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lilly et ses livres

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26 juillet 2013

Disgrâce - J.M. Coetzee

imagesSuite à un scandale sexuel, David Lurie doit démissionner de son poste à l'université. Il décide alors de rejoindre sa fille Lucy à Salem, qui vit seule dans une ferme où elle tient une pension pour chiens. David commence alors à se reconstruire, mais lorsqu'il est agressé violemment avec sa fille par trois individus, toutes ses certitudes s'effondrent.
Pourquoi Lucy refuse t-elle de parler de ce qui lui est arrivé ? Pourquoi s'acharne t-elle à rester dans cette ferme ? Quel rôle Petrus, le voisin de Lucy, a t-il joué dans l'agression ? Au milieu de tous ces individus qui s'obstinent à répéter qu'il faut se concentrer exclusivement sur le futur, David semble être le seul à être révolté, incapable de comprendre le point de vue de ces gens, dont sa propre fille, qui évoluent dans un monde complètement différent du sien.

Il s'agissait de ma première rencontre avec J.M. Coetzee, et j'avoue que je suis moins enthousiaste que je l'aurais voulu. Pourtant, ce livre est plein de finesse aussi bien sur le fond que dans sa construction. Il a pour ambition de décrire le malaise en Afrique du Sud après la fin de l'Apartheid. David Lurie est un homme qui ne semble pas avoir vécu de remise en question au début du roman. C'est un séducteur qui se voit vieillir avec appréhension, visiblement peu intéressé par les changements politiques dans son pays. Il est aussi légèrement misogyne sur les bords.

"La beauté d'une femme ne lui appartient pas en propre. Cela fait partie de ce qu'elle apporte au monde, comme un don. Elle a le devoir de la partager."

L'agression de Lucy (bien qu'il soit aussi victime, son principal tort était surtout de s'être trouvé là au mauvais moment) lui ouvre les yeux. Il ne devient pas d'un seul coup un type formidable, je vous rassure, mais il réalise que contrairement à ce qu'il croyait, il ne maîtrise absolument pas la situation. Cette sensation de ne rien comprendre est transmise au lecteur, qui comme lui, est parcouru d'effroi au fil des pages. Après ces événements, Lucy reste presque impassible. Bien que visiblement blessée, elle adopte une position presque coupable. David, lui, hurle, est en colère, mais reste impuissant aussi bien face à sa fille que vis à vis des agresseurs de cette dernière. On sent une situation chargée de non-dits, d'une histoire très lourde.
La contstruction du livre contribue au malaise du lecteur. En effet, il ne s'agit pas de raconter une histoire qui sera réglée à la fin. Disgrâce expose la complexité de la situation dans l'Afrique du Sud post-Apartheid, mais de façon à ce qu'on ne puisse que la deviner. Tout au long du livre, des chiens apparaissent. Chez Lucy, dans des cages, chez Bev Shaw (où travaille David). Qui représentent-ils ? Sans doute un peu tout le monde, et ça se finit toujours dans le sang.
Si je suis un peu restée en dehors de l'histoire, c'est à cause du déséquilibre entre les différentes parties du livre. Le début du roman, qui décrit la chute professionnelle de David représente un tiers du total. Or, cette partie n'apporte finalement pas grand chose. Le reste, beaucoup plus glaçant et réussi, aurait gagné à être davantage étoffé.

Malgré tout, Disgrâce reste un roman intéressant qui donne envie de découvrir le reste de l'oeuvre de l'auteur.

Points. 272 pages.
Traduit par Catherine Lauga du Plessis.
1999 pour l'édition originale.

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14 juillet 2013

Le chemin des âmes - Joseph Boyden

joseph-boyden-chemin-des-ames"La folie, c'est de nous apprendre à tuer ; c'est de récompenser ceux qui le font bien."

Une vieille indienne vient accueillir son neveu Xavier, qui rentre blessé d'Europe après avoir combattu avec les Alliés et son ami Elijah durant la Première Guerre mondiale. Ensemble, ils rentrent chez eux en canoë, elle inquiète et lui à demi-conscient, terrassé par ses blessures et la morphine qu'il s'injecte. Au cours de ce voyage, ils invoquent chacun les souvenirs de leur enfance et ceux relatifs à ce qu'il s'est passé dans le nord de la France.

J'ai très longtemps hésité à lire ce livre pourtant encensé lors de sa sortie. Si le Canada m'attire, je suis toujours réticente face aux récits de guerre qui font du mal à mon petit coeur. Cette fois cependant, alors que j'avais commencé ma lecture en espérant que les passages dans les tranchées seraient aussi brefs que possible, je me suis surprise à les dévorer et même à les attendre à chaque interruption nous ramenant dans les forêts de l'Ontario.
Cela vient du fait que la plupart des événements qui se produisent n'ont rien d'une aventure. C'est le cheminement intérieur de Xavier que nous suivons. Né d'une mère indienne alcoolique, il est élevé par les bonnes soeurs jusqu'à l'âge de cinq ans dans une de ces écoles où l'on vous interdit de parler votre langue, où l'on vous inculque les merveilleuses valeurs chrétiennes et où l'on tente d'effacer en vous tout ce qui ne serait pas conforme au mode de vie occidental avant de vous expédier dans une réserve. Un jour, sa tante, qui a échappé à ce traitement, vient le chercher. Elle lui apprend à chasser, à vivre isolé, et surtout elle l'initie à la spiritualité. Ils descendent d'une lignée de chasseurs de windigos, ces créatures meurtrières jamais rassasiées ayant un jour dévoré l'un des leurs. Elijah, l'ami que Xavier a connu à l'école, vient les rejoindre quelques temps plus tard, d'abord pour les vacances puis de manière permanente. Devenus inséparables, c'est ensemble qu'ils s'engagent pour aller combattre en Europe, impatients et persuadés comme tout le monde que le conflit sera bref. Rien ne leur sera épargné. Après un entraînement intensif et un mode de vie auquel Xavier a beaucoup de mal à s'adapter, ils arrivent en France et sont envoyés en première ligne. Commencent alors les combats où l'on s'entretue pour gagner dix mètres, où celui qui a le malheur de s'endormir pendant sa garde est fusillé pour l'exemple, et où tuer devient une chose mécanique. Xavier et Elijah sont vite repérés pour leurs qualités de tireurs. Ils sont donc systématiquement envoyés en reconnaissance, ont le droit de se mettre à l'écart pour guetter l'ennemi et surtout gagnent le respect de leurs camarades. Xavier reste un peu en retrait, mal à l'aise avec la langue anglaise et vite lassé par ce conflit interminable qui lui prend son ouïe, mais Elijah ne manque pas une occasion de se vanter et de faire le fanfaron avec son bel accent de lord anglais.
Si ce livre parle de deux jeunes Cree qui vont à la guerre, il parle surtout de ce que la guerre leur fait. Pour la plupart, les soldats sont des gamins. Souvent, quelques mois, voire jours, suffisent à les rayer de la surface. Pour les autres, elle les rend sourds, les mutile, les transforme en morphinomanes, et pire, elle les change. Les amitiés ne tiennent pas, laissent place à la jalousie, la rivalité et la méfiance. De gamins effrayés, ils se transforment en bêtes assoiffées de sang, qui tuent avec plaisir. Pour résumer, elle les rend fous. C'est ce qui arrive à Elijah, qui se transforme en windigo sous le regard impuissant de son ami. Aux yeux de ses camarades, Elijah est un héros, un tireur d'élite, mais Xavier sait qu'il scalpe désormais ses ennemis, et sans doute même qu'il les dévore.
En s'appuyant avec beaucoup d'intelligence sur la culture indienne, Joseph Boyden nous livre sa vision de la guerre à travers ses deux héros. Le résultat est inéluctable et surtout puissant.

Un très beau roman.

L'avis de La petite marchande de prose.

Albin Michel. 391 pages.
Traduit par Hughes Leroy.
2004 pour l'édition originale.

                      logo-challenge-littc3a9rature-culture-du-commonwealth   amer

 

11 juillet 2013

Fragiles serments - Molly Keane

imagesLa demeure des Bird, sur la côte irlandaise, est en ébulition. John, le fils aîné, doit rentrer chez lui après un séjour en hôpital psychiatrique. Sa mère, Olivia, a particulièrement hâte de le retrouver pour jouer les grandes soeurs. Eliza, une amie de la famille, est venue faciliter les retrouvailles.

Si vous cherchez à passer quelques jours de repos en compagnie d'une famille vivant dans une belle maison irlandaise du début du XXe siècle, alors découvrez Molly Keane. Elle dresse sa galerie de personnages avec beaucoup de finesse. Lady Bird est particulièrement réussie. Malgré la cinquantaine qui approche, Olivia soigne son apparence avec un soin jaloux.

"Lady Bird était sincèrement enchantée de voir son invitée, d'autant plus qu'elle jugeait son chapeau complètement raté, at aussi parce qu'elle trouvait à Eliza l'air vieux, fatigué et assez mal en point -comme se doit de paraître toute invitée ayant dix ans de moins que soi."

Pour retrouver sa jeunesse, elle s'imagine être une adolescente, plus amie que mère, pour ses enfants qui la méprisent. Ayant délaissé ses amants, elle ne vit désormais que pour son jardin, qui lui permet d'être la reine du voisinage (même si elle n'est pas à l'abri d'un coup d'Etat venant d'une horrible voisine). Seul son époux, Julian, pourtant conscient du caractère frivole et infidèle de sa femme, est incapable de la voir souffrir.
Parmi les enfants des Bird, le point de vue des femmes étant celui adopté, John et le petit Markie sont relégués au second plan au profit de leur soeur Sheena. Celle-ci a à peine vingt ans, et vient de se fiancer avec Rupert, un ami de son frère. Cependant, la folie de son frère, les secrets de ses parents et les manigances des soeurs de son compagnon l'amènent à douter de ce qu'elle veut.
Un autre personnage se détache, celui de la gouvernante. Cette jeune femme complexée par son abondante barbe se prend à rêver d'amour et de rébellion, mais elle est incapable de ne pas se faire écraser par les demandes excessives de sa maîtresse.
Témoin de ces événements, Eliza est une vieille amie de la famille. Bien qu'amoureuse de Julian depuis toujours et attachée à Olivia, elle est lucide face à leur comportement souvent égoïste qui porte préjudice à leurs enfants. En manipulant un peu tout le monde et en se sacrifiant beaucoup, elle tente de remettre les choses en ordre.
Les liens de parenté, la vie de l'aristocratie irlandaise, les relations humaines, sont abordés très clairement dans ce roman dont l'intrigue est plus complexe qu'à première vue. Si John semble être le point central lorsque débute le livre, les conséquences de son état de santé mettent surtout en lumière la personnalité de ses proches.

Pour être honnête, je n'ai pas été entièrement séduite par ce roman. S'il s'était agit de me première lecture d'un roman anglo-saxon de la première moitié du XXe siècle, j'aurais passé un très bon moment. Mais comme ce n'est pas le cas, je ne peux m'empêcher de le trouver assez semblable à beaucoup d'autres romans. Il est drôle, impertinent, doté d'une belle écriture, ce qui est suffisant pour vous recommander sa lecture, mais il ne sort pas assez du lot pour que je puisse parler de coup de coeur.

L'avis de Lou

Ce livre irlandais de 1935 me permet d'entamer mon challenge Littérature du Commonwealth chez Alexandra.

Quai Voltaire. 285 pages.
Traduit par Cécile Arnaud.
1935 pour l'édition originale.

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5 juillet 2013

Testament à l'anglaise - Jonathan Coe

9782070403264"Il n'y a pas de jasmin par ici, n'est-ce pas ?"

Angleterre, 1942. Lors d'un raid aérien contre l'Allemagne, Godfrey Winshaw, fils de l'une des plus importantes familles de l'aristocratie anglaise, est abattu par les nazis. Sa soeur, Tabitha, accuse alors leur aîné, Lawrence, d'avoir comploté avec les Allemands et fait tuer Godfrey. Pour la récompenser, sa famille la fait enfermer dans un asile. C'est de là que quarante ans plus tard, elle contacte Michael Owen, un modeste écrivain, et lui demande d'écrire l'histoire des Winshaw. 

J'ai conscience de ne pouvoir vous donner qu'une vision tronquée de ce livre, mais vous devez savoir à quel point je l'ai aimé.
Testament à l'anglaise mélange aussi bien les genres (roman policier, satire politique et sociale) que les formes d'écriture (roman, journal, chronique, extrait de film...), et alterne autant les époques que les narrateurs (tour à tour chacun des membres de la famille Winshaw et Michael Owen).
Nous sommes dans l'Angleterre des année 1970 et 1980 et les Winshaw sont partout. Ils dominent le monde politique, celui de la finance, l'industrie agro-alimentaire, le marché de l'art, le trafic d'armes, et y inoculent leur venin. A travers eux, ce sont les années Thatcher et la première guerre en Irak que Jonathan Coe décortique. Animés par l'appât du gain ou des penchants pervers, les Winshaw démantèlent les services publics, piétinent tous les scrupules qui les empêcheraient de s'en prendre à un être humain ou un animal si cela peut leur apporter quelque profit. C'est évidemment tiré à l'extrême, caricatural, mais c'est amené avec un cynisme délicieux. J'ai particulièrement apprécié la tristesse de Mark après la mort de son épouse dans un accident de la route.

"Mark fut désespéré par cette perte. La voiture était un coupé Morgan Plus 8 1962 bleu nuit, l'une des trois ou quatre existant au monde, et elle était irremplaçable."

Tentant d'écrire sur cette famille, Michael Owen est un homme seul, qui vit dans son passé. Il reste fasciné par une scène du film What a carve up ! (qui est aussi le titre du roman en anglais) vu au cinéma alors qu'il était encore un enfant, ainsi que par le souvenir de Youri Gagarine, le premier homme à avoir voyagé parmi les étoiles. Ces éléments semblent assez anodins, mais prendront tout leur sens lors d'une dernière soirée au manoir des Winshaw, dont le récit clôture le livre, et qui revendique son lien de parenté avec les romans d'Agatha Christie.

"J'ai envie d'une bonne partie de Cluedo. Il n'y a rien de mieux."

Terriblement anglais et magistral.

Folio. 678 pages.
Traduit par Jean Pavans.
1994 pour l'édition originale.

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30 juin 2013

Miss Mackenzie - Anthony Trollope

imagesSuite au décès de son frère, Margaret Mackenzie, une vieille fille de trente-cinq ans se retrouve à la tête d'une petite fortune et d'une jolie liste de soupirants.

Si vous cherchez une lecture victorienne plaisante, pleine de mordant et qui ne vous torturera pas trop les méninges, alors Miss Mackenzie est parfait pour vous. 
L'intrigue est très mince, et pourtant ce livre contient la plupart des ingrédients qui font qu'on aime les auteurs anglais, à commencer par la présence directe de ces derniers dans leurs livres. A l'instar d'une Jane Austen ou d'un Thackeray, Anthony Trollope s'amuse à commenter son récit, à critiquer ou à excuser ses personnages avec une délicieuse ironie.
La plus importante d'entre eux, Miss Mackenzie, est un personnage très bien croqué. Bien que vieille fille et réservée, elle n'a rien d'une gentille idiote que l'on pourrait manipuler à sa guise. Sa générosité lui joue des tours, mais elle est bien déterminée à se faire une place dans le monde. Une fois reçu son héritage, elle se rend donc à Littlebath, où il lui faut déterminer si sa position serait mieux assurée parmi les débauchés qui osent danser et jouer aux cartes ou dans le salon de la terrifiante Mrs Stumfold, l'épouse du pasteur. Miss Mackenzie se verrait bien mariée également, mais elle hésite entre le charmant Mr Rubb, associé de son frère, qui a malgré tout comme défaut d'être d'une honnêteté relative et surtout commerçant de profession, le révérend Maguire, un homme qui louche affreusement, et son cousin John Ball, futur baronnet ruiné, âgé, et à la tête d'une ribambelle d'enfants. Pour faire son choix, elle fait à nouveau preuve de clairvoyance, et refuse de se priver de romantisme en raison de son grand âge (trente-cinq ans, rappelons-le !). J'ai été agréablement surprise de lire un roman de cette époque et écrit par un homme doté d'un personnage féminin si fort.
L'entourage de notre héroïne n'est évidemment pas composé de saints personnages, ce qui donne lieu à des scènes délicieuses. J'avoue avoir connu quelques moments de léger ennui, tellement il est question d'argent durant cinq cents pages, mais je me suis régalée en lisant le compte-rendu des réunions stumfoldiennes à Littlebath, où l'on ne sait où donner de la tête tellement il y a de gens à claquer, ou encore en assistant au dîner ridicule donné par Mrs Tom Mackenzie avant qu'elle ne descende de ses grands-chevaux. Le bazar des orphelins de soldats nègres avec toutes ces pouffiasses victoriennes abandonnant toute fierté est aussi une merveille, tout comme les altercations entre Margaret et sa tante Lady Ball, dignes héritières d'Elizabeth Bennet et de Lady Catherine de Bourgh.

Je voulais découvrir Anthony Trollope depuis longtemps, et je ne suis pas du tout déçue par cette première rencontre !

Alors que le mois anglais se clôture, j'ai fait mes devoirs pour cette lecture commune avec Lou, Romanza et Virgule. Avec cette lecture, je réussis aussi mon challenge Myself, même si je ne serais pas contre une deuxième découverte de Trollope avant la fin de l'année.

Le Livre de Poche. 506 pages.
1865 pour l'édition originale.

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Challenge Myself

 

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22 juin 2013

Limonov - Emmanuel Carrère

002129210"Soixante-dix ans d'efforts et de sacrifices nous ont menés là : dans la merde jusqu'au cou."

Oui, je sais, j'ai honte. On est à la fin du mois de juin, du mois anglais qu'on attendait depuis des lustres, et quand je daigne enfin publier un billet, c'est sur un livre complètement hors sujet. Pour ma défense, je pense pouvoir tenir mes engagements concernant Anthony Trollope.

Pour l'heure donc, je vais vous parler d'un livre un peu étrange, que je ne sais pas trop par quel bout prendre puisqu'il s'agit de la biographie d'un personnage dont j'ignorais l'existence avant de débuter ma lecture, un certain Edouard Limonov, homme politique, écrivain et surtout pauvre type.

Tout commence dans les années 1940. Edouard Limonov naît en URSS dans une famille plutôt pauvre. Son père est un soldat de second ordre, qui n'a jamais fait la guerre, à la grande honte de son fils lorsqu'il le découvre. Edouard passe son adolescence avec des amis dont l'existence est aussi vide que la sienne. Il s'échappe de sa condition en rencontrant Anna, une femme trop vieille pour lui, dépourvue de charme et atteinte de problèmes psychologiques, mais avec qui il se rend à Moscou, où il espère gravir les échelons en fréquentant des cercles d'écrivains. C'est un semi-échec, qui le pousse à s'exiler aux Etats-Unis, où il rencontre encore la misère, puis en France, où le succès est enfin au rendez-vous. Pendant ce temps, il n'aura jamais oublié la Russie, qui sombre avec la chute du communisme. 

Le livre d'Emmanuel Carrère est donc l'histoire d'un homme sur plus de soixante ans, mais aussi à travers les yeux de ce dernier, le récit d'une époque, celle de l'Union soviétique puis de la période post-communiste. Pour être honnête, je n'ai pas éprouvé un grand intérêt pour Limonov lui-même. Le récit de ses mésaventures et de ses conquêtes le font ressembler à l'un de ces anti-héros que l'on trouve dans nombre de romans américains, en beaucoup moins bien. Limonov n'est pas Martin Eden, et c'est donc lorsqu'il apparaît plutôt en toile de fond, comme un prétexte pour raconter l'histoire de l'Europe depuis les années 1980, que le livre devient vraiment captivant. Auparavant, on a malgré tout des passages intéressants sur l'URSS. On découvre ainsi la vie artistique sous le régime soviétique. Le talent n'est pas quelque chose que l'on vous accorde en fonction de vos oeuvres mais de votre statut. Si le pouvoir vous mène la vie dure, vous êtes un génie. Un cynique dirait certes qu'on n'a pas besoin d'aller en URSS pour trouver ce type d'exemple, mais Limonov croise nombre de types médiocres perçus comme de grands écrivains simplement parce qu'ils ont fait ceci ou cela (ou parce qu'ils ne l'ont pas fait). Cela le rend mauvais, d'autant plus qu'il est convaincu de valoir mieux qu'eux. Par la suite, devenu un écrivain reconnu (du moins d'après ce livre), Limonov ayant renoué avec sa patrie se lance dans la politique en créant un parti douteux, ce qui finit par lui valoir la prison. Entretemps, il sera aussi allé apporter son soutien aux Serbes pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
Je suis trop jeune pour avoir suivi la chute du communisme en direct, et la Russie n'est pas un pays que j'ai eu l'occasion d'étudier en détail, donc j'ignorais nombre des événements décrits dans ce livre concernant la façon dont nous en sommes arrivés à la situation actuelle. Il est beaucoup question de Gorbatchev, de Elstine et de Poutine, et de la façon dont la Russie a découvert la démocratie (j'ai presque envie de mettre des guillemets). On découvre un pays qui se réveille avec la gueule de bois. L'inflation est galopante, les ressources sont immédiatement monopolisées par une bande d'oligarques qui comptent bien ne pas rejoindre leur compatriotes plongés dans la misère, l'espérance de vie régresse... Face à cela, la possibilité de pouvoir enfin l'ouvrir semble être un faible lot de consolation, et grande est la tentation de regretter l'époque où l'on ne payait pas le gaz. 

J'ai souvent du mal avec les livres qui mêlent des tas de choses, et notamment des faits et des interprétations personnelles, mais Limonov a une immense qualité, il fait réfléchir. En fait, Emmanuel Carrère nous y livre sa version de nombreux faits, de décisions prises par des personnages politiques, mais avec suffisamment d'éléments contradictoires pour nous donner envie d'aller fouiner ailleurs.

Merci à Lise pour le livre.

Folio. 488 pages.
2011.

1 juin 2013

Harry Potter à l'Ecole des sorciers - J.K. Rowling

QUIZ_Harry-Potter-a-lecole-des-sorciers-facile_9576Pour commencer le Mois anglais par ici, j’ai décidé de me replonger dans Harry Potter, une série découverte avec une copine dans le CDI de mon collège. Elle avait détesté, moi je n’ai jamais pu en sortir. Harry Potter, c’est donc mon adolescence, plein d’échanges passionnés avec les copains et mon frère sur les livres, les films... C’est aussi la première fois que j’ai lu un livre en anglais, des livres de plusieurs centaines de pages lues et relues, des cris de rage (je suis toujours traumatisée par la fin du tome 5). Et puis surtout, Harry Potter c’est un monde qu’on a presque l’impression de connaître par coeur (je sais, je suis folle).
Le premier tome de Harry Potter était le seul que je n’avais jamais relu. Je craignais de le trouver trop léger, trop bébé... mais J.K. Rowling n’a pas eu un tel impact sur la littérature jeunesse pour rien.

Vernon et Petunia Dursley mènent une vie tranquille à Privet Drive avec leur bébé Dudley jusqu’au jour où des personnages étranges déposent devant leur porte le neveu orphelin de Petunia, Harry Potter. Le garçon est donc élevé pendant dix ans par une famille qui le méprise au point de le faire dormir dans un placard et de ne lui accorder que le strict nécessaire tandis que Dudley est un enfant pourri-gâté.
Le jour des onze ans de Harry cependant, une lettre arrive, lui annonçant son admission à Poudlard, une prestigieuse école de sorcellerie.

J’ai beau avoir dans la tête les images des films, connaître toute l’histoire presque par cœur, j’ai trouvé ce premier tome passionnant. Le point de vue adopté par J.K. Rowling pour nous conter le début de l’histoire est celui d’une personne normale, d’un « moldu ». Par conséquent, les premières apparitions de la magie ressemblent à des événements bizarres, les sorciers vêtus de capes et de chapeaux ont l’air de personnes excentriques, et le lecteur est aussi déconcerté qu’Harry lorsqu’il découvre qu’il est un sorcier.

« Je suis un quoi ? »

C'est alors un monde incroyable qui s'ouvre à Harry et au lecteur. Ensemble, ils découvrent le Chemin de Traverse, Gringotts, le quai 9 3/4, Poudlard, ses maisons, ses fantômes et ses couloirs interminables, le quidditch... C'est aussi parti pour de belles aventures, puisque Harry va devoir affronter pour la première fois Voldemort, le sorcier qui a semé la terreur pendant des années et qui a tué James et Lily Potter avant de disparaître en essayant de tuer leur fils.
Outre la magie, Harry Potter à l'Ecole des sorciers, c'est aussi la découverte par un petit garçon de ce qu'est l'amitié. C'est en effet là que le trio Ron, Hermione, Harry débute. Pour la première fois de sa vie, il a des gens qui se préoccupent de lui. Même les adultes, Hagrid, Dumbledore et McGonagall le prennent sous leur aile.
Lire ce livre tout en connaissant la fin de l’histoire est également très intéressant. Beaucoup de détails ont une importance bien plus grande lorsqu’on sait ce qu’ils cachent en réalité, et on ne peut que saluer la façon donc J.K. Rowling a semé des indices dès le début de sa saga. Ca m’a amusée de lire les réactions de certains personnages, certains dialogues (impossible d’être plus précise, je ne veux pas que des âmes innocentes en apprennent trop à cause de moi).

J'ai vraiment replongé avec plaisir dans cet univers, et je pense que je vais relire toute la série (même si je garde un souvenir moyen du tome 2). Si vous ne connaissez pas encore Harry Potter, c'est l'occasion de vous lancer avec le Mois anglais de Titine et Lou !

Folio Junior. 305 pages.
Traduit par Jean-François Ménard.
1997 pour l'édition originale.

 

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20 mai 2013

L'étrange vie de Nobody Owens -Neil Gaiman

l-etrange-vie-de-nobody-owens_2625831-LUne nuit, un bébé d'un an et demi s'éclipse de chez lui. Il fait bien, car sa famille est en train de se faire massacrer par le Jack. L'enfant atterrit dans un cimetière où les habitants décident de le garder et de le protéger. Mr et Mrs Owens deviennent officiellement ses parents, et comme il n'a pas de nom, on décide de l'appeler Nobody, Bod pour les intimes.
Bod grandit donc dans ce cimetière peuplé de fantômes de tous les âges mais qui ne vieillissent jamais, ainsi que d'un monstre caché au centre de la colline. Il devient aussi l'ami imaginaire de Scarlett Amber Perkins, une petite fille bien vivante.
Hors des grilles du cimetière cependant, le Jack continue à le rechercher.

J'ai ouvert ce livre sans grande conviction. Neil Gaiman et moi, nous avons une relation compliquée. Je n'ai pas terminé Stardust et je n'aime pas son travail dans Doctor Who (même s'il n'est pas le seul à blâmer pour mon désintérêt concernant cette série).
Cependant, sans être mon coup de coeur de l'année, ce roman m'a énormément plu et touchée. Il s'agit d'une histoire simple, mais qui contient énormément de choses traitées de façon originale.
Tout d'abord, Neil Gaiman crée un monde imaginaire dans lequel on se sent tour à tour bien et apeuré. Silas, le protecteur de Nob, est un personnage aussi mystérieux que séduisant et réconfortant. Nob semble complètement à l'abri du monde extérieur dans ce cimetière où chacun veille sur lui, même ceux qui prennent les airs les plus terrifiants.
D'un autre côté, les goules essaient de détourner le petit garçon de sa vie, et ses premières expériences à l'extérieur du cimetière pourraient bien le laisser amer et craintif.
Car ce livre est surtout l'histoire d'un enfant qui devient adulte. Ses contacts avec le monde lui apportent ses premières épreuves, mais aussi ses premières aventures avec la vie. Neil Gaiman aurait pu finir sur une note complètement positive et pleine d'espoir, j'ai apprécié le fait que Scarlett ne soit pas aussi prévisible dans ses réactions.

Au final, un joli roman d'apprentissage façon fantastique qui me réconcilie avec un auteur que j'enrageais d'être la seule à ne pas apprécier.

D'autres avis chez Lou et Cachou.

Albin Michel. 310 pages.
Traduit par Valérie Le Plouhinec.
2008 pour l'édition originale.

 

12 mai 2013

Entre ciel et terre - Jón Kalman Stefánsson

abc"Il est mort de froid parce qu'il a lu un poème."

En début d'année, j'ai salivé puis craqué pour La tristesse des anges d'un auteur islandais, Jón Kalman Stefánsson. C'est Dominique qui m'a fait réaliser qu'il s'agissait du deuxième volet d'une trilogie, ce qui m'a contrariée étant donné que je me rappelais très bien avoir lu un billet mitigé de Lou sur Entre ciel et terre.
C'est le moment où je vous confie que cette chère Lou a dit n'importe quoi^^ et que ce premier tome est en fait une merveille.

Alors, de quoi ça parle ? Nous sommes au XIXe siècle, en Islande, au bord de la mer. La vie est rude pour les marins qui partent pêcher la morue. Barour et le gamin partagent leur amour de la lecture et une grande amitié. Lorsque Barour meurt, le gamin part à la recherche du propriétaire du Paradis perdu de Milton dont la lecture a coûté la vie à son ami, afin de lui rendre son exemplaire.

Si l'intrigue est très vague, la langue est absolument merveilleuse. Il n'y a pas le moindre signe de dialogues lorsqu'on parcourt rapidement les pages de ce livre, ce qui m'a inquiétée avant ma lecture. Et pourtant, j'ai été emportée comme rarement dans cette histoire, notamment la première partie, qui raconte comment des hommes, après une courte nuit dans des barraques de pécheurs, prennent la mer. L'un d'eux a oublié sa vareuse à cause du Paradis perdu de Milton, il le paiera de sa vie. Jón Kalman Stefánsson est surtout poète, et son écriture fait vivre les émotions les plus profondes des personnages à travers les éléments qui les entourent.

"D'après les cartes de géographie, les montagnes d'ici s'élèvent à neuf cent mètres dans les airs, ce qui est parfaitement exact, il y a des jours où c'est le cas, mais un beau matin, au moment où nous quittons les rêves de la nuit, nous jetons un oeil au dehors et leur altitude a considérablement augmenté, elles atteignent au moins trois mille mètres, elles rayent la surface du ciel et nos coeurs se recroquevillent sur eux-mêmes. Ces jours-là, on peine grandement dans les enceintes à rester penché au-dessus des tas de poisson salé. Les montagnes ne font pas partie du paysage, elles sont le paysage."

Il n'y a pas de transition entre les descriptions, les pensées des uns et des autres, comme si tout était parfaitement lié. Pour cette raison, entre autres, j'ai pensé à Virginia Woolf en lisant ce roman. Les thèmes abordés sont également proches de ceux de la romancière anglaise. Nous sommes au XIXe siècle, mais le lecteur est interpelé, les époques se répondent, les morts et les vivants se parlent. Tout ou presque se passe à l'intérieur des gens, et c'est beau à mourir.

Un énorme coup de coeur.

Les avis de Dominique, Lou (qui en vérité est juste coupable de n'avoir pas aimé ce livre autant que moi). Vous pouvez aussi trouver des informations passionnantes sur ce livre, son auteur et sa traduction sur le blog d'Eric Boury, le traducteur du livre.

Folio. 252 pages.
Traduit par Eric Boury.
2007 pour l'édition originale.

 

22 avril 2013

Du domaine des murmures - Carole Martinez

carole-martinez-du-domaine-des-murmures"Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n'imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi."

Esclarmonde, quinze ans, se tranche l'oreille le jour de ses noces avec Lothaire, un homme qu'elle n'a pas choisi. Elle annonce aussi son intention de se retirer dans une cellule afin d'y communier avec Dieu pour le restant de ses jours.
La construction de sa prison est finalement ordonnée par son père, mais alors qu'elle se prépare à y entrer, elle est violée. Elle donne naissance à un fils neuf mois plus tard dans sa cellule, un bébé qui est vu comme un authentique miracle dans toute la région.

C'est avec beaucoup d'appréhension que j'ai ouvert ce livre. Si je garde un bon souvenir du premier roman de Carole Martinez, le sujet de celui-ci me semblait très risqué. Des histoires de femmes au Moyen-Âge, ça me rappelle un autre livre qui avait fait couler beaucoup d'encre il y a quelques années et qui m'avait laissée perplexe, La Passion selon Juette.
Les premières pages n'ont pas tout à fait apaisé mes craintes. Les histoires d'illuminées martyres ont tendance à m'exaspérer. Pourtant, très vite, l'histoire d'Esclarmonde devient intrigante. A partir du moment où le monde des contes fait son entrée, j'ai retrouvé ce qui fait le charme de Carole Martinez. Alors oui, ça parle de religion, mais il est aussi question d'un enfant aux paumes trouées qui donnent un accès direct à la troupe de croisés à laquelle son grand-père appartient, d'une sirène aux cheveux verts, d'une héroïne qui repousse la Mort, ou encore d'un cheval vengeur appelé Gauvain. 
Nous sommes au Moyen-Âge, mais la religion ressemble beaucoup à une magie qui permettrait aux femmes de contrôler leur vie. Les gens n'hésitent pas à manipuler la vérité, même inconsciemment, si cela peut leur servir. Leur religion est faite de christianisme, de croyances anciennes et d'opportunisme, ce qui leur laisse un large champ d'action. Ce mélange permet au récit d'explorer diverses pistes de réflexion sur la nature des gens et de ne pas laisser de côté les gens qui, comme moi, sont assez hermétiques lorsqu'on leur présente des héros d'une piété extrême.
Esclarmonde elle-même, bien qu'enfermée dans une cellule, n'est pas coupée du monde. Elle voit les choses à travers son fils et tous les gens qui lui rendent visite. Ce n'est pas une victime et encore moins une sainte. Elle aussi manipule les gens et elle aussi se trouve parfois confontée aux trop lourdes conséquences de ses actes.

Une jolie lecture à faire d'une traite qui confirme que Carole Martinez est un auteur à suivre de près.

Comme je suis la dernière à lire ce roman, vous pouvez aussi trouver des avis chez Lou, Sylire, Stephie, Gambadou ou encore Theoma.

Merci à Lise des éditions Folio.

Folio. 240 pages.
2011 pour l'édition originale.

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