Les mains du miracle - Joseph Kessel
C'est une curieuse histoire que nous raconte Joseph Kessel dans Les mains du miracle. Je connaissais les actions étonnantes et culottées du frère d'Hermann Goëring mais j'ignorais tout du docteur Felix Kersten, le médecin d'Heinrich Himmler.
Sinistre figure du régime nazi dont il était le numéro deux, Heinrich Himmler est surtout connu pour sa responsabilité dans la mort de dizaines de millions de personnes durant la Seconde Guerre mondiale. Fasciné par son Führer, séduit par l'idée d'une race aryenne dominant le monde et raciste jusqu'à la moelle, rien ne pouvait a priori le détourner de ses activités meurtrières. Pourtant, Himmler a, à plusieurs reprises durant les années de guerre, renoncé à des éliminations et déportations massives. Derrière ces actions, il ne faut pas voir l'oeuvre du repentir, mais celle d'un homme, le docteur Felix Kersten.
Appelé auprès du Reichsführer en 1938, celui-ci lui avoue souffrir de douleurs terribles. Kersten, médecin spécialisé dans les massages thérapeutiques, est le seul qui parvient à lui apporter du soulagement malgré sa haine du nazisme. Devenu le confident et le seul ami d'Himmler, il use alors de son influence pour sauver des milliers de vies.
Joseph Kessel est un ancien résistant et spectateur du procès de Nuremberg. Lorsqu'il entend pour la première fois l'histoire de Felix Kersten, il se montre sceptique. Ce sont les documents et les témoignages recensant les actions du médecin pendant la Deuxième Guerre mondiale qui le convainquent que cet homme a bel et bien usé de son influence pour obtenir des faveurs d'Heinrich Himmler.
J'ai écouté ce livre avec intérêt, mais je dois avouer que cette première lecture de l'année est plutôt une déception. Tout d'abord, si l'histoire pourrait être passionnante, je trouve l'intérêt littéraire de cette œuvre limité. Le récit est monotone. Même lorsque Kersten se promène avec des documents qui lui vaudraient l'échafaud s'ils étaient découverts ou lorsqu'il échappe de peu à une tentative d'assassinat, le style reste plat et nous ne ressentons aucune tension.
Mais surtout, alors que l'auteur prend soin de ne pas succomber à un enthousiasme débordant dans les premières pages de son livre, Les mains du miracle est finalement une véritable hagiographie. Joseph Kessel ne cesse de répéter que son héros n'a agit que par bonté d'âme, faisant fi de tout danger. Cependant, les faits rapportés reposent presque exclusivement sur le témoignage du principal intéressé.
Le traitement même du personnage d'Himmler est curieux. Dans cette biographie romancée, nous approchons l'un des principaux bourreaux nazis. J'avais eu l'occasion de lire un livre sur les criminels cambodgiens dans lequel il était question de la distance mise par les hommes entre eux et les pires criminels, qualifiés de "monstres". Cela s'applique évidemment aux dignitaires nazis, dont personne n'admettrait une seconde qu'il pouvait s'agir d'hommes avec lesquels nous partageons (dans une certaine mesure) des sentiments, des ressentis et des attitudes. Joseph Kessel ne rend pas Himmler sympathique mais l'on se demande comment il aurait pu atteindre un tel grade dans le système nazi s'il était réellement comme le décrit Kersten. C'est un homme très seul, l'un des rares à ne pas s'enrichir grâce à sa position, et probablement aussi l'un des plus fanatiques. Mais, dans le livre, il est au mieux méprisable et ressemble à une véritable marionnette entre les mains de son médecin. Lorsque Kersten, découvrant la pendaison de l'un de ses amis (accusé d'avoir participé à l'attentat de 1944 contre Hitler), le gronde comme un enfant de cinq ans, on le sent tout penaud. Les chefs nazis en général apparaissent comme des hommes immatures, passant leur temps à se disputer la faveur de leur chef, à moitié fous et d'une bêtise confondante. A aucun moment Himmler ne semble soupçonner le moins du monde son médecin, qui pourtant lui dit ne pas partager ses opinions, de vouloir oeuvrer contre le régime nazi. Kessel a beau expliquer que le dignitaire nazi est trop imbu de lui-même et dépendant de Kersten pour envisager une telle trahison, une telle simplicité d'esprit me laisse sceptique.
Alors, Felix Kersten était-il un véritable héros dont les actions ont été éclipsée par celles du comte Bernadotte, ou bien ses actions ont-elles été bien plus limitées que Joseph Kessel le laisse entendre ? Nous n'aurons évidemment jamais la réponse à cette question. Dans tous les cas, il en a fait un personnage romanesque de peu d'intérêt.
L'avis d'Ysppaddaden (à qui le caractère hagiographique du livre n'a pas échappé non plus).
Ecoutez Lire. 9h20.
1960 pour l'édition originale.