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lilly et ses livres

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1 juin 2023

Sarn - Mary Webb

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Le nom des Sarn vient du lieu où la famille vit modestement depuis plusieurs générations. Au milieu des bois, près de l'étang, ils cultivent fruits et céréales et élèvent quelques bêtes. Dans ces contrées partagées entre les croyances païennes et le christianisme puritain, Prue est née avec un bec-de-lièvre. Malédiction ou tare physique, cela la condamne aux moqueries et au célibat. Lorsque le père meurt, son frère, Gédéon, décide de sortir de sa condition à la force de ses bras et de ceux de sa famille.

Encore un livre qui attendait de nombreuses années dans ma bibliothèque et dont la lecture aura été un immense plaisir. Lire Mary Webb, c'est pénétrer dans le monde enchanteur de Prue Sarn, qui s'emerveille de la beauté des libellules et des nénuphars ainsi que de la contemplation de la valse des saisons.
Malgré les querelles, la communauté vit en bonne entente et la solidarité est ancrée parmi les habitants. La plupart des gens vont à l'église tout en respectant les coutumes qui obligent à prévenir les corneilles des décès. Et si les hommes sont souvent autoritaires et butés, c'est un plaisir de voir les femmes (et un homme) leur tenir tête et les manipuler pour parvenir à leurs fins.

Cependant, Mary Webb ne ressemble pas à Thomas Hardy seulement pour son amour de la campagne anglaise. La fragilité du bonheur, de la condition féminine et la brutalité de la société, incarnée avant tout par Gédéon, apparaissent aussi dans Sarn. Il y a ici une sorte de manichéisme (et donc de moralisme) qui aurait pu m'agacer en temps normal, mais la forme adoptée par Mary Webb est celle du conte et l'autrice laisse le lecteur interroger de lui-même les actions de celui qui s'entête tellement qu'il en oublie le sens de ses actions.

Une lecture commune fait avec Lili pour la première session de cette nouvelle saison des Classiques c'est fantastique sur le thème "En un mot" (et j'ai découvert avec étonnement que de nombreux livres entraient dans cette catégorie) et pour ouvrir ce nouveau Mois Anglais.

Source: Externe

Grasset. 375 pages.
Traduit par Jacques de Lacretelle et Madeleine T. Guérite.
1924 pour l'édition originale.

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5 mai 2023

Soldats bleus : Journal intime (1914-1918) - Pierre Loti

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" Si on ne savait pas ce que c’est, et s’il n’y avait, au-dessus, ce ciel crépusculaire en deuil, cela donnerait presque une impression de divertissement fantasmagorique, on dirait un feu d’artifice infini, tout un pays, toute une chaîne de collines qui s’amuserait à s’envelopper de changeantes fumées blanches et à tirer des bombes. Mais cela fait un bruit trop profond et caverneux pour être une fête... "

Pierre Loti est un homme âgé lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Pourtant, il est déterminé à ne pas rester dans ses paisibles maisons de Rochefort et d’Hendaye. Avec l’aide de ses relations, il va participer à sa façon à l’effort de guerre. Il relate ses observations dans son journal. Cela lui sert aussi de base pour la rédaction d’articles flirtant souvent avec la propagande.

Les Editions de la Table Ronde m’ont envoyé les deux tomes du "Journal” de Pierre Loti en début d'année. Si le premier est une lecture au long cours de huit cents pages qui couvre plusieurs décennies, le second est un témoignage formant un tout qui ravira ceux qui s’intéressent à la guerre de 14-18.

Loti est un officier, un marin, un homme vieillissant dont la vision colonialiste et nostalgique lui fait ressentir vivement l’offensive allemande. On sent chez lui l’excitation du combat qui se mêle à la conscience que cette guerre ne sera pas comme les autres. Nombre de ses amis perdent leur fils et lui-même s’inquiète pour Samuel, le seul de ses enfants qu’il ressent vraiment comme le sien. C'est la fin d'un ancien monde que contemple l'auteur, conscient qu'il n'y appartient déjà plus complètement.

" Dire que l'humanité n'a pas su édicter à temps les lois qu'il aurait fallu pour étrangler tant d'inventeur sinistres, comme par exemple ceux de la guerre sous-marine et de l'aviation ! "

Cela ne l'empêche pas de parcourir les villages détruits, de témoigner des ruses adoptées pour tromper les avions, de se désoler devant des villes et des monuments irrémédiablement perdus. Utilisé comme intermédiaire dans les discussions avec la Turquie, Loti ne retient aucunement sa haine contre Guillaume II. Les articles insérés dans cette version du journal sont passionnants aussi bien pour se faire une idée de la manière de travailler de l'auteur que comme source d'information concernant le conflit.

Malgré une certaine répétition dans les parcours de Loti, sa plume d'écrivain nous embarque facilement. Le lecteur d'aujourd'hui sourit aussi face à certains faits dont le diariste ne connaissait pas encore l'importance lors de la rédaction de son journal. On croise ainsi un certain Général Pétain, qui renvoie Loti chez lui, arguant du fait qu'il n’a pas besoin de marins pour gagner la guerre...

La Table Ronde. 408 pages.

30 avril 2023

Confessions d'un masque - Yukio Mishima

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Yukio Mishima est un auteur dont l'histoire laisse interrogateur, à tel point qu'on lui préfère souvent d'autres auteurs japonais de la même époque, plus consensuels. Confessions d'un masque est un roman autobiographique étonnamment détaillé et moderne, dans lequel l'auteur se livre sur la découverte de son homosexualité et les fantasmes qui hantaient son univers, de son enfance à l'âge adulte, qui coïncide avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Dès sa naissance, Kôchan est confisqué à ses parents par sa grand-mère qui l'installe dans sa chambre. L'enfant, de santé fragile, se voit prédire une vie brève. Bien que très choyé, il cherche très tôt des réponses à ses questions dans la bibliothèque de son père. A cause ou en parallèle de sa conscience d’avoir des attirances sexuelles non conformes aux normes établies, Kôchan développe des penchants sadiques (même si je m’attendais à bien pire en lisant d’autres avis) ainsi qu’une pulsion de mort omniprésente, renforcée par sa fragile condition physique. Pourtant, bourré de contradictions (ce qui semble être une caractéristique très nette de toute la vie de Mishima), notre héros préfère mentir pour éviter d’être envoyé au front.

"Je préférais m'imaginer comme un être délaissé par la "mort". Et les étranges tourments de celui qui, malgré son désir de mourir, est ainsi rejeté par la mort, je me plaisais à les jauger avec l'extrême concentration nerveuse et les gestes distants du chirurgien en train d'opérer un organe interne."

Lu en parallèle de La Recherche, j’ai trouvé dans ce texte des accents proustiens, bien que la forme autobiographique soit assumée de façon plus nette par Mishima. Il y a une mise à nue surprenante et un réel souci de la part de l'auteur de convaincre son lecteur de la véracité des pensées et actions rapportées. Si Kôchan est égoïste et égocentrique, il reconnaît que beaucoup d'éléments le rapprochent de ses semblables, et donne ainsi à son personnage le loisir de tirer des leçons universelles. Il rencontre aussi son Albertine, mais en matière de relation toxique, rien ne peut détrôner le narrateur de ce cher Marcel.

Le Tumulte des flots ne m’a pas laissé un grand souvenir, mais cette deuxième rencontre avec Mishima a été une excellente surprise.

Folio. 286 pages.
Traduit par Dominique Palmé.
1949.

23 avril 2023

Sous la verte feuillée - Thomas Hardy

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A Mellstock, la chorale occupe une place importante dans la vie de la communauté. Elle fait la tournée des maisons le soir de Noël et joue à l'église pendant l'office dominical. La famille Dewy est très impliquée dans ce choeur. Lorsque le jeune Dick Dewy aperçoit la nouvelle institutrice, Miss Fancy Day, il en tombe amoureux. Mais d'autres hommes plus fortunés et bien nés que lui sont également sensibles aux charmes de la jeune fille, et cette dernière a des apparences de frivolité.

Je craignais un peu cette lecture tant j'ai pu lire qu'il s'agit d'un roman mineur de Thomas Hardy que j'apprécie davantage à chaque lecture. Il est certain que la minceur de l'intrigue et quelques maladresses inhabituelles chez l'auteur expliquent le plaisir nuancé de beaucoup d'adeptes de l'écrivain. Sous la verte feuillée fait pâle figure face au roman qu'il annonce, Les Forestiers, et qui est à ce jour mon favori.

Pourtant, dès les premières lignes, le charme opère avec la plume de Thomas Hardy décrivant la nature de façon somptueuse. Il nous plonge dans son univers à la fois imaginaire et très réaliste, avec pour une fois une dose de merveilleux l'emportant sur le tragique (les illusions de la jeunesse probablement). Je me suis régalée avec les scènes de drague à l'époque victorienne basée sur le fait de toucher un objet précédemment frôlé par l'être aimé et par les périphrases de l'auteur dissimulant des baisers.

"La chance favorisa les amours de Dick pendant le repas. Il se trouva assis à côté de Fancy et eut le bonheur inouï de boire dans un verre dont elle s’était tout d’abord servie par erreur. Sa semelle touchait l’ourlet de sa jupe. Et, pour ajouter à son ivresse, un chat, demeuré plusieurs minutes en cachette sur les genoux de la jeune fille, passa sur ses genoux à lui et il frôla la fourrure que sa main, à elle, caressait quelques instants auparavant."

Autre force de l'auteur qui ne fait pas exception ici, l'imperfection des personnages et l'absence de jugement définitif. Fancy Day s'inscrit dans la lignée des héroïnes de Thomas Hardy. Sa coquetterie et son indécision la rendent frivole, mais l'absence de perspectives pour les femmes dans l'Angleterre victorienne et les renoncements qu'exige le mariage rendent son choix de fiancé plus complexe qu'il n'y paraît.

Archipoche. 245 pages.
Traduit par Eve Paul-Marguerite.
1872 pour l'édition originale.

9 avril 2023

Divorce à l'anglaise - Margaret Kennedy

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"Dans ce tiroir gisait la preuve que cette enfant de dix ans pouvait également être épouse, mère, grand-mère, arbitre de la vie d'autrui, et faire croire au monde qu'elle était une adulte de soixante-huit ans riche d'expériences."

Les Editions de la Table Ronde nous gâtent pour la deuxième année consécutive avec un roman de Margaret Kennedy, autrice anglaise oubliée (admirez cette couverture ! ). 

Cette fois, tout commence lorsque Betsy et Alec Canning décident de se séparer après une vingtaine d'années de mariage. Rien de grave, simplement deux individus qui se sont mépris l'un sur l'autre. Si Alec est du genre à se contenter de laisser traîner les choses en séduisant d'autres femmes en cas de besoin, Betsy sent pour sa part qu'elle passe à côté de sa vie. Cependant, les belles-mères ne sont pas de cet avis. Leurs trois enfants aussi vont voir leur vie bouleversée. Quant à leurs amis, oubliant toute prudence, ils ne tardent pas à prendre parti.

J'avais beaucoup aimé Le Festin, j'ai passé un moment délicieux avec ce roman que j'ai trouvé plus profond et attachant. Même le style, entre humour et descriptions poétiques m'a davantage interpelée que lors de ma précédente lecture.

Divorce à l'anglaise réunit tout ce que j'aime dans les romans anglais vintage : vieilles demeures, amitiés de jeunesse, amours complexes et personnages excessifs. Ce beau monde a eu des idéaux, des coups de folie. Des regrets peuvent se faire ressentir, mais la vie adulte oblige parfois à assumer ses choix et à faire des compromis.

Si la relation entre Betsy et Alec occupe évidemment une place non négligeable dans ce livre, leur progéniture n'est pas oubliée, donnant au récit des airs de roman d'apprentissage. Et ce qui angoisse la jeunesse, c'est l'avenir ; la guerre qui s'annonce ou encore l'éducation (à croire que les personnages de Margaret Kennedy ont lu Virginia Woolf, j'aime quand mes lectures se répondent).

"Nous a-t-on appris quelque chose qui puisse nous servir à vivre ? A réfléchir ? Et à quoi nous mènent ces réflexions ? A un point où nous comprenons qu'il est absurde d'entreprendre quoi que ce soit, puisque toute action est illogique au plus haut point."

Le divorce n'est pas qu'une séparation, surtout en 1930. Il oblige chacune des personnes concernées à rebattre les cartes de sa vie, à tester ses liens et à s'interroger sur le temps qui passe.

Une parfaite lecture printanière.

La Table Ronde. 396 pages.
Traduit par Adrienne Terrier, revu par Anne-Sylvie Homassel.
1936 pour l'édition originale.

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12 mars 2023

Purge - Sofi Oksanen

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1992. Les Soviétiques se retirent d'Estonie après des décennies d'occupation à peine entrecoupées par l'invasion nazie. Aliide est une vieille femme vivant seule à la campagne. Son mari est mort et sa fille, installée en Finlande, ne vient presque plus la voir. Elle espère que les procès engagés pour le recouvrement des terres va la dédommager des pertes dues au communisme. Lorsqu'elle trouve Zara, une jeune femme originaire de Vladivostok, dans la cour de sa maison, son passé lui revient à la figure.

J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Tout d'abord, en raison du style de l'autrice. L'écriture de Purge n'est pas particulièrement remarquable, mais elle souffre d'un manque de fluidité qui rend la concentration du lecteur difficile. Au bout d'une centaine de pages (sur plus de quatre cents), j'ai heureusement réussi à trouver le tempo.

L'histoire elle-même n'est pas exempte de lourdeurs. Les chapitres se déroulant en 1991-1992 ne sont pas ce qui fait la force de cette histoire alors qu'ils sont très nombreux. Par ailleurs, si je comprends la volonté de l'autrice de montrer la nature humaine dans ce qu'elle a de plus nauséabond, je crois que les histoires de rivalité féminine commencent à me lasser profondément. Ce procédé est si courant qu'il a un fort goût de facilité.

Malgré ces défauts, j'ai énormément apprécié l'aspect historique de ce livre. Retrouver l'Estonie, ce pays dont l'identité a été si difficile à construire en raison des géants qui n'ont que rarement respecté ses frontières, a été passionnant. Il n'y a pas ici la magie de L'Homme qui savait la langue des serpents (ni le talent de conteur d'Andrus Kivirähk), mais les habitants sont amenés à choisir entre le bourreau soviétique et l'envahisseur nazi. Ce qui paraît évident en termes de morale à des Occidentaux ne l'est pas pour des Estoniens. Un changement de perspective important pour bousculer nos certitudes qui reposent souvent sur une vision très autocentrée de l'histoire.

Une première participation au Mois de l'Europe de l'Est d'Eva et Patrice qui n'est clairement pas parfaite, mais étrangement j'ai le sentiment que cette histoire ne s'effacera pas de sitôt de ma mémoire.

Le Livre de Poche. 429 pages.
Traduit par Sébastien Cagnoli.
2008 pour l'édition originale.

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15 février 2023

Notre part de nuit - Mariana Enriquez

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Après la mort de sa femme Rosario, Juan quitte Buenos Aires avec son fils Gaspard. Ils traversent l'Argentine pour retrouver leurs proches. En pleine dictature, ce ne sont pas les militaires qui sont les plus dangeureux. Le coeur de Juan est en très mauvais état malgré son jeune âge, et s'il se rend dans la famille de sa femme, c'est pour mieux fuir ou affronter ses horribles membres.

Notre part de nuit est un livre difficile à évoquer parce que trop en dévoiler gâcherait votre plaisir et qu'il s'agit d'un texte qui ne se refuse aucun genre. Roman d'horreur dont le personnage principal rappelle le Pistoléro de Stephen King, ce livre évoque aussi les crimes de la dictature argentine et nous offre une plongée dans le Mal qui obsède les poètes lus inlassablement par Juan.

Tous les individus que nous croisons sont fascinants. Une seule n'est que monstruosité (ce qui donne lieu à des rencontres difficilement soutenables), les autres ont au moins quelques failles qui les ont parfois conduits à briser ce qu'ils avaient de plus cher. Leurs relations sont complexes, faites de cruauté et de violence. Le doute instillé par le fanatisme contamine et emprisonne même ceux qui souhaitent le plus mettre un terme à une série de sévices, de massacres et de sacrifices. Et pourtant, Notre part de nuit est aussi une magnifique d'amour entre un père très imparfait et son fils.

Polyphonique et faisant des va-et-vient sur plusieurs décennies, de l'Argentine à Londres en passant par le Nigéria, le roman est construit de manière à ne révéler ses mystères qu'au compte-goutte. A l'exception de deux passages un peu long, j'ai été hypnotisée du début à la fin et je sais déjà que je me replongerai un jour dans cet univers.

La littérature hispanophone, qui ne m'a pas intéressée le moins du monde jusqu'à ces dernières années, a fini par me conquérir complètement.

Editions du sous-sol. 759 pages.
Traduit par Anne Plantagenêt.
2021.

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9 février 2023

La Bibliothèque, la nuit - Alberto Manguel

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"Comment pouvons-nous espérer, nous, lecteurs, tenir entre nos mains le cycle du monde et du temps, alors que le monde excédera toujours les marges d'une page et que tout ce que nous pouvons constater, c'est le moment définitif défini par un paragraphe ou un vers, en choisissant, selon la formule de Blake, "des objets de vénération dans des contes poétiques" ? "

Trouver un sens au monde qui nous entoure est une obsession à laquelle les bibliothèques tentent de répondre. Une entreprise que nous savons vaine, mais "il m'a semblé que cette quête était valable en elle-même", nous dit Alberto Manguel. A ses côtés, nous plongeons dans l'histoire des bibliothèques et nous questionnons sur ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Ces lieux existent souvent, ont parfois disparu (à cause du fanatisme ou de la négligence humaine) ou ne sont présents que dans notre mémoire (laquelle finira inévitablement par flancher).

A tous ceux qui pensent que l'érudition est un moyen légitime d'écraser l'autre, je recommande la lecture d'Alberto Manguel. Secrétaire de Borges, bibliophile, directeur de la Bibliothèque Nationale d'Argentine et bien d'autres choses, il ne perd jamais de vue la raison qui l'anime. Ses seules remarques méprisantes sont pour des pairs hautains.

Bien qu'il s'agisse d'un essai, ce livre se lit comme un roman d'aventure palpitant. A travers des anecdotes personnelles et des informations historiques beaucoup plus générales (et jamais ennuyeuses), Manguel nous embarque dans le temps et dans l'espace. Il nous transmet son amour des livres et de la lecture (qui ne cessent jamais d'exister, même au plus profond de l'horreur), sa confiance dans la patience illimitée des textes non lus (rassurante pour les grands lecteurs qui culpabilisent devant leurs trop nombreux achats).

" Il se peut qu'il n'existe aucun livre, aussi bien écrit qu'il soit, qui puisse alléger d'une once la douleur des tragédies d'Irak ou du Rwanda, mais il se peut aussi qu'il n'existe aucun livre, si atrocement écrit qu'il soit, qui ne puisse apporter une épiphanie au lecteur qui lui est destiné. "

Notre époque tend à nous conforter dans nos certitudes et à nous éloigner les uns des autres, Manguel nous montre d'une part que cette tendance n'est pas nouvelle et d'autre part qu'il est possible de saluer les avancées d'une personne (Melvil Dewey, Leibniz) tout en montrant les limites de ses travaux avec bienveillance.

Face à internet, l'auteur est très prudent. Une bibliothèque est une vision, un renoncement, ce qui est aussi bien un déchirement qu'une défense contre le n'importe quoi que serait une bibliothèque qui contiendrait tout (or "l'accumulation des connaissances n'est pas la connaissance"), qui privilégierait la rapidité plutôt que la réflexion et ne se conjuguerait qu'au seul présent.

" Citer, c'est faire usage de la bibliothèque de Babel ; citer, c'est réfléchir ce qui a déjà été dit et si nous ne le faisons pas, nous parlons dans un vide où nulle voix humaine ne peut produire un son. "

 Bouclant la boucle comme le disciple de Borges qu'il est, ce que Manguel nous montre avant tout est l'harmonie qui existe entre les livres et les hommes, les uns et les autres se contenant mutuellement.

"L'encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c'est le monde même."

Passionnant.

Babel. 372 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2006.

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30 janvier 2023

Jours de travail : Les Journaux des Raisins de la colère - John Steinbeck

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" Personne ne connaît mon absence de facilité comme moi je la connais. "

Les Raisins de la colère étant le livre qui m'a le plus marquée en 2020, il fallait absolument que je lise un jour le journal tenu par Steinbeck lors de sa rédaction et présenté de façon (comme toujours merveilleuse) par Dominique il y a quelques temps.

Le processus d'écriture du livre occupe évidemment une place centrale dans ces journaux. Steinbeck se contraint à un travail rigoureux et régulier (le même nombre de pages chaque jour). Il ne cache pas ses doutes, ses difficultés, ses frustrations. Il parle des personnages comme s'ils étaient réels.

" Ces gens doivent être intensément en vie tout le temps."

Malgré la tentation de l'oisiveté, qui le guette, il veut écrire un livre à la hauteur de ses ambitions.

"Il faut que ce soit un bon livre. Il doit l'être tout simplement. Je n'ai pas le choix. Il faut que ce soit, de loin, le meilleur truc que j'aie jamais tenté."

Peu à peu, certains éléments se mettent en place. La scène finale (inoubliable) apparaît à l'auteur assez rapidement. L'épouse de l'auteur est également un personnage central dans la réalisation du livre. C'est elle qui trouve le titre et met au propre le texte de Steinbeck.

Déjà célèbre, il suit la tournée de ses oeuvres précédentes, la faillite de son premier éditeur. Il se rend à Hollywood pour y travailler.

En plus de l'écriture de son livre, Steinbeck cherche à agir pour les individus qui lui inspirent ses personnages. Le spectre du nazisme l'angoisse, l'argent qu'il a gagné a éloigné certains de ses proches.Avec son épouse, ils découvrent puis achètent un ranch, le plus bel endroit que Steinbeck a vu, dit-il (et peut-être des paysages qui lui ont inspiré certaines de ses oeuvres ultérieures ?). La publication du livre, qui recontre un immense succès, lui vaut des ennemis. La menace de ces gens puissants pèse sur Steinbeck.

"Les deux derniers jours, j'ai eu des prémonitions de mort tellement fortes que j'ai brûlé toutes sortes de correspondances sur des années. J'ai une telle horreur des gens qui pourraient les fouiller, mettre la pagaille dans mon passé tel qu'il est."

Une immersion passionnante dans le quotidien de Steinbeck pour la session mensuelle des "Classiques c'est fantastique".

Pavillons Poche. 250 pages.
Traduit par Pierre Guglielmina.

Source: Externe

26 janvier 2023

Washington Square - Henry James

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" C'était trop grave ; toute ma vie en a été bouleversée. "

Médecin réputé, Austin Sloper n'a cependant pas pu empêcher le décès de son fils ni la perte de sa brillante épouse, dont la mort en couches l'a laissé seul avec une fille médiocre, Catherine. En grandissant, cette dernière confirme sa faiblesse d'esprit et de caractère. Lorsque Morris Townsend, un jeune homme ayant dilapidé son peu de fortune, commence à courtiser la jeune fille, cette dernière tombe sous son charme, encouragée par sa tante. Le Docteur Sloper ne partage pas l'opinion des deux femmes et est bien décidé à empêcher le mariage, quitte à léser cruellement Catherine. 

Voilà un roman que j'ai dévoré avec une avidité rare, profitant de chaque minute disponible pour le retrouver. Henry James s'y montre d'une ironie qui rappelle une certaine Jane Austen, même si l'héroïne ne bénéficie pas de la présence opportune d'un prétendant mieux ajusté. C'est donc le cynisme habituel de James qui l'emporte, pour mon plus grand plaisir, je dois le reconnaître, tant la psychologie des personnages est finement exposée.

On pourrait craindre, en lisant la trop bavarde quatrième de couverture, qu'il ne s'agit que d'un conte cruel, mais aussi mince que soit l'intrigue a priori, Henry James nous offre une étude de ses quatre personnages principaux si complexe qu'il est bien difficile de déterminer avec certitude qui sont les gagnants et les perdants, les malins et les imbéciles dans ce livre. Plus qu'une histoire d'amour ratée entre un probable coureur de dot et une jeune fille naïve, Washington square est aussi le portrait d'un homme, obtus et égoïste (sûrement en partie inspiré par le frère de l'auteur), d'une veuve idéaliste espérant pimenter sa terne existence et d'une jeune fille prématurément jugée par tous les autres. Trop occupés par leur propre existence, les trois individus pressant Catherine de se soumettre à leur volonté ne réalisent à aucun moment ce qui se joue réellement devant leurs yeux.

Comme toujours chez James, la fin est aussi frustrante que savoureuse.

Une merveille.

10/18. 283 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.

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