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lilly et ses livres

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6 septembre 2018

Une Place à prendre - J.K. Rowling

placeBarry Fairbrother, conseiller paroissial à Pagford et père de quatre enfants très apprécié, s'écroule le soir de son dix-neuvième anniversaire de mariage, victime d'une rupture d'anévrisme. Les habitants de la bourgade sont choqués, mais très vite ce sont surtout les prétendants à sa succession qui se manifestent. D'un côté, certains voudraient préserver le travail de Barry en faveur d'un quartier défavorisé et d'une clinique à destination des toxicomanes. De l'autre, les notables locaux, emmenés par Howard Mollison, entendent bien profiter de l'occasion pour se débarasser de ceux qu'ils jugent indignes d'attention.

J'ai commencé cette lecture en imaginant retrouver l'auteur de Harry Potter dans son univers habituel. Si on peut retrouver dans ce livre le soin habituel que J.K. Rowling met dans ses personnages, le parallèle avec sa série phare s'arrête là. Et encore, je n'étais pas au bout de mes surprises. L'auteur a un style cru, sarcastique. Aucun de ses personnages, à l'exception des adolescents, qui sont avant tout des victimes, ne peut se vanter de vouloir autre chose que satisfaire sa petite personne. J'étais décidée à me moquer d'eux tout en grinçant occasionnellement des dents. Finalement, il n'y a rien d'amusant dans Une place à prendre. J'ai ragé contre ces ordures de Mollison, espérant jusqu'au bout qu'ils finiraient par mourir dans d'atroces souffrances, les mots de Parminder à sa fille harcelée et mal-aimée m'ont soulevé le coeur et les discours des conseillers paroissiaux sur l'argent inutilement dépensé pour les plus défavorisés m'ont trop rappelé les politiques actuelles pour que je me sente autrement qu'impuissante. Je crois que c'est ce qu'il y a de pire dans ce livre. Il a l'air caricatural, mais les propos tenus par les personnages, sur les services d'aide à l'enfance, la mixité sociale ou les allocations n'ont rien d'inventé.

« … mentalité d’assisté, disait Aubrey Fowley. Des gens qui n’ont littéralement jamais travaillé de leur vie.
— Et, voyons les choses en face, ajouta Howard, la solution à ce problème est très simple. Qu’ils arrêtent de se droguer. »

Il faut un temps d'adaptation avant d'identifier clairement la multitude de personnages, adultes et adolescents, dont nous suivons les traces. J'ai cru comprendre que certains avaient trouvé que l'auteur prenait trop de temps à poser son cadre, mais je n'ai pas eu ce sentiment. Ce n'est pas un roman rempli d'action, c'est certain, et j'imagine que cela a causé de nombreuses déceptions. Pour ma part, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Ce dont l'auteur parle, c'est de la vie de tous les jours, avec simplicité et éloquence. A moins d'être de mauvaise foi, après avoir lu ce livre, on ne peut plus considérer que vouloir une grossesse et vivre des allocations est forcément un acte stupide et égoïste. Parfois, c'est une question de survie, la seule porte de sortie possible.

Une fable sociale désenchantée et cruelle, qui prouve que J.K. Rowling est un auteur capable de proposer des oeuvres très différentes sans sacrifier son talent. J'ai hâte de la découvrir en tant qu'auteur de romans policiers désormais.

Karine a adoré mais Maggie a été très déçue (une telle discordance entre nous deux est surprenante ! ).

Grasset. 20h57.
Traduit par Pierre Demarty.
Lu par Philippe Résimont.
2012 pour l'édition originale.

pavé

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30 août 2018

Jean-Philippe Arrou-Vignod et la série des Jean-Quelque-chose

omeletteNous sommes en Normandie en 1968, et Jean-B est le second de cinq frères. Pour que leur père réussisse à retenir les prénoms de ses enfants, il les a tous appelés Jean : Jean-A, Jean-B, Jean-C, Jean-D et Jean-E. Pour Noël, Jean-A a été très clair, les enfants ne veulent qu'une seule chose, la télévision. Mais, les parents ont une grande nouvelle à annoncer qui va tout chambouler.

On me vend depuis longtemps la qualité des livres de Jean-Philippe Arrou-Vignod. J'avais pourtant été un peu déçue par Le Collège fantôme il y a quelques années. L'Omelette au sucre, offert par Audible, a été un régal, à tel point que j'ai acheté La Soupe de poissons rouges pour rester avec les Jean-Quelque-chose un peu plus longtemps.
Ce sont de très jolis petits romans sur l'enfance, avec des anecdotes à la piscine, en vacances, au ski ou encore à l'école. Toutes ces scénètes regorgent d'humour et d'affection.
Dans La Soupe de poissons rouges, la famille déménage à Toulon et Jean-B fait sa rentrée en sixième. Les choses semblent mal engagées lorsqu'il insulte involontairement le surveillant général dès le premier jour et que la voisine alsacienne commence à leur offrir des spécialités immangeables de sa région d'origine. Heureusement, les Jean ont de la ressource.
Les enfants de famille nombreuse ou qui en ont fréquenté se reconnaîtront dans les disputes, les rivalités, les inquiétudes et les manigances entre frères rapportées par Jean B. Les parents sont ravis avec leurs cinq (puis six) enfants, mais ils sont souvent épuisés, et les menaces d'inscrire les garçons aux scouts marins sont quotidiennes.
soupeAu fil de la lecture, les personnalités se détachent, surtout les deux aînés : Jean-A avec ses lunettes et ses cours de latin, est obsédé par l'idée d'avoir la télévision. Jean-B, le narrateur, a quelques rondeurs, et rêve d'être agent secret puis écrivain. A se demander si l'auteur n'a pas mis de lui dans ces histoires.*

Une série à recommander à tous ceux qui ont envie de replonger dans leurs souvenirs d'enfance. Cela m'a fait penser au Petit Nicolas (mes lectures remontent à une bonne vingtaine d'années) et je pense que les petits lecteurs seront charmés dès six ou sept ans. Pour ma part, je compte bien poursuivre la série des Jean-Quelque-chose.

Gallimard propose généralement des versions audio de très bonne qualité, et celles-ci ne dérogent pas à la règle avec un lecteur impeccable et une mise en scène sonore permettant de s'imerger complètement dans l'histoire.

Clarabel est aussi conquise que moi.

*Si j'en crois Wikipédia, c'est bien le cas.

Ecoutez lire. 2h20 et 2h14.
Livres lus par Laurent Stocker.
2000 et 2007.

28 août 2018

Les Fantômes du vieux pays - Nathan Hill

hill« Quand Samuel était enfant et lisait une Histoire dont vous êtes le héros, il plaçait toujours un marque-page à l’endroit où il devait prendre une décision très difficile, de sorte que, si l’histoire tournait mal, il pouvait revenir en arrière et recommencer autrement. »

Samuel Andresen-Anderson est apparu un jour sur la liste des futurs meilleurs écrivains américains grâce à la publication d'une seule nouvelle. Il n'a pas écrit une seule ligne depuis, l'avance versée par son éditeur pour son prochain roman lui a permis d'acheter une maison que la crise a dévaluée de façon spectaculaire, et sa carrière de professeur de littérature anglaise à l'université de Chicago l'ennuie. Pour contrer cette monotonie, il joue à Elfscape, un jeu en ligne dans lequel il fait équipe avec un certain Pwnage.
Tout bascule lorsqu'il reçoit un appel de l'avocat de sa mère qui lui apprend que cette dernière est accusée d'avoir agressé le gouverneur Packer, politicien n'ayant pas grand chose à envier aux membres les plus acharnés de l'alt-right américaine. Cette nouvelle est d'autant plus choquante pour Samuel qu'il n'a pas vu sa mère depuis qu'elle l'a abandonné à l'âge de dix ans.
Simultanément, Laura Pottsdam, une étudiante que Samuel a prise en flagrant délit de plagiat, mène une campagne afin de le faire renvoyer de l'université et son éditeur lui réclame le remboursement de la somme payée pour le livre qu'il n'a jamais écrit.

Alors que la rentrée littéraire 2018 commence, j'ai enfin pris le temps de lire cette parution 2017 qui avait été encensée par presque tout le monde.
Nathan Hill s'inscrit dans la lignée des auteurs américains de ce début du XXIe siècle en nous servant la tête de la société américaine sur un plateau. Tout y passe, les médias, le système scolaire, les réseaux sociaux, la société de consommation, la politique, le système électoral, les banques, la justice... Ses personnages sont souvent de parfaits produits de ce mode de vie individualiste et sans pitié pour ceux qui se montreraient trop honnêtes. Il nous sert nombre de phrases interminables, des listes de restaurants de fast-food, de produits bios, d'émotions standardisées donnant l'impression que l'on évolue dans un monde complètement fou dans lequel tout libre-arbitre est impossible.
Pire que cela, il fait preuve de beaucoup de cynisme, renvoyant dos à dos les actions des conservateurs et celles de ceux qu'il qualifie de militants libéraux. Comme si, finalement, on ne pouvait rien changer. Alors, on rit jaune. Beaucoup.

« Ils pensaient qu’ils étaient en train de changer le monde alors qu’ils aidaient Nixon à se faire élire. À leurs yeux, le Vietnam était intolérable, mais ils avaient répliqué en devenant eux-mêmes intolérables. »

« En fait, c’est assez génial. Les manifestants et la police, les progressistes et les conservateurs — ils ont besoin les uns des autres, ils n’existent pas les uns sans les autres, chacun a besoin d’un opposant à diaboliser. La meilleure façon de se sentir appartenir à un groupe, c’est d’en inventer un autre qu’on déteste. En un sens, aujourd’hui, c’était une journée extraordinaire, du point de vue de la publicité. »

Pourquoi Faye a-t-elle agressé ce gouverneur ? Pourquoi a-t-elle brutalement abandonné son fils ? Pour le savoir, nous remontons avec Samuel jusqu'en en 1968. Il a découvert que sa mère avait étudié durant un mois à Chicago, et qu'elle y avait été arrêtée pour prostitution. On y découvre une ville en ébullition, touchée par les émeutes ayant suivi la mort de Martin Luther King et foyer de protestation contre la guerre du Viêtnam. On y suit des cours pour être une bonne épouse docile, des jeunes gens idéalistes, des policiers lamentables et des journalistes bien frileux, qui commencent à céder aux sirènes du sensationalisme.

« Car c’est l’avenir de la télévision qui se joue sous leurs yeux : une pure sensation de combat. Le vieux Cronkite fait de la télévision comme on fait du journalisme papier, avec toutes les limites qui vont avec. La caméra de l’hélico, elle, donne une nouvelle perspective. Plus rapide, plus immédiate, plus riche, plus ambiguë — pas de filtre entre l’événement et la perception de l’événement. L’information et l’opinion des oncles face à l’information, lissées dans la même temporalité. »

Malgré toutes les qualités de ce roman, ce n'est pas un coup de coeur. Je l'ai trouvé moins maîtrisé que Freedom de Jonathan Franzen. Certains passages sont franchement longs et le propos devient assez naïf dans les dernières pages, où l'auteur se met à nous expliquer les choses de la vie de manière bien peu subtile. J'appréciais par ailleurs beaucoup l'idée de mêler cette histoire aux légendes norvégiennes, mais Nathan Hill exploite cela de façon maladroite (je ne pense pas que certaines révélations apportent grand chose à l'intrigue).

Un roman ambitieux, plutôt original dans sa forme et qui plaira à ceux qui aiment la littérature américaine malgré ses quelques maladresses (sans doute parce qu'il s'agit d'un premier roman).

D'autres avis chez Kathel, Karine, Claudialucia et Eva.

Gallimard. 706 pages.
Traduit par Mathilde Bach.
2016 pour l'édition originale.

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24 août 2018

Une Nihiliste - Sophie Kovalevskaïa

KovaleskaïaNée princesse Barantsov dans la Russie tsariste, Vera vit une enfance protégée. Lorsqu'en 1861, Alexandre II met fin au servage, les Barantsov s'effondrent, forcés de vendre la plupart de leurs terres et de se séparer de leurs domestiques. Vera passe les années suivantes à battre la campagne et à oublier les leçons apprises du temps où elle avait des précepteurs. Lorsque le voisin des Barantsov, Stepan Mikhaïlovitch Vassiltsev, ancien éminent professeur à Saint-Pétersbourg, est assigné à résidence, il ne tarde pas à croiser la route de Vera et à éveiller chez cette adolescente mal dégrossie une conscience politique.

Voilà encore un classique de la littérature russe déterré par Libretto et dont je n'avais jamais entendu parler. Ce n'est pas le roman le plus réussi du monde. Sophie Kovalevskaïa écrit très bien, mais l'intrigue est assez déséquilibrée entre le début plutôt lent et la fin presque expédiée. Il y a aussi tout un passage écrit au présent dans un récit au passé et le traducteur signale qu'un des personnages change de nom au fil du livre. Pourtant, cette lecture a été passionnante et me permettra peut-être d'ouvrir enfin Pères et Fils de Tourgueniev qui m'attend depuis trop longtemps.
Comme le titre l'indique, il s'agit d'un livre politique, largement autobiographique si j'en crois la quatrième de couverture. Pourtant, la majeure partie du roman se concentre sur l'enfance puis l'adolescente de Vera, ce qui en fait presque un roman d'apprentissage. Avant de décrire les avancées permises par les réformes ou les grands procès de contestataires, Sophie Kovalevskaïa nous fait pénétrer dans ces immenses domaines entretenus par une armée de serfs. Du point de vue des Barantsov, l'époque du servage est merveilleuse. Leurs filles sont éduquées avec soin et dotées, tous les traitent avec un respect immense. La réforme de 1861 bouleverse complètement cet équilibre et la détresse s'empare des aristocrates.
La rencontre entre Vera et Vassiltsev transforme la jeune fille. Leur relation est à la fois belle et libératrice pour celle dont personne ne se souciait plus depuis longtemps. Au-delà de leurs échanges intellectuels, une histoire d'amour passionnée ne tarde pas à les lier.
Nous avons généralement des nihilistes une vision très négative en raison du nombre d'attentats qu'ils ont commis. Ici, le terme décrit très généralement tout individu ayant une attitude d'opposition face au pouvoir en place. Dans les dernières pages du livre, nous suivons le procès romancé d'un groupe ayant réellement existé mais dont les membres, ainsi que le souligne l'auteur, n'étaient pas du tout organisés voire ne se connaissaient absolument pas. Je n'ai encore jamais lu les livres écrits sur l'univers concentrationnaire soviétique, mais ce livre, comme d'autres de la même époque, montrent que l'organisation des bagnes et la répression ne datent pas de 1917. Ces écrits montrent également que de nombreux individus éclairés, hommes et femmes, pauvres et aristocrates, étaient engagés dans la lutte contre les injustices de leur société. 

Une curiosité littéraire que j'ai lue avec un vif intérêt et qui m'a permis de découvrir une femme hors du commun puisque Sophie Kovalevskaïa était surtout une scientifique de grand talent. Encore une fois cependant, ne lisez pas le résumé proposé par l'éditeur, bien trop bavard, réducteur voire mensonger !

Libretto. 146 pages.
Traduit par Michel Niqueux.
1892 pour l'édition originale.

19 août 2018

Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

Americanah" À mes camarades noirs non américains : En Amérique, tu es noir, chéri

Cher Noir non américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. "

Ifemelu décide, après treize ans en Amérique, de retourner vivre à Lagos. Alors qu'elle se fait coiffer dans un salon afro, elle se remémore son adolescence au Nigéria puis son arrivée aux Etats-Unis, où elle a découvert à quel point la couleur de sa peau comptait.
Devenue blogueuse à succès spécialisée dans les questions de race, elle interpelle les Américains à travers diverses anecdotes afin d'expliquer le quotidien d'une personne noire aux Etats-Unis, pays qui refuse de parler de race, tout en étant encore fondamentalement raciste.
A Lagos, Ifemelu espère retrouver son grand amour, Obinze, qu'elle n'a pas revu depuis son départ et qui a lui aussi été confronté à des difficultés lorsqu'il a voulu s'installer en Angleterre.

Dans un passage du livre, un personnage dit à Ifemelu qu'écrire un livre sur la race qui soit à la fois pertinent et accessible à tous, notamment les Blancs, est impossible. Americanah est la preuve que le défi a été brillamment relevé.
Je ne pense pas que Chimamanda Ngozi Adichie soit un écrivain hors du commun, son style étant très simple, mais elle a définitivement un don pour raconter des histoires d'une grande richesse, très documentées, et qui permettent à n'importe qui de comprendre son propos pourtant complexe. Ainsi, le choix du salon de coiffure spécialisée dans les cheveux crépus qui sert de fil conducteur aux trois-quart du roman n'a rien d'anecdotique. Les cheveux sont l'un des symboles de la différence faite entre les Noirs et les autres. Les cheveux crépus doivent être disciplinés, lissés ou tressés, c'est indispensable pour être pris au sérieux.

Quand elle parla à Ruth de sa prochaine entrevue à Baltimore, celle-ci lui dit : « Mon seul conseil ? Défaites vos tresses et défrisez vos cheveux. Personne n’en parle jamais, mais c’est important. Il faut que vous obteniez ce boulot. »

Un article paru dans le magazine Causette il y a quelques mois expliquait très bien ce phénomène. Les cheveux crépus ne font pas sérieux à tel point qu'ils sont un handicap pour s'insérer dans la société.
Ce point d'entrée capillaire est également accompagné de réflexions sur la ségrégation raciale encore présente aux Etats-Unis, réflexions souvent valables dans les autres sociétés occidentales. Americanah est un livre qui bouscule le lecteur, particulièrement lorsqu'il est blanc. J'ai eu un peu honte de me reconnaître dans certaines descriptions. Le racisme est tellement ancré dans nos sociétés que, même lorsqu'on est de bonne volonté et prêt à se remettre en question, on ne peut s'empêcher d'avoir des attitudes et de tenir des propos qui font légitimement bondir les personnes de couleur. Ifemelu, ainsi qu'Obinze à Londres, évoquent aussi bien les difficultés pour les Noirs de ne pas être vus comme des humains sous-éduqués ou trafiquant de la drogue, que les Blancs essayant de montrer leur tolérance en évoquant la "richesse" des cultures africaines ou leur volonté d'aider les pauvres petits Africains.

« Bonjour, je m’appelle Ifemelu.
— Quel beau nom, dit Kimberly. Est-ce qu’il signifie quelque chose de particulier ? J’adore les noms multiculturels parce qu’ils ont des significations merveilleuses, venant de cultures merveilleusement riches. » Kimberly avait le sourire bienveillant des gens qui voyaient dans la « culture » l’univers inhabituel et coloré des gens de couleur, un mot qui devait toujours être accompagné de « riche ». Elle ne pensait pas que la Norvège ait une « culture riche ».

" Ils ne comprenaient pas que des gens comme lui, qui avaient été bien nourris, n’avaient pas manqué d’eau, mais étaient englués dans l’insatisfaction, conditionnés depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs, étaient aujourd’hui prêts à commettre des actes dangereux, des actes illégaux, pour pouvoir partir, bien qu’aucun d’entre eux ne meure de faim, n’ait été violé, ou ne fuie des villages incendiés, simplement avide d’avoir le choix, avide de certitude. "

L'auteur explique à quel point le racisme envers les Noirs est unique, et démontre à quel point dans une situation similaire, un Noir et un non Noir ne seront pas également désavantagés. Le seul point qui m'a gênée concerne les propos de l'auteur sur l'antisémitisme qui ne serait pas aussi humiliant que le racisme envers les Noirs car basé sur de la jalousie. Je pense qu'elle n'a pas, du fait de son expérience au Nigéria et aux Etats-Unis, une vision de ce qu'ont pu vivre les Juifs pendant des siècles en Europe, avec le bouquet final de l'horreur nazi. Les Juifs aussi ont été martyrisés, victimes de ségrégation et de préjugés terribles. Quant à la jalousie censée être une chose plutôt positive, elle a plutôt donné lieu à des faits divers sordides dans nos régions. C'est anecdotique (à peine quelques lignes), et je pense vraiment que Chimamanda Ngozi Adichie est de bonne foi, mais il me semble important de nuancer son propos. A aucun moment l'auteur ne se montre violente, agressive. Elle énonce des faits, adopte un ton railleur mais pas condescendant, et crée les conditions idéales pour que son lecteur l'écoute.

Le retour au pays d'Ifemelu permet à la jeune femme de laisser en grande partie la question de sa couleur de peau derrière elle, mais il n'est pas simple pour autant. Chimamanda Ngozi Adichie n'a pas mâché ses mots à propos de l'Amérique et de l'Angleterre, elle est tout aussi virulente envers le Nigéria et ses habitants. Elle évoque la politique et la corruption dans son pays, est sensible à la place des femmes (elle n'hésite pas à monter au créneau lorsqu'on lui parle des soi-disant sages et soumises Nigériannes), aux questions d'éducation et se moque du comportement des expatriés rentrés comme elles au Nigéria. Notre héroïne s'est parfois sentie très seule aux Etats-Unis, le Nigéria après treize ans d'absence est comme un étranger. Partie à peine sortie de l'adolescence, elle revient adulte.

On lit ce roman avec beaucoup de facilité parce que ses personnages sont très bien croqués. Ifemelu ne peut que plaire si l'on s'intéresse un peu aux questions de société. C'est aussi une personne attachante parce que faillible. Son parcours du combattant aux Etats-Unis nous fait rager et souffrir avec elle. Sa grande histoire d'amour avec Obinze est un peu trop belle, mais ça ne fait pas de mal. Comme dans son précédent roman, L'Autre moitié du soleil, l'auteur évoque surtout des personnages issus des classes moyennes ou aisées, éduqués, parfaitement anglophones, et ses héros sont igbos. Ces éléments ainsi que d'autres indices laissent penser que Chimamanda Ngozi Adichie a mis beaucoup de choses personnelles dans ce livre, et c'est peut-être ce qui lui permet de sonner si vrai.

Un livre passionnant et très facile à lire que je recommande à tout le monde. Difficile de faire un billet qui énumère toutes les pistes qu'il explore tant il y en a.

Les avis d'Ellettres, d'Ys et d'Hélène.

Folio. 684 pages.
Traduit par Anne Damour.
2013 pour l'édition originale.

pavc3a92018moyred

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13 août 2018

Les Filles au lion - Jessie Burton

burton" Quasiment tous les Anglais, y compris les plus instruits, croyaient que nous avions plus de points communs avec les Soudanais qu’avec eux. Mais que connaissais-je du Sahara, des chameaux ou des Bédouins ? Pendant toute mon enfance, mon idéal de beauté et de glamour avait été la princesse Margaret. "

Odelle Bastien, installée à Londres depuis cinq ans, obtient un poste de secrétaire dans une grande galerie d'art. Pour cette jeune femme noire venue des Caraïbes, ce poste est inespéré dans l'Angleterre des années 1960. Peu après, elle rencontre Lawrie Scott, un jeune homme dont la mère vient de mourir en lui léguant uniquement un tableau étrange. Lorsque Lawrie montre cette oeuvre aux employeurs d'Odelle, ceux-ci sont stupéfaits : il pourrait s'agir de l'oeuvre d'un peintre de Malaga disparu pendant la guerre civile espagnole.
Nous remontons alors le temps jusqu'en 1936 pour rencontrer Olive Schloss, installée dans le sud de l'Espagne avec son père Harold et sa mère Sarah. Alors que les tensions sont à leur comble entre l'extrême-droite et les communistes, Harold Schloss, qui est marchand d'art, pense avoir découvert en son voisin un artiste hors du commun.

Lorsque l'on passe du temps sur la blogosphère, il est impossible de ne pas avoir entendu parler de Jessie Burton, dont le premier roman, Miniaturiste, a connu un succès énorme.
J'ai rapidement été captivée par cette histoire ressemblant à une sorte de chasse au trésor et alternant les époques et les lieux. Indéniablement, Jessie Burton a le sens du suspens. Chaque partie s'achève sur une révélation donnant une furieuse envie de connaître la suite de l'histoire. Les secrets de famille, les tableaux oubliés, les amours contrariés et surtout les intrigues que l'on pense cerner mais qui se révèlent bien plus tordues au dernier moment, j'adore ça. 
J'ai rapidement trouvé la construction des Filles au lion moins solide que des livres comme ceux de Marisha Pessl ou Confiteor de Jaume Cabré (je serais curieuse de savoir si Jessie Burton l'a lu) et j'avais deviné la principale supercherie dès le tout début du roman, mais l'enquête menée par Odelle est prenante, Marjorie Quick fascine et Lawrie ne manque pas non plus d'intérêt. Côté espagnol, on est aussi touché par Olive et Teresa, qui essaient de faire reconnaître leurs qualités dans un monde d'hommes. A défaut d'être particulièrement charismatiques et complexes, les personnages de Jessie Burton sont sympathiques.
Les descriptions des tableaux stimulent fortement notre imagination et nous amènent à nous interroger sur le sens de l'art, la nécessité ou non de connaître l'intention de l'artiste et également sur le sort des oeuvres lors des conflits.

" Peu importe la vérité, ce que les gens croient devient la vérité. "

Pourtant, je suis un peu déçue, et ma lecture est devenue pénible dans les cent dernières pages. Les coïncidences, déjà nombreuses jusque là, s'enchaînent et ne surprennent pas le lecteur parce que Jessie Burton s'est montrée habile mais au contraire parce qu'elle cède à toutes les facilités. J'ai aussi regretté que certaines pistes intéressantes soient à peine explorées, comme le talent d'écrivain d'Odelle.

Une lecture d'été agréable, mais une intrigue cousue de gros fils qui gâche la dernière partie du roman.

Je remercie Folio pour cette lecture.

D'autres avis chez Hélène et Maggie.

Folio. 513 pages.
Traduit par Jean Esch.
2016 pour l'édition originale.

11 août 2018

Dolores Claiborne - Stephen King

dolores-claiborne-de-stephen-king" Elle m’a bien eue, et vous savez ce qu’on dit : tu me roules une fois, honte à toi, tu me roules deux fois, honte à moi. "

Alors que Vera Donovan, riche propriétaire d'une demeure sur l'île de Little Tall dans le Maine, vient de mourir, Dolores Claiborne, son employée, est accusée de l'avoir assassinée. Interrogée, cette femme de soixante-cinq ans décide alors de se confier. Elle leur dit tout aux policiers qui l'interrogent, à commencer par le meurtre de son mari trente ans plus tôt. Mais, elle le jure, elle est innocente des accusations portées contre elle concernant le décès de sa patronne.

Dolores Claiborne n'est pas un roman de genre, ce n'est même pas réellement une enquête policière. Il s'agit d'un long monologue. Si Dolores interpelle régulièrement et avec impertinence les trois personnes qui l'entourent, deux policiers et une secrétaire, ils n'interviennent jamais. Cela peut sembler curieux et beaucoup d'auteurs se seraient cassé les dents avec ce type de roman, mais j'ai déjà remarqué que Stephen King était un formidable conteur et ce livre en est un bel exemple.
C'est avant tout l'histoire de sa famille que Dolores Claiborne raconte. On découvre d'abord une femme mariée trop jeune à un homme violent, intolérant et bien plus encore. Malgré cela, Dolores élève ses enfants et n'hésite pas à tenir tête à son mari. Elle s'exprime franchement, parfois de façon vulgaire et sans langue de bois. Dès les premières pages, on apprend que la mort de Joe Saint-George n'était pas accidentelle, que sa femme l'a bel et bien liquidé trente ans plus tôt. S'il est facile de supposer que les violences conjugales et l'alcoolisme sont les motifs de ce meurtre, nous devrons attendre que le récit arrive au jour de l'éclipse en 1963 pour en avoir la confirmation.
Avec sa patronne aussi Dolores a connu une histoire chaotique. Vera n'est pas une personne agréable et la confrontation entre ces deux femmes de poigne a fait des étincelles durant des décennies. Cette relation est parfois malsaine, puisque soumise aux changements d'humeur de Vera notamment, mais il s'agit d'une forme d'amitié. Sans doute parce qu'elle lui tient tête, l'impitoyable Vera se laisse aller avec Dolores. Tout ou presque entre elles repose sur des non-dits, des phrases prononcées l'air de rien, et pourtant... j'étais déjà fascinée par cette relation, mais la fin du roman lui donne une autre profondeur et laisse le lecteur interloqué.

Si je ne pense pas pouvoir lire un jour les romans d'épouvante de Stephen King, je réalise qu'il est un auteur bien plus complet et touche à tout que ce que je pouvais imaginer. Pas de surnaturel ici, simplement des moments d'angoisse et de terreur provoqués par les drames auxquels les personnages ont été confrontés. C'est bouleversant.

Encore une belle version audio des éditions Thélème, mais j'ai regretté que la voix de la lectrice soit aussi jeune pour un personnage de soixante-cinq ans.

Un autre avis ici.

Thélème. 8h24.
Lu par Elodie Huber.

Traduit par Dominique Dill.
1992 pour l'édition originale.

6 août 2018

L'Echelle de Jacob - Ludmila Oulitskaïa

oulitskaia« Mon nom est Nora. C’est ta mère qui l’a choisi. Tu as lu Ibsen ? »

Moscou, 1975. Alors que Nora vient de mettre au monde son fils, elle reçoit un appel de son père, lui annonçant la mort de sa grand-mère Maria (Maroussia). L'enterrement doit être organisé rapidement et la responsable de l'immeuble communautaire dans lequel vivait la défunte ne donne que quelques heures à Nora et Heinrich pour vider les lieux. Nora choisit donc de garder les livres de Maroussia et s'empare également d'une malle contenant les lettres échangées par sa grand-mère et son grand-père, qu'elle n'a jamais connu. Pourquoi Maria a-t-elle expressément demandé à ne pas être enterrée auprès de son époux ? Pourquoi Jacob Ossetski a-t-il été rejeté par sa famille ? En remontant au début du XXe siècle et en suivant tour à tour Nora, ses parents, ses grands-parents mais aussi son fils, nous découvrons avec l'auteur l'histoire d'une famille depuis la Russie tsariste jusqu'au début des années Poutine.

J'ai découvert Ludmila Oulitskaïa en début d'années avec Sonietchka, qui m'avait beaucoup plu, mais la froideur du style me faisait craindre de ne pas réussir à apprécier un livre de six cents pages écrit avec le même détachement. En fin de compte, je suis restée plutôt à l'écart des personnages certes, mais les seuls passages qui m'ont ennuyée sont les lettres de Jacob à sa femme. L'auteur n'est pas complètement responsable puisqu'il s'agit au moins en partie de documents authentiques. En effet, Ludmila Oulitskaïa nous raconte dans ce livre l'histoire (romancée) de ses propres grands-parents.
La Grande Histoire est indissociable des joies et des drames qui ont accompagné ces quatre générations d'Ossetski. Tout d'abord, ils sont juifs. Les pogroms, comme ceux de 1919 à Kiev, emportent plusieurs de leurs membres. Être juif signifie ne pas avoir accès aux études comme les autres, être sur la liste des boucs-émissaires, être comme marqué d'un sceau spécial, même lorsque les pratiques religieuses et communautaires sont devenues limitées ou inexistantes. Ensuite, si Maria vient d'une famille modeste, celle de Jacob est aisée, du moins jusqu'à la révolution de 1917 où l'entreprise familiale est nationalisée. Les personnages s'en sortent plutôt bien, les rationnements et la rareté des produits ne les empêchent pas de manger à leur faim, ils ont un toit et se débrouillent toujours pour travailler. Cependant, Jacob passera de nombreuses années en exil et cette famille d'artistes voit à plusieurs reprises son travail censuré. Indirectement, nous assistons également à des purges qui mèneront à des exécutions.
L'Echelle de Jacob, c'est aussi l'histoire d'une famille aussi dérangée que les autres. Lorsque Jacob et Maroussia se rencontrent, c'est le coup de foudre. Bien que passionnés l'un par l'autre, les années de séparation et leurs dissensions politiques (Maria est une communiste convaincue) finissent par briser leur couple.

« il y a une limite à ce qui est agréable. Ensuite, c’est horriblement désagréable. Au début, c’est très très agréable, mais quand c'est très très, on passe du paradis à l'enfer. »

Les unions sont rarement heureuses ou conventionnelles ici. Heinrich, le fils de Jacob et Maria, épouse une femme qui ne l'aime pas et qui le quitte pour un grand amour digne d'adolescents mielleux. Quant à Nora, sa vie sentimentale se partage entre un mari inadapté au monde (très beau personnage) et un metteur en scène avec lequel elle vivra plusieurs décennies d'une relation aussi sincère que sporadique. C'est sans doute le prix à payer pour être des femmes fortes.

« Cette nuit, j’ai relu des récits de Tchekhov. Le pauvre, le pauvre ! Quelles expériences malheureuses il a eues, selon toute évidence, dans ses relations avec les femmes. Et comme cela s’est reflété dans ses récits. J’ai mis du temps à trouver le sommeil, parce que d’autres idées se bousculaient dans ma tête – des récits sur l’audace et la détermination des femmes, sur leur aptitude au sacrifice. Nekrassov est le seul à avoir décrit cela dans la littérature russe, quand il parle des femmes des décembristes. Même chez Tolstoï, il n’y a pas de personnage positif de femme moderne, il y a de charmantes jeunes filles, mais pas de vraies femmes, des femmes d’action. C’est bizarre, mais c’est Pouchkine qui a le mieux senti cela ! À une époque où l’éducation des filles n’existait tout simplement pas. Un minimum d’éducation religieuse, plus l’art de tenir une maison. Et avec ce minimum, la Tatiana d’Eugène Onéguine, une vraie personnalité ! Le sens de sa propre dignité. »

Je termine par ce qui m'a le plus plu, l'amour des livres et de l'art présent presque à chaque page. Oulitskaïa parle avec passion d'inombrables auteurs, russes pour la plupart. On sent tout ce que les livres ont apporté aux personnages et il est impossible de ne pas avoir envie d'y jeter aussi un oeil. Il y a bien quelques passages sur des essais scientifiques trop pointus pour l'allergique aux sciences dures que je suis, mais j'ai appris que Ludmila Oulitskaïa avait eu une carrière de biologiste avant d'écrire des romans, ce qui explique cet intérêt. Jacob rêvait d'écriture et de musique, Maroussia aurait dû être une actrice exceptionnelle, Nora est scénographe (les descriptions de ses dessins sont merveilleuses et m'ont fait découvrir un métier dont j'ignorais tout). Quant à Yourik, il est obsédé par les Beatles. Si une naissance finit par réconcilier les Ossetski avec leur passé, c'est aussi cette passion de l'art qui les lie quoi qu'il arrive.

Un roman foisonnant, souvent addictif, qui m'a donné envie de lire aussi bien des auteurs russes que des témoignages sur la période soviétique.

Gallimard. 619 pages.
Traduit par Sophie Benech.
2015 pour l'édition originale.

pavé

4 août 2018

The Travelling Cat Chronicles (Mémoires d'un chat) - Hiro Arikawa

catQuoi ? Si c’est vrai que nous, les chats, on peut voir les esprits ? Eh bien, figurez-vous… qu’il y a certaines choses qu’il vaut mieux laisser sans explication. Un peu de mystère, ça fait pas de mal dans la vie, non ?

Un chat errant, renversé par une voiture, est recueilli par Satoru Miyawaki, un jeune homme de vingt-cinq ans. Celui-ci finit par l'adopter et le nomme "Nana", "sept" en japonais. Nana n'aime pas beaucoup ce prénom, trop féminin à son goût, mais il abandonne volontiers la rue pour vivre avec son nouvel ami.
Cinq ans plus tard, Satoru ne peut plus garder Nana, et se met en quête d'un nouveau maître pour lui. Il contacte alors ses anciens amis, et leur rend visite avec son chat afin de vérifier qu'il pourra s'épanouir chez eux.

Lorsque j'ai découvert l'existence de ce livre, je n'ai lu que des extraits mettant en scène Nana. De ce fait, je pensais lire un texte très léger. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce livre m'a bouleversée durablement, ce n'est pas un grand roman, mais il en dit beaucoup sur les liens pouvant attacher un animal à son maître ainsi que sur les relations humaines.
La forme du livre est à mi-chemin entre le roman et un recueil de nouvelles qui aurait toujours les mêmes personnages principaux, Satoru et Nana. Seules les dernières parties permettent de relier entre eux les autres textes. Il y a peu d'action, et la dernière étape du voyage de Nana et Satoru est même plutôt contemplative, mais j'ai effectué cette lecture presque d'une traite.
Bien entendu, si vous n'êtes pas ce que Nana appelle un amoureux des chats, vous ne serez pas autant touché que moi par ce livre. Hiro Arikawa décrit toutes les manies et bizarreries que peuvent avoir les chats et se moque avec tendresse de leur indépendance, de leur possessivité et de leur fierté.

" Rester jusqu’à ce que je sois rétabli, oui, évidemment, mais après… ciao bye-bye ! Enfin, peut-être pas exactement. Disons qu’il me semblait que je devais partir. Partir avant de me faire mettre à la porte, question d’amour-propre. Rester toujours droit dans ses bottes, c'est important pour un chat. "

Si Nana et les autres animaux que nous croisons nous permettent de rire et de mieux comprendre certaines réactions des humains (comme ce garçon qui a toujours pensé que sa femme lui aurait peut-être préféré Satoru si celui-ci s'était déclaré), ce roman est également un beau livre sur les amitiés enfantines.
En cherchant un nouveau propriétaire pour son chat, Satoru remonte le fil de sa vie et chacun de ses amis fait également ressurgir ses propres souvenirs. Si peu de mots sont échangés entre eux, leurs pensées sont nombreuses et l'on s'attache à tous ces personnages. Je ne peux pas vous en dire trop, car l'intérêt du lecteur est maintenu par les différentes surprises qui parsèment le livre, mais j'ai terminé ce roman avec la gorge nouée. Comme Aki Shimazaki, Hiro Arikawa ne fait pas de grandes phrases, mais cela ne l'empêche pas plus de faire des descriptions superbes des paysages d'Hokkaido que de nous faire ressentir l'amour qui unit Nana et Satoru.

Un roman au style léger mais émouvant et attachant pour ceux qui aiment les animaux. Je l'ai lu en anglais car on me l'a offert dans cette langue, mais il est traduit du japonais et disponible en français chez Actes Sud.

Penguin. 246 pages.
Traduit par Philip Gabriel.
2015 pour l'édition originale.

28 juillet 2018

Le Joueur - Fédor Dostoïevski

joueur" Vous êtes courageux ! vous êtes très courageux ! me dirent-ils, mais partez demain matin, sans faute, aussitôt que vous pourrez, sinon, vous allez tout reperdre, tout... "

Alexei Ivanovitch, un précepteur de vingt-cinq ans, se rend à Roulettenbourg avec la famille du général pour lequel il travaille. Ruiné, ce dernier attend avec impatience le message qui lui apprendra la mort d'une vieille tante. Si Alexei Ivanovitch n'éprouve pas la moindre compassion pour son employeur, il est en revanche fou amoureux de Polina, la belle-fille du général. Bien qu'elle refuse de se confier, il devient vite évident quela jeune fille est dans une situation délicate et qu'elle a un besoin d'argent pressant. Pour l'aider, Alexei Ivanovitch commence à jouer à la roulette.

Je n'ai pas tout aimé dans ce livre. Malgré ses deux cents pages, j'ai été tour à tour captivée et franchement ennuyée. Malgré tout, c'est un texte extrêmement intéressant.
Ce qui frappe d'abord, c'est la modernité du style. Notre héros a beau avoir des airs bien de son époque, frappé par le spleen qui touche les héros romantiques, j'ai eu du mal à ne pas rapprocher son histoire de celles vécues par les héros de Schnitzler et de Zweig. Pas de narrateur omniscient ici, l'histoire est racontée avec fébrilité par Alexei Ivanovitch, qui couche ses émotions sur le papier durant près de deux ans. Nous pénétrons brutalement dans ses pensées, obscures, dès le début du livre, ce qui me paraît très peu commun pour un livre du XIXe siècle. La psychologie du personnage occupe une telle place dans ce roman que je n'ai pas été surprise d'apprendre que Freud l'avait étudié de près. On sent le personnage principal instable, inconséquent. Ses émotions sont exacerbées et malgré sa clairvoyance il laisse les autres le manipuler à leur guise.
Si vous cherchez des personnages attachants, passez votre chemin. Le général, Alexei Ivanovitch, Des Grieux, Mademoiselle Blanche, Polina, tous sont intéressés, égoïstes, méprisants et méprisables. La seule qui se détache un peu du lot et qui apporte de la légèreté est la vieille tante qui refuse de mourir et à laquelle on permet tout en raison de son âge et de son argent. On trouve dans ce livre toute la haine que l'auteur éprouvait pour les Allemands, les Français, même si les Russes sont loin d'être épargnés à travers leurs représentants.
Il semblerait que ce livre soit partiellement autobiographique puisque Dostoïevski était joueur, et qu'une fois sa passion du jeu vaincue, il l'a remplacée par une dévotion religieuse extrême. J'ai toujours trouvé les casinos sordides, mais l'auteur nous décrit si bien la fièvre qui s'empare du joueur, qu'il ait gagné ou qu'il soit au bord de la ruine, que l'on est comme hypnotisé par le jeu décrit.

Dostoïevski continue à me surprendre et à me bousculer, et je dois dire que j'aime plutôt ça.

Babel. 233 pages.
Traduit par André Markowicz.
1866 pour l'édition originale.

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