L'Heure de l'étoile - Clarice Lispector
" Si le lecteur est assez aisé pour mener une vie relativement confortable, qu’il aille donc voir comment vivent les pauvres ! S’il est pauvre, il ne me lira pas, car c’est chose superflue quand on ne mange jamais à sa faim. Quant à moi, je fais fonction de soupape de sécurité, en me mettant à la place d’une classe moyenne à l’existence ravagée. "
Qu'est-ce qui définit la condition humaine ? Où est notre humanité ?
L'intrigue tient en peu de mots. Rodrigo S.M., écrivain, prend sa plume pour nous raconter l'histoire d'une jeune fille pauvre, laide et sans éducation.
Ma première lecture de Clarice Lispector a été une telle épreuve que je n'étais pas franchement enchantée à l'idée de la relire. Heureusement, la session mensuelle des Classiques c'est fantastique m'a donné le courage d'ouvrir cette nouvelle contenue dans le coffret que j'avais acheté avec La Passion selon G.H. .
Ce texte est, de l'aveu même de l'autrice qui s'incarne ici dans un alter ego masculin, d'une forme étonnamment classique. " Aussi, contrairement à mes habitudes, tenterai-je d’écrire une histoire comprenant début, développement et grand final, suivi de silence et de pluie battante. " Ajoutez à cela une bonne dose d'humour (noir) de la part du narrateur, et vous obtiendrez une nouvelle lue avec plaisir qui vous triturera bien les méninges.
L'héroïne, dont le prénom est une malédiction à lui tout seul, grandit dans un Brésil où le capitalisme règne en maitre. Elle fait partie de cette masse de personnes dont les existences semblent indissociables les unes des autres tant elles se ressemblent. Il s'agit de réussir à se nourrir au jour le jour, de s'offrir, rarement, du rouge à lèvres ou une séance de cinéma et de permettre à d'autres de faire des profits. La jeune fille peut tout au plus espérer trouver un mari (même violent) et faire des enfants.
Le narrateur désespère, tout en admettant que sa propre existence n'a pas plus de sens que celle de son héroïne. Avec elle, il cherche une chose à laquelle se raccrocher. Mais quoi ? A quoi bon écouter la radio et entendre des émissions auxquelles elle ne comprend rien ? Un jour, elle se fait porter pâle et passe une journée sans les femmes qui partagent sa chambre.
" Jusqu’alors, elle n’avait jamais eu le privilège de jouir de sa propre personne. De ma vie, je n’ai jamais été aussi heureuse, se dit-elle. Elle ne devait rien à personne et personne ne lui devait rien. Elle s’offrit même le luxe d’éprouver un certain écœurement – mais un écœurement fort distingué. "
Est-ce que tout le monde a le droit de rêver ?
Lire Clarice Lispector, c'est accepter de ne pas tout comprendre. C'est aussi ouvrir les yeux sur des évidences que l'on a sous les yeux mais que l'on n'avait jamais pensé à formuler.
Editions des femmes. 110 pages.
Traduit par Marguerite Wünscher.
1977 pour l'édition originale.