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lilly et ses livres
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30 novembre 2021

Mélodie de Vienne - Ernst Lothar

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"Même si c'est un fou qui met le feu au monde, le monde brûle."

Au numéro 10 de la Seilerstätte réside la famille Alt dans un très bel immeuble. Mozart en personne a joué sur l'un des instruments de la firme de pianos familiale. En 1888, Franz Alt, petit-fils du fondateur de l'entreprise, décide d'épouser la jeune Henriette Stein, fille d'un grand professeur viennois d'origine juive.

Ce roman décrivant la longue agonie de l'Empire Austro-Hongrois (puis de l'Autriche) depuis le suicide du prince héritier Rodolphe à l'Anschluss a de nombreuses qualités. Il se lit avec une grande facilité, l'écriture est belle, le discours engagé. Ernst Lothar nous fait observer, avec un habile effet de miroir, la chute d'une famille et d'un État qui ne sont plus que des chimères depuis très longtemps.
Derrière les relations complexes des Alt surgit une capitale où s'opposent les époques, où les bals et les amours de contes de fées côtoient des mouvements sociaux et des revendications nationalistes de plus en plus forts.

"... je suis un Autrichien qui sait que l’Autriche n’est une nécessité vitale qu’aux Habsbourg et aux Viennois. Et si tu veux, aux habitants de Salzbourg et de Graz ! Un peuple sans sentiment national est une absurdité. Et les Autrichiens n’en ont pas."

Après la disparition de François-Joseph et la défaite de 1918, l'Autriche plonge dans une misère et une colère qui seront les meilleurs terreaux pour le triomphe du nazisme quelques années plus tard.

Ernst Lothar, ainsi qu'il le dit lui-même, a voulu écrire un roman d'amour à sa patrie. Il loue ses grands hommes, ses grands artistes, sans toutefois s'aveugler sur ses injustices et ses incohérences. Le discours qu'il porte est à la fois grave et plein de foi dans l'avenir.

Si ce livre est parfait sur le papier, j'ai cependant eu du mal à rester captivée par son histoire qui couvre une période tellement grande que l'on a à peine le temps de commencer à voir se dessiner les personnages qu'ils ont déjà vieilli et changé. Je trouve également que l'histoire n'est pas toujours bien rythmée. Cela dit, ces bémols ne m'empêchent pas de recommander ce livre à ceux qui s'intéressent à cette période de l'histoire et qui aiment les sagas familiales.

Liana Levi. 672 pages.
Traduit par Elisabeth Landes.
1944 pour l'édition originale.

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27 novembre 2021

La Brodeuse de Winchester - Tracy Chevalier

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Violet Speedwell, trente-huit ans et célibataire, quitte son acariâtre de mère pour s'installer à Winchester où elle travaille en tant que dactylo. Après avoir involontairement assisté à un office réunissant des brodeuses dans la cathédrale, elle décide de rejoindre leur cercle.

J'ai ouvert ce livre avec beaucoup d'enthousiasme et un peu d'appréhension. Si Tracy Chevalier a su m'enchanter avec Prodigieuses créatures, La Dernière fugitive m'a bien moins convaincue. Heureusement, la lecture de La Brodeuse de Winchester a été une vraie lecture bonbon par ce temps froid et pluvieux.

J'ai beau ne rien connaître à la broderie, l'autrice m'a passionnée avec ses agenouilloirs, ses coussins et la description des différents points. La cathédrale de Winchester, cet espèce de "crapaud gris" peu conventionnel au milieu des grandes cathédrales gothiques, qui abrite la tombe de Jane Austen, est un lieu passionnant. Nous la parcourons jusque dans les hauteurs réservées aux sonneurs de cloches et découvrons quelques secrets de ces discrets individus. 

Nous plongeons également dans l'Angleterre des années 1930, où les séquelles de la guerre sont encore très vives. Des centaines de milliers d'hommes manquent à l'appel, ce qui est une catastrophe pour leurs familles mais aussi une condamnation pour toutes les femmes restées célibataires, une condition aussi méprisée que suspecte dans "une société conçue pour le mariage". Malgré sa profession, Violet n'a pas les moyens de manger à sa faim, le salaire d'une femme ne devant être qu'un complément de revenus en attendant qu'elle se marie. Les allées et venues de Violet sont surveillées, elle ne peut parler à quiconque de ses "partenaires de sherry", et gare à la tentation du lesbianisme...

Pour être complètement honnête, je n'ai pas compris l'intérêt du personnage de Jack Wells et je trouve que l'histoire d'amour principale manque de crédibilité. Une complicité amicale entre les deux protagonistes concernés aurait été bien plus efficace à mon sens. Mais ces petites réserves ne m'empêchent pas de vous recommander chaudement ce titre.

Je remercie les éditions Folio pour ce livre.

Folio. 381 pages.
Traduit par Anouk Neuhoff.
2019 pour l'édition originale.

14 novembre 2021

Le Loup des steppes - Hermann Hesse

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« Frère Harry, je vous invite à une petite représentation. Seuls les fous sont admis, l’entrée coûte la raison. Etes-vous prêt ? »

Harry Haller prend une chambre dans une maison distinguée. S’il suscite d'abord l’inquiétude du neveu de la propriétaire, ce dernier se prend peu à peu de sympathie pour cet homme mélancolique qui se surnomme « le loup des steppes ». Lorsqu’il disparaît brutalement, Harry Haller laisse derrière lui un étrange cahier racontant son histoire.

C’est avec beaucoup d’appréhension que j’ai ouvert ce grand classique de la littérature allemande. Même s’il m’a parfois déstabilisée (j’ai eu l’impression d’être chez Dostoïevski dans certains passages), j’ai beaucoup apprécié cette lecture.   

Ce livre est une réflexion sur la nature humaine. Tourmenté par les désirs contradictoires qui l’habitent, le loup des steppes est un homme qui se sent coincé entre deux époques, méprisant les choses matérielles tout en ne pouvant résister au confort bourgeois, vénérant la culture légitime tout en cherchant son salut auprès de courtisanes et de musiciens des rues. Hesse, fasciné il me semble par certaines philosophies orientales, cherche à réconcilier le loup et l'homme, d'autant plus qu'il est convaincu qu'un être humain n'est jamais constitué de seulement deux facettes.  

"La poitrine, le corps ne font qu’un, mais les âmes qui y habitent ne sont ni deux ni cinq, elles sont innombrables ; l’homme est un bulbe formé de centaines de pellicules, une texture tissée de milliers de fils. Dans l’Asie ancienne, on l’avait reconnu, on s’en rendait exactement compte, et le Yoga bouddhiste connaît la technique spéciale pour dépouiller l’illusion de la personnalité. Les jeux de l’humanité sont joyeux et divers : la folie que l’Inde, pendant mille ans, s’est tant efforcée de démasquer est celle que l’Occident, avec autant de vigueur, essaie de renforcer et de soutenir."

C’est aussi un livre angoissé par la période à laquelle il a été rédigé. Les nationalismes ne sont pas étouffés, l'anticommunisme et l'antisémitisme grondent. La tentation de la guerre est grande.

Je crains souvent les personnages héritiers du romantisme, souffrant d'un "mal du siècle" anachronique, que je trouve trop larmoyants pour ne pas avoir envie de les gifler. Ce n'est pas le cas ici. Hesse confronte tellement son personnage qu'il ne le laisse pas s'apitoyer longtemps sur son sort. C'est peut-être l'une des choses les plus étonnantes de ce livre d'ailleurs. Si la mort apparaît comme une issue toujours possible et presque rassurante, ce que cherche avant tout Harry, c'est le sens de sa vie et le moyen de la vivre pleinement. Encore faut-il qu'il prenne conscience des occasions qui lui sont offertes...

"L’accoutumance à l’idée que cette sortie de secours lui était toujours ouverte lui donnait de la force, le rendait curieux de goûter les douleurs et les peines, et, lorsqu’il se sentait bien misérable, il lui arrivait d’éprouver une sorte de joie féroce : « Je suis curieux de voir combien un homme est capable de supporter. Si j’atteins à la limite de ce qu’on peut encore subir, eh bien, je n’ai qu’à ouvrir la porte et je serai sauvé ! » Il existe beaucoup de suicidés qui puisent dans cette idée des forces extraordinaires."

Avec ce livre, je débute ma participation aux Feuilles allemandes d'Eva et Patrice.

Le Livre de Poche. 194 pages.
Traduit par Juliette Pary.
1927 pour l'édition originale.

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10 novembre 2021

Les Bostoniennes - Henry James

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"Nous connaissons tous, hommes et femmes, ces heures de clairvoyance rétrospective, au moins une fois dans notre vie, quand nous regardons le passé à la clarté du présent, et distinguons les effets et les causes aussi facilement que si tout était indiqué par des flèches qui ne se fussent jamais trouvées là auparavant. Le chemin parcouru jusque-là nous apparaît dessiné et raconté en entier, avec ses faux pas, ses repérages erronés, et toute sa géographie égocentrique et trompeuse."

Boston, années 1880. Ruiné par la Guerre de Sécession, Basil Ransom se rend dans le nord afin d'y exercer sa profession d'avocat. De passage à Boston, il en profite pour répondre à l'invitation d'une lointaine cousine, Miss Chancellor. Si la rencontre entre ces deux individus que tout oppose est un désastre, ils font la connaissance au cours d'une soirée consacrée aux droits des femmes de Verena Tarrant, la fille d'un mesmérien, dotée d'un talent oratoire peu commun. Dès lors, ils ne cesseront de se la disputer.

J'avais de fortes appréhensions en ouvrant ce roman, dont le propos est clairement sceptique vis-à-vis des mouvements féministes américains qu'a pu observer Henry James au début des années 1980. Les cent premières pages sont féroces, établissant en plus un parallèle entre le combat pour les droits des femmes et le mesmérisme. 

Pourtant, même si je ne trouve pas que ce livre atteigne la perfection de Portrait de femme, je ne peux que reconnaître qu'il s'agit d'un roman écrit par un immense auteur. Tout d'abord, le style de James, bien qu'exigeant de la concentration,  est parmi les plus remarquables que je connaisse, à la fois fin, précis et drôle.

Ensuite, là où de nombreux auteurs moins talentueux se seraient laissé déborder par leur sujet et n'auraient été capables de produire qu'un roman à gros sabots défendant leurs théories, Henry James nous montre dans ce livre toute la complexité de la psychologie humaine. Convaincu que les êtres humains ne cessent de se rater et de se méprendre, alliant dialogues de sourds et (auto)persuasion, il s'agit moins de savoir si les féministes sont dans le tort que de montrer la fluctuance des individus et les rapports de force entre eux.

Il n'y a pas de personnage particulièrement sympathique (excepté Miss Birdseye peut-être, cette vieille féministe sur le déclin qui séduit même Basil Ransom), mais il n'y a pas non plus d'individu entièrement en tort dans cette histoire. Olive Chancellor n'agit et ne pense pas uniquement en tant que féministe enragée.  A l'inverse, Basil Ransom n'est pas épargné en matière de ridicule, alternant entre son code de galanterie qui le condamne à des situations grotesques et des discours dignes d'un certain Eric Z. (qui n'a décidément rien inventé).

Alors, bien sûr, on se doute que la sympathie de l'auteur n'est pas dirigée vers ce qu'il juge comme des artifices de la modernité. Il tire à boulets rouges sur les médias (autre domaine où il est particulièrement clairvoyant), le charlatanisme. Les réunions organisées par Olive et ses comparses sont tournées en ridicule. Cependant, Henry James n'est pas un caricaturiste. C'est un peintre qui n'oublie aucune nuance et nous oblige à tourner et retourner autour de ses personnages pour nous faire comprendre que nous ne les cernerons jamais. Et, comme souvent, il n'oublie pas de faire durer le suspense jusque dans les dernières phrases.

Folio. 696 pages.
Traduit par Jeanne Collin-Lemercier.
1886 pour l'édition originale.

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