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lilly et ses livres
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15 février 2023

Notre part de nuit - Mariana Enriquez

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Après la mort de sa femme Rosario, Juan quitte Buenos Aires avec son fils Gaspard. Ils traversent l'Argentine pour retrouver leurs proches. En pleine dictature, ce ne sont pas les militaires qui sont les plus dangeureux. Le coeur de Juan est en très mauvais état malgré son jeune âge, et s'il se rend dans la famille de sa femme, c'est pour mieux fuir ou affronter ses horribles membres.

Notre part de nuit est un livre difficile à évoquer parce que trop en dévoiler gâcherait votre plaisir et qu'il s'agit d'un texte qui ne se refuse aucun genre. Roman d'horreur dont le personnage principal rappelle le Pistoléro de Stephen King, ce livre évoque aussi les crimes de la dictature argentine et nous offre une plongée dans le Mal qui obsède les poètes lus inlassablement par Juan.

Tous les individus que nous croisons sont fascinants. Une seule n'est que monstruosité (ce qui donne lieu à des rencontres difficilement soutenables), les autres ont au moins quelques failles qui les ont parfois conduits à briser ce qu'ils avaient de plus cher. Leurs relations sont complexes, faites de cruauté et de violence. Le doute instillé par le fanatisme contamine et emprisonne même ceux qui souhaitent le plus mettre un terme à une série de sévices, de massacres et de sacrifices. Et pourtant, Notre part de nuit est aussi une magnifique d'amour entre un père très imparfait et son fils.

Polyphonique et faisant des va-et-vient sur plusieurs décennies, de l'Argentine à Londres en passant par le Nigéria, le roman est construit de manière à ne révéler ses mystères qu'au compte-goutte. A l'exception de deux passages un peu long, j'ai été hypnotisée du début à la fin et je sais déjà que je me replongerai un jour dans cet univers.

La littérature hispanophone, qui ne m'a pas intéressée le moins du monde jusqu'à ces dernières années, a fini par me conquérir complètement.

Editions du sous-sol. 759 pages.
Traduit par Anne Plantagenêt.
2021.

LOGO SUD AMERI

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9 février 2023

La Bibliothèque, la nuit - Alberto Manguel

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"Comment pouvons-nous espérer, nous, lecteurs, tenir entre nos mains le cycle du monde et du temps, alors que le monde excédera toujours les marges d'une page et que tout ce que nous pouvons constater, c'est le moment définitif défini par un paragraphe ou un vers, en choisissant, selon la formule de Blake, "des objets de vénération dans des contes poétiques" ? "

Trouver un sens au monde qui nous entoure est une obsession à laquelle les bibliothèques tentent de répondre. Une entreprise que nous savons vaine, mais "il m'a semblé que cette quête était valable en elle-même", nous dit Alberto Manguel. A ses côtés, nous plongeons dans l'histoire des bibliothèques et nous questionnons sur ce qu'elles sont et ce qu'elles ne sont pas. Ces lieux existent souvent, ont parfois disparu (à cause du fanatisme ou de la négligence humaine) ou ne sont présents que dans notre mémoire (laquelle finira inévitablement par flancher).

A tous ceux qui pensent que l'érudition est un moyen légitime d'écraser l'autre, je recommande la lecture d'Alberto Manguel. Secrétaire de Borges, bibliophile, directeur de la Bibliothèque Nationale d'Argentine et bien d'autres choses, il ne perd jamais de vue la raison qui l'anime. Ses seules remarques méprisantes sont pour des pairs hautains.

Bien qu'il s'agisse d'un essai, ce livre se lit comme un roman d'aventure palpitant. A travers des anecdotes personnelles et des informations historiques beaucoup plus générales (et jamais ennuyeuses), Manguel nous embarque dans le temps et dans l'espace. Il nous transmet son amour des livres et de la lecture (qui ne cessent jamais d'exister, même au plus profond de l'horreur), sa confiance dans la patience illimitée des textes non lus (rassurante pour les grands lecteurs qui culpabilisent devant leurs trop nombreux achats).

" Il se peut qu'il n'existe aucun livre, aussi bien écrit qu'il soit, qui puisse alléger d'une once la douleur des tragédies d'Irak ou du Rwanda, mais il se peut aussi qu'il n'existe aucun livre, si atrocement écrit qu'il soit, qui ne puisse apporter une épiphanie au lecteur qui lui est destiné. "

Notre époque tend à nous conforter dans nos certitudes et à nous éloigner les uns des autres, Manguel nous montre d'une part que cette tendance n'est pas nouvelle et d'autre part qu'il est possible de saluer les avancées d'une personne (Melvil Dewey, Leibniz) tout en montrant les limites de ses travaux avec bienveillance.

Face à internet, l'auteur est très prudent. Une bibliothèque est une vision, un renoncement, ce qui est aussi bien un déchirement qu'une défense contre le n'importe quoi que serait une bibliothèque qui contiendrait tout (or "l'accumulation des connaissances n'est pas la connaissance"), qui privilégierait la rapidité plutôt que la réflexion et ne se conjuguerait qu'au seul présent.

" Citer, c'est faire usage de la bibliothèque de Babel ; citer, c'est réfléchir ce qui a déjà été dit et si nous ne le faisons pas, nous parlons dans un vide où nulle voix humaine ne peut produire un son. "

 Bouclant la boucle comme le disciple de Borges qu'il est, ce que Manguel nous montre avant tout est l'harmonie qui existe entre les livres et les hommes, les uns et les autres se contenant mutuellement.

"L'encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c'est le monde même."

Passionnant.

Babel. 372 pages.
Traduit par Christine Le Boeuf.
2006.

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