La Marquise d'O ; Heinrich von Kleist
Flammarion ; 259 pages.
Traduit par M.-L. Laureau et G.La Flize. 1808.
Mon billet révèle le fin mot de l'histoire. Ce n'est à mon avis pas du tout un secret, dès le début, ni l'intérêt principal du texte, mais si vous aimez ne rien connaître d'un livre avant de le découvrir, je vous conseille de ne pas aller au-delà de mon résumé.
La semaine dernière, j'ai reçu un ravissant paquet, envoyé par l'adorable Lou. A l'intérieur, plein de cadeaux très bien choisis, dont un recueil de nouvelles d'Heinrich von Kleist, un auteur allemand que je ne connaissais pas du tout.
La Marquise d'O est sans doute le texte le plus connu contenu dans ce livre, et en lisant le résumé je me suis précipitée dedans.
La marquise d'O. est une jeune veuve vertueuse, qui vit à M., en Italie auprès de son père, un colonel. Alors que la guerre sévit, la citadelle est attaquée. La marquise d'O., en tentant de fuir, est capturée par des soldats qui s'apprêtent à la violenter. Apparaît alors un officier russe, qui la libère, et la ramène, évanouie, auprès de sa famille. Les soldats qui ont tenté de s'en prendre à elle sont condamnés à mort et exécutés.
Après une absence prolongée durant laquelle le colonel et sa famille le croient mort, le jeune officier, le comte F., réapparaît, et demande la main de la marquise, qui lui demande de patienter.
Quelques temps plus tard, la marquise découvre qu'elle est enceinte. Bien qu'elle assure ne pas comprendre son état, son père la chasse de sa demeure.
Désireuse de donner un père à son enfant, la marquise décide de rendre l'affaire publique, et passe une annonce dans laquelle elle demande à celui qui a abusé d'elle de se présenter, afin qu'ils se marient. C'est alors que revient une nouvelle fois le comte F., qui semble toujours épris de la marquise.
En une cinquantaine de pages, Heinrich von Kleist nous offre un récit d'une très grande puissance. La langue est belle et rythmée, alternant les passages avec très peu de dialogues, où le détachement du narrateur est frappant, et les passages où les personnages parlent de façon abondante. Ce qui m'a le plus frappée est la lutte entre le Bien et le Mal (tels que la société les définit) que l'on distingue tout au long du récit. Le comte F. est un homme bon, un homme d'honneur. Pourtant, parce que passion et Bien semblent s'opposer, l'expression de son état amoureux passe par un acte ignoble.
En ce sens, on peut à mon avis rapprocher ce texte de Wuthering Heights, qui l'exprime de façon encore plus flamboyante et complexe (puisque Heathcliff ne poursuit plus rien après la mort de Catherine).
La dernière phrase de cette nouvelle est ainsi éloquente :
"...le comte, ayant demandé un jour à sa femme, dans un de leurs moments de bonheur, pourquoi, à cette date fatale du 3, où elle semblait prête à recevoir tel ou tel être vicieux, elle avait fui devant lui comme devant un démon d'enfer, elle se jeta à son cou et lui répondit qu'il ne lui fût point apparu comme un démon si, lors de sa première apparition devant elle, elle n'avait cru voir en lui un ange."
Le Bien est censé n'avoir qu'un seul visage, tout comme le Mal, et pourtant le comte nous déstabilise. Parce qu'il a l'apparence du Bien, la révélation de son appartenance aux ténèbres lui donne en plus le masque de la tromperie, et entraîne son rejet par la marquise qui se voit ainsi confrontée à ses propres pulsions.
L'ambiance, qui rappelle les atmosphères tendues des romans gothiques par certains côtés, ajoute à la puissance du propos. Les personnages expriment de façon spectaculaire leurs sentiments, et la tension monte très vite, jusqu'à des points de rupture, comme lorsque le colonel prend son pistolet et tire.
La place des femmes également a retenu mon attention. La marquise d'O. n'est pas une femme dépourvue de volonté et seulement attachée à ses valeurs. Elle possède une vraie force de caractère qui lui donne bien plus d'épaisseur que si elle n'était que le joli cygne blanc dont lui parle le comte, même si les torrents de larmes et les évanouissements ne sont jamais éloignés.
J'ai passé un excellent moment en compagnie de ce texte. Encore merci Lou pour la découverte !