"Et ces imbéciles qui souriaient, ce soir, en me voyant traverser leurs rues ! "
Je termine ma pause zolienne de l'année (quoique, on ne sait jamais) avec La Conquête de Plassans. Après deux tomes à Paris, ce quatrième volet des Rougon-Macquart nous ramène dans le berceau de la famille, où nous avions laissé Adélaïde Fouque, désormais enfermée dans un asile, et quelques membres bien sympathiques de sa descendance.
L'abbé Faujas arrive un soir, en compagnie de sa mère, chez Marthe et François Mouret. Il est peu avenant et un mystère plane sur son passé, ce qui ne lui laisse pas présager un avenir brillant dans la petite ville de Plassans, où les rumeurs se répandent très vite. Pourtant, grâce à des appuis invisibles et à son intelligence, l'abbé Faujas va conquérir tour à tour la maison des Mouret, le clergé de Plassans, puis toute la ville.
Bien qu'il soit moins flamboyant que Le Ventre de Paris, je crois que j'ai préféré ce livre où toutes les mauvaises actions se font insidieusement et où les personnages semblent se livrer à un concours de celui qui aura le plus d'ambition et le moins de scrupules (encore plus que d'habitude).
Au début, la situation semble normale, et les personnages prêts à repousser les assauts des Faujas. François et Marthe ne sont pas franchement des gens pieux, et leur famille est solide. Parmi leurs enfants, Octave court les filles et Désirée n'aime que les animaux. Seul Serge semble corruptible. Puis, sans qu'on comprenne pourquoi, on se retrouve avec une Marthe complètement illuminée, qui s'auto-flagelle au sens propre du terme, un Mouret qu'on plaindrait presque (il ne faut pas trop pousser non plus), et un abbé Faujas transformé en sex-symbol. Enfin, pour ce dernier aspect, ça ne dure que le temps de la conquête, puisqu'il renoue rapidement avec ses habits troués, et sa haine du peigne. Après tout, avec un charisme comme le sien, pourquoi se gêner ?
"Plassans, en effet, dut le prendre mal peigné. Du prêtre souple se dégageait une figure sombre, despotique, pliant toutes les volontés. Sa face redevenue terreuse avait des regards d'aigle ; ses grosses mains se levaient, pleines de menaces et de châtiments. La ville fut positivement terrifiée, en voyant le maître qu'elle s'était donné grandir ainsi démesurément, avec la défroque immonde, l'odeur forte, le poil roussi d'un diable. La peur sourde des femmes affermit encore son pouvoir. Il fut cruel pour ses pénitentes, et pas une n'osa le quitter : elles venaient à lui avec des frissons dont elles goûtaient la fièvre."
Evidemment, Zola critique ici férocement le clergé et les comportements excessifs de certains croyants. Le plus formidable dans cette histoire, c'est qu'il montre avec brio comment on peut en venir à adorer ceux qui nous méprisent le plus. Le club des groupies de Faujas est composé de femmes, alors qu'on a droit à ce qu'il pense du sexe féminin à plusieurs reprises et qui tient en quelques mots très flatteurs : "la tentation d'en bas, la lâcheté, la chute finale". Bref...
Autre menace qui plane tout au long du livre : la folie. La grand-mère est enfermée, et on se demande pendant un bon moment qui de Marthe ou de Mouret ira lui tenir compagnie en premier (en tant que cousins germains, ils descendent aussi directement d'elle l'un que l'autre).
Comme d'habitude avec Zola, on a droit à des scènes extraordinaires dans ce livre. Je vais essayer de ne pas en dire trop, mais l'incendie est un moment qui m'a scotchée, avec tous ces notables regardant périr des gens comme s'ils assistaient à un feu d'artifice. Nul doute qu'ils sont repartis à leurs affaires très rapidement. Et cette dernière phrase ! Je me souviens encore de la toute fin de La Faute de l'Abbé Mouret, grossière et provocatrice, mais on est encore au-delà (évidemment, je vous laisse la découvrir).
Et les Rougon ? Ben, les Rougon, ça va. On pourrait penser que Félicité serait embêtée du scandale provoqué par son allié et sa fille. Malheureusement, comme le dit Macquart, ils savent prévoir dix portes de sortie à chaque situation, ce qui leur assure de remporter à chaque fois la victoire, même si ça tue un ou deux membres de leur famille au passage.
Quand je pense que je remonte avec eux à Paris pour le prochain tome, ça promet !
D'autres avis chez Stéphie, Cuné (très intéressant, puisqu'il formule des critiques que je partage sur les notables de Plassans et sur le comportement de Marthe, bien qu'elles n'aient en ce qui me concerne pas altéré la forte impression que ce livre m'a faite), Kalistina et Cléanthe.
Folio. 466 pages.
1874 pour l'édition originale.