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lilly et ses livres
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11 décembre 2010

Composition française : retour sur une enfance bretonne

9782070437887FSFolio ; 269 pages.
2009
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Mona Ozouf est une historienne que je connaissais (vaguement) pour ses travaux sur l'histoire de l'éducation en France. Dans Composition française : Retour sur une enfance bretonne, elle adopte une position plutôt originale, puisqu'elle reconsidère "l'austère commandement qui invite les historiens à s'absenter, autant que faire se peut, de l'histoire qu'ils écrivent", et se met en scène pour décrire "la tension entre l'universel et le particulier, si caractéristique de notre vie nationale".

Elle naît en Bretagne, d'un père instituteur combattant pour la cause bretonne, qui disparaît très vite, et d'une mère elle aussi enseignante, qui sera épaulée par la grand-mère de Mona Ozouf après le décès de son époux. La famille de Mona Ozouf est alors déjà tiraillée entre diverses attaches, à l'égard de la Bretagne, de la laïcité et de la France, même si à première vue les trois semblent incompatibles. Ainsi, la jeune fille dévore les livres de la bibliothèque de son père, explorant ainsi le patrimoine breton, sa langue, ses écrivains. Le seul contrôle mis en place par sa mère sont les chiffres tracés au crayon sur la page de garde indiquant l'âge auquel elle autorise sa fille à lire les ouvrages à sa disposition. "J'avais bien sûr fait mon profit de cette découverte en procédant tout à rebours. Je commençais par les gros chiffres, en ignorant tranquillement la consigne implicite."

Elle est inscrite dans une école laïque, et est punie pour cela lorsqu'elle se rend au catéchisme, par une obligation de s'asseoir derrière les "filles des Sœurs", malgré son statut de bonne élève : "entre les deux groupes, jamais un mot ne s'échange, aucune amitié ne se noue. Quand, au retour de l'église, je rapporte à ma mère ce qui est à mes yeux un mode de classement bizarre, habituée à celui de l'école, que le mérite justifie, elle me raconte que dans son enfance léonarde, c'était tout autre chose : l'heure du catéchisme était fixée de telle manière que les filles de la laïque ne pouvaient y arriver qu'en retard"

Plus tard, Mona Ozouf se rend à Paris, où elle étudie, et adhère notamment aux idées communistes. Enfin, adhère... "Devant les non-convaincues il nous fallait sans relâche justifier ce dont nous avions bien du mal à nous convaincre nous-mêmes."

C'est dans la dernière partie (qui est de loin celle que j'ai préférée) qu'elle évoque finalement comment elle conçoit son identité, en reprenant sa casquette d'historienne. Ainsi, elle remonte jusqu'à la Révolution, et à la décision étrange de substituer et non d'associer l'universel au particulier, de faire une Assemblée nationale "une et indivisible" qui triomphe sur "les cahiers de doléances, tout bourdonnants au contraire de revendications locales ; elle n'est pas davantage dans les statuts des députés". Une terreur de la diversité s'impose alors. "On croit y percevoir une contestation sournoise de l'unité et de l'indivisibilité de la patrie : un fédéralisme déguisé". Ce sujet m'intéresse particulièrement, parce que j'ai étudié il y a plusieurs années la question des minorités, et j'avais pu constater à quel point la France est susceptible sur ce point. Elle a ainsi refusé de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Dans son essai, Mona Ozouf parle de la langue bretonne, qui est réduite au statut de langue parlée uniquement dans un cadre privé. Or, c'est l'un des éléments les plus constitutifs d'une identité, avec la religion. Les régions longtemps opprimées ont souvent tenu à les conserver, afin de se distinguer de ceux qu'ils considéraient comme des occupants, ainsi que l'on peut l'observer dans diverses régions ou pays ne serait-ce qu'en Europe.

Malgré sa répugnance historique à considérer le particulier, la France n'a pu empêcher sa subsistance (et heureusement). Mona Ozouf cite ainsi Benjamin Constant pour montrer l'aspect étrange d'un pays des droits de l'homme courant exclusivement après l'universel. "Je découvrais donc que les résistances à une république jacobine étaient apparues à l'intérieur même du projet républicain. Il y avait eu en France, dès l'origine, des hommes attachés à une république autre, plus accueillante aux dissidences et aux particularismes." Elle est convaincue qu'il existe de multiples possibilités pour accorder les deux positions, que le choix ne se fait pas entre l'universel et le particulier, et qu'il est souhaitable de les exploiter pour permettre aux individus de se réaliser. S'il existe des valeurs universelles à poursuivre, celles-ci doivent également s'inscrire dans une histoire afin d'être assimilées. Dès le début, pour évoquer son père, Mona Ozouf évoque son caractère plein de contradictions, de complexité, comme l'est tout individu. Cette idée de composition est applicable au reste.   

Un livre que j'ai donc apprécié, et dont l'actualité est criante si l'on considère certains débats, malgré quelques passages trop longs dans le récit de la vie de Mona Ozouf. Merci à Lise pour l'envoi.

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8 janvier 2010

Une Chambre à soi ; Virginia Woolf

woolf10/18 ; 171 pages.
Traduit par Clara Malraux. 1929
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Il y a quelques années, j'ai eu à effectuer une présentation sur l'historiographie des femmes. Les titres sur lesquels j'ai alors travaillé étaient éloquents : Les femmes ou les silences de l'Histoire, Des femmes sans Histoire ?, etc. Il en ressortait que non seulement, les femmes, parce qu'elles étaient rarement en première ligne de l'Histoire événementielle (je sens qu'Erzébeth est absolument ravie à l'heure actuelle), avaient très longtemps été ignorées par la majorité des historiens (souvent des hommes...), mais qu'elles-mêmes s'étaient mises en marge de cette Histoire. On se plaint que Jane Austen ait brûlé ses lettres, mais il s'agit d'une pratique qui était alors ordinaire.

La démarche de Virginia Woolf dans Une Chambre à soi, qui se propose d'étudier "Les femmes et le roman", s'inscrit dans les débats qui ont amené les intellectuels à requestionner la place des femmes dans la société. Bien entendu, Virginia Woolf n'en est pas encore à pouvoir étudier les deux sexes de manière apaisée. Avant cela, il faut d'abord affirmer la présence des femmes dans les sujets qu'elle étudie. Mais son analyse fait preuve d'une clairvoyance rare. Elle prend avec ironie les commentaires qui émanent des hommes les plus cyniques à l'égard des capacités intellectuelles des femmes, tout en rejetant absolument la tentation de céder à une colère tout aussi stérile envers les représentants de l'autre sexe.

A l'origine, Virginia Woolf a écrit ce texte pour une conférence donnée devant des étudiantes. On pourrait s'attendre à un long texte sérieux et plein de détails que l'on aura tôt fait d'oublier avec tout autre auteur, mais Virginia Woolf ne peut s'empêcher de croire en la puissance de la fiction, ce qui donne lieu à un texte écrit comme un roman, avec un personnage qui déambule dans un Oxbridge plus ou moins imaginaire au milieu de l'automne, à la fois drôle, ponctué d'exemples marquants (comment oublier la soeur de Shakespeare, dotée "d'un coeur de poète", et qui "se tua par une nuit d'hiver et repose à quelque croisement où les omnibus s'arrêtent à présent, devant l'Elephant and Castle" ?) et qui pose de multiples questions.

"Ce que l'on attendait de moi était-ce seulement des hommages à des écrivains femmes illustres, Jane Austen, les soeurs Brontë, George Eliot ? A y regarder de plus près, cette association "femme" et "roman" me parut moins simple."

Elle met à jour un paradoxe incontestable. Si les femmes envahissent les oeuvres littéraires, captivent les poètes, la réalité les a rejetées dans l'ombre. "En imagination, elle est de la plus haute importance, en pratique, elle est complètement insignifiante." " Avez-vous quelque idées du nombre de livres consacrés aux femmes dans le courant d'une année ? Avez-vous quelque idée du nombre de ces livres qui sont produits par des hommes ? Savez-vous que vous êtes peut-être de tous les animaux de la création celui dont on discute le plus ?" Ce qui apparaît très vite est la nécessité de savoir dans quelles conditions une femme peut écrire un roman. Outre les "cinq cent livres de rente annuels" et une "chambre à soi", Virginia Woolf remonte dans le temps afin de nous expliquer pourquoi il existe si peu de femmes déclarées romancières (bien qu'elle veuille croire que beaucoup d'histoires anonymes sont le fait de femmes, après tout Curer Bell, George Eliot et d'autres étaient bien des femmes).
Elle s'exprime longuement sur les sources employées qui évoquent les membres de son sexe, écrites presque exclusivement par des hommes davantage préoccupés à étudier les rapports des femmes avec les hommes que les femmes entre elles.

"Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme deux fois plus grande que nature."

Finalement, les femmes ont commencé à produire, provoquant une colère ressentie également par les deux sexes.
Virginia Woolf est convaincue que les femmes ont leur place dans le domaine écrit, parce qu'elles ont un angle de vue différent. Les centres d'intérêts varient selon les sexes, mais elle souhaiterait que tous puissent être exprimés dans les textes, sans que les femmes se sentent honteuses suite à des plaisanteries de la part de la gent masculine. Virginia Woolf sent que les choses changent, malgré des hésitations fâcheuses de part et d'autre. Elle explique ainsi l'apparition d'une littérature sexuée selon elle au XIXe, citant Galsworthy, qui tente de s'affirmer contre la montée des femmes dans le domaine des lettres par une écriture qui n'exprime que le "côté mâle de l'auteur".
Par ailleurs, même l'apparition du deuxième sexe dans le roman ne la satisfait pas totalement. Elle pense que si les femmes ont privilégié le roman à d'autres types d'écrits, c'est encore une fois parce qu'il s'agissait de la forme la plus conforme à leur mode de vie. Pour Virginia Woolf, Jane Austen, dérangée en permanence dans son processus d'écriture, a choisi le roman au moins partiellement par nécessité. Virginia Woolf évoque également d'autres figures qui la passionnent, elle ne peut s'empêcher d'avoir des regrets.

"Emily Brontë aurait dû écrire des pièces de théâtre poétiques ; la surabondance du vaste esprit de George Eliot aurait dû se répandre, une fois l'inspiration créatrice épuisée, sur l'histoire et la biographie."

Au-delà de la question du rapport entre la femme et le roman, il s'agit donc de mettre en évidence des phénomènes bien plus généraux. D'ailleurs, en ce qui concerne la question financière, Virginia Woolf ne pense pas que seules les femmes sont défavorisées.

"Nous pouvons discourir sur la démocratie, mais à l'heure actuelle, un enfant pauvre en Angleterre n'a guère plus d'espoir que n'en avait le fils d'un esclave à Athènes de parvenir à une émancipation qui lui permette de connaître cette liberté intellectuelle qui est à l'origine des grandes oeuvres."

Je ne partage pas la totalité des opinions de Virginia Woolf dans cet essai, mais elle les expose admirablement bien. Elle nous fait découvrir des destins inconnus, parfois fictifs, mais toujours très éclairants. 

D'autres avis sur Biblioblog et chez Violaine.

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5 juillet 2009

L'Art du roman ; Virginia Woolf

woolfPoints ; 231 pages.
Traduit par Rose Celli. Préface de Agnès Desarthe.

« Poète dans ses romans », Virginia Woolf « est rarement aussi romancière que dans ses essais ». Pour cette raison, et aussi parce que Virginia Woolf est chère à mon cœur, et a donc droit à un traitement particulier, je vais évoquer une collection d’articles relatifs à la littérature sur mon blog.

En effet, L’art du roman n’est pas un véritable essai. Les textes qu’il rassemble ont été assemblés en 1961, soit vingt ans après la mort de l’auteur. L’ordre est d’ailleurs essentiellement chronologique, et les thèmes abordés, comme le note Agnès Desarthe dans sa préface, ne sont pas forcément toujours très proches les uns des autres.

En ce qui me concerne, ma lecture n’a pas du tout été gênée par ces choix qui auraient pu se révéler un peu instables. Au contraire, cela permet d'offrir un livre décomplexé de tout ton un peu pédant, et de laisser l’esprit du lecteur suivre celui de Virginia Woolf, qui elle-même, tout en gardant une réflexion très pertinente, ne prend personne de haut et ne vise qu’un seul objectif, servir la littérature.

 

Virginia Woolf adopte donc plusieurs casquettes dans cet opus. Elle est romancière bien sûr (autant dans sa façon d'écrire que dans ses préoccupations), mais aussi critique, éditrice, et surtout lectrice et femme. Elle évoque ses vues sur le roman moderne (enfin, celui de son époque), mais aussi sur la façon dont il doit évoluer. Elle témoigne ainsi des questionnements auxquels le monde littéraire est en proie au début du 20e siècle. L’influence de la psychanalyse, de la découverte de soi, que l’on note également en France à la même époque, transparaît. Elle ne rejette pas les auteurs du passé, et en admire même beaucoup, mais elle œuvre, pour que la Littérature prenne de nouveaux chemins. La personnalité de Virginia Woolf imprègne d’ailleurs le papier dans ce discours, ce qui m’a beaucoup intéressée, et parfois fait sourire. Elle est extrêmement exigeante en ce qui concerne la façon dont elle juge les écrivains de son époque, et ne se met surtout pas en avant. On la sent même très modeste, et très peu sûre d’elle. Quand on sait qu’elle était juste l’un des plus grands auteurs de son époque, c’est assez amusant.

Même si je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’elle dit, son amour de la littérature est tellement grand qu’on ne peut que le respecter. Elle fait moult références à la littérature que j’aime. Jane Austen, Laurence Sterne, Walter Scott, Thackeray, Stevenson, E.M. Forster, Emily Brontë, les auteurs russes, et d’autres interviennent pour illustrer ses propos. Elle est sincère, j’aime particulièrement quand elle dit de certains auteurs qu’ils savent très bien l’ennuyer, mais qu’ils sont admirables quand même. Au besoin, elle crée même de nouveaux personnages pour illustrer son propos, comme Mr Bennett et Mrs Brown, que je n’oublierai pas de sitôt. Je ne suis pas complètement d'accord à propos de son avis sur Dickens (qu'elle apprécie beaucoup, pas de panique), mais je trouve ces quelques mots très justes :

 

" [...] une grande partie de notre plaisir en lisant Dickens réside dans cette impression que nous avons de jouer avec des êtres deux fois ou dix fois plus grands que nature, qui gardent juste assez de ressemblance humaine pour que nous puissions rapporter leurs sentiments, non à nous-mêmes mais à ces figures étranges aperçues par hasard à travers la porte entrouverte d'un bar, ou flânant sur les quais, ou se glissant mystérieusement le long des petites allées entre Holborn et les Law Courts. Nous pénétrons d'emblée dans le climat de l'exagération."

 

Les questions qu'elle soulève sont très intéressantes, comme celle de la traduction, du réalisme, du style, de la place du roman, de la poésie, des femmes, et sont pour la plupart toujours plus ou moins d'actualité aujourd'hui. Par exemple, avec son mari, ils ont traduit beaucoup d’auteurs russes, et Woolf les appréciait particulièrement. Elle note que les spécialistes ne parlent souvent pas un mot de cette langue, et s’interroge sur leur crédibilité (certes, j'ose croire qu'aujourd'hui les spécialistes lisent leurs auteurs de prédilection en version originale, mais les débats sur les traductions sont loin d'être clos).
Car à travers ces remarques sur la Littérature, on sent une femme parfaitement consciente des changements, des enjeux du monde d’après 1914, qui a été complètement ébranlé dans ses certitudes. Elle prend cependant la modernité avec beaucoup d’humour, sans défaitisme, et semble même pleine d’espoir dans le dernier texte, écrit seulement un an avant qu’elle ne se donne la mort. Elle appelle tous les lecteurs du monde à contribuer à faire vivre la Littérature, considère la lecture comme une pratique sans règles, à part celle justement de ne pas tenir compte de règles, et voit en son art un élément transcendant, quelque chose qui vaut vraiment qu'on lui consacre sa peine, qui a besoin de nous :

 

« Chacun de nous a un appétit qui doit trouver tout seul l’aliment qui lui convient. Et ne restons pas, par timidité, à l’écart des rois parce que nous sommes des roturiers. Ce serait un crime aux yeux d’Eschyle, de Shakespeare, de Virgile, de Dante, qui s’ils pouvaient parler (et ils le peuvent) diraient : « Ne me laisse pas aux gens en robe et en toque. Lis-moi, lis-moi toi-même ! » Peu leur importe que nous placions mal l’accent ou que nous lisions avec une traduction à côté de nous. Bien sûr, ne sommes-nous pas des roturiers, des amateurs ? nous allons piétiner beaucoup de fleurs, abîmer beaucoup d’antique gazon. Mais rappelons-nous un conseil qu’un éminent Victorien, qui était aussi amateur de marche à pied, donnait aux promeneurs : « Chaque fois que vous voyez un écriteau avec ‘Défense de passer’, passez tout de suite. »

Passons tout de suite. La littérature n’est pas propriété privée ; la littérature est domaine public. Elle n’est pas partagée entre nations ; là il n’y a pas de guerre. Passons sans crainte et trouvons notre chemin tout seuls. C’est ainsi que la littérature anglaise survivra à cette guerre et franchira l’abîme : si les roturiers et les amateurs comme nous font de ce pays notre propre pays, si nous nous apprenons à nous-mêmes à lire et à écrire, à conserver et à créer. »

Il y aurait bien plus à dire et à développer sur ce livre, et je vais moi-même élaborer des fiches plus détaillées très vite. J'espère ne pas avoir fait de raccourcis fâcheux. Comme je sais que plusieurs projettent de lire cet ouvrage, ou sont en train de le faire, j'espère qu'elles me corrigerons au besoin.
Quant à moi, je vous parle très bientôt d'un roman de Virginia Woolf qui fait mon bonheur depuis hier, Les Années.

George Sand et moi évoque elle aussi L'art du roman.

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