Le Coeur de l'Angleterre - Jonathan Coe
« Vous voyez, c’est ce qui me plaît chez les Anglais. Vous passez pour des gens fiables, conservateurs. Et pourtant vous passez votre temps à enfreindre les règles. Quand ça vous permet d’arriver à vos fins, vous enfreignez allègrement les règles. » Il eut un rire ravi. « Même William Blake. »
2010. Benjamin et Loïs Trotter sont désormais des quinquagénaires émérites. Le monde dans lequel ils vivent n'a plus grand chose de commun avec l'Angleterre de leur adolescence. La génération précédente est de plus en plus clairsemée, Bowie, Alan Rickman et Prince vont mourir prématurément. Les réseaux sociaux occupent le devant de la scène, il n'est plus possible de faire nager nus ceux qui oublient leur maillot de bain. L'heure des bilans et des grandes décisions de la maturité est venue, le tout au milieu des débâcles politiques anglaises.
Si certains aspects de ce livre, en particulier les analyses politiques, m'ont autant passionnée que dans les précédents tomes, je dois admettre que Le Coeur de l'Angleterre n'est pas un coup de coeur. Les variations habiles de formes et de registres, qui rythmaient jusque-là l'histoire, sont moins présentes. De même, si les différents points de vue servaient à rendre l'intrigue palpitante, c'est beaucoup moins vrai ici. Benjamin est assez effacé, presque ennuyeux, surtout face à Doug et Sophie, et personne n'est venu prendre la place de Paul pour apporter un peu de contradiction.
Malgré cela, je dois reconnaître que cette lecture a été instructive et clôture de façon satisfaisante (et définitive ? ) la série. On peut noter un véritable attachement de l'auteur à suivre les thèmes qui l'ont toujours passionné. Le racisme et toutes les formes de discriminations, restent un point central de sa réflexion. La façon de les combattre aussi, qui évolue de génération en génération, avec des ratés parfois. Cela permet à l'auteur de lancer des petites piques affectueuses (je vous assure, il est nettement plus méchant avec les conservateurs et les communicants...).
« Petit ami/ami, ami/petit ami… C’est juste un type avec qui je partage un lit de temps en temps. Il faut toujours que votre génération voie tout en termes binaires, putain… »
Qu'est-ce qui fait l'identité anglaise ? Jusqu'à quel point est-elle solide ? C'est peu dire que le référendum sur l'Union Européenne divise les Anglais, rappelant furieusement un autre débat beaucoup plus proche de nous. Au sein même des familles, le débat fait rage. Les rumeurs, le populisme et les questions jamais vraiment réglées surgissent sans arrêt. Lassés de devoir choisir encore et toujours entre la peste et le choléra lors des élections, certains attendent la première occasion pour faire perdre ses illusions à ceux qui se croient un peu trop populaires. Jusqu'au coup de théâtre que nous connaissons et que personne n'avait vraiment anticipé.
Au passage, si vous aviez encore des doutes sur Boris Johnson, ce livre devrait vous donner un bon éclairage.
" Johnson établissait un parallèle entre l’UE et l’Allemagne nazie. L’une comme l’autre entretenaient le désir de créer un super-État européen sous la domination allemande par des moyens militaires dans un cas, et économiques dans l’autre. Benjamin, dont l’intérêt pour la politique avait augmenté dans des proportions exponentielles depuis quelques semaines, en fut effaré. Le débat politique était-il tombé si bas dans le pays ? Fallait-il incriminer la campagne, ou bien cet état des choses avait-il toujours existé sans qu’il y prenne garde ? Était-il désormais possible à un homme politique britannique de lancer une énormité pareille sans s’inquiéter d’une quelconque sanction ? Ou bien ce privilège était-il réservé à Johnson, avec son toupet de cheveux si attendrissant, son parler marmonnant d’ancien d’Eton et ce demi-sourire ironique aux commissures des lèvres ? "
Bilan plutôt positif malgré tout pour cet opus. Je n'en ai pas fini avec Jonathan Coe.
Folio. 598 pages.
Traduit par Josée Kamoun.
2018 pour l'édition originale.