagonistes ont disparu depuis des années.

Thérèse Raquin est recueillie encore enfant par sa tante, qui l'élève du côté de Vernon, avec de son fils maladif, Camille. A l'âge adulte, les deux jeunes gens se laissent marier et mènent une vie calme à la campagne, jusqu'au jour où Camille décide de se rendre à Paris pour réussir sa vie professionnelle.
Mme Raquin finance pour elle-même et sa belle-fille l'achat d'une boutique surplombée par un appartement où ils logent. La monotonie de la vie que mène la famille n'est rompue que lors des soirées du jeudi, où un ancien commissaire de police, ami de Mme Raquin, vient en compagnie de son fils et de l'épouse de ce dernier.
La morne et maléable Thérèse est cependant transfigurée lorsque Camille invite un soir Laurent, une vieille connaissance. 

Après plus de deux ans sans lire Zola, j'avais oublié à quel point ses livres sont puissants.
Tout d'abord, je l'ai dit en introduction, ses descriptions des décors, des personnages, des scènes sont d'une qualité que je ne crois pas avoir croisée chez un autre auteur à part Balzac. On peut lui reprocher d'en faire toujours plus dans la noirceur, mais la scène à la morgue est l'une des plus fortes du roman.

"La Morgue est un spectacle à la portée de toutes les bourses, que se payent gratuitement les passants pauvres ou riches. La porte est ouverte, entre qui veut. Il y a des amateurs qui font un détour pour ne pas manquer une de ces représentations de la mort. Lorsque les dalles sont nues, les gens sortent désappointés, volés, murmurant entre leurs dents. Lorsque les dalles sont bien garnies, lorsqu’il y a un bel étalage de chair humaine, les visiteurs se pressent, se donnent des émotions à bon marché, s’épouvantent, plaisantent, applaudissent ou sifflent, comme au théâtre, et se retirent satisfaits, en déclarant que la morgue est réussie, ce jour-."

Si Zola fascine toujours autant, c'est bien pour ce qu'il arrive à saisir et à retranscrire de la nature humaine. Nous connaissons les Rougon-Macquart et leurs vices, les personnages de ce roman sont tout aussi cupides, lâches et égoïstes, des amants meurtriers aux invités du jeudi soir qui considèrent qu'une hôte n'a pas à pleurer son fils devant ses invités.

Mais ce qui frappe surtout dans ce livre, ce qui le différencie de ceux de l'auteur que j'ai lus jusqu'à présent, c'est son appartenance au roman policier et au fantastique. En immense auteur, Zola n'aborde cependant pas ces genres de façon traditionnelle. Ainsi, nous vivont le meurtre, ses préparatifs et ses suites avec le point de vue des meurtriers. De plus, ce qui nous est décrit ne concerne pas le fait de savoir si oui ou non, ils seront pris. Laurent et Thérèse ont tué pour être ensemble, mais leur humanité leur revient en pleine face dès lors qu'ils n'ont plus de calculs froids à faire. C'est là qu'intervient le fantastique. A proprement parler, il n'y a rien de surnaturel dans Thérèse Raquin. Pourtant on y croise le fantôme le plus terrifiant. Zola, décrit les remords des meurtriers et leurs terreurs en jouant avec les décors, les ombres... La morsure de Camille dans la nuque de Laurent semble aussi vivante que le portrait du défunt, le corps de la victime se presse constamment contre les deux amants, entre eux.

Enfin, le portrait de Thérèse fascine. Elle est initialement en retrait, bien comme il faut, docile. Son coup de foudre pour Laurent en fait une créature fougueuse, sexuelle et volontaire. D'insipide, voire laide, elle devient belle au point de surprendre son amant qui voyait en elle une façon facile de se soulager. Elle est la digne compagne des personnages féminins de romans qui, comme elle, se perdent pour avoir voulu vivre.

C'est toujours un bonheur de lire Zola.

Folio. 344 pages.
1867.

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5 décembre 2015

L'intérêt de l'enfant - Ian McEwan

A14768Fiona Maye, soixante ans, est une magistrate renommée exerçant aux affaires familiales. Alors qu'elle traverse une crise conjugale, elle est confrontée à des cas judiciaires délicats. L'un d'entre eux fait la une des journaux. Un jeune homme de dix-sept ans atteint de leucémie refuse d'être transfusé en raison de son appartenance aux Témoins de Jéhovah.

Vous connaissez mon admiration pour Ian McEwan, auteur avec lequel j'aime jouer et qui aime piéger ses personnages et ses lecteurs.

En ouverture de ce roman, un extrait du Children Act, rappelant que "l'intérêt de l'enfant" prime sur tout dans les décisions de justice. Mais quelles sont les frontières de cette institution ? Comme souvent avec l'auteur, la réponse est froidement livrée à la fin du roman. Fiona est une pure héroïne de McEwan. Elle réalise les chaînes qui la retiennent aussi bien dans sa vie intime (où, pour une femme, faire pitié [signifie] en quelque sorte votre mort sociale, comme au XIXe siècle) que dans son métier. Assez âgée, elle appartient à une institution vieillissante, qui délaisse le contact humain pour "plus de cases à cocher, de rapports à croire sur parole". Qui doit remplir des quotas de condamnation pour viol et qui s'appuie de plus en plus sur des jurés qui s'informent sur internet.

Sa rencontre avec Adam est révélatrice de la difficulté de son métier de juge pour enfants. Cette affaire surmédiatisée concerne un adolescent auquel il ne manque que trois petits mois pour être un adulte. Sa foi lui interdit de recevoir le sang d'un autre, et la maturité du patient semble indéniable. Ici, le jugement de Fiona ne concerne pas ce qu'elle-même pense des Témoins de Jéhovah, elle doit se limiter à décider s'il faut respecter sa décision ou lui sauver la vie.
Or, ces limitations sont incompréhensibles pour un tout jeune homme en manque de repères et qui commence à percevoir la réalité de la vie, celle où les croyants les plus déterminés attendent simplement qu'on prenne les décisions à leur place, celle où ceux qu'on a cru voir comme des alliés, presque des amis, ne vous considèrent que comme un travail accompli.

Dans sa construction et dans son style, je trouve ce livre à rapprocher notamment de Sur la plage de Chesil. Le narrateur est extérieur, les faits sont exposés sans parti pris de l'auteur. Pourtant, cette sobriété dans L'intérêt de l'enfant m'a beaucoup trop laissée en dehors de l'histoire, et l'absurdité de ce qui se produit m'est apparue de façon beaucoup moins éclatante que d'habitude. D'ordinaire, on ressort d'un McEwan complètement bouleversé pour le personnage. Ici, Fiona est choquée, mais j'ai du mal à voir sa vie ne pas reprendre son cours normal assez rapidement. D'autant plus que sa solitude apparaît de façon bien moins éclatante que d'ordinaire.

Ian McEwan avait un sujet délicat à traiter. S'agissant d'enfants et de religion, il ne fallait surtout pas tomber dans le pathos. A l'inverse, il s'est peut-être trop retenu.

Lewerentz est dithyrambique. Un autre avis très intéressant ici.

Gallimard. 231 pages.
Traduit par France Camus-Pichon.
2014 pour l'édition originale.

31 juillet 2015

L'éveil - Kate Chopin

L_Eveil"Quelquefois, monsieur Pontellier se demandait si sa femme ne devenait pas un peu déséquilibrée. Il voyait clairement qu'elle n'était pas elle-même. C'est-à-dire qu'il ne voyait pas qu'elle devenait elle-même, et que chaque jour elle rejetait davantage cette personnalité factice dont nous nous affulblons comme d'un vêtement pour paraître aux yeux du monde."

Edna Pontellier appartient à la bonne société de Louisiane. Un été, elle se rend dans une pension de famille du Golfe du Mexique avec sa famille, et se lie d'amitié avec Robert Lebrun, le fils de la propriétaire des lieux.
Elle qui était jusque là une épouse modèle se met à avoir des comportements que ses proches ne s'expliquent pas. A la fin de la saison, Robert Lebrun part pour le Mexique et Edna rentre à la Nouvelle Orléans, mais sa soif d'indépendance ne se tarit pas.

Il y a quelques années, j'ai lu un étrange petit livre, La séquestrée de Charlotte Perkins Gilman. Comme L'éveil, il a été écrit à la fin du XIXe siècle, et il évoque de façon très frappante la maternité et surtout le baby-blues qui peut s'exprimer très sévèrement chez certaines femmes. Si je rapproche ces deux romans, c'est parce que ce qui me choque le plus, c'est la façon dont l'entourage d'Edna et de l'héroïne de La séquestrée réagissent. Dans les deux cas, un médecin est appelé à la rescousse par le mari. Une femme qui prend sa vie en main et qui ne travaille plus exclusivement au bonheur de son foyer et à la réussite de son époux est forcément malade. J'ignore s'il existe des oeuvres de ce type en nombre, mais il semble qu'une brise féministe traversait la littérature américaine à cette époque.

Malheureusement, le reste m'a beaucoup moins convaincue que ne l'avait fait La séquestrée. L'éveil est un joli livre, mais si je mets de côté le discours sur la condition féminine (qui lui est pertinent), je ne trouve pas ses qualités littéraires extraordinaires. Charlotte Perkins Gilman avait su créer une atmosphère oppréssante, son livre nous introduisait directement dans les pensées de son héroïne. Ici, Kate Chopin nous narre un peu trop platement l'histoire de son héroïne. Certains passages sont très beaux, la peinture de la Louisiane est intéressante, mais quelques semaines après avoir achevé ce livre, je n'en garde que peu de choses. La fin est évidemment frappante, mais le reste, les dîners, les belles maisons, les voitures, rappellent un peu tous les romans américains contemporains de celui de Kate Chopin.
On a aussi beaucoup comparé ce livre à Madame Bovary de Flaubert. J'ai beau avoir du mal avec ce dernier auteur, je trouve la comparaison très exagérée. Aucun personnage ici n'a la carrure d'une Emma ou d'un Rodolphe.

Un roman à lire, mais je conseille en priorité les autres oeuvres citées dans mon billet.

Liana Levi. 219 pages.
Traduit par Michelle Herpe-Volinsky.
1899 pour l'édition originale.

13 avril 2015

L'âge difficile - Henry James

imageM. Longdon, un vieux gentleman, renoue avec la vie londonienne. C'est ainsi qu'il devient le protecteur de Nanda Brookenham, la petite-fille de la femme qu'il a passionément aimée autrefois. Celle-ci s'apprête à faire son entrée dans le monde, un monde odieux.

Dire que cette lecture a été laborieuse est un sacré euphémisme. Pour résumer la situation, lorsqu'on me demandait de quoi parlait ce roman, j'étais très embarassée. Il est très difficile à résumer, et on ne peut pas le lire distraitement sans devoir tout reprendre pour saisir les allusions ultérieures.

Nous entrons en tant que simples témoins dans les discussions de tout un cercle de connaissances (je n'ose écrire amis). Ils parlent essentiellement d'amour, de liaisons et de mariages, le tout sur fond d'argent, de pédanterie et de vieux souvenirs. Si ce résumé fait de prime abord penser à Edith Wharton ou à tout autre auteur ayant fait des discussions de salon son sujet principal, il n'en est rien tellement la forme est différente.
Ici, les personnages, qui semblent être des gens très respectables dans un premier temps, deviennent tous plus méprisables les uns que les autres au fur et à mesure que l'on saisit leurs sous-entendus. Là où d'autres utilisent un narrateur pour expliciter la situation, James laisse son lecteur saisir l'essence de ses personnages directement à la source, en leur servant des dialogues d'une très grande finesse (parfois un peu trop pour une lectrice pas toujours concentrée telle que moi) et en abondance.
Cet art des dialogues est vraiment ce qui a retenu mon attention même s'il rend les personnages trop mécaniques dans leur attitude à mon goût. On se croirait devant une pièce dont les acteurs récitent le texte d'un voix monocorde. Les choses dont il est question sont évoquées avec une grande froideur ou une passion qui sonne complètement faux. J'ai été destabilisée par l'absence totale de gestuelle, ou d'indications sur le ton employé pour prononcer les dialogues (j'ai l'air d'une folle en reprochant à un livre de ne pas avoir de son et d'image...).

En raison de ce manque de repères, j'ai attendu vainement des indices pour comprendre. Je pensais que la fin éclairerait tout, mais je dois me contenter de supposer quels sont les personnages que James veut sortir du lot et le message qu'il transmet. 

Je suis déçue mais pas vaincue. Henry James est un auteur qui me résiste alors que je voudrais l'apprécier. J'ai trouvé ce livre interminable. Pourtant, je suis paradoxalement convaincue d'avoir eu affaire à un très grand auteur, le genre que l'on savoure quand on a enfin compris comment pénétrer dans son univers.

Je remercie Célia et les éditions Denoël pour ce livre.

Denoël. 571 pages.
Traduit par Michel Sager.
2015 (1889 pour l'édition originale).

 

3 avril 2013

Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides

C_Le-roman-du-mariage_9524"Il n'y a pas de bonheur en amour, sauf à la fin d'un roman anglais." 

Contre toute attente, voilà l'un des meilleurs romans victoriens que j'ai lus ces derniers temps. En effet, le but de Jeffrey Eugenides avec son dernier roman est d'écrire un roman à la sauce XIXe bien que l'on soit au XXIe siècle. C'est une véritable réussite.

Madeleine, la vingtaine, est étudiante à l'université de Brown au début des années 1980. Ses idoles sont les auteurs anglos-saxons du XIXe siècle, de Jane Austen à Henry James, en passant par Elizabeth Gaskell ou encore George Eliot. Lorsqu'elle s'inscrit à un cours de sémiologie, elle découvre Jacques Derrida et surtout Roland Barthes, au point de ne plus voir la vie qu'à travers Fragments d'un discours amoureux. Ce livre hante même sa relation avec Leonard, le jeune homme brillant qu'elle a rencontré dans son fameux cours, qui est aussi doué en biologie qu'il est maniaco-dépressif. Une autre silhouette apparaît dans le sillon de Madeleine, celle de Mitchell, étudiant en théologie et amoureux fou de notre héroïne.  

Nous suivons ces trois personnages se débattant chacun dans leur domaine pour trouver la réponse aux questions qu'ils se posent sur une année environ, bien davantage si l'on prend en compte les souvenirs d'enfance, les changements de points de vue et les bouleversements qui s'opèrent en Madeleine, le personnage central du récit. La construction du livre est un véritable atout. Elle rend le récit dynamique, passionnant, elle fait cogiter le lecteur et sert à mettre en perspective bon nombre d'aspects qui seraient apparus anodins ou opaques si l'histoire avait été contée de façon linéaire.
Le fond n'est pas en reste. Les questions centrales du livre sont le mariage et le roman, ainsi que la manière dont les deux s'articulent. Si le mariage a été l'un des sujets favoris des romanciers à une époque où c'était un pilier des sociétés occidentales, la banalisation du divorce et la libération des femmes ont changé les choses. Dès lors, Jeffrey Eugenides cherche avec son livre à écrire une histoire sur le mariage qui prend en compte ces nouvelles données. Mais les liens entre mariage et roman ne sont-ils pas définitivement morts ?
Madeleine est une véritable héroïne de roman comme on en trouve chez les auteurs anglo-saxons du XIXe et du début du XXe siècle. Elle vient d'une bonne famille, où l'on se marie davantage par convenance que par amour. Comme beaucoup de ses consoeurs de roman, Madeleine profite de la première occasion qui se présente pour laisser exploser son tempérament rêveur et idéaliste. Cela l'amène à commettre les même erreurs qu'elles en choisissant le mauvais garçon. Léonard est difficile à cerner, mais il n'a rien du gendre idéal, ce qui est toujours un gros avantage lorsque l'on souhaite séduire une jeune fille riche qui souhaite ne pas marcher dans les pas de sa mère et de sa soeur.  Ce n'est pas un mauvais bougre, mais sa maladie le rend égoïste, parfois méchant, et ses sentiments pour Madeleine relèvent davantage du caprice que d'un attachement sincère. Mitchell est un jeune homme qui se cherche en étudiant la théologie et en se rendant jusqu'en Inde. Amoureux de Madeleine depuis le début, c'est le héros parfait d'un roman anglais, celui qui devrait avoir la fille au bout du compte.

A la fois campus novel, roman d'apprentissage ou encore pastiche littéraire, ce livre est une sorte de pièce montée dont on ne comprend le sens que dans les dernières phrases, superbes, que je me retiens de vous révéler tant elle m'ont émue.

C'est un gros coup de coeur.

D'autres avis enthousiastes et passionnants chez Cathulu et chez Papillon.

L'Olivier. 552 pages.
Traduit par Olivier Deparis.
2011 pour l'édition originale.

30 mars 2013

La Recluse de Wildfell Hall - Anne Brontë

La-Recluse-de-Wildfell-HallMon billet est plein de révélations sur le roman, je vous déconseille de le lire si vous souhaiter le découvrir sans rien savoir dessus.

L'arrivée de la mystérieuse Mrs Graham et de son fils Arthur dans la demeure délabrée de Wildfell Hall provoque la curiosité de ses voisins. Elle semble veuve, solitaire, ce qui est largement suffisant pour que toutes sortes d'histoires circulent sur son compte. Gilbert, jeune propriétaire terrien, n'apprécie pas vraiment ses manières froides dans un premier temps, puis à force de la fréquenter, il en tombe amoureux. Il cherche alors à comprendre pourquoi elle semble se cacher de ses anciens amis, et quelles relations elle entretient vraiment avec son propriétaire, dont on murmure qu'il est le père de son enfant.

Ce livre est étonnant. D'un côté, il peut paraître assez sage, voire moralisateur. Notre héroïne est une jeune fille naïve avant son mariage. Elle croit pouvoir tout contrôler, et son attitude est très religieuse. Quand elle rencontre son mari, elle rejette en bonne amoureuse passionnée tous les avertissements de ses proches. "Je le sauverai", leur dit-elle, et elle se tiendra à cette résolution jusqu'au bout. Cet excès de bonté peut sembler agaçant à un lecteur d'aujourd'hui tant cela ressemble à une leçon de morale contre les erreurs de jeunesse.
Le dénouement du livre également est sans surprise, puisque les gentils triomphent alors que les méchants paient pour leurs égarements. Contrairement à ses soeurs, qui ont créé en Heathcliff et Rochester des hommes bourrés de défauts, tout en leur donnant le statut de héros, Anne Brontë ne fait pas d'Arthur un être que l'on peut comprendre. Il est pitoyable, méchant, égoïste, et il n'aura pas le moindre moment de gentillesse avant de quitter la scène. Ce n'est pas lui dont on se souvient une fois le livre refermé. En ce qui concerne l'autre prétendant, Gilbert est certes loin d'être un prince charmant lorsqu'on l'observe avec un oeil neutre, et je trouve sa jalousie inquiétante pour la suite, mais je ne pense pas qu'Anne Brontë ait montré ses excès dans le but de faire de son personnage un homme imparfait. Elle veut plutôt montrer par ce biais l'attachement qu'il éprouve pour Mrs Graham et permettre le développement de son intrigue.

Malgré ces aspects, ce serait une erreur de considérer ce livre avec dédain, car on se serait complètement mépris sur ses objectifs. Remis dans le contexte du milieu du XIXe siècle, on comprend en effet l'émoi qu'il a suscité ainsi que l'audace dont il fait preuve. Ce livre parle en fait de violences conjugales et d'alcoolisme, un sujet que je ne pense pas avoir déjà vu développé dans un autre roman de cette époque, et encore moins aussi crûment. Je reprochais plus haut à Anne Brontë son manque de romanesque, mais cela vient du fait que l'auteur, ainsi qu'elle le dit dans la préface de son livre, vise à offrir une oeuvre réaliste. Vu sous cet angle, c'est une réussite. Par le biais de son journal, Helen, notre héroïne, nous livre le récit complet des abandons, des humiliations et des menaces dont elle sera l'objet durant son mariage. Son quotidien n'est fait que d'attente, de violence et de désespoir. Son mari est très souvent absent, il ne vient qu'accompagné d'amis aussi débauchés que lui, et son jeu favori consiste à tourmenter sa femme et à essayer de faire de son fils son parfait portrait.
Anne Brontë nous montre bien la situation impossible dans laquelle se trouve son héroïne. Elle cherche d'abord à aider son mari, à le changer. L'auteur devait bien connaître ce sentiment, puisque son frère, Branwell Brontë, souffrait lui-même d'alcoolisme. Quand son amour pour son mari a disparu, Helen ne cherche plus qu'à se protéger. Mais, c'est une femme, donc elle n'a pas la moindre possibilité de partir aux yeux de la loi, encore moins avec son fils. La honte qu'elle éprouve l'empêche par ailleurs de s'ouvrir à ses proches. Heureusement pour elle, elle n'est pas seulement la jeune sotte qui a épousé Arthur, ce qui lui permet de trouver assez de ressources pour s'enfuir, bravant ainsi les règles de la société dans laquelle elle vit.
Pas étonnant qu'un roman mettant en scène une femme forte ait provoqué quelques colères lors de sa parution.

Je pourrais poursuivre ce billet en vous parlant de l'atmosphère mystérieuse qui règne autour de Wildfell Hall, ou encore de la construction du livre à partir de plusieurs points de vue, mais ce que j'en ai retenu est surtout son intrigue. Anne Brontë ne m'inspire pas la même passion que ses soeurs, mais elle n'en est pas moins un auteur admirable auquel il serait regrettable de ne pas s'intéresser.

Traduit par Georges Charbonnier, André Frédérique et Frédéric Klein.
Phébus. 471 pages.
1848 pour l'édition originale.

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