Que les étoiles contemplent mes larmes : Journal d'affliction - Mary Shelley
Le 8 juillet 1822, Percy Shelley se noie en mer. Ce drame est pour son épouse la suite d'une série de pertes terribles, puisqu'elle a déjà enterré trois de ses quatre enfants. Le journal qu'elle débute trois mois plus tard et qu'elle tiendra jusqu'en 1844, retrace son deuil.
"Peut-être le rayon de lune se trouvera-t-il réuni à son astre et cessera-t-il d'errer, tel un mélancolique reflet de tout ce qu'il chérissait, à la surface de la Terre."
Il est terrible de constater à quel point les femmes les plus brillantes se sont parfois condamnées elles-mêmes à vivre dans l'ombre d'un homme vénéré. A la lecture de ce journal, on pourrait penser qu'il est tenu par une veuve ayant simplement oeuvré pour conserver et transmettre l'oeuvre de son incroyable époux. Loin de moi l'envie de débattre des mérites de Percy Shelley dont je ne connais rien, mais je pense que Mary Shelley mérite d'être saluée avant tout pour sa propre carrière littéraire. Or, ce journal ne comprend presque aucune référence au travail d'écriture de son autrice qui a tout de même écrit la majeure partie de son oeuvre après la mort de Percy Shelley. Quand il y en a, c'est souvent pour se déprécier. C'est bien malgré elle que Mary laisse transparaître son intelligence, sa soif d'apprendre, dont elle s'excuse presque et dans laquelle elle voit la main de la Destinée.
"Poursuivre mes efforts littéraires, cultiver mon entendement et élargir le champ de mes idées, voilà les seules occupations qui me soustraient à ma léthargie."
Il faut dire que la situation de la jeune femme, déjà précaire du temps de son mariage, se fragilise. Soumise au bon vouloir d'un beau-père n'ayant jamais accepté le mariage de Percy Shelley et de sa maîtresse, elle se voit parfois retirer la pension, vitale pour elle et son fils, qu'il lui verse. Les quelques amis qu'elle a encore l'abandonnent pour d'autres causes (Byron part en Grèce où il mourra), la volent ou mènent une campagne de diffamation à son égard dont elle ne prendra conscience que des années plus tard.
"J'en viens à soupçonner d'être la créature de marbre qu'ils voient en moi. Or ce n'est pas vrai. J'ai un penchant inné à l'introspection et cette habitude ne contribue guère à me donner plus d'assurance face à mes juges -car tels m'apparaissent tous ceux qui posent les yeux sur moi."
D'abord en proie à une profonde dépression, Mary va cependant retourner en Angleterre, s'occuper de son fils et mener une vie solitaire éclairée par quelques rencontres. Fantasmant une relation et un mari qui étaient sans doute bien moins idylliques que ce qu'elle écrit, l'icône qu'est devenu Percy Shelley la console bien plus tard lorsqu'elle vit des déceptions. Ainsi, l'homme qui la délaisse par deux fois après lui avoir fait espérer le mariage, n'est de toute façon que peu de choses par rapport à la pureté de l'amour qu'elle a partagé avec Percy.
Pour finir, un mot sur cette superbe édition agrémentée de notes et de notices biographiques indispensables. Du très beau travail.
Finitudes. 261 pages.
Traduit par Constance Lacroix.