Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lilly et ses livres
Newsletter
Derniers commentaires
22 novembre 2023

Quand tu es parti - Maggie O'Farrell

20231122_121623b

Sur un coup de tête, Alice décide de quitter Londres pour voir sa famille qui vit toujours en Ecosse. A peine arrivée à Edimbourg cependant, ses soeurs qui sont venues l'accueillir, la voient remonter immédiatement dans un train vers son point de départ. Quelques heures plus tard, Alice est dans le coma après avoir été renversée par une voiture.

Je pensais sincèrement en avoir fini avec Maggie O'Farrell après mes deux dernières lectures de cette autrice. Mon vieux coup de coeur pour La Disparition d'Esme Lennox, la critique dithyrambique d'une bookstagrammeuse et le fait que le premier roman de l'autrice était présent dans ma bibliothèque depuis une quinzaine d'années (les lois de la PAL sont impénétrables...) m'ont cependant poussée à lui accorder une nouvelle chance.

Quand tu es parti est un roman imparfait. Il est parfois caricatural et j'ai ressenti des longueurs au milieu du livre. Pourtant, j'ai retrouvé ce qui m'avait tant séduite lors de ma première rencontre avec Maggie O'Farrell : de l'émotion. Alice, Ann, et même Elpeth, sont des femmes dont la vie et les relations n'ont pas toujours été évidentes. Leurs intérêts et leurs principes ne se rencontraient pas toujours de manière pacifique. Une mère et sa fille adolescente, une belle-mère et sa bru. Mais comme souvent dans les familles, le tourbillon de la vie les a forcées à se serrer les coudes et à tolérer ce qui semblait pourtant insupportable. 

La narration, brouillée, ne sert pas seulement ici à donner un semblant de rythme à un roman poussif comme c'est le cas dans Hamnet. Elle vise à montrer la complexité des choses et à exposer comment une femme a pu se retrouver au chevet de sa fille et ne pas s'inquiéter uniquement pour sa survie. Elle montre la fragilité du bonheur et la douleur du deuil (une thématique chère à l'autrice).

Bilan : deux déceptions et deux beaux moments d'émotion. Balle au centre.

10/18. 364 pages.
Traduit par Marianne Véron.
2000 pour l'édition originale.

Publicité
8 novembre 2023

Dans la mansarde - Marlen Haushofer

20231104_132722b

"J'ai un but précis mais je n'imagine pas ce que je ferais si je l'atteignais un jour. C'est peut-être une des raisons de mon absence de progression véritable. Je voudrais dessiner un oiseau qui ne serait pas le seul oiseau sur terre."

Une femme au foyer entre deux âges voit son quotidien bouleversé lorsqu'elle commence à recevoir les pages d'un journal qu'elle a tenu autrefois, après avoir été atteinte de surdité d'origine psychologique.

"La folie qui s'est emparée de toute ma génération est la conséquence d'événements que nous n'étions pas capables d'assumer."

J'ai découvert Marlen Haushofer grâce à une merveilleuse libraire il y a plus de dix ans. Si Une poignée de vie m'a ensuite déçue, ce n'est pas le cas de ce nouveau titre, à la fois différent et très proche du Mur invisible. Il y a chez cette autrice des motifs qui en font à la fois une autrice flirtant avec la science-fiction, une spécialiste de l'intériorité humaine en général et féminine en particulier, ainsi qu'une poétesse ayant une perception des beautés et des messages de la nature contagieuse.

Les angoisses de l'autrice concernant l'humanité sont intactes, tout comme cette culpabilité qui hante beaucoup d'oeuvres de langue allemande de cette époque. Qui envoie ces lettres ? Que s'est-il passé dans l'existence de cette femme pour qu'elle soit éloignée à jamais des siens et du bonheur ? Les non-dits, qui resteront intacts, ne nous apparaissent que par bribes. Nous contemplons leurs conséquences à travers le mariage brisé de la narratrice.

"L'essentiel est que nous soyons assis ici et que nous jouions une scène qui ne sonne pas vraiment juste mais qui se substitue très bien à l'autre scène, la vraie, qui, elle, n'est jamais jouée."

Tout, dans ce livre, semble indéfini. Le lecteur est plongé puis expulsé de cette vie dans laquelle les jours s'écoulent. Le quotidien, morne et répétitif, avec la seule mansarde éponyme comme refuge, est bouleversé de manière seulement temporaire. Notre narratrice, apathique en apparence mais intérieurement d'une lucidité folle, retourne sans mal vers le confort de ses repères. Sans doute parce qu'à défaut d'être une solide montagne, elle risquerait d'être telle "la courtilière qu'on humilie et qui s'étonne" si elle se rebellait, si elle se rappelait. Pour notre part, nous ne pouvons que plaquer nos projections sur les éléments qui nous sont offerts.

"Etre un humain est une condition bien précaire, peut-être ne sommes-nous plus depuis longtemps ce que l'on appelait autrefois des êtres humains, seulement nous ne le saurions pas."

Babel. 220 pages.
Traduit par Miguel Couffon.
1969 pour l'édition originale.

logo-feuilles-allemandes

5 novembre 2023

Boussole - Mathias Enard

20231103_111944b

"Nous-mêmes, au désert, sous la tente des Bédouins, pourtant face à la réalité la plus tangible de la vie nomade, nous nous heurtions à nos propres représentations qui parasitaient, par leurs attentes, la possibilité de l’expérience de cette vie qui n’était pas la nôtre ; la pauvreté de ces femmes et de ces hommes nous paraissait emplie de la poésie des anciens, leur dénuement nous rappelait celui des ermites et des illuminés, leurs superstitions nous faisaient voyager dans le temps, l’exotisme de leur condition nous empêchait de comprendre, certainement, leur vision de l’existence [...]. "

Au cours d'une longue, très longue nuit, Franz Ritter, musicologue viennois atteint d'un mal incurable, remonte le fil de sa passion pour l'Orient et pour Sarah, la femme qu'il a aimée toute sa vie.

Raconter les rapports, les liens, les affrontements, les incompréhensions et les fantasmes entre l'Orient et l'Occident, voilà une mission parfaitement impossible. Mille anecdotes dont le choix est forcément subjectif ne peuvent que fournir une vision très incomplète du sujet tout en le rendant indigeste. Et pourtant, à la manière des Mille et Une nuits (oeuvre si emblématique des projections de l'Occident sur cet ailleurs qui le fascine) et dans un style sublime (si travaillé qu'il devrait être ampoulé, mais Mathias Enard doit être magicien), Boussole nous embarque dans un voyage dont on voudrait qu'il ne s'achève jamais. On suit Annemarie Scharzenbach, Alois Musil et bien d'autres, dont nos personnages, à travers les routes d'Irak, de Syrie et d'Iran.

Tous sont pris par la fièvre orientaliste. Franz Ritter en tête, plaide coupable. Il refuse cependant de s'en tenir à une vision unique où l'Orient serait seulement la victime de l'Occident. Il révèle par de nombreux exemples ce que les échanges culturels ont produit (dont, a priori, L'Origine du monde). Des absurdités aussi, comme l'orientalisme nazi ou les barbaries dans les deux camps (l'humanité n'est pas différente à Damas ou à Paris).

" j’entendais un spécialiste du Moyen-Orient préconiser qu’on laisse partir tous les aspirants djihadistes en Syrie, qu’ils aillent se faire pendre ailleurs ; ils mourraient sous les bombes ou dans des escarmouches et on n’en entendrait plus parler. Il suffisait juste d’empêcher les survivants de revenir. Cette séduisante suggestion pose tout de même un problème moral, peut-on raisonnablement envoyer nos régiments de barbus se venger de l’Europe sur des populations civiles innocentes de Syrie et d’Irak ; c’est un peu comme balancer ses ordures dans le jardin du voisin, pas joli joli. Pratique, certes, mais pas très éthique. "

En cette période si déchirante pour l'humanité, où les discours fanatiques et les crimes atroces nous font croire que seule la haine peut exister et que nous n'avons rien en commun, Boussole est un roman essentiel, drôle et émouvant, qu'une médiocre chronique ne peut décrire honorablement.

" Weimar a été bombardée trois fois massivement en 1945. Tu imagines ? Bombarder une ville de soixante mille habitants sans enjeu militaire, alors que la guerre est presque gagnée ? Pure violence, pure vengeance. Bombarder le symbole de la première république parlementaire allemande, chercher à détruire la maison de Goethe, celle de Cranach, les archives de Nietzsche… avec des centaines de tonnes de bombes larguées par de jeunes aviateurs fraîchement débarqués de l’Iowa ou du Wyoming, qui mourront à leur tour brûlés vifs dans la carlingue de leurs avions, difficile d’y percevoir le moindre sens, je préfère me taire. "

Actes Sud. 377 pages.
2015.

Publié trop récemment, Boussole n'est pas (encore) un classique. Mais c'est un Goncourt, que je n'aurais pas lu si rapidement sans nos chères Fanny et Moka. Elles me pardonneront sûrement cette entorse au règlement.

Source: Externe

Publicité