Soldats bleus : Journal intime (1914-1918) - Pierre Loti
" Si on ne savait pas ce que c’est, et s’il n’y avait, au-dessus, ce ciel crépusculaire en deuil, cela donnerait presque une impression de divertissement fantasmagorique, on dirait un feu d’artifice infini, tout un pays, toute une chaîne de collines qui s’amuserait à s’envelopper de changeantes fumées blanches et à tirer des bombes. Mais cela fait un bruit trop profond et caverneux pour être une fête... "
Pierre Loti est un homme âgé lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Pourtant, il est déterminé à ne pas rester dans ses paisibles maisons de Rochefort et d’Hendaye. Avec l’aide de ses relations, il va participer à sa façon à l’effort de guerre. Il relate ses observations dans son journal. Cela lui sert aussi de base pour la rédaction d’articles flirtant souvent avec la propagande.
Les Editions de la Table Ronde m’ont envoyé les deux tomes du "Journal” de Pierre Loti en début d'année. Si le premier est une lecture au long cours de huit cents pages qui couvre plusieurs décennies, le second est un témoignage formant un tout qui ravira ceux qui s’intéressent à la guerre de 14-18.
Loti est un officier, un marin, un homme vieillissant dont la vision colonialiste et nostalgique lui fait ressentir vivement l’offensive allemande. On sent chez lui l’excitation du combat qui se mêle à la conscience que cette guerre ne sera pas comme les autres. Nombre de ses amis perdent leur fils et lui-même s’inquiète pour Samuel, le seul de ses enfants qu’il ressent vraiment comme le sien. C'est la fin d'un ancien monde que contemple l'auteur, conscient qu'il n'y appartient déjà plus complètement.
" Dire que l'humanité n'a pas su édicter à temps les lois qu'il aurait fallu pour étrangler tant d'inventeur sinistres, comme par exemple ceux de la guerre sous-marine et de l'aviation ! "
Cela ne l'empêche pas de parcourir les villages détruits, de témoigner des ruses adoptées pour tromper les avions, de se désoler devant des villes et des monuments irrémédiablement perdus. Utilisé comme intermédiaire dans les discussions avec la Turquie, Loti ne retient aucunement sa haine contre Guillaume II. Les articles insérés dans cette version du journal sont passionnants aussi bien pour se faire une idée de la manière de travailler de l'auteur que comme source d'information concernant le conflit.
Malgré une certaine répétition dans les parcours de Loti, sa plume d'écrivain nous embarque facilement. Le lecteur d'aujourd'hui sourit aussi face à certains faits dont le diariste ne connaissait pas encore l'importance lors de la rédaction de son journal. On croise ainsi un certain Général Pétain, qui renvoie Loti chez lui, arguant du fait qu'il n’a pas besoin de marins pour gagner la guerre...
La Table Ronde. 408 pages.