Purge - Sofi Oksanen
1992. Les Soviétiques se retirent d'Estonie après des décennies d'occupation à peine entrecoupées par l'invasion nazie. Aliide est une vieille femme vivant seule à la campagne. Son mari est mort et sa fille, installée en Finlande, ne vient presque plus la voir. Elle espère que les procès engagés pour le recouvrement des terres va la dédommager des pertes dues au communisme. Lorsqu'elle trouve Zara, une jeune femme originaire de Vladivostok, dans la cour de sa maison, son passé lui revient à la figure.
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Tout d'abord, en raison du style de l'autrice. L'écriture de Purge n'est pas particulièrement remarquable, mais elle souffre d'un manque de fluidité qui rend la concentration du lecteur difficile. Au bout d'une centaine de pages (sur plus de quatre cents), j'ai heureusement réussi à trouver le tempo.
L'histoire elle-même n'est pas exempte de lourdeurs. Les chapitres se déroulant en 1991-1992 ne sont pas ce qui fait la force de cette histoire alors qu'ils sont très nombreux. Par ailleurs, si je comprends la volonté de l'autrice de montrer la nature humaine dans ce qu'elle a de plus nauséabond, je crois que les histoires de rivalité féminine commencent à me lasser profondément. Ce procédé est si courant qu'il a un fort goût de facilité.
Malgré ces défauts, j'ai énormément apprécié l'aspect historique de ce livre. Retrouver l'Estonie, ce pays dont l'identité a été si difficile à construire en raison des géants qui n'ont que rarement respecté ses frontières, a été passionnant. Il n'y a pas ici la magie de L'Homme qui savait la langue des serpents (ni le talent de conteur d'Andrus Kivirähk), mais les habitants sont amenés à choisir entre le bourreau soviétique et l'envahisseur nazi. Ce qui paraît évident en termes de morale à des Occidentaux ne l'est pas pour des Estoniens. Un changement de perspective important pour bousculer nos certitudes qui reposent souvent sur une vision très autocentrée de l'histoire.
Une première participation au Mois de l'Europe de l'Est d'Eva et Patrice qui n'est clairement pas parfaite, mais étrangement j'ai le sentiment que cette histoire ne s'effacera pas de sitôt de ma mémoire.
Le Livre de Poche. 429 pages.
Traduit par Sébastien Cagnoli.
2008 pour l'édition originale.
L'Homme qui savait la langue des serpents - Andrus Kivirähk
Autrefois, les Estoniens vivaient dans la forêt, où la langue des serpents leur permettait de communiquer avec les animaux. Lorsque les hommes de fer sont arrivés, ils ont d'abord pu se défendre. Leurs sifflements réveillaient la salamandre qui les menait au combat.
Puis, les Estoniens ont commencé à sortir de la forêt, à construire des villages et à cultiver la terre. Ils ont renié leurs anciennes coutumes, se sont convertis au christianisme et ont oublié la langue des serpents.
Leemet est né dans un de ces villages. A la mort de son père, sa mère choisit de retourner dans la forêt. Leemet grandit donc dans ce monde où les ours séduisent les femmes, où des anthropopithèques élèvent des poux géants et où les louves sont élevées pour leur lait. Avec son oncle Vootele, il apprend la langue des serpents et rêve de voir revenir la salamandre.
Après l'Amérique Latine, dont j'ai exploré la littérature durant un mois, je pose mes bagages en Europe de l'Est avec Goran, Eva et Patrice. L'occasion de découvrir L'Homme qui savait la langue des serpents, roman estonien qui a rencontré un certain succès en France.
Il n'est pas facile de résumer ce livre, ni de trouver une façon de donner envie de le lire à des personnes plutôt réfractaires à la littérature dite de genre. Pourtant, c'est l'une de mes meilleures surprises de ces dernières années.
La postface explique combien ce livre, qui a l'apparence d'un conte, est une critique bien réelle de la société estonienne contemporaine: on y retrouve l'attrait de l'Occident (l'Estonie a participé à l'intervention en Irak au début des années 2000), mais aussi l'envie d'une frange de la population de se rapprocher de la terre et du folklore traditionnel. Des tendances présentes aussi chez nous, pour le meilleur et pour le pire.
A travers son univers merveilleux riche, qui m'a fait penser à des merveilles de Miyazaki comme Princesse Mononoke et Nausicaa de la vallée du vent, L'Homme qui savait la langue des serpents est une oeuvre sur le temps qui passe. Les sociétés évoluent et broient ceux qui restent en arrière.
Ce qui puait, c’étaient les mots des serpents : c’étaient ces connaissances, devenues inutiles et superfétatoires dans le monde nouveau, qui pourrissaient en sécrétant une odeur doucereuse. D’un coup, mon avenir m’apparut avec une terrible clarté – une vie solitaire au fond des bois, avec quelques reptiles pour seuls compagnons, tandis qu’à l’air libre galoperaient les hommes de fer, chanteraient les moines, et que des milliers de villageois iraient moissonner à la faucille. J’étais vraiment une feuille morte, une feuille de l’an dernier qui par malheur avait poussé trop tard pour voir la splendeur de l’été. Avec le printemps, l’arbre se couvrait de feuilles nouvelles, encore tout vertes et qui bruissaient bêtement. L’été dernier était tombé dans l’oubli, ses dernières traces étaient en train de s’évaporer. J’inspirai très fort – pas de doute, c’était bien l’odeur de la décomposition.
Certains remplacements ne se font malheureusement qu'en surface. Le christianisme ne remplace pas positivement la barbarie des sages de la forêt. L'ignorance continue à dominer le monde et à tuer beaucoup trop d'innocents.
C'est éprouvant. Bien que le ton employé soit souvent humoristique, que certaines scènes qui devraient nous retourner l'estomac ou nous laisser perplexe nous fassent sourire, c'est une histoire sombre que nous conte Leemet. Dès la première phrase, nous savons qu'il est seul, et tout au long du livre il nous martele qu'il sera le dernier. On ignore pourtant à quel point cela sera dur, violent et douloureux. La première disparition m'a sonnée, les suivantes m'ont plongée dans une tristesse profonde, à la fois pour Leemet et pour ce monde qu'il voit disparaître.
Alors pourquoi s'infliger ça ? Pour la beauté de certains passages, malgré quelques incursions dans le registre familier qui m'ont surprise. Pour les personnages de Vootele, des anthropopithèques, d'Ints, du grand-père et même des fanatiques Ülgas et Johannes. Parce que c'est une lecture inclassable, inhabituelle mais surtout réussie que j'ai lue presque d'une traite.
Une lecture aux mille facettes pour débuter mon Mois de l'Europe de l'Est en beauté.
Les avis de Sylire (qui m'a fait plonger), Keisha, Ingannmic, Karine, Maggie (plus mitigée) et Claudialucia.
Audiolib. 13 heures et 57 minutes.
Traduit par Jean-Pierre Minaudier.
2007 pour l'édition originale.