Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lilly et ses livres
Newsletter
Derniers commentaires
mariage
11 juin 2022

Il suffit d'une nuit - William Somerset Maugham

20220605_185616b

Veuve après un mariage d'amour désastreux, Mary s'est réfugiée dans la demeure d'amis absents sur les hauteurs de Florence. Alors que les fascismes ont pris le pouvoir en Europe, la jeune femme se soucie avant tout de ses projets matrimoniaux. Sûre d'elle, les suites d'une soirée entre amis vont pourtant lui faire voir ses projets sous un autre jour.

Il est certes plaisant de retrouver l'ambiance italienne que les Anglais ont tant aimé décrire, et William Somerset Maugham nous plonge dans un milieu qui ne peut qu'être familier aux amateurs de littérature britannique. Mes compliments concernant ce texte vont pourtant s'arrêter là.

On pourrait achever le titre de ce livre par "pour répéter les erreurs du passé". Je ne vais pas accuser l'auteur de quoi que ce soit, mais entre le viol qui ne donne lieu qu'à de la pitié pour son auteur et les violences dues à de la frustration qui suscitent du désir et de la complicité entre deux personnages, j'ai terminé ma lecture de cette longue nouvelle frustrée pour des raisons que Somerset Maugham n'avait probablement pas imaginées.

L'auteur tente bien d'approfondir la psychologie de ses personnages, mais c'est fait avec une absence de finesse que je n'avais pas remarquée dans ses autres écrits.

Vous vous douterez donc que je ne vous recommande pas ce livre, choisissez plutôt Mr Ashenden, agent secret ou La Passe dangereuse.

10/18. 158 pages.
Traduit par A. Renaud de Saint-Georges.
1941 pour l'édition originale.

Logo-le-Mois-anglais-2022

Publicité
8 juin 2022

L'Amant de Lady Chatterley - David Herbert Lawrence

20220518_115233b

Lorsqu'il revient de la guerre auprès de Constance, sa jeune épouse, l'héritier des Chatterley est devenu impuissant. Résigné, il ne souffre pas de sa condition et remplit consciencieusement ses devoirs de propriétaire terrien. Alors que le couple envisage d'avoir un héritier engendré par un autre homme, Lady Chatterley s'éprend de Mellors, le garde-chasse.

Passez votre chemin si vous espérez être émoustillé par autre chose qu'une course nus dans les bois sous une pluie battante ou par quelques scènes de sexe hautement intellectualisées par Constance Chatterley. Bien que peu attachante (une appréciation valable pour l'ensemble des personnages du livre), elle fait preuve d'une volonté de maîtriser sa vie et d'une clairvoyance sur son époque qui la rendent fascinante. Ce n'est pas une jeune fille naïve qui a découvert l'intimité sexuelle lors de ses noces. Ce n'est pas non plus, malgré sa bonne éduction, une femme prête à sacrifier son bien-être pour soigner son mari, qu'elle finit par contraindre à engager une infirmière. Politiquement, elle est partagée entre sa sympathie pour les ouvriers et le mépris qu'ils lui inspirent naturellement.

L'Amant de Lady Chatterley est un roman se questionnant sur la nature humaine et dont la dimension sociale est très forte. L'industrialisation puis la guerre ont redistribué les cartes. L'aristocratie est sur le déclin, il n'est plus possible d'endiguer la montée du capitalisme.
Même l'intrigue amoureuse ne peut être détachée du contexte historique dans lequel Lawrence ancre son roman. Au contraire, ces deux sujets se répondent dans un habile effet de miroir. On voit la lutte des classes aussi bien dans les descriptions du paysage anglais, modifié par l'industrialisation et la fin des grandes lignées que dans la relation entre Constance et Mellors. Si une liaison avec un homme du monde est acceptable, avec un homme du peuple c'est inevisageable.
La question des rapports entre les sexes est également omniprésente. Du côté des hommes, on est complètement misogyne. Les aristocrates apprécient d'étaler leur libéralisme en matière de moeurs uniquement lorsqu'il s'agit de parler d'hommes désirant avoir plusieurs partenaires. Pour les femmes, elles doivent se montrer discrètes ou subir le courroux d'une société demeurant très puritaine à leur égard. Mellors lui-même est l'auteur de répliques parfaitement odieuses. Lawrence crée chez ses personnages féminins une intelligence et une malice que ces personnages masculins ne soupçonnent pas un instant.

Pour être tout à fait honnête, la fin me semble peu crédible et je me suis dit que D.H. Lawrence ne devait pas être particulièrement doué pour les galipettes tant il considère le sexe masculin comme le centre du plaisir sexuel. L'Amant de Lady Chatterley est néanmoins un roman bien plus intéressant que ce que sa simple réputation sulfureuse laisse imaginer.

Folio. 542 pages.
Traduit par F. Roger-Cornaz.
1931 pour l'édition originale.

Source: Externe

30 mai 2022

Tormento - Benito Pérez Galdós

20220511_120932b

Madrid, 1867. Don Francisco Bringas est un fonctionnaire mal payé. Son épouse essaie de tirer le meilleur parti de leurs relations afin de leur assurer un certain train de vie et de protéger l'avenir de leurs enfants. Parmi les serviteurs de la famille se trouve Amparo, une orpheline aussi belle que dévouée, que les Bringas ont promis de ne pas abandonner. Lorsqu'un parti très avantageux pour la jeune fille se présente, la jalousie de Madame Bringas et un ancien secret déshonnorant menaçent l'union projetée.

C'est peu dire que la littérature de langue espagnole n'est pas très présente sur ce blog. Il a fallu qu'Ingannmic et Goran lancent leur Mois Latino-Américain pour que cette catégorie prenne un peu d'ampleur. Je n'avais jamais entendu parler de Benito Pérez Galdós avant que l'éditeur me propose de découvrir ce recueil, mais la comparaison avec Dickens et Balzac a eu raison de ma méfiance.

Ce livre se lit un peu comme une pièce de théâtre, une forme d'autant plus logique qu'elle est utilisée par Benito Pérez Galdós dans certains chapitres. L'auteur dresse un portrait très sarcastique de la société madrilène à la veille de la révolution de 1868, où tout est fondé sur un paraître d'autant plus absurde que tous ses membres se connaissent suffisamment pour que personne ne soit dupe. Galdós affame les enfants, transforme le respectable Bringas en fée d'intérieur, ce qui rend la lecture du roman très drôle. Malgré cela, il nous présente aussi à travers le personnage d'Amparo une société où la moindre faiblesse de jeunesse peut ruiner tout espoir.

Tormento est trop court, et la comédie trop présente, pour que le drame nous emporte comme peuvent le faire les romans des auteurs du XIXe les plus reconnus, mais j'ai hâte de lire le deuxième roman du recueil pour découvrir s'il contient des informations sur le devenir des personnages que j'ai quittés de façon trop abrupte à mon goût. Et j'espère qu'un éditeur prendra la peine de traduire les oeuvres les plus célèbres de Benito Pérez Galdós qui semblent incontournables.

Je remercie les Editions du Cherche Midi pour l'envoi de ce livre.

Le Cherche Midi.
Traduit par Sadi Lakhdari.
2022.

Source: Externe

27 avril 2022

J'ai épousé un communiste - Philip Roth

20220426_131930b

" Vois les choses sous l'angle de Darwin. La colère sert à rendre efficace. C'est sa fonction de survie. C'est pour ça qu'elle t'est donnée. Si elle te rend inefficace, laisse-la tomber comme une pomme de terre brûlante. "

Nathan Zuckerman retrouve Murray Ringold, son ancien professeur, alors que ce dernier est au crépuscule de sa vie. Durant six soirées, ce passionné de Shakespeare va raconter l'histoire de son frère Ira, ancienne gloire de la radio et époux de la célèbre actrice Eve Frame. Ira a été à cette époque le mentor de Nathan avant de tout perdre à cause de son mariage et de ses idées politiques. On plonge alors dans l'Amérique de l'après-guerre, celle de la chasse aux sorcières et d'un antisémitisme habilement dissimulé mais toujours actif. C'est l'occasion pour les deux hommes de faire le procès de leur nation, celle d'hier et celle d'aujourd'hui. 

Je dois vous faire une confidence. Je crois que je suis en train de tomber amoureuse. Il s'appelle Philip, il me donne des claques, et j'aime ça.

Pastorale américaine m'a bouleversée, J'ai épousé un communiste m'a déprimée (j'ai hâte de voir si La Tâche me fait sauter par la fenêtre).

L'auteur n'est tendre avec personne. Surtout pas Eve, cette actrice digne de ces femmes fatales venimeuses que l'on trouve dans les vieux films. Depuis, j'ai lu que son personnage était inspiré de l'ex-femme de l'auteur, ce qui explique sans doute cette absence de nuances que Roth accorde à ses autres créatures et qu'il considère comme étant le privilège de la littérature sur la politique.

" Même quand on choisit d'écrire avec un maximum de simplicité, à la Hemingway, la tâche demeure de faire passer la nuance, d'élucider la complication, et d'impliquer la contradiction. Non pas d'effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l'intérieur de ses termes, se situe l'être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Il faut lui donner droit de cité. Autrement, on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu'elle aimerait se voir mise en publicité. "

Roth n'est pas du genre à faire dans la dentelle, et avec ce roman je réalise qu'il aime aussi asséner des vérités que ses lecteurs ne sont pas prêts à entendre. Il le fait de façon presque sournoise, lorsqu'il n'est plus possible de nier l'évidence puisque les centaines de pages qui précèdent la conclusion sont là pour parer à toute tentative de se défiler.
Je vous annonce donc que nous sommes tous des abrutis ballotés par la politique comme de vulgaires marionnettes. Tout ce qu'ont fait Ira et Murray, de leur adhésion au communisme à leur vie maritale, a été dicté par leurs idéaux qui sont avant tout l'expression de leurs faiblesses et de leurs contradictions (au choix, comment concilier une vie de camarade et un fantasme de famille américaine idéale ?).

" Ce qui l'empêche c'est qu'il est comme tout le monde – on ne comprend les choses que quand c'est fini. "

Il y aurait de quoi désespérer de la nature humaine, si prompte à trahir et à abandonner lâchement ceux qui tombent. Heureusement, on est chez Roth qui ne manque ni d'humour (je crois que c'est l'auteur qui me fait le plus rire) ni de cette affection qu'il témoigne à ses témoins et à son alter-ego écrivain. Quel conteur hors pair !

Folio. 442 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
1998 pour l'édition originale.

26 février 2022

Le Festin - Margaret Kennedy

20220218_163454

L'hôtel de Pendizack, est englouti par la falaise qui le surplombait. Ce drame n'est pas si soudain qu'on pourrait le croire, puisque Mr Siddal, le mari de la propriétaire, avait reçu un courrier le prévenant du péril qui le menaçait.
Nous remontons alors quelques jours avant la catastrophe, pour rencontrer les occupants de la pension de famille, de la femme de chambre à la lady maladive, en passant par le chanoine malaisant, l'écrivaine médiocre et libidineuse (dont le dernier livre démontre qu'Emily Brontë a volé l'oeuvre de son frère...) et les enfants démoniaques.

Si vous cherchez à vous évader en ces temps angoissants, je vous conseille la Cornouailles et cette histoire si parfaitement anglaise ! Le Festin est un livre au ton faussement léger, dont on dévore les presque cinq cents pages. C'est presque une enquête policière, puisque de nombreuses intrigues émaillent le récit et qu'il faut attendre la dernière page pour découvrir la liste définitive des victimes.

On découvre des drames intimes, des parents qui ne veulent pas d'enfants ou qui les maltraitent, mais aussi des parents en mal d'enfants. Il y a des couples désunis, condamnés à se supporter pour des raisons que l'on ne comprend pas toujours.
Nous sommes au sortir de la guerre, le rationnement n'est pas terminé et les bouleversements politiques créent des tensions jusque dans la pension des Siddal où l'intendante auto-proclamée ne compte pas se laisser dominer par ces oisifs écoeurés de devoir payer tant d'impôts. Même la chasse à la guimauve est toute une histoire.

Heureusement, il y a un peu d'amour, de la camaraderie et quelques individus qui empêchent (littéralement) la situation d'exploser. Jusqu'à ce que...

" - Je n'oublierai jamais ce que dimanche vous avez dit de l'innocence.
  - De l'innocence ?
  - A propos des innocents qui sauvent le monde. "

Une tragi-comédie réussie dans un écrin superbe (cette couverture !) qui me permet de découvrir une autrice que je compte bien relire à l'occasion.

Merci aux Editions de la Table Ronde pour ce livre.

La Table Ronde. 471 pages.
Traduit par Denise Van Moppès.
1950 pour l'édition originale.

Publicité
27 septembre 2021

Seule en sa demeure - Cécile Coulon

COULONb

Jura, XIXe siècle. Aimée Deville épouse Candre Marchère avec la bénédiction de ses parents. Pour ces derniers, le jeune veuf incarne l'assurance du bonheur conjugal et matériel de leur fille.
Pourtant, une fois installée dans son nouveau domaine, Aimée va peu à peu prendre conscience des mystères qui l'entourent.

Sur le papier, ce livre, comparé aux grands romans anglais, avait de quoi intriguer. Nul doute que Cécile Coulon a lu Jane Eyre et Rebecca, en effet. Malheureusement, c'est une déception en ce qui me concerne.

J'ai passé le premier tiers du livre à me demander si l'autrice en faisait intentionnellement des tonnes tant elle trace à gros traits le décor de son intrigue (la forêt oppressante, la demeure de pierre, le soldat qui pleure d'un oeil sec, l'époux qui n'aime que ses bois...) et à lutter contre mon envie d'abandonner ma lecture.
Après le premier rebondissement, mon intérêt a été davantage retenu, mais j'ai tout de même été gênée par les nombreux effets de style ratés (on dirait que l'autrice ne peut faire une description sans tenter d'y ajouter une dose de poésie). De plus, le manque de consistance des personnages rend certaines de leurs réactions incompréhensibles. Ainsi, si j'ai lu qu'on est censé éprouver immédiatement un malaise au contact de Candre et de son domaine, pour ma part je me suis demandé quelle mouche avait piqué Aimée tant il agit de façon banale les premiers temps. Rien n'indique que son veuvage est entouré de mystères (on n'est ni chez Daphne Du Maurier, ni dans Vera d'Elizabeth von Arnim). De même, Candre est critiqué pour sa piété excessive, mais celle-ci n'est mise en scène à aucun moment. 

J'arrive à percevoir les intentions de l'autrice, ce qu'elle dénonce de l'impuissance des femmes dans un monde si brutal et codifié. J'ai aimé la cruauté de la fin et la beauté du dernier chapitre. Cependant, j'ai le sentiment d'avoir lu un livre dont on aurait coupé des morceaux indispensables et qui se perd dans les clichés du genre qu'il revisite.

L'Iconoclaste. 333 pages.
2021.

17 septembre 2021

Ce que je ne veux pas savoir/Le Coût de la vie - Deborah Levy

20210916_120611b

Grand succès de la rentrée littéraire 2020, ce diptyque raconte la vie de l'écrivaine Deborah Levy à des moments-clés de sa vie. Réfugiée à Majorque, elle raconte à l'épicier chinois son enfance en Afrique du Sud dans le contexte de l'Apartheid. Le Coût de la vie suit son divorce et ses difficultés à concilier ses obligations de mère et de femme ayant besoin d'un lieu à soi.

Je dois reconnaître qu'après ma lecture de Ce que je ne veux pas savoir, j'étais un peu perplexe face à l'enthousiasme provoqué par Deborah Levy. Ce texte visant à aborder les premiers contacts entre une femme en devenir et ce qu'elle ne veut pas savoir (même si, évidemment, elle sait déjà), est agréable à lire, mais je pensais l'oublier rapidement. Cependant, sa suite le fait brillamment résonner.

Ainsi, cette lecture est une pépite pleine d'anecdotes et de réflexions savoureuses, parsemée de références, dans lesquelles Deborah Levy montre tout son talent d'écrivaine poétesse. Ces livres parlent de l'intime, de l'impossibilité de faire rentrer une vie à deux dans une vie à un, de la difficulté d'être bien dans un endroit où l'on ne devrait pas être, de deuil. Et puis, surtout, des rapports inégaux entre les sexes et de la toute puissance de l'homme qui ne voit pas le problème lorsqu'il drague une jeune fille ayant l'âge de sa fille en ne faisant même pas semblant de s'intéresser à autre chose qu'à lui-même.

" Il n’avait pas imaginé une seconde qu’elle puisse se voir autrement que comme le personnage secondaire et ne pas le voir, lui, comme le personnage principal. En ce sens, elle avait déstabilisé une frontière, fait s’effondrer une hiérarchie sociale et mis à bas les vieux rituels."

S'inscrivant dans la lignée de Beauvoir, Deborah Levy dénonce les tâches cycliques auxquelles sont cantonnées les femmes quand les hommes peuvent transcender leur condition en participant à la vie de la société. Toute tentative de s'échapper est de plus sévèrement punie. Rien de plus écartelant qu'une vie de femme.

" Quand notre père fait ce qu’il a à faire dans le monde, nous comprenons que c’est son dû. Si notre mère fait ce qu’elle a à faire dans le monde, nous avons l’impression qu’elle nous abandonne. C’est miraculeux qu’elle survive à nos messages contradictoires, trempés dans l’encre la plus empoisonnée de la société. Ça suffit à la rendre folle."

Des muses sont invoquées : Sylvia Plath, George Sand, Virginia Woolf et surtout Marguerite Duras qu'elle réhabilite.

"Marguerite portait des lunettes surdimensionnées et avait un ego surdimensionné. Son ego surdimensionné l’aidait à réduire en bouillie les illusions concernant la féminité sous les semelles de ses chaussures – qui étaient plus petites que ses lunettes. Quand elle n’était pas trop soûle, elle retrouvait l’énergie intellectuelle pour passer à l’illusion suivante et la réduire, elle aussi, en bouillie. Quand Orwell parlait du pur égoïsme comme d’une qualité nécessaire à un écrivain, il ne pensait peut-être pas au pur égoïsme d’une écrivaine. Même la plus arrogante des écrivaines doit mettre les bouchées doubles afin de se constituer un ego assez robuste pour lui permettre de survivre au premier mois de l’année, alors survivre jusqu’au dernier, n’en parlons pas. L’ego durement gagné de Duras me parle à moi, à moi, à moi, en toute saison."

Ca ne vous donne pas envie, sinon de revoir vos jugements sur le personnage, du moins de vous jeter sur La Vie matérielle ?

Deux curiosités à côté desquelles il ne faut pas passer et qui seront rejointes par un dernier chapitre très prochainement.

Ce que je ne veux pas savoir. 135 pages. Editions du sous-sol. Traduit par Céline Leroy. 2013 pour l'édition originale.
Le Coût de la vie. 157 pages. Editions du sous-sol. Traduit par Céline Leroy. 2018 pour l'édition originale.

logo ayear

18 août 2021

Le Coeur de l'Angleterre - Jonathan Coe

20210816_114430b

« Vous voyez, c’est ce qui me plaît chez les Anglais. Vous passez pour des gens fiables, conservateurs. Et pourtant vous passez votre temps à enfreindre les règles. Quand ça vous permet d’arriver à vos fins, vous enfreignez allègrement les règles. » Il eut un rire ravi. « Même William Blake. »

2010. Benjamin et Loïs Trotter sont désormais des quinquagénaires émérites. Le monde dans lequel ils vivent n'a plus grand chose de commun avec l'Angleterre de leur adolescence. La génération précédente est de plus en plus clairsemée, Bowie, Alan Rickman et Prince vont mourir prématurément. Les réseaux sociaux occupent le devant de la scène, il n'est plus possible de faire nager nus ceux qui oublient leur maillot de bain. L'heure des bilans et des grandes décisions de la maturité est venue, le tout au milieu des débâcles politiques anglaises.

Si certains aspects de ce livre, en particulier les analyses politiques, m'ont autant passionnée que dans les précédents tomes, je dois admettre que Le Coeur de l'Angleterre n'est pas un coup de coeur. Les variations habiles de formes et de registres, qui rythmaient jusque-là l'histoire, sont moins présentes. De même, si les différents points de vue servaient à rendre l'intrigue palpitante, c'est beaucoup moins vrai ici. Benjamin est assez effacé, presque ennuyeux, surtout face à Doug et Sophie, et personne n'est venu prendre la place de Paul pour apporter un peu de contradiction.

Malgré cela, je dois reconnaître que cette lecture a été instructive et clôture de façon satisfaisante (et définitive ? ) la série. On peut noter un véritable attachement de l'auteur à suivre les thèmes qui l'ont toujours passionné. Le racisme et toutes les formes de discriminations, restent un point central de sa réflexion. La façon de les combattre aussi, qui évolue de génération en génération, avec des ratés parfois. Cela permet à l'auteur de lancer des petites piques affectueuses (je vous assure, il est nettement plus méchant avec les conservateurs et les communicants...).

« Petit ami/ami, ami/petit ami… C’est juste un type avec qui je partage un lit de temps en temps. Il faut toujours que votre génération voie tout en termes binaires, putain… »

Qu'est-ce qui fait l'identité anglaise ? Jusqu'à quel point est-elle solide ? C'est peu dire que le référendum sur l'Union Européenne divise les Anglais, rappelant furieusement un autre débat beaucoup plus proche de nous. Au sein même des familles, le débat fait rage. Les rumeurs, le populisme et les questions jamais vraiment réglées surgissent sans arrêt. Lassés de devoir choisir encore et toujours entre la peste et le choléra lors des élections, certains attendent la première occasion pour faire perdre ses illusions à ceux qui se croient un peu trop populaires. Jusqu'au coup de théâtre que nous connaissons et que personne n'avait vraiment anticipé.
Au passage, si vous aviez encore des doutes sur Boris Johnson, ce livre devrait vous donner un bon éclairage.

" Johnson établissait un parallèle entre l’UE et l’Allemagne nazie. L’une comme l’autre entretenaient le désir de créer un super-État européen sous la domination allemande par des moyens militaires dans un cas, et économiques dans l’autre. Benjamin, dont l’intérêt pour la politique avait augmenté dans des proportions exponentielles depuis quelques semaines, en fut effaré. Le débat politique était-il tombé si bas dans le pays ? Fallait-il incriminer la campagne, ou bien cet état des choses avait-il toujours existé sans qu’il y prenne garde ? Était-il désormais possible à un homme politique britannique de lancer une énormité pareille sans s’inquiéter d’une quelconque sanction ? Ou bien ce privilège était-il réservé à Johnson, avec son toupet de cheveux si attendrissant, son parler marmonnant d’ancien d’Eton et ce demi-sourire ironique aux commissures des lèvres ? "

Bilan plutôt positif malgré tout pour cet opus. Je n'en ai pas fini avec Jonathan Coe.

Folio. 598 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
2018 pour l'édition originale.

pave2021_

logo ayear

15 juillet 2021

Journal (1867) - Anna Dostoïevski

20210709_111635b

Après la mort de sa première épouse, Fiodor Dostoïevski se remarie avec sa sténographe, âgée d'à peine vingt ans. Le couple, pour se soustraire aux problèmes financiers que rencontre l'auteur, se rend à l'étranger. Après un désastreux séjour à Baden, où l'auteur perd ses biens et ceux de sa femme aux jeux, ils s'établissent à Genève. En septembre, Anna débute un journal dans lequel elle va consigner ses réflexions, son quotidien, ainsi que ses souvenirs autour de sa rencontre avec son mari.

Cette lecture est à recommander aussi bien aux admirateurs de Dostoïevski qu'à ceux qui aiment les journaux intimes. Comme le souligne la préface, le fait qu'il ait été rédigé par une autrice qui ne le destinait qu'à son propre usage et souhaitait sa destruction rend son propos spontané et sincère.

La vie d'Anna Dostoïevski n'est pas simple, malgré toute l'affection qu'elle porte à son mari. On ressent vivement les humiliations répétées dues au manque d'argent, qui la contraignent à se rendre chaque jour à la poste, dans l'espoir de recevoir quelque argent. A de maintes reprises, elle doit mettre en gages ses maigres possessions pour pouvoir manger et se loger. Le simple fait d'envoyer des lettres fait l'objet de réflexions intenses en raison du coût que cela implique. Enceinte, la situation matérielle d'Anna ne lui permet pas d'appréhender aussi sereinement qu'elle le désire l'arrivée de cet enfant.

Ce texte pourrait faire l'objet d'une lecture à la lumière de ce que dénoncent les féministes d'aujourd'hui, tant la charge mentale de ce couple repose sur cette femme qui doit ruser et mentir pour garder quelques ressources de secours. Son époux n'est pas toujours facile à vivre. Il lui reproche ses dépenses, critique sa mise, l'incendie lorsque sa mère lui envoie des lettres non affranchies, et à deux reprises part se ruiner aux jeux, la laissant seule avec ses angoisses à Genève.

Anna Dostoïevski n'est pas qu'une jeune fille follement amoureuse de son époux et jalouse (même si cela lui arrive). Elle est aussi intelligente, cultivée (elle dévore Balzac, Dickens et George Sand) et fait preuve d'une grande vivacité d'esprit, comme lorsqu'elle analyse avec humour le passage de Garibaldi à Genève. Son admiration ne l'aveugle que jusqu'à un certain point. A plusieurs reprises, elle laisse éclater par écrit sa colère contre l'attitude inconséquente de son époux. Elle sait lorsqu'il lui ment et ne comprend pas le soin qu'il prend de sa belle-soeur dont il paie l'appartement alors qu'elle-même est contrainte à vivre dans la pauvreté.

Les références au travail d'écriture de Dostoïevski sont peu nombreuses, bien que l'on devine qu'il est alors en pleine rédaction de Crime et Châtiment, et que c'est à l'occasion de la rédaction du Joueur que les deux époux se rencontrent. Ce journal est avant tout un document remarquable pour pénétrer l'intimité de l'un des plus grands auteurs russes.

Syrtes. 234 pages.
Traduit par Jean-Claude Lanne.
2019.

2 mai 2021

Un été sans les hommes - Siri Hustvedt

hustvedtLorsque son mari lui annonce qu'il veut faire une pause (une pause française et âgée de vingt ans de moins qu'elle), Mia est admise dans un service psychiatrique. A sa sortie, elle prend provisoirement congé de la fac dans laquelle elle enseigne et rejoint sa ville natale. 
Là-bas, elle rencontre les membres de la résidence pour personnes âgées où vit sa mère, toutes veuves. Elle est également engagée pour animer un atelier de poésie avec de jeunes adolescentes.

J'ai apprécié ce livre, qui m'a donné l'impression d'être dans un cocon, entre filles (même si les filles ne sont pas toujours tendres). C'est à la fois enchanteur et emprunt de nostalgie. 

Siri Hustvedt n'est pas tendre avec les hommes, leurs injustices et leurs lâchetés envers les femmes qu'ils ont épousées. Mia est une femme blessée et en colère. Bien que banale, sa souffrance est réelle. Elle et son époux ont vécu des décennies ensemble, au point qu'ils mélangent leurs souvenirs. Une séparation n'est pas qu'un chagrin d'amour, c'est aussi une perte de repères.

"Il n’y a pas de vie sans un sol, sans un sentiment de l’espace qui n’est pas seulement extérieur mais intérieur aussi – les lieux mentaux. Pour moi, la folie avait constitué une suspension. Quand Boris s’en fut de cette manière abrupte promener ailleurs son corps et sa voix, je me mis à flotter. Un jour, il laissa échapper son désir d’une pause, et ce fut tout. Sans doute avait-il médité sa décision, mais je n’avais eu aucune part à ses réflexions."

Un immense sentiment d'injustice habite l'héroïne, digne et dévouée épouse de scientifique reconnu. Cette expérience met en valeur le déséquilibre dans les rapports entre hommes et femmes. Ces dernières sont toujours défavorisées. Elles sont rares à parvenir à se faire entendre et à jouir d'une autorité naturelle. On attend d'elles un souci constant du bien-être des personnes qui leur sont proches Condamnées à faire essentiellement un travail invisible, à être le soutien de l'homme, même si elles ont elles-mêmes une carrière (on pense mille fois à Simone de Beauvoir en lisant ce livre), elles ont en plus une date de péremption.
En tant que poétesse, Mia s'interroge sur le rapport à l'écriture et à la lecture, qui n'est pas le même selon que l'on est un homme ou une femme.

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Les femmes lisent des fictions écrites par des femmes et par des hommes. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime avoir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver à cet appareil génital externe si l’on s’immergeait dans des faits et gestes imaginaires concoctés par quelqu’un qui a le sien à l’intérieur. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : “Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit.”

J'ai parlé de colère, mais il n'est pas seulement question de se morfondre. Durant cet interlude, Mia et ses nouvelles amies expérimentent une vie débarassée des contraintes du mariage. Les veuves ne sont pas forcément inconsolables. Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer au premier abord, ne pas se remarier n'est en rien une preuve de dévotion envers l'époux disparu.

"Les veufs se remarient parce que ça leur facilite la vie. Les veuves non, le plus souvent, parce que leur vie en serait plus difficile."

N'étant que séparée, Mia tente de se découvrir, de se rappeler qui elle est. Une pause nécessite de se préparer aux différentes issues possibles, à savoir la reconstruction seule ou les retrouvailles sous conditions. 

Si j'ai apprécié l'ambiance et le propos du livre, je n'ai pas adhéré à la forme, qui énonce une théorie en début de chapitre pour en offrir une démonstration. C'est parfois flou et donne à l'histoire un caractère artificiel. 

Un roman frais mais très imparfait. Je crois que j'ai été d'autant plus indulgente avec ce livre qu'il énonce des idées auxquelles j'adhère en grande partie et que cela en a fait une lecture reposante.

L'avis de Lili que je partage très largement.

Babel. 224 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2011 pour l'édition originale.

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 > >>
Publicité