Le Racisme est un problème de Blancs - Reni Eddo-Lodge
J'ai acheté ce livre à sa sortie en 2018, mais ma grossesse et la naissance de mon fils ne m'avaient pas laissé le temps d'en lire plus d'une centaine de pages. Dans le contexte actuel et suite à des discussions assez animées avec mes proches, j'ai pensé que cet essai de la journaliste Reni Eddo-Lodge pourrait nourrir ma réflexion de personne blanche et donc peu consciente des problèmes engendrés par le racisme.
En effet, ce que Reni Eddo-Lodge explicite dans ce texte est avant tout le fait que nous vivons dans une société où le racisme est omniprésent.
Reprenant les mots de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe pour les appliquer au clivage entre les Blancs et les Noirs, elle essaie de démontrer que la normalité est la blanchité. Être blanc, c'est ne pas avoir conscience de sa race*.
" Être blanc, c’est être humain ; être blanc, c’est universel. Je ne le sais que trop, car je ne suis pas blanche. "
Roxane Gay l'évoque aussi dans Bad Feminist, pour le spectateur ou le lecteur blanc, il est évident que les personnages sont blancs, que les manequins des magazines sont blancs et que les acteurs sont blancs. L'idée d'une Hermione Granger noire dans la pièce Harry Potter et l'Enfant maudit a fait monter au créneau d'inombrables personnes, comme s'il s'agissait d'une monstruosité.
L'auteur débute en nous donnant un aperçu de l'histoire du racisme en Grande-Bretagne déjà éloquent. Il faut attendre 1833 pour que l'Empire britannique abolisse l'esclavage, en offrant des compensations non pas aux victimes mais aux propriétaires terriens qui étaient lésés par l'interdiction d'utiliser des êtres humains comme des marchandises. Par la suite, les colonies furent utilisées durant les guerres mondiales puis très vite oubliées. Le métissage est encore un sujet de grande crispation aujourd'hui avec le spectre du fameux "grand remplacement" dont on discute aussi en France (les femmes blanches étant appelées à procréer abondamment avec des hommes blancs pour endiguer le problème). Quant aux relations des Noirs avec la police et la justice, elles sont parsemées d'histoires révoltantes.
Outre ces manifestations incontestables du racisme, ce que Reni Eddo-Lodge essaie avant tout de démontrer est la présence d'un "racisme systémique".
" Si toutes les formes de racisme étaient aussi faciles à détecter, à identifier et à dénoncer que l’extrémisme blanc, le travail des antiracistes serait un jeu d’enfants. Les gens croient que, s’il n’y a pas eu d’agression ou si le mot « nègre » n’a pas été prononcé, un acte ne peut pas être raciste. Tant qu’un Noir ne s’est pas fait cracher dessus dans la rue, ou qu’un extrémiste en costard n’a pas déploré le manque d’emplois, en Grande-Bretagne, pour les travailleurs britanniques, ce n’est pas du racisme (et encore, même si le politique en costard a effectivement prononcé ces mots, il faudra alors débattre du caractère raciste ou non de sa déclaration, car qu’y a-t-il de raciste à vouloir protéger son pays ?!). "
Pourtant, les Noirs ont des probabilités d'être arrêtés et inculpés par les forces de l'ordre bien supérieures à celles des Blancs (ces derniers bénéficient bien plus souvent d'un simple rappel à l'ordre), on leur administre davantage de tranquilisants dans les établissements psychiatriques, ils réussissent moins à obtenir des emplois intéressants. Le Noir fait peur, c'est lui le méchant, à tel point que Reni Eddo-Lodge elle-même se souvient qu'elle regardait la télévision avec ce prisme lorsqu'elle était enfant.
Elle répond aussi bien à ceux qui considèrent que nous vivons dans une ère post-raciale (ce que démontrerait l'élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis) ou qui déclarent "ne pas voir la couleur", qu'à ceux qui lui rétorquent qu'il existe un racisme anti-Blancs (ce à quoi elle répond qu'un Noir peut avoir des préjugés, mais que le racisme nécessite également de pouvoir exercer un pouvoir sur ses victimes) et que les Noirs aussi font de l'esclavage. Elle fustige la position de défense adoptée par les Blancs qui amène à couper court à toute conversation sur le racisme et à faire taire les Noirs qui craignent pour leurs relations amicales.
A ceux qui rejettent le combat contre le racisme décrétant que le féminisme ou la lutte des classes, sont les vrais combats, Reni Eddo-Lodge rétorque que les Noirs, et particulièrement les femmes noires sont sur-représentées dans les catégories sociales les plus basses. Les discriminations dont on est victime ne s'annulent pas entre elles mais se cumulent. Elle souligne l'attitude étrange des féministes blanches qui refusent l'idée d'un racisme ancré dans la société dont elles seraient complices.
" Les féministes savent bien ce qu’est le patriarcat, alors pourquoi tant de féministes ont-elles du mal à admettre l’existence de la blanchité en tant que structure politique ? "
Cela l'amène à justifier les groupes de discussion féministes réservés aux femmes noires. Même s'ils sont destinés à communiquer le fruit de leurs travaux par la suite, ils permettent à leurs membres de bénéficier d'un espace où elles peuvent témoigner de leurs expériences sans être remises en cause par des personnes qui se sentiraient visées.
Sur la question de la discrimination positive, elle est catégorique : il s'agit d'un outil essentiel.
" On insiste sur le mérite, comme si tous les dirigeants blancs actuels, quel que soit le secteur, n’en étaient arrivés là qu’à force de travail et sans aide extérieure. Comme si leur couleur de peau n’était pas en soi un « coup de pouce », comme si elle n’éveillait pas la sympathie d’un recruteur envers un candidat. Vu l’état calamiteux de la diversité dans chacun des secteurs que j’ai mentionnés plus haut, il faudrait être sacrément dupe pour croire que seul le talent explique ce monopole des hommes blancs d’âge mûr aux échelons supérieurs de la plupart des corps de métiers. Nous ne vivons pas en méritocratie. Prétendre que la réussite ne s’obtient qu’à force de travail est une forme d’ignorance délibérée. "
Un essai très agréable à lire, qui contrairement à ce que son titre tapageur pourrait laisser penser appelle à une prise de conscience collective. Reni Eddo-Lodge tient un propos clair, cohérent et se montre d'ailleurs assez optimiste quant à l'évolution de la situation.
Mon seul (minuscule) regret est qu'il n'y soit pas question d'appropriation culturelle. Malgré la lecture d'un excellent article dans Causette il y a quelques années et d'Americanah qui aborde le sujet, je n'ai toujours pas compris pourquoi certaines coiffures étaient autant sujettes à polémique.
Autrement. 290 pages.
Traduit par Renaud Mazoyer.
2017 pour l'édition originale.