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lilly et ses livres
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30 juillet 2009

Lou, Histoire d'une femme libre ; Françoise Giroud

resize_3_Le Livre de Poche ; 155 pages.
2002.

J'ai dans ma bibliothèque des ouvrages dont je suis incapable d'expliquer la présence. Mais Virginia Woolf ayant publié Rilke, qui a été l'amant de Lou Andréas-Salomé, je me suis dit que c'était l'occasion de découvrir ces deux personnages.

Lou Andréas-Salomé (1861-1937), née à Saint-Petersbourg, dans la famille d'un officier du tsar, a été l'une des femmes les plus amirées et brillantes de son temps. Elle a envoûté Nietzsche, Rilke, et nombre d'autres hommes, en s'appuyant sur une curiosité intellectuelle inaltérable, et ces éléments ont contribué à lui permettre de mener librement sa vie.

Je suis très mitigée après ma lecture de cette biographie. Je ne connaissais absolument pas le personnage de Lou Andréas-Salomé, donc je ne peux pas me prononcer sur le fond, mais la façon dont le personnage est présenté m'a laissée perplexe.
Pour commencer, je n'ai rien contre les auteurs qui sont en pâmoison devant leur sujet d'étude, mais chez Françoise Giroud, cela sonne faux, quand elle ne donne pas l'impression de délirer. Le texte emploie le registre soutenu, mais pour nous montrer qu'elle est la meilleure amie de Lou, l'auteur nous balance des remarques complètement à côté de la plaque, qualifie la soeur de Nietzsche de "pure salope" et place un "elle m'énerve Lou quand elle fait telle chose" quand ça l'amuse. Encore une fois, je ne dis pas que ces remarques sont inexactes, mais ces variations brutales du registre employé ont gêné ma lecture.
Surtout qu'à plusieurs reprises, Françoise Giroud avance des interprétations qui manquent d'arguments pour les soutenir, ce qui décrédibilise encore son propos. Elle explique par exemple que pour elle, Lou a refusé tout rapport sexuel avant l'âge de trente-cinq ans parce qu'elle aurait été victime d'inceste, mais à part dire qu'elle aimait beaucoup son père et avait cinq frères, rien n'étaye sa thèse. Le livre entier me semble même contradictoire. Il s'agit de nous démontrer que Lou a été une femme libre, qui a dominé les hommes qui papillonaient autour d'elle et qui subvenait elle-même à ses besoins (d'ailleurs nous avons droit à une conclusion dans laquelle Françoise Giroud se lâche complètement), mais c'est pourtant à travers tous ses amants que Françoise Giroud nous présente Lou. Connaître le nom du premier qui a eu le droit de coucher avec cette dernière, et l'énumération des noms de ses amants semblent être les questions fondamentales de l'étude, bien plus que son oeuvre et son influence. Comme si, à trop vouloir nous montrer une femme forte, libre, et dominatrice, Françoise Giroud avait produit l'effet contraire à celui qu'elle désirait.

Au final, j'ai davantage envie de découvrir les travaux des hommes de la vie de Lou Andréas-Salomé que d'approfondir ma connaissance de cette femme qui était pourtant au centre de cette biographie. Je l'ai lue jusqu'au bout parce qu'elle est très courte, mais je n'ai pas réussi à aller au-delà des défauts de ce texte et ne pense pas recroiser Françoise Giroud en tant qu'écrivain à l'avenir. Je déteste être aussi méchante...

Nanne a été nettement plus convaincue.   

Après cette lecture, j'ai découvert un texte de Rainer Maria Rilke, La Princesse Blanche, Une scène au bordresize_8_ de la mer, dans sa première version et sa version définitive.Il s'agit d'une pièce de théâtre se déroulant dans un palais au bord de la mer. Le prince est absent pour la première fois depuis onze ans, et sa femme, qui n'était qu'une enfant lorsqu'elle l'a épousé, pense que son amant va enfin pouvoir lui offrir, même si cela n'est que pour une nuit, un sens à sa vie.

"... Mais les enfants deviennent des reines...
LA PRINCESSE :
Oui, quand on les arrache à l'enfance,
à ses roses, ses légendes,
et que la couronne d'oranger n'offre,
croient-elles, que des ombres froides,
alors oui : les enfants même deviennent des reines."

Nous voguons entre rêve, vie et désespoir avec ce très court texte du poète allemand. Cette lecture n'a rien d'un conte de fées, et contient une certaine profondeur et de très beaux passages. Cependant, je connais bien trop peu le théâtre, l'auteur, et ce à quoi Rilke fait référence pour vous en dire davantage.

Rainer Maria Rilke, La Princesse Blanche, une scène au bord de la mer, Zoé, Genève, 1898.1904.

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28 juillet 2009

Mademoiselle Else ; Arthur Schnitzler

resize_5_Le Livre de Poche ; 93 pages.
Traduit par Henri Christophe.
Fräulein Else. 1924.

C'est après ma lecture de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme que je suis allée regarder de plus près le rayon de littérature germanophone de ma librairie. Mademoiselle Else était un titre qui m'était vaguement familier, alors je l'ai choisi.

Else est une jeune fille de dix-neuf ans. Alors qu'elle séjourne auprès de sa tante en Italie, elle reçoit une lettre de sa mère qui lui apprend que son père a encore éffectué des transactions illégales et qu'il risque la prison et le déshonneur s'il ne verse pas trente mille gulden (qui deviendront cinquante mille) dans les jours qui suivent. Le seul espoir de la famille repose sur Dorsday, un homme d'âge mûr qui séjourne au même endroit qu'Else, et qui déplaît fortement à la jeune fille. Sollicité, Dorsday accepte à une condition : qu'Else pose nue devant lui pendant un quart d'heure.

Voilà un petit livre que je vous encourage vivement à découvrir, si ce n'est pas déjà fait. Je me trompe peut-être, mais il me semble que ce texte s'insère bien dans le contexte de développement de la psychanalyse dans lequel il a été écrit.
Il m'a frappée par sa modernité. Dans sa forme d'abord. Il s'agit d'un monologue intérieur, fait de phrases très courtes, lapidaires, décomplexées. Je n'ai pas lu le texte original, mais la traduction emploie un vocabulaire familier, cru, sans doute très loin de celui que la bonne société attendait de la part d'une jeune fille de bonne famille, même dans ses pensées. Else n'est dupe de rien, laisse ses pensées s'égarer sans tabou, donne des opinions dures mais clairvoyantes sur tout le monde. Elle voit les hypocrisies et les faiblesses des autres, et son regard est désabusé.
Seulement, cela ne l'empêche pas d'être bouleversée pas la requête de Dorsday. "Cette fin de journée n'est plus merveilleuse du tout." Dorsday n'est pas l'unique raison du désarroi dans lequel s'enfonce la jeune fille. Elle est sincère lorsqu'elle dit au marchand d'art, dans sa tête, qu'il ne doit pas endosser toute la responsabilité de la situation. C'est une question de fierté, mais il est évident que Dorsday sert essentiellement à dévoiler qu'Else n'est pas la jeune fille solide et désinvolte qu'elle tente d'imaginer dans la première partie du livre. A cause de lui, elle réalise que le monde n'est pas seulement pourri dans son imagination, mais également dans la réalité, et cela, elle ne parvient pas à le gérer. Else est une jeune fille trop moderne pour son temps, et le tiraillement qu'elle ressent, entre ses idées exhibitionnistes, je-m'en-foutiste, et ses notions d'honneur, est insupportable. Elle se révèle fragile, et ne comprend pas que sa famille, et surtout son père qu'elle adore (quand elle méprise sa mère), puisse la mettre dans une telle situation.

En quelques pages, Mademoiselle Else devient donc un texte terrifiant, qui n'a qu'une seule issue possible, et Schnitzler n'oublie pas un seul instant de continuer à asséner à son héroïne des vérités insupportables sur les gens qui disent l'aimer. Du grand art.

Il s'agit d'un livre culte pour Malice. Brize et Kalistina l'ont lu également.    

25 juillet 2009

Nuit et Jour ; Virginia Woolf

7933_medium_1_Flammarion ; 405 pages.
Traduit par Catherine Naveau.
Night and Day. 1919.

Courage, il s'agit du dernier roman de Virginia Woolf que j'avais emporté en vacances. Certes, j'ai vraiment eu envie de m'en procurer d'autres, mais il existe des villages dans lesquelles on ne trouve pas la moindre librairie...

Katherine Hilbery est la fille unique d'un couple de l'aristocratie londonienne. Sa vie se partage entre sa contribution à la rédaction d'une biographie de son célèbre grand-père et ses activités domestiques et mondaines. Un après-midi, l'un des protégés de son père, Ralph Denham, se rend chez les Hilbery. La rencontre entre les deux jeunes gens est chaotique, mais Ralph décide de faire de Katherine une obsession. Ils se revoient quelques temps plus tard lors d'une soirée chez Mary Datchet, une jeune femme écartelée entre sa soif de liberté et son affection pour Ralph. Katherine est alors accompagnée de William Rodney, qui souhaite l'épouser.

Nuit et Jour est le second roman de Virginia Woolf, et même s'il est certainement fort bon dans l'absolu, et captivant presque de bout en bout, je pense que c'est le roman de l'auteur le moins abouti.
Sa construction est étonnament classique. Les pensées des personnages ne dominent pas l'ensemble, qui comporte également de très nombreux dialogues, énormément d'humour et de fraîcheur. Il serait réducteur de ramener l'intrigue à quelques relations amoureuses (comme je l'ai fait dans mon résumé). Il existe un véritable combat dans ce roman, entre deux époques (politique, littérature, moeurs, travail, religion). Virginia Woolf dresse un portrait aiguisé des questions que se posent les classes bourgeoises anglaises, alors que le vingtième siècle commence.
Cela se répercute notamment sur les conduites des deux personnages féminins principaux. Mary et Katherine sont, comme les autres héroïnes de Woolf, à la recherche de réponses sur elles-mêmes. Mary représente la femme indépendante, issue d'une modeste famille campagnarde, qui cherche à ne pas se laisser influencer par son environnement et ses propres démons, désireux de la faire revenir vers un rôle plus traditionnel. Quant à Katherine, elle est moins attachante qu'une Rachel, mais j'ai l'impression que Virginia Woolf aimait, dans ses premiers romans, créer des héroïnes qui, au début de leur histoire, ne lui ressemblent pas encore. Rachel n'aime pas Jane Austen, Katherine n'a carrément "aucune disposition pour la littérature", et éprouve même "une antipathie naturelle pour l'introspection" tandis qu'elle se passionne pour les mathématiques.
A première vue donc, les deux figures féminines principales de ce roman sont totalement opposées, et permettent de confronter des conceptions qui le sont tout autant. Je délire certainement (et en plus je me fais du mal en disant cela), mais au fur et à mesure de ma lecture, j'ai trouvé ce qui ne tient pas debout dans ce livre. Virginia Woolf a créé deux personnages un peu caricaturaux qui pourraient finalement être les différentes facettes d'une seule personne. Cela aurait permis d'éviter la cure d'amaigrissement subie par l'intrigue dans la dernière partie, qui voit Mary s'effacer au profit de Katherine, et sans doute pour le pire. Je suis pire que fleur bleue, et la réunion des amants est généralement le point culminant de ma lecture quand les livres s'y prêtent. Dans Nuit et Jour, les réflexions et les doutes de Katherine quant à ses affections, sont naturels, et dévoilent une personnalité complexe, qui refuse de s'engager pour satisfaire d'autres désirs que les siens. Cependant, ils sont tellement étirés que, si je ne parlais pas d'un auteur que j'adore, je dirais que l'on frôle la nunucherie (je sens que je vais avoir droit à des insultes mais tant pis). De plus, comme je l'ai noté plus haut, il me semble que les ambitions de Virginia Woolf sont bien plus larges au début du roman. Mais dans la dernière partie, on fait durer le plaisir et apparaître un personnage à la dernière minute pour que tout se finisse bien dans le meilleur des mondes, et cela sonne faux. 
En fait, je trouve que ce livre sonde de nombreuses pistes, mais avec maladresse. Woolf nous livre une histoire fort agréable, drôle, qui ravirait sans aucun doute beaucoup de lecteurs si un éditeur avait la bonne idée de rééditer Nuit et Jour. Mais ses tentatives de capter l'univers, comme dans ses autres romans, tombent un peu à plat.

Allie évoque aussi ce roman.

23 juillet 2009

La double vie de Virginia Woolf ; Geneviève Brisac & Agnès Desarthe

resize_4_Points ; 279 pages.
2004.

J'ai acheté plusieurs études sur Virginia Woolf depuis le début de l'année, dont la biographie d'Hermione Lee, qui fait plus de mille pages, mais j'ai préféré opter pour un format plus pratique pour la plage.

Je ne connais pas du tout Geneviève Brisac, et j'ai seulement lu Je ne t'aime pas Paulus d'Agnès Desarthe, mais je sais que cette dernière connais bien Virginia Woolf, dont elle a traduit La Chambre de Jacob et La Maison de Carlyle et autres esquisses, et pour laquelle elle a écrit une préface à L'Art du Roman.

La double vie de Virginia Woolf est donc un essai écrit par deux romancières qui tentent de dresser un portrait de l'auteur anglaise en ne se soumettant pas aux règles de la biographie traditionnelle, et en se basant presque exclusivement sur les écrits que Virginia Woolf a laissé : romans et nouvelles, mais aussi journal, essais, lettres et articles.
Je trouve ce parti pris intéressant. Beaucoup de passages m'ont plu dans ce livre. Il est prescripteur, et donne envie de se lancer dans les textes évoqués. Geneviève Brisac et Agnès Desarthe aiment leur sujet, et transmettent sans difficulté leur enthousiasme. Ce livre a aussi le mérite d'être synthétique, de ne pas donner dans le sensationnel en évitant de succomber à la légende qui entoure l'auteur britannique, et de donner des pistes concernant les différentes facettes de Virginia Woolf. Avec Geneviève Brisac et Agnès Desarthe, on découvre aussi l'environnement de l'auteur de Mrs Dalloway, ses amis, ses proches, son humour et ses époques. Et dans tout cela, sa vision de la vie et de ses travaux.
Alors bien sûr, tout n'est pas parfait. Il y a un manque de cohérence qui m'a gênée parfois. La chronologie est présente essentiellement au début et à la fin, et comme je l'ai noté, les auteurs de cet essai ont tenté de ne pas en être les esclaves, mais cela donne lieu à une impression que l'auteur n'a pas vraiment évolué entre 1915 et les dernières années de sa vie (j'exagère, mais je veux dire que l'on ne repère pas le parcours de Virginia Woolf de façon distincte ; le repère avec les textes cités existe, mais il est flou), et aussi à une impression de déjà-vu par moments.
Autre élément qui m'a surprise, les premiers romans de Virginia Woolf sont à peine évoqués (pour parler des relations de Virginia avec ses demi-frères), et pas du tout exploités. C'est contradictoire avec les objectifs des auteurs de cet essai, qui visaient justement à dresser un portrait de Virginia Woolf à travers ses écrits. Certes, elle n'a pas écrit seulement des romans, mais je trouve étrange de ne pas évoquer l'entrée en littérature de l'auteur que l'on étudie.

Je m'étale sur ce qui m'a déplu, mais cette lecture a été très agréable en réalité. Je pense qu'il faut la considérer comme une mise en bouche, et en cela le pari est tenu.

22 juillet 2009

La Chambre de Jacob ; Virginia Woolf

resize_1_Stock ; 252 pages.
Traduit par Agnès Desarthe.
V.O. : Jacob's Room. 1922.

A l'origine, il s'agissait surtout de trouver la biographie d'Hermione Lee, mais je suis incontrôlable en librairie, même quand j'y envoie les gens à ma place... Je peux aussi accuser Dominique de m'avoir obligée à acquérir la nouvelle édition de La Chambre de Jacob, en racontant que celle du Livre de Poche est illisible.

Je vais arrêter de vous raconter ma vie fascinante pour en évoquer une autre, celle de Jacob Flanders, ou Thoby Stephens, le frère aîné de Virginia Woolf, mort de la thyphoïde en 1906. Comme dans Vers le Phare, l'auteur ne se contente pas d'être avalée par son sujet. Elle le rend universel.

La construction de ce livre est très déconcertante. La chambre de Jacob est le troisième roman de Virginia Woolf, et en plus de rompre de façon très nette avec les textes précédents de l'auteur, il me paraît également très différent des suivants (à part peut-être Les Années, dans une certaine mesure). Il ne s'agit pas d'un récit linéaire, ni d'un réel enchevêtrement de monologues intérieurs, mais d'une collection de souvenirs, d'émotions et de paysages autour d'un personnage, Jacob, depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte, depuis la mer jusqu'à Cambridge et la Grèce. Ces bribes ne sont elles-mêmes que des esquisses, qui s'expriment de façon vague, et ne disposent que de peu d'espace.
Elles reflètent un manque, une ombre : "Dans tous les cas, la vie n'est qu'une procession d'ombres, et Dieu seul sait pourquoi nous les étreignons si passionnément et les voyons partir avec une telle angoisse, alors qu'elles ne sont, et que nous ne sommes, que des ombres."
Comme souvent avec Virginia Woolf, le temps a un rôle fondamental, c'est lui qui mène la danse. Il donne lieu à des scènes colorées, qui nous rendent presque sereins, comme cette traversée en bateau de Jacob et Durrant, avant de nous replonger aussi sec dans des scènes plus dramatiques, comme certaines interventions des femmes, qui arrivent telles des cris annonçant les drames du présent et du futur.
J'ignore si c'est un signe du caractère autobiographique de l'oeuvre, mais l'auteur s'insère dans le récit, et je ne me souviens pas l'avoir remarqué dans ses autres romans. On peut aussi retrouver des réflexions sur la littérature et le déroulement de l'histoire qui existent également dans les autres romans de l'auteur, et aussi dans son oeuvre critique.
La Chambre de Jacob n'est pas le livre de Virginia Woolf que j'ai le plus apprécié, mais ça ne veut pas dire grand chose avec cet auteur. Il s'agit d'un très beau livre, qui berce le lecteur, le perd, et surtout l'émeut profondément.

"Les îles Scilly viraient au bleu ; et soudain un éclat bleu, violet, puis vert envahit la mer ; la laissa grise ; imprima une raie qui aussitôt disparut ; mais lorsque Jacob eut passé sa chemise par-dessus sa tête toute l'étendue des vagues était bleu et blanc, ondulante et fraîche, bien que, de temps à autre, une large marque violette apparût à a surface, comme un hématome ; ou encore il arrivait qu'un plein émeraude flottât, teinté de jaune. Il plongea. Il avala de l'eau, la recracha, frappa de son bras droit, frappa de son bras gauche, fut remorqué par une corde, suffoqua, éclaboussa, et fut hissé sur le pont."

L'avis de Dda.

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21 juillet 2009

Nos amis des confins ; Sylvie Doizelet

resize_3_Seuil ; 137 pages.
2009.

Ceci est mon 400ème billet, et il est lamentable...

Avant de recommencer à vous bassiner avec Virginia Woolf, je vais vous parler d'un petit livre que j'ai découvert il y a déjà quelques semaines.

Debbie Williams vient de quitter les Etats-Unis et son mari pour retourner en Angleterre, son pays d'origine. Bien que travaillant à Londres, elle décide de s'établir à Grays. L'agence immobilière et son gérant, l'étrange G.M., lui ouvrent donc les portes du cottage de Mary Seddon, une poétesse anglaise.
Très vite, Debbie se lie d'amitié avec un groupe d'amis, dont G.M. et Henrietta, cette dernière organisant les Ghost Walks, la visite des lieux hantés de la ville. Ils se retrouvent au Theobald, dont le régisseur est absent. Peu à peu, tous ceux que Debbie connaît se mettent à agir bizarrement, puis à disparaître.

Voilà une jolie lecture qui m'a fortement convaincue. Sylvie Doizelet parvient à créer une ambiance qui n'est pas angoissante certes (contrairement à un autre livre que je viens de terminer), mais qui intrigue le lecteur en lui faisant comprendre que des événements difficilement explicables se produisent autour de Debbie. Les personnages sont tous mystérieux. Même Debbie n'a pas tout dit, et notamment sur son retour en Angleterre. Certains des habitants semblent craindre quelque chose, et cela est amplifié par l'idée du cottage d'une poétesse dont la vie à Grays est elle aussi inconnue.
Le lecteur est entraîné dans un jeu, dont la fin m'a un peu déçue (pour des raisons personnelles), et qui permet en fait d'aborder les relations des vivants. L'étrangeté des personnages ne sert pas uniquement l'ambiance. La fuite les habite, et ils l'expriment de différentes manières. Il y en a qui sont partis de façon inexplicables, d'autres qui ne semblent pas pressés de revenir, et d'autres enfin qui vivent leur vie comme un véritable jeu de cache-cache.
Je n'ai pas grand chose à ajouter. Sylvie Doizelet, qui m'était inconnue jusqu'alors, a écrit un texte intéressant, très plaisant à lire, et je suis ravie de cette découverte.   

Les avis de Lou (que je remercie pour le prêt) et de Malice.

11 juillet 2009

Vers le Phare ; Virginia Woolf

resize_3_Folio . 363 pages.
Traduit par Françoise Pellan.
V.O. : To the Lighthouse. 1927.

Publié en 1927, Vers le Phare est le cinquième roman de Virginia Woolf. C'est aussi un chef d'oeuvre.

Nous sommes peu avant la Première Guerre mondiale, sur une île écossaise, dans la résidence d'été de la famille Ramsay. James, le plus jeune des huit enfants Ramsay, rêve d'une excursion au Phare le lendemain. Sa mère le soutient, mais son père brise ses espérances, s'appuyant sur la logique, qui veut que le mauvais temps vienne gâcher ce projet. "Il était incapable de proférer une contrevérité ; ne transigeait jamais avec les faits ; ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive, et surtout pas ses propres enfants qui, chair de sa propre chair, devaient savoir dès leur plus jeune âge que la vie est difficile ; les faits irréductibles ; et que la traversée jusqu'à cette terre fabuleuse où s'anéantissent nos plus belles espérances, où nos frêles esquifs s'abîment dans les ténèbres (là, Mr Ramsay se redressait, plissait ses petits yeux bleus et les fixait sur l'horizon), est un voyage qui exige avant tout courage, probité, et patience dans l'épreuve."

Vers le Phare est un texte qui appartient sans doute à ce que l'on appelle les romans sans intrigue, même si cette appellation ne me semble pas vraiment exacte, et fait surtout penser que l'on parle d'un truc complètement barbant. Or, ce livre ne correspond pas du tout à cette idée. Comme dans les autres romans de Virginia Woolf, il s'agit ici d'une quête. Celle du sens, de l'aboutissement, du bout des ténèbres.
Les personnages visent à ce but, et nous livrent leurs pensées par le biais de monologues intérieurs. Il sont tourmentés, inquiets, blessés, maladroits. J'ai souri en regardant le couple formé par les parents Ramsay. Ils ressemblent un peu aux Dalloway dans la relation qu'ils entretiennent. L'image de Richard achetant des fleurs pour son épouse parce qu'il ne sait pas dialoguer avec son épouse n'est vraiment pas loin. En réalité, d'après les notes du texte, Mr et Mrs Ramsay sont des échos des parents de Virginia Woolf, Julia et Leslie Stephen, et le nombre d'enfants correspond également, ainsi que d'autres détails.
Le récit se divise en trois parties inégales. La première se déroule donc sur une soirée d'été, et voit se découper nettement la figure de Mrs Ramsay qui, bien qu'en proie à de nombreux tourments elle même, parvient plus ou moins à apaiser ceux des autres, et à retenir le temps. La deuxième partie voit le temps reprendre ses droits, délabrer la maison, et emporter les vivants. Le tout en vingt pages qui font passer dix ans. Enfin, la troisième partie ramène l'espoir face à l'inachevé.
Pour parvenir à ce résultat, Virginia Woolf pousse son écriture aussi loin qu'il est possible de le faire. Son style est tout bonnement incroyable. Chaque phrase est une perfection, soutenue par une marée de clins d'oeil. A commencer par ce mouvement vers le Phare, l'achèvement. Ou la mort. En effet, comme dans La Traversée des Apparences, où Rachel Vinrace meurt pour avoir souhaité l'inaccessible, achèvement et mort se confondent ici. Ce parcours se reflète également dans le tableau que Lily Briscoe ne parvient à peindre qu'au dernier moment. Il ressort de tout cela une très belle poésie, et cela se ressent encore plus dans la deuxième partie. Je pense même qu'on peut la lire séparément du reste, comme un poème tragique, et en ressortir bouleversé.

"Ainsi, toutes les lampes éteintes, la lune disparue, et une fine pluie tambourinant sur le toit, commencèrent à déferler d'immenses ténèbres. Rien, semblait-il, ne pouvait résister à ce déluge, à cette profusion de ténèbres qui, s'insinuant par les fissures et trous de la serrure, se faufilant autour des stores, pénétraient dans les chambres, engloutissaient, ici un broc et une cuvette, là un vase de dahlias jaunes et rouges, là encore les arêtes vives et la lourde masse d'une commode. Non seulement les meubles se confondaient, mais il ne restait presque plus rien du corps ou de l'esprit qui permette de dire : "C'est lui" ou "C'est elle." Une main parfois se levait comme pour saisir ou pour repousser quelque chose ; quelqu'un gémissait, ou bien riait tout fort comme s'il échangeait une plaisanterie avec le néant."

Je réalise que vous allez penser que ce livre est horriblement déprimant, alors que c'est faux. J'ai souvent sourit, au contraire. Les personnages, même si on les affectionne, ont des comportements très drôles, particulièrement dans la première partie. On oscille souvent entre paix et tourments dans ce livre, mais c'est la réconciliation qui l'emporte.

Ce livre m'a empoignée comme cela ne m'était pas arrivé depuis très longtemps. Vous vous souvenez de ma rencontre avec Le Bruit et la Fureur l'année dernière ? Je crois qu'on est encore un cran au-dessus.   

"Elle creusa un petit trou dans le sable et le recouvrit, comme pour y enterrer la perfection de cet instant. C'était comme une goutte d'argent dans laquelle on trempait son pinceau pour illuminer les ténèbres du passé."

"Personne n'avait jamais eu l'air aussi triste. Une larme, peut-être, se forma, amère et noire, dans les ténèbres, à mi-chemin du puits qui conduisait de la lumière du jour jusqu'aux tréfonds ; une larme coula ; la surface de l'eau se troubla légèrement à son contact puis redevint lisse. Personne jamais n'avait eu l'air aussi triste."

 

8 juillet 2009

Les Années ; Virginia Woolf

untitledFolio ; 572 pages.
Traduit par Germaine Delamain et Colette-Marie Huet. Préface de Christine Jordis.
V.O. : The Years. 1937.

Il est très difficile de parler des romans d'un auteur que l'on aime comme j'aime Virginia Woolf. Dans ces cas là, l'objectivité est encore plus éloignée, et il ne s'agit plus seulement de parler d'un texte, mais d'une relation (je suis très sentimentale, mais si vous saviez tout ce que je dois à Virginia Woolf...).

Je me suis plongée dans Les Années parce qu'après Céline, je savais qu'il serait difficile de ne pas trouver mes lectures fades. J'ai eu mille fois raison, ce livre est un immense roman.
Que s'y passe t-il ? Tout et rien en même temps. Nous suivons une famille anglaise, les Pargiter, depuis 1880 jusqu'aux années 1930, mais il ne s'agit aucunement d'une saga familiale.
Les personnages sont attachants, deviennent familiers. J'ai bien sûr complètement fondu devant Edward, cet homme assommant d'érudition, mais aussi d'une grande beauté et surtout au coeur irrémédiablement brisé, un être "dont l'intérieur a été dévoré, ne laissant que les ailes et la carapace". Les événements politiques et sociaux apparaissent en toile de fond, rythment le récit, et ce pied dans la réalité nous permet de voir l'évolution extérieure des choses et des hommes.
Toutefois, si je dit qu'il n'est pas non plus faux d'affirmer qu'il ne se passe rien, c'est parce que le lecteur à la recherche d'une intrigue suivie et palpitante de manière traditionnelle sera nécessairement frustré. Il y a beaucoup d'inachevé (volontaire) dans ce livre. Les personnages que l'on croise en 1880 ne réapparaissent pas forcément avant que la dernière partie ne se déroule, ou alors seulement en tant que fantôme. Je pense notamment à Delia, cette jeune femme incapable de pleurer une mère qu'elle ne pouvait plus aimer, que l'on revoit seulement un demi siècle plus tard. Les phrases sont souvent inachevées, les personnages ne s'écoutent que rarement parler les uns les autres, de nombreuses scènes sont énigmatiques, et les réponses n'arriveront pas toujours.
Il s'agit en fait pour Virginia Woolf d'équilibrer son roman, de laisser de la place à ce qui est finalement aussi important. La quatrième de couverture a à mon avis raison de dire que le grand meneur de ce texte, c'est le temps. Le temps qui interrompt, qui mène l'histoire et les lecteurs, qui ébranle tout sur son passage, comme le vent que l'on retrouve à de nombreuses reprises. Il fait vieillir les personnages à une vitesse incroyable. Les Pargiter ont à peine le temps de s'interroger sur le sens des choses qu'il ne leur reste déjà plus que des souvenirs, et les lambeaux de leur chair. "Voilà à quoi aboutissent trente ans de vie commune, entre mari et femme - tut-tut-tut et tchou-tchou-tchou. On aurait cru entendre des bestiaux ruminer plus ou moins distinctement dans leur étable - tut-tut-tut et tchou-tchou-tchou - en piétinant la paille douce et fumante de leur litière, de la même manière qu'ils se vautraient jadis dans les marais primitif ; nombreux, prolifiques, à peine conscients, se disait North, tandis qu'il écoutait d'une oreille distraite le jovial clapotement, qui soudain s'adressa à sa personne."
Le texte entier est empreint d'une grande mélancolie, de grands questionnements, portés par une écriture qui n'oublie aucune émotion, mais la fin est étrangement plutôt ouverte et paisible. La dernière partie contient également davantage de descriptions comiques que le reste du roman.

En fait, avec ce texte, pour reprendre des mots de Virginia Woolf picorés dans la préface, l'auteur parvient à combiner "le fait et la vision" à merveille. Il s'agit d'un aboutissement parfaitement réussi pour elle, qui jusque là avait privilégié soit l'un soit l'autre. Cette préface est également très intéressante pour les informations qu'elle contient sur la genèse du texte, et sur les ellipses contenues dans le roman.

"Une rafale soudain s'engouffra dans la rue ; elle chassa un morceau de papier le long du trottoir et un petit tourbillon de poussière sèche lui courut après. Au-dessus des toits s'étendait un de ces couchers de soleil de Londres, rouges et changeants, qui allument dans chaque fenêtre l'une après l'autre, des flambées d'or. Cette soirée de printemps avait quelque chose de sauvage ; même ici à Abercorn Terrace la lumière variait, passait de l'or au noir, du noir à l'or. Delia laissa tomber le rideau ; elle se retourna et vint au milieu du salon en disant tout à coup :
' Oh ! mon Dieu !' "

5 juillet 2009

L'Art du roman ; Virginia Woolf

woolfPoints ; 231 pages.
Traduit par Rose Celli. Préface de Agnès Desarthe.

« Poète dans ses romans », Virginia Woolf « est rarement aussi romancière que dans ses essais ». Pour cette raison, et aussi parce que Virginia Woolf est chère à mon cœur, et a donc droit à un traitement particulier, je vais évoquer une collection d’articles relatifs à la littérature sur mon blog.

En effet, L’art du roman n’est pas un véritable essai. Les textes qu’il rassemble ont été assemblés en 1961, soit vingt ans après la mort de l’auteur. L’ordre est d’ailleurs essentiellement chronologique, et les thèmes abordés, comme le note Agnès Desarthe dans sa préface, ne sont pas forcément toujours très proches les uns des autres.

En ce qui me concerne, ma lecture n’a pas du tout été gênée par ces choix qui auraient pu se révéler un peu instables. Au contraire, cela permet d'offrir un livre décomplexé de tout ton un peu pédant, et de laisser l’esprit du lecteur suivre celui de Virginia Woolf, qui elle-même, tout en gardant une réflexion très pertinente, ne prend personne de haut et ne vise qu’un seul objectif, servir la littérature.

 

Virginia Woolf adopte donc plusieurs casquettes dans cet opus. Elle est romancière bien sûr (autant dans sa façon d'écrire que dans ses préoccupations), mais aussi critique, éditrice, et surtout lectrice et femme. Elle évoque ses vues sur le roman moderne (enfin, celui de son époque), mais aussi sur la façon dont il doit évoluer. Elle témoigne ainsi des questionnements auxquels le monde littéraire est en proie au début du 20e siècle. L’influence de la psychanalyse, de la découverte de soi, que l’on note également en France à la même époque, transparaît. Elle ne rejette pas les auteurs du passé, et en admire même beaucoup, mais elle œuvre, pour que la Littérature prenne de nouveaux chemins. La personnalité de Virginia Woolf imprègne d’ailleurs le papier dans ce discours, ce qui m’a beaucoup intéressée, et parfois fait sourire. Elle est extrêmement exigeante en ce qui concerne la façon dont elle juge les écrivains de son époque, et ne se met surtout pas en avant. On la sent même très modeste, et très peu sûre d’elle. Quand on sait qu’elle était juste l’un des plus grands auteurs de son époque, c’est assez amusant.

Même si je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’elle dit, son amour de la littérature est tellement grand qu’on ne peut que le respecter. Elle fait moult références à la littérature que j’aime. Jane Austen, Laurence Sterne, Walter Scott, Thackeray, Stevenson, E.M. Forster, Emily Brontë, les auteurs russes, et d’autres interviennent pour illustrer ses propos. Elle est sincère, j’aime particulièrement quand elle dit de certains auteurs qu’ils savent très bien l’ennuyer, mais qu’ils sont admirables quand même. Au besoin, elle crée même de nouveaux personnages pour illustrer son propos, comme Mr Bennett et Mrs Brown, que je n’oublierai pas de sitôt. Je ne suis pas complètement d'accord à propos de son avis sur Dickens (qu'elle apprécie beaucoup, pas de panique), mais je trouve ces quelques mots très justes :

 

" [...] une grande partie de notre plaisir en lisant Dickens réside dans cette impression que nous avons de jouer avec des êtres deux fois ou dix fois plus grands que nature, qui gardent juste assez de ressemblance humaine pour que nous puissions rapporter leurs sentiments, non à nous-mêmes mais à ces figures étranges aperçues par hasard à travers la porte entrouverte d'un bar, ou flânant sur les quais, ou se glissant mystérieusement le long des petites allées entre Holborn et les Law Courts. Nous pénétrons d'emblée dans le climat de l'exagération."

 

Les questions qu'elle soulève sont très intéressantes, comme celle de la traduction, du réalisme, du style, de la place du roman, de la poésie, des femmes, et sont pour la plupart toujours plus ou moins d'actualité aujourd'hui. Par exemple, avec son mari, ils ont traduit beaucoup d’auteurs russes, et Woolf les appréciait particulièrement. Elle note que les spécialistes ne parlent souvent pas un mot de cette langue, et s’interroge sur leur crédibilité (certes, j'ose croire qu'aujourd'hui les spécialistes lisent leurs auteurs de prédilection en version originale, mais les débats sur les traductions sont loin d'être clos).
Car à travers ces remarques sur la Littérature, on sent une femme parfaitement consciente des changements, des enjeux du monde d’après 1914, qui a été complètement ébranlé dans ses certitudes. Elle prend cependant la modernité avec beaucoup d’humour, sans défaitisme, et semble même pleine d’espoir dans le dernier texte, écrit seulement un an avant qu’elle ne se donne la mort. Elle appelle tous les lecteurs du monde à contribuer à faire vivre la Littérature, considère la lecture comme une pratique sans règles, à part celle justement de ne pas tenir compte de règles, et voit en son art un élément transcendant, quelque chose qui vaut vraiment qu'on lui consacre sa peine, qui a besoin de nous :

 

« Chacun de nous a un appétit qui doit trouver tout seul l’aliment qui lui convient. Et ne restons pas, par timidité, à l’écart des rois parce que nous sommes des roturiers. Ce serait un crime aux yeux d’Eschyle, de Shakespeare, de Virgile, de Dante, qui s’ils pouvaient parler (et ils le peuvent) diraient : « Ne me laisse pas aux gens en robe et en toque. Lis-moi, lis-moi toi-même ! » Peu leur importe que nous placions mal l’accent ou que nous lisions avec une traduction à côté de nous. Bien sûr, ne sommes-nous pas des roturiers, des amateurs ? nous allons piétiner beaucoup de fleurs, abîmer beaucoup d’antique gazon. Mais rappelons-nous un conseil qu’un éminent Victorien, qui était aussi amateur de marche à pied, donnait aux promeneurs : « Chaque fois que vous voyez un écriteau avec ‘Défense de passer’, passez tout de suite. »

Passons tout de suite. La littérature n’est pas propriété privée ; la littérature est domaine public. Elle n’est pas partagée entre nations ; là il n’y a pas de guerre. Passons sans crainte et trouvons notre chemin tout seuls. C’est ainsi que la littérature anglaise survivra à cette guerre et franchira l’abîme : si les roturiers et les amateurs comme nous font de ce pays notre propre pays, si nous nous apprenons à nous-mêmes à lire et à écrire, à conserver et à créer. »

Il y aurait bien plus à dire et à développer sur ce livre, et je vais moi-même élaborer des fiches plus détaillées très vite. J'espère ne pas avoir fait de raccourcis fâcheux. Comme je sais que plusieurs projettent de lire cet ouvrage, ou sont en train de le faire, j'espère qu'elles me corrigerons au besoin.
Quant à moi, je vous parle très bientôt d'un roman de Virginia Woolf qui fait mon bonheur depuis hier, Les Années.

George Sand et moi évoque elle aussi L'art du roman.

4 juillet 2009

Voyage au bout de la nuit ; Louis-Ferdinand Céline

resize_2_Folio ; 505 pages.
1932.

Parmi les romanciers qui me terrorisent, Céline occupe une place de choix. Voyage au bout de la nuit est acclamé par à peu près tout le monde, de nombreuses remarques relatives au style ou encore à l'ambiance du livre circulent et contribuent à faire de ce texte un épouvantail. Quant à la bête en elle même : 500 pages écrites en tout petit (d'ailleurs, si Folio réduit encore la police, je propose Voyage au bout de la nuit pour une prochaine chaîne de livres)...
Toutefois, vous me connaissez, je suis une blogueuse de parole, et je mets un point d'honneur à réaliser les défis que je me lance (hum), donc j'ai pris une grande inspiration, et je me suis lancée à la découverte de cette oeuvre.

Résumer cette oeuvre est très difficile. Disons simplement que nous suivons Bardamu, un jeune homme qui correspond à l'idée que l'on se fait d'un raté, dans la nuit humaine.

Il m'a fallu deux semaines pour achever cette lecture, mais quelle fin ! Ne vous en faîtes pas, je vais vous barber avec le style de Céline, mais la fin de Voyage au bout de la nuit m'a tellement impressionnée que c'est par là que je vais commencer. Les pérégrinations de Bardamu à la guerre, puis en Afrique et en Amérique se déroulent et s'achèvent de façon parfaitement naturelle. Mais à partir du moment où Bardamu s'installe à Rancy, même si la misère humaine est toujours décortiquée avec autant de brio, je voyais la fin se rapprocher dangereusement, en me demandant si j'allais avoir droit à une conclusion qui ne me laisserait pas sur le trottoir. Non seulement ça n'a pas été le cas, mais en plus les derniers événements donnent une telle puissance et un tel sens à tout le reste que Voyage au bout de la nuit restera un immense souvenir debbd82ed50350bb3597933445577434d414f4541_1_ lecture pour moi. En fait, à ce moment là, je me suis sentie un peu comme face à Lumière d'août il y a un an. Le texte de Céline est linéaire, mais à l'image de celui de Faulkner, on ne peut l'apercevoir qu'une fois la lecture achevée.
Attention, je ne suis pas en train de dire que j'ai compris le quart du tiers de la moitié de ce qui est contenu dans Voyage au bout de la nuit. Il va même falloir que je me documente sérieusement, parce que je veux en savoir plus à propos de ce texte. Toutefois, j'ai suffisamment goûté ma lecture pour me prendre une formidable gifle.
Outre les aspects de la construction que je viens d'évoquer, j'ai savouré la prose de Céline comme je l'avais rarement, voire jamais fait. Le texte semble avoir été écrit à la va vite, le récit de Bardamu est parsemé de fautes de langue qui le rendent parfois difficilement compréhensible, mais tout a en réalité été soigneusement pensé. J'ai voulu noter les phrases qui me frappaient, mais j'ai vite réalisé qu'il me faudrait recopier le texte en intégralité. Voyage au bout de la nuit est un livre qui transpire d'intelligence. Chaque phrase fait mouche, l'argot devient poésie, le sombre devient comique. Dans le même esprit, Bardamu, ce raté, et même Robinson, ce double raté, semblent finalement les seuls à avoir pris la mesure de la situation.
On m'avait dit que Céline vomissait le monde des hommes avec ce livre, je me suis contenté de le trouver vrai. L'absurdité de beaucoup de choses dans l'existence, la recherche de l'habitude et de la conformité plutôt que du bien être, la politique de l'autruche, ça ne vous rappelle vraiment rien ?
Je vais m'arrêter là, parce que j'ai vraiment honte de mon billet. Je vous livre quelques unes des citations que je n'ai pu m'empêcher de relever :

"Mentir, baiser, mourir. Il venait d'être défendu d'entreprendre autre chose. On mentait avec rage au-delà de l'imaginaire, bien au-delà du ridicule et de l'absurde, dans les journaux, sur les affiches, à pied, à cheval, en voiture. Tout le monde s'y était mis. C'est à qui mentirait plus énormément que l'autre. Bientôt il n'y eut plus de vérité dans la ville."

"Le monde ne sait que vous tuer comme un dormeur quand il se retourne le monde, sur vous, comme un dormeur tue ses puces. Voilà qui serait certes mourir bien sottement, que je me dis, comme tout le monde, c'est-à-dire. Faire confiance aux hommes, c'est déjà se faire tuer un peu."

"La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi."

"Elle leur cache tout la vie aux hommes. Dans le bruit d'eux-mêmes ils n'entendent rien. Ils s'en foutent. Et plus la ville est grande et plus elle est haute et plus ils s'en foutent. Je vous le dis moi. J'ai essayé. C'est pas la peine."

"Le train est entré en gare. Je n'étais plus très sûr de mon aventure quand j'ai vu la machine. Je l'ai embrassée Molly avec tout ce que j'avais encore de courage dans la carcasse. J'avais de la peine, de la vraie, pour une fois, pour tout le monde, pour moi, pour elle, pour tous les hommes.
C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir.
Des années ont passé depuis ce départ et puis des années encore... J'ai écrit souvent à Detroit et puis ailleurs à toutes les adresses dont je me souvenais et où l'on pouvait la connaître, la suivre Molly. Jamais je n'ai reçu de réponse.
La Maison est fermée à présent. C'est tout ce que j'ai pu savoir. Bonne, admirable Molly, je veux si elle peut encore me lire, qu'elle sache bien que je n'ai pas changé pour elle, que je l'aime encore et toujours, à ma manière, qu'elle peut venir ici quand elle voudra partager mon pain et ma furtive destinée. Si elle n'est plus belle, eh bien tant pis ! Nous nous arrangerons ! J'ai gardé tant de beauté d'elle en moi et pour au moins vingt ans encore, le temps d'en finir.
Pour la quitter il m'a fallu certes bien de la folie et d'une sale et froide espèce. Tout de même, j'ai défendu mon âme jusqu'à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais, j'en suis certain, jamais tout à fait aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m'a fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d'Amérique. "

"Derrière la Pérouse, c'est la grande ruée du ciel. Une abominable débâcle, il en arrive tournoyants des fantômes des quatre coins, tous les revenants de toutes les épopées... Ils se poursuivent, ils se défient et se chargent siècles contre siècles. Le Nord demeure alourdi longtemps par leur abominable mêlée. L'horizon se dégage en bleuâtre et le jour enfin monte par un grand trou qu'ils ont fait en crevant la nuit pour s'enfuir."

" Mais si! qu'il lui a répondu. Que j'en ai du courage! et sûrement bien autant que toi !... Seulement moi si tu veux tout savoir... Tout absolument... Eh bien, c'est tout, qui me répugne et qui me dégoûte à présent ! Pas seulement toi !... Tout!... L'amour surtout !... Le tien aussi bien que celui des autres... Les trucs aux sentiments que tu veux faire, veux-tu que je te dise à quoi ça ressemble moi ? Ça ressemble à faire l'amour dans des chiottes! Tu me comprends-t-y à présent ?... Et tous les sentiments que tu vas chercher pour que je reste avec toi collé, ça me fait l'effet d'insultes si tu veux savoir... Et tu t'en doutes même pas en plus parce c'est toi qui es une dégueulasse parce que tu t'en rends pas compte... Et tu t'en doutes même pas non plus que tu es une dégoûtante!... Ça te suffit de répéter tout ce que bavent les autres... Tu trouves ça régulier... Ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde et toujours... Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !... Tu m'entends ? Plus avec moi que ça prend ma fille... leur dégueulasse d'amour !... Tu tombes de travers !... T'arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !... Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères ?... T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe?... De tout ce qu'on voit?... Ou bien c'est-y que tu vois rien ?... Je crois plutôt que tu t'en fous !... Tu fais la sentimentale pendant que t'es brute comme pas une... Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?... Ça passe alors ?... Pas à moi !... Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que t'as le nez bouché ! Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte... Tu cherches à savoir ce qu'il y a entre toi et moi ?... Eh bien entre toi et moi, il y a toute la vie... Ça te suffit pas des fois ? "

Les avis de Wictoria, Roxane, Julien et Thom.
Lu dans le cadre du défi Blog-o-trésors que j'achève ainsi.

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