La Fortune des Rougon ; Emile Zola
Je vous ai déjà parlé de mes rapports conflictuels avec Zola. Maintenant que nos relations sont au beau fixe, je n'ai plus peur de lui, et j'ai décidé de faire les choses correctement. Donc je vais lire tous les Rougon-Macquart, en essayant de le faire plus ou moins dans l'ordre.
On commence avec La Fortune des Rougon, qui ouvre la série.
Nous sommes à Plassans, en 1851. Deux jeunes enfants, Miette et Sylvère, s'aiment à travers un puits et au milieu d'un cimetière. Dans le même temps a lieu le coup d'Etat du futur Napoléon III, qui divise Plassans et ses environs comme il divise les Rougon et les Macquart (dont les affinités sont complètement opportunistes).
Ce tome, que j'ai aimé sans adorer (même si c'est Zola), met en place les bases du travail que l'auteur accomplira avec les vingt volumes que comporte la série. Il prévoit de montrer le pouvoir de l'hérédité à travers une famille ayant un ancêtre commun dont l'esprit est plus que tourmenté.
On se familiarise donc avec l'arbre généalogique familiale. Adélaïde Fouque épouse Rougon, avec qui elle a un fils, Pierre. Une fois veuve, elle devient la maîtresse passionnée du braconnier Macquart qui lui donne deux enfants illégitimes, Antoine et Ursule. C'est cette dernière qui crée la troisième branche en épousant Mouret. A partir de là, Zola tire plusieurs générations qui lui serviront pour alimenter la galerie des personnages de tout son cycle.
La Fortune des Rougon s'attarde surtout sur la première génération, celle des enfants d'Adélaïde. Pierre Rougon, épaulé par sa cupide épouse Félicité, vole à son frère et à sa soeur l'héritage des Fouque, et tente de se faire une place parmi les gens importants de Plassans. Il ne recule devant rien pour parvenir à ses fins, ne renonce jamais, vole, manipule, ment, sacrifie ses "amis", tout ça sans le moindre complexe. Antoine Macquart, paresseux et brusque, ne vaut guère mieux. Dégoûté par l'attitude de son frère, il se complaît dans la victimisation, et se repose sur son épouse et ses enfants pour traîner toute la journée.
Les deux frères se vouent une haine tenace, qui cause en fin de compte davantage de dégâts à Plassans que les troupes insurgées. Zola les dépeint avec un style vif, fin et plein d'ironie, mais ça ne m'a pas empêchée d'être régulièrement au bord de l'écoeurement en compagnie de ces deux hommes, qui sont en plus entourés de personnages tout aussi méprisables et ridicules.
D'autres aspects de ce roman m'ont moins convaincue. Le personnage de Sylvère, adolescent un peu nigaud est aussi bien construit que les autres, mais son histoire avec Miette ne m'a pas spécialement émue (entre La Faute de l'Abbé Mouret et La Fortune des Rougon, je crois que Zola devient vite lourd avec ses histoires d'amour s'étalant sur des dizaines de pages), et est assez mal rattachée au reste du livre. Seule la mort de la petite fille, enroûlée dans son drapeau, est bouleversante. Sylvère et Miette sont un peu des déchets pour les Rougon, qui voient dans leur innocence et leur gaucherie le risque de leur chute lorsqu'ils daignent tourner la tête vers eux.
La présentation de l'arbre généalogique n'est pas non plus ce qu'il y a de plus passionnant, mais je pense qu'un autre que Zola aurait pu faire bien pire. En tout cas, avec Gervaise déjà alcoolique, Aristide qui a dépassé son père en matière d'opportunisme (j'avoue, je me suis bien fait avoir), et la grand-mère qui perd la tête, ça promet de belles choses dans les romans à venir...
Malgré ses défauts, ce premier tome reste un livre brillant, servit par une plume incroyable. Je ne vous promets pas d'aller aussi vite que Cuné, mais je pense quand même vous parler de La Curée d'ici la fin de l'année.
D'autres avis chez Cuné, Béné, Kalistina, Cléanthe, Stephie, Dominique et Pimprenelle.
Ce billet me permet de poursuivre le Challenge nécrophile, dans les catégories "auteur mort dans des circonstances particulières" et "auteur enterré à Paris".
Folio ; 460 pages. 1871.