14 janvier 2023

Sodome et Gomorrhe - Marcel Proust

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" La règle [...] est que les durs sont des faibles dont on n'a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu'on veuille d'eux ou non, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse. "

Le narrateur se rend à la soirée du Prince et de la Princesse de Guermantes sans savoir s'il est réellement invité ou victime d'une mauvaise farce. Apercevant Swann, il apprend des nouvelles déconcertantes concernant la position de ses relations au sujet de l'Affaire Dreyfus. C'est toutefois M. de Charlus qui lui réserve la plus grande des surprises. En effet, le narrateur l'aperçoit dans une situation équivoque avec un autre homme.
Plus tard, il retourne à Balbec, où l'absence de sa grand-mère se fait cruellement ressentir. M. de Charlus et Albertine sont aussi de la partie. Avec les Verdurin et les Cottard, ils se côtoient aussi bien dans les soirées mondaines que dans leurs nombreux trajets en train.

Lire Sodome et Gomorrhe a été un plaisir de bout en bout. J'ai déjà évoqué à quel point l'humour de Proust me touche, dans ce tome l'auteur nous propose des quiproquos hilarants. Si l'Affaire Dreyfus était omniprésente dans les tomes précédents, c'est l'homosexualité, celle du M. de Charlus  et celle que le narrateur soupçonne chez Albertine, qui occupe le devant de la scène ici. Elle n'est pas considérée de la même façon à Paris et à Balbec, et mêlée à la vie mondaine, on fait semblant de ne pas la voir.

Ce livre contient aussi les habituelles réflexions de l'auteur sur la nature humaine. Les pages concernant le deuil de la grand-mère du narrateur sont particulièrement émouvantes. Il soupçonnait déjà que l'on n'a pas la même apparence en fonction de qui nous voit, il découvre aussi que sa grand-mère bien-aimée lui avait dissimulé des incidents graves pour le préserver.

Si son comportement avec Albertine est loin de lui faire honneur, c'est aussi l'occasion pour le narrateur de réaliser les paradoxes contenus dans les liens d'affection. La jalousie, la vanité et la vulgarité ont de nombreuses occasions de s'imiscer dans les relations humaines tant les individus sont généralement peu sûrs d'eux. 

"C'est d'ailleurs le propre de l'amour de nous rendre à la fois plus défiants et plus crédules, de nous faire soupçonner, plus vite que nous n'aurions fait une autre, celle que nous aimons, et d'ajouter foi plus aisément à ses dénégations."

La séduction obsède le narrateur, indissociable selon lui du temps qui passe et qui emporte tout.

" On peut quelquefois retrouver un être mais non abolir le temps."

De nouveau, ce tome s'achève sur un coup de théâtre rendant nécessaire la lecture de la suite de l'histoire. La Prisonnière étant le tome sur lequel j'ai lu le plus d'avis mitigés, j'ai un peu d'appréhension mais je sais que je ne résisterai pas longtemps.

Le Livre de Poche. 765 pages.
1921-1922.

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18 juin 2022

Que les étoiles contemplent mes larmes : Journal d'affliction - Mary Shelley

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Le 8 juillet 1822, Percy Shelley se noie en mer. Ce drame est pour son épouse la suite d'une série de pertes terribles, puisqu'elle a déjà enterré trois de ses quatre enfants. Le journal qu'elle débute trois mois plus tard et qu'elle tiendra jusqu'en 1844, retrace son deuil.

"Peut-être le rayon de lune se trouvera-t-il réuni à son astre et cessera-t-il d'errer, tel un mélancolique reflet de tout ce qu'il chérissait, à la surface de la Terre."

Il est terrible de constater à quel point les femmes les plus brillantes se sont parfois condamnées elles-mêmes à vivre dans l'ombre d'un homme vénéré. A la lecture de ce journal, on pourrait penser qu'il est tenu par une veuve ayant simplement oeuvré pour conserver et transmettre l'oeuvre de son incroyable époux. Loin de moi l'envie de débattre des mérites de Percy Shelley dont je ne connais rien, mais je pense que Mary Shelley mérite d'être saluée avant tout pour sa propre carrière littéraire. Or, ce journal ne comprend presque aucune référence au travail d'écriture de son autrice qui a tout de même écrit la majeure partie de son oeuvre après la mort de Percy Shelley. Quand il y en a, c'est souvent pour se déprécier. C'est bien malgré elle que Mary laisse transparaître son intelligence, sa soif d'apprendre, dont elle s'excuse presque et dans laquelle elle voit la main de la Destinée.

"Poursuivre mes efforts littéraires, cultiver mon entendement et élargir le champ de mes idées, voilà les seules occupations qui me soustraient à ma léthargie."

Il faut dire que la situation de la jeune femme, déjà précaire du temps de son mariage, se fragilise. Soumise au bon vouloir d'un beau-père n'ayant jamais accepté le mariage de Percy Shelley et de sa maîtresse, elle se voit parfois retirer la pension, vitale pour elle et son fils, qu'il lui verse. Les quelques amis qu'elle a encore l'abandonnent pour d'autres causes (Byron part en Grèce où il mourra), la volent ou mènent une campagne de diffamation à son égard dont elle ne prendra conscience que des années plus tard.

"J'en viens à soupçonner d'être la créature de marbre qu'ils voient en moi. Or ce n'est pas vrai. J'ai un penchant inné à l'introspection et cette habitude ne contribue guère à me donner plus d'assurance face à mes juges -car tels m'apparaissent tous ceux qui posent les yeux sur moi."

D'abord en proie à une profonde dépression, Mary va cependant retourner en Angleterre, s'occuper de son fils et mener une vie solitaire éclairée par quelques rencontres. Fantasmant une relation et un mari qui étaient sans doute bien moins idylliques que ce qu'elle écrit, l'icône qu'est devenu Percy Shelley la console bien plus tard lorsqu'elle vit des déceptions. Ainsi, l'homme qui la délaisse par deux fois après lui avoir fait espérer le mariage, n'est de toute façon que peu de choses par rapport à la pureté de l'amour qu'elle a partagé avec Percy.

Pour finir, un mot sur cette superbe édition agrémentée de notes et de notices biographiques indispensables. Du très beau travail.

Finitudes. 261 pages.
Traduit par Constance Lacroix.

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02 avril 2021

Instantanés d'Ambre - Yôko Ogawa

ogawaSuite à la mort de la plus jeune de ses quatre enfants, une femme décide de se retirer du monde avec ceux qu'il lui reste. Rebaptisés Opale, Ambre et Agate, les trois petits êtres grandissent entre les murs d'une vieille demeure entourée d'un jardin aux hauts murs et dans la peur du "chien maléfique" qui a enlevé leur benjamine.

Parmi mes résolutions de l'année, il y avait mon envie d'élargir mes horizons littéraires. J'ai vogué un petit mois en Amérique Latine et fait quelques escales en Europe de l'Est (même si la Russie n'est plus depuis quelques années une destination complètement inconnue). Il est temps de se tourner vers l'Asie.

De Yôko Ogawa, j'ai lu il y a des années La Petite pièce hexagonale qui m'avait laissée perplexe. Cette autrice semble flirter avec le surnaturel et le fantastique pour dévoiler les failles de la nature humaine, ce qui n'était pas ce à quoi je m'attendais alors. Cette nouvelle approche a été bien plus satisfaisante.

L'autrice utilise la capacité qu'ont les enfants à se créer un monde pour nous faire naviguer entre un imaginaire merveilleux et une réalité cauchemardesque. Instantanées d'Ambre est donc un livre dérangeant qui berce le lecteur avec un style poétique tout en lui contant une histoire de maltraitance.
Agate, Opale et Ambre peuvent avoir un bonhomme dans l'oreille ou une petite soeur disparue dans l'oeil. Ils intègrent aussi à leur imaginaire des vêtements trop petits et des maladies mal soignées.
Je disais récemment combien j'adhérais aux propos d'Alberto Manguel sur les usuels. J'ignorais que le hasard me ferait découvrir une histoire où les encyclopédies exercent tout leur pouvoir. Elles inspirent d'inombrables jeux à la fratrie, les abreuve de savoirs variés, et permet à Ambre, encouragé par la folie de sa mère, de ressusciter sa benjamine avec les fameux instantanés du titre.
Bien que non perçue de façon consciente, cette enfance terrible continue de hanter Ambre alors qu'il est dans une maison de retraite des décennies plus tard.

Encore plus qu'Ambre, le personnage de la mère m'a fascinée. Elle est à la fois une mère que l'on ne peut que comprendre, abandonnée par celui qui lui a fait quatre enfants et brisée par la perte de sa benjamine. Et en même temps, c'est une mère terrifiante, qui enferme ses enfants dans une maison de plus en plus délabrée, leur retire leur nom, leur voix? et les enferme dans l'enfance. Une personne tellement neutre qu'elle s'intègre sans difficulté aux pages d'une encyclopédie et en même temps dotée d'un narcissisme perverti.

Il m'a fallu un peu de temps pour m'imprégner de l'ambiance de ce livre, mais je pense qu'il me restera longtemps en mémoire.

L'avis de Lili.

Babel. 301 pages.
Traduit par Rose-Marie Makino-Fayolle.
2015 pour l'édition originale.

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03 octobre 2018

Mrs Dalloway de Virginia Woolf illustré par Nathalie Novi

IMG_0562Clarissa, l'honorable épouse de Richard Dalloway, donne une réception. Pour que cette dernière soit aussi réussie qu'elle le souhaite, elle sort dès le matin acheter des fleurs.
Dans le tumulte de Londres, alors que Big Ben sonne les heures, les personnages du roman se croisent. Peter Walsh, ancien soupirant de Clarissa, vient d'arriver d'Inde. Septimus Warren Smith, survivant de la Grande Guerre, et sa femme Rezzia se promènent dans Londres. Dans une voiture, un inconnu attire tous les regards. Et si c'était le Prince de Galles ?

Si vous êtes un habitué de ce blog, vous connaissez mon admiration pour Virginia Woolf. Ainsi, quand Tibert Editions m'a proposé de recevoir un exemplaire de Mrs Dalloway illustré par Nathalie Novi, je n'ai pas hésité longtemps.

Je ne sais pas si vous avez entendu parler de Tibert Editions. Pour ma part, je suis leur travail depuis leur édition d'Orgueil et Préjugés l'année dernière. Une cagnotte Ulule est lancée pour chaque livre. Les contributeurs choisissent leur lot (le livre, accompagné de goodies en nombre plus ou moins important). Lorsque le temps de la cagnotte est écoulé, les livres sont envoyés aux participants. Après Orgueil et Préjugés, Les Hirondelles de Kaboul et Mrs Dalloway, c'est Persuasion qui sera très bientôt disponible. 

Je n'ai eu l'occasion de découvrir que le roman de Virginia Woolf pour l'instant, mais c'est un coup de coeur. Le livre est magnifique, et j'ai redécouvert ce texte avec un immense plaisir. 

IMG_0547Ma première rencontre avec Clarissa Dalloway avait été intéressante, mais je n'étais pas aussi passionnée par son auteur que je le suis aujourd'hui et je n'avais pas la même connaissance de son oeuvre.
Cette relecture m'a permis de voir à quel point ce roman s'inscrit dans la lignée des oeuvres de Virginia Woolf.

Le temps, comme toujours chez Woolf, rythme ce roman. Elle nous raconte une seule journée de son héroïne, mais dans cette journée sont aussi présents les temps passés et à venir.

« Vous souvenez-vous du lac ? » dit-elle d’une voix rauque sous la poussée d’une émotion qui étreignit son cœur, raidit les muscles de sa gorge et contracta ses lèvres en un spasme, lorsqu’elle dit : lac. Car elle était encore une enfant, qui jetait du pain aux canards à côté de ses parents, et en même temps une femme qui venait vers ses parents debout, près du lac, tenant dans ses bras sa vie qui, à mesure qu’elle approchait, grandissait, grandissait dans ses bras jusqu’à devenir une vie entière, une vie complète, qu’elle déposait près d’eux en disant : « Voilà ce que j’en ai fait ! voilà ! » Qu’en avait-elle fait ? Quoi donc, en vérité, cousant ainsi ce matin, avec Peter ?

IMG_0556Les personnages aussi sont à la fois uniques et un tout. Leurs pensées fusent, se mêlent, comme un chant unique.
Clarissa Dalloway et Septimus, le poète, sont particulièrement liés, bien qu'ils ne se rencontrent jamais. Ils ne voient pas les choses comme tout le monde, il leur arrive d'entendre les ormes et les moineaux parler. Leurs pensées sont décousues, parfois impénétrables, ce qui interloque le lecteur sans le perdre tant les mots de Woolf sont beaux. De plus, l'auteur a ce talent que je n'ai jamais trouvé ailleurs de parvenir à faire fourmiller des pensées non reliées entre elles tout en gardant un cadre général parfaitement clair. En 1925, lorsque Mrs Dalloway est publié, Woolf est au sommet de son art et les errements de Nuit et Jour ou les maladresses de jeunesse de La Traversée de apparences sont derrière elle.

En peu de pages, nous saisissons l'atmosphère de Londres en ce début de juin. Viginia Woolf nous décrit, tel un peintre, les décors de son roman :

" Une bouffée de vent (malgré la chaleur, il y avait du vent) jeta un mince nuage noir sur le soleil et sur le Strand. Les visages s’assombrirent ; les omnibus perdirent soudain leur éclat. Car, parmi les nuages, bien qu’ils eussent l’aspect de montagnes de neige dure – il semblait qu’on pût les déchiqueter à la hache – avec de grandes pentes dorées, sur leurs flancs, de célestes pelouses, et qu’ils parussent offrir aux dieux des demeures préparées pour leurs assemblées au-dessus du monde, le mouvement était continuel. Des changements se faisaient comme d’après un plan arrêté d’avance ; tantôt un sommet s’affaissait, tantôt un bloc pyramidal, jusque-là ferme à son poste, s’avançait dans l’espace libre ou bien conduisait gravement une procession vers un autre rivage. Malgré la fixité, la solidité de ces amoncellements, malgré leur apparence de repos, leur ensemble immobile, rien n’était plus libre, léger, sensitif, mobile que ces étendues blanches comme la neige ou enflammées d’or. Changer, s’en aller, se démolir, rien n’était plus facile ; et la terre recevait tantôt de la lumière, tantôt de l’ombre. "

Sur ce livre plane également l'ombre de la Première Guerre mondiale :

IMG_0568" Quelque chose se prépare, Mr Brewer l’affirmait. Mr Brewer, directeur de la maison Sibleys and Arrowsmith, Agence Immobilière, Ventes et Locations. Quelque chose se prépare, pensait-il ; et comme il était paternel avec ses employés, qu’il faisait grand cas des capacités de Smith et qu’il prophétisait que, dans dix ou quinze ans, ce serait lui qui prendrait sa place dans le fauteuil de cuir de la pièce du fond, sous le vasistas, au milieu des dossiers, « si sa santé ne lui joue pas un mauvais tour », disait Mr Brewer et c’était le danger, il n’avait pas l’air fort, il lui conseillait le football, l’invitait à dîner et pensait que, peut-être, on pourrait penser à l’augmenter ; mais ce qui arriva déjoua bien des plans de Mr Brewer, lui enleva ses meilleurs employés et finalement – la guerre européenne étendit si loin ses doigts insidieux – écrasa un moulage de Cérès, creusa un trou dans une plate-bande de géraniums et détraqua les nerfs de la cuisinière de Mr Brewer, dans sa propriété de Muswell Hill. "

Au cours de ma lecture, j'ai noté moults passages qui me rappelaient les autres oeuvres ainsi que les biographies de Virginia Woolf que j'ai lu. Ce que je trouve extraordinaire avec cet auteur, ce sont toutes les pistes de lecture qu'offre son oeuvre. Je sais qu'une troisième lecture me permettra de m'attacher à de nouveaux éléments et que, même alors, je serai loin d'avoir fait le tour de ce livre. 

Une édition que je vous recommande vivement et dont vous pourrez gagner des exemplaires sur ce blog d'ici quelques jours.

Tibert Editions. 250 pages.
Traduit par Simone David.
1925 pour l'édition originale.

20 juin 2018

Le Chagrin des vivants - Anna Hope

annaDurant les jours qui précèdent l'arrivée du soldat inconnu en Grande-Bretagne, trois femmes, par leurs rencontres ou leurs souvenirs, vivent le désespoir laissé par la Première Guerre mondiale. La première, Hettie, danse avec des vétérans, la seconde, Evelyn, travaille pour un service de gestion des indemnités qu'on verse à ces anciens soldats. Quant à Ada, elle pleure son fils disparu en France.

Premier roman d'Anna Hope, Le Chagrin des vivants est un roman sur lequel je n'ai entendu que des louanges. Je suis loin du coup de coeur, mais c'est une lecture que j'ai malgré tout beaucoup appréciée.
Les chapitres courts, qui se consacrent tour à tour à chacune des trois héroïnes du roman, avec quelques passages intercalés nous racontant le choix du soldat inconnu, puis son voyage jusqu'à Londres, nous permettent de dévorer à toute vitesse ce roman.
Il faut dire qu'elles sont attachantes Hettie, Evelyn et Ava, toutes meurtries à leur façon par ce conflit qui n'a fait que des victimes. Bien qu'à l'arrière, loin de l'horreur des tranchées, elles vivent le retour ou l'absence de ces hommes que l'on a pris pour de la chair à canon. Comme beaucoup de romans évoquant l'après guerre, il est question ici du décalage entre ceux qui sont rentrés et les autres. Les vétérans sont traumatisés, honteux, incapables de renouer avec leur ancienne vie. Les civils sont dans le déni ou contemplent en silence la souffrance de leurs proches. Ils n'osent pas poser les questions qui risqueraient d'anéantir tout espoir que les choses redeviennent comme avant.
Si la symbolique du soldat inconnu est forte, et si elle permet à ceux dont un proche n'est jamais revenu d'avoir un point de repère, il s'agit aussi d'une manoeuvre hypocrite. Les vétérans voient leurs pensions diminuer si leur infirmité n'est pas assez importante. En Grande-Bretagne comme ailleurs, on les laisse sans emploi, réduits à colporter des babioles s'ils le peuvent. Quant à avoir un suivi psychologique, ces pauvres hommes sont nés des décennies trop tôt.
Anna Hope est tout en retenue dans ce roman, peut-être un peu trop. Elle évoque les monstruosités de la guerre, les faiblesses de l'homme, mais le seul passage qui m'a véritablement retourné les tripes est celui décrivant un homme tremblant et se frappant le bras qui lui a fait commettre la pire action de sa vie.

Sur la Première Guerre mondiale et ses suites, je n'ai jamais rien lu de plus puissant que les livres d'Erich Maria Remarque et Le Chemin des âmes de Joseph Boyden, mais Le Chagrin des vivants est un beau livre avec des héroïnes fortes dont on ressort ému.

Les avis de Yueyin, Hélène, Maryline et Sandrine (conquises). Valérie est plus partagée.

Gallimard. 383 pages.
Traduit par Elodie Leplat.
2014 pour l'édition originale.

 

Source: Externe

 


22 décembre 2017

Le Palais de glace - Tarjei Vesaas

510+9QMqRrL"La pièce pleurait. A cause de quoi pleurait-elle ?"

Tarjei Vesaas est apparemment un auteur norvégien de premier plan (j'avoue que je n'en avais jamais entendu parler). C'est grâce à Margotte que j'ai découvert ce roman acheté en raison de sa superbe couverture il y a quelques mois.

Unn est nouvelle dans le village. Elle vit chez sa tante depuis la mort de sa mère et refuse de se mêler aux autres enfants à l'école. Siss, la plus populaire de sa classe, est intriguée par cette nouvelle élève et compte bien devenir son amie. Lorsqu'Unn invite Siss à la rejoindre chez elle un soir, rien ne semble pouvoir détruire l'amitié qui se tisse entre les deux fillettes.
Mais le lendemain, Unn disparaît, avalée par le palais de glace.

Voilà une lecture que j'ai appréciée dans l'ensemble mais qui m'a déstabilisée.
J'ai attendu un rebondissement tout au long de ma lecture, persuadée que l'attitude d'Unn avait une explication qui méritait d'être révélée. Je suis tellement habituée à retrouver cette ambiance scandinave dans les romans policiers que j'ai eu du mal à apprécier autant que je l'aurais voulu cette histoire sans éclat dans le scénario (même s'il y en a dans l'écriture).
J'ai aussi cherché une signification à l'attitude de la tante d'Unn, du surnaturel, des êtres magiques, mais rien de tout cela.
Le Palais de glace est un roman sur le deuil et la force des choses. Les descriptions  sont envoûtantes, la nature est omniprésente, à la fois majestueuse et effrayante. La petite Siss n'est pas terrifiée sans raison par la nuit et toute personne ayant mis les pieds dans des régions enneigées a ressenti cette fascination répulsion que provoque le bruit de la glace qui se brise.

"Un craquement dans la glace, quelque part. Des écoulements continus sur les étendues gelées, qui semblaient disparaître ensuite dans un trou. La glace qui s'épaississait jouait à creuser des failles sur des distances infinies. Siss bondit en entendant ce fracas."

Quant au fameux palais de glace, c'est le personnage principal de cette histoire. Il attire les hommes, les engloutit. Tous savent ce qu'il a fait mais ils ne peuvent que s'incliner. Il symbolise la toute puissance, la vie, la mort et le passage des saisons. Le retour de la joie après la perte.

Je n'ai pas tout compris mais je reconnais que c'était beau. Une lecture idéale en cette saison. 

Les autres participantes à la lecture commune : Margotte, Anne, Marilyne. Nathalie a lu un autre roman de cet auteur.

Babel. 218 pages.
Traduit par Jean-Baptiste Coursaud.
1963 pour l'édition originale.

LC-Challenge nordique

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02 février 2014

" Les plus belles choses, disait-il toujours, vivent une nuit et s'évanouissent avec le matin. "

56757571Rien de tel, pour mettre un terme à une panne de lecture, que de se tourner vers les auteurs qui savent vous envoûter. Cela faisait presque cinq ans que je n'avais pas lu Kazuo Ishiguro, mais les retrouvailles ont été somptueuses.

1948. Masugi Ono est un peintre retraité. Il s'est retiré dans une villa confortable avec la plus jeune de ses filles, Noriko. Alors que les négociations pour le mariage de cette dernière sont en cours, il se remémore sa jeunesse, ses erreurs, et observe le basculement du Japon vers un nouveau monde.

Comme à son habitude, c'est par le biais d'un narrateur faisant le bilan de sa vie que Kazuo Ishiguro s'exprime. Le début est donc posé, assez vague. On comprend qu'Ono a été un personnage important, et sa vie semble tranquille. A mesure qu'il fait des allers-retours dans le temps, on perçoit cependant qu'il a beaucoup perdu avec la guerre, mais qu'il n'est pas seulement une victime pour la société japonaise.
Un artiste du monde flottant devient en fait assez vite un livre parlant de l'histoire du Japon. Il nous explique comment ce pays a basculé vers l'impérialisme, à quel point le patriotisme a compté durant la guerre, et comment il a fallu gérer l'après, les conséquences de la capitulation. Le tout est fait avec beaucoup de retenue et de finesse. Kazuo Ishiguro met l'accent sur l'être humain, reste à son niveau, et c'est ce qui rend son livre aussi réussi.

"Nous avons été des hommes ordinaires durant une époque qui ne l'était pas : nous n'avons pas eu de chance."

J'ai une connaissance très limitée de la littérature japonaise, mais il semble y avoir de nombreuses oeuvres traduisant le malaise des générations nées après la Deuxième Guerre mondiale vis à vis de ce que leurs aînés ont fait, comme on peut en trouver en Allemagne. Les mentalités japonaises ont évolué. Les visées expansionnistes, le rejet du modèle occidental font partie du passé, et ce livre met l'accent sur les différents bouleversements que cela entraîne dès la fin de la guerre. Ono rencontre des jeunes gens très désireux de tirer un trait sur la guerre. Le ménage est fait dans les entreprises, le suicide de certains dirigeants est accueuilli avec soulagement, un homme handicapé est roué de coups parce qu'il continue à entonner des chants patriotiques.
Ono lui-même est renié par ses anciens disciples car ce livre pose aussi la question des finalités de l'art. Clairement, plusieurs visions s'opposent dans ce livre par le biais des grands maîtres que l'on croise. Le peintre doit-il peindre l'invisible, rester dans le monde flottant, ou au contraire ancrer son travail dans le monde réel ? Ono est allé au-delà de cette dernière conception de son travail. Il a "trahi" son ancien maître pour soutenir la politique de propagande de son pays. Bien que rempli de bonnes intentions, il ne peut que reconnaître son erreur quelques années plus tard. D'abord de manière sous-entendue, puis clairement lorsque s'achève le livre.

Probablement l'un des meilleurs romans de l'auteur (je sais, je dis ça à chaque fois). 

Un artiste du monde flottant - Kazuo Ishiguro
Folio. 342 pages.

Traduit par Denis Authier.
1986 pour l'édition originale.

 

23 janvier 2010

Les Vagues ; Virginia Woolf

9782253030577Le Livre de Poche ; 286 pages.
Traduit par Marguerite Yourcenar. 1931
.

"Tout au début, il y avait une chambre d'enfants, avec ses fenêtres donnant sur un jardin, et par-delà le jardin, la mer."

Après La Chambre de Jacob et Vers le Phare, Virginia Woolf entreprend l'écriture d'un autre texte qui évoque ses étés à Saint Ives, la maison de vacances de ses jeunes années, alors que sa mère était encore en vie.

Bernard, Louis, Neville, Rhoda, Jinny et Suzanne nous font suivre le fil de leur vie , depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, par le biais de monologues intérieurs. Chacun se retire après avoir parlé, comme le mouvement des vagues, infini, répétitif. Une septième silhouette, inextricablement liée aux autres se dessine, celle de Perceval, ce dieu vivant, ce Thoby Stephen sans doute*, qui hante ses amis aussi bien dans la vie que dans la mort. 
Tous ces personnages sont unis par le Temps, personnage qui sert d'Être suprême, dans un livre ou la religion est rejetée avec beaucoup de fermeté, et qui poursuit sa course, indifférent aux mouvements des humains, lentement, quand eux vieillissent si vite.

Les Vagues est un texte sur le renoncement à l'enfance, sur l'arrivée dans un âge fait de choix et donc d'abandons, de séparations, de solitudes et de désillusions.

"Bernard est fiancé. Quelque chose d'irrévocable vient d'avoir lieu. Un cercle s'est dessiné sur les eaux ; une chaîne nous est imposée. Nous ne serons jamais plus libres de nous écouler à notre guise."

Une fois adultes, ils se reverront, sporadiquement, tout en restant les membres d'un tout indissoluble. Ils pourraient être les multiples visages d'un même corps, et ils en ont conscience. Comme Bernard, qui répète inlassablement "je suis Bernard", parce qu'il sait qu'il pourrait tout aussi bien prononcer l'un des cinq autres prénoms qui font partie de lui. Les autres nous rendent multiples, parce qu'ils sont une part de nous, mais aussi parce qu'ils font ressortir des parts diverses de notre personnalité. Ils nous étouffent aussi.

"Pour être Moi (je l'ai remarqué), j'ai besoin de l'éclairage que dispensent les yeux d'autrui, et c'est99419_050_D1FAF223 pourquoi je ne serai jamais complètement sûr de moi-même. Les êtres authentiques, comme Louis, comme Rhoda, n'existent parfaitement que dans la solitude. Ils supportent mal l'éclairage venu du dehors, le dédoublement dans les miroirs. Ils tournent leurs toiles contre le mur sitôt qu'ils ont fini de peindre. Une épaisse couche de glace pilée couvre les paroles de Louis. Ses paroles sortent de là condensées, concentrées, durables.
De nouveau, après ce moment de somnolence, je souhaite faire briller mes mille facettes sous la lumière de figures amicales. Je viens de traverser les régions sans soleil de la non-identité. Pays étrange... Dans ce moment d'apaisement, dans ce moment de satisfaction oublieuse, j'ai entendu le soupir des vagues qui déferlent par-delà ce cercle de vive lumière, par-delà cette pulsation de vie, furieuse, insensée. J'ai eu mon moment d'énorme paix. C'est peut-être le bonheur, ça... Maintenant, je suis rappelé en arrière par le chatouillement des sensations, par la curiosité, par la gourmandise (j'ai faim) et par le désir irrésistible d'être Moi. Je pense aux gens à qui je pourrais expliquer certaines choses, à Louis, à Neville, à Suzanne, à Jinny, et à Rhoda. En leur présence, j'ai mille facettes. Ils m'arrachent aux ténèbres."

On pense aux célèbres lignes de John Donne, qui mettent en garde : "N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi", mais aussi aux propres interrogations de Virginia Woolf quant au genre biographique.**

"J'ai inventé des milliers d'histoires ; j'ai rempli d'innombrables carnets de phrases dont je me servirai lorsque j'aurai lorsque j'aurai rencontré l'histoire qu'il faudrait écrire, celle où s'insèreraient toutes les phrases. Mais je n'ai pas encore trouvé cette histoire. Et je commence à me demander si ça existe, l'histoire de quelqu'un."

Le glas sonne d'ailleurs, et les descriptions du deuil sont poignantes. Les Vagues laisse une place au rire, celui de l'enfance surtout (et peut-être le plus précieux), et il s'achève sur une note déterminée. Le style est lumineux (la traduction de Marguerite Yourcenar a cependant fait couler beaucoup d'encre). Mais le drame qui touche les personnages au milieu du livre déstabilise profondément.

"Des femmes passent sous mes fenêtres, comme si un gouffre ne s'était creusé dans la rue : l'arbre aux durs feuillages ne leur barre pas la route. Nous méritons d'êtres écrasés comme une taupinière. Nous sommes ignobles, nous qui passons les yeux fermés."

"L'ombre grandit, et lentement la lumière violette décline. Le dieu qui m'apparaissait tout entouré de beauté est maintenant enveloppé de ruines. Le personnage divin au bout de la vallée au milieu du cercle clos des collines s'écroule et tombe comme je leur prédisais durant cette soirée où ils parlaient avec amour de sa voix dans la cage de l'escalier, de ses pantoufles, et des moments passés ensemble."

On est entre ombre et lumière, entre Rhoda qui prie pour que la nuit tombe, et Jinny pour que le jour paraisse. 

Les Vagues est un roman-poème qui montre une Virginia Woolf au sommet de son art. Vers le Phare reste mon favori, mais je ne suis pas loin de penser qu'il ne s'en faudrait que d'une relecture...

L'avis de Mea, qui a su mettre des mots là où je n'ai pu que m'incliner devant les citations. Tif et Sylvie aussi ont été conquises.

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*Le frère bien-aimé de Virginia Woolf, mort du thyphus en 1906, quand les siens croyaient en un avenir très prometteur pour lui.
** Voir la biographie d'Hermione Lee, Virginia Woolf ou l'aventure intérieure ; Paris ; Autrement ; 2000.

27 juin 2009

La Pleurante des rues de Prague ; Sylvie Germain

resize_3_Folio ; 128 pages.
1992.
 

Cette lecture commence à vraiment remonter. Tant pis, je voulais vraiment vous en parler.

Depuis quelques années déjà, les capitales d'Europe de l'est me fascinent. C'est donc tout naturellement que j'ai décidé de poursuivre ma découverte de Sylvie Germain avec ce titre.

" Elle est entrée dans le livre. Elle est entrée dans les pages du livre comme un vagabond pénètre dans une maison vide, dans un jardin à l'abandon. Elle est entrée, soudain. Mais cela faisait des années déjà qu'elle rôdait autour du livre. Elle frôlait le livre qui cependant n'existait pas encore, elle en feuilletait les pages non écrites et certains jours, même, elle a fait bruire imperceptiblement ces pages blanches en attente de mots.
Le goût de l'encre se levait sur ses pas. "

Les quelques lignes qui ouvrent ce récit plongent immédiatement le lecteur dans une histoire au style très travaillé, et empreinte d'une mélancolie profonde.
Le narrateur nous guide à travers ses rencontres avec la Pleurante des rues de Prague, cette apparition au physique déformé, moins femme que symbole. Elle cristallise toutes les souffrances de la ville de Prague, le deuxième grand personnage de l'histoire. Depuis Jan Hus jusqu'au temps présent, en passant par la Seconde Guerre mondiale, nous traversons les époques, les rues, les blessures et les injustices renfermées par cette capitale mystérieuse à laquelle Sylvie Germain rend un vibrant hommage.
Nous explorons ainsi avec ce récit à fleur de peau, le coeur humain dans ce qu'il a de plus douloureux. Nous vivons l'absence, l'adieu, le manque, la mémoire, sentiments collectifs ou plus intimes, mais qui anéantissent, toujours. "Les gens dont le coeur est trop nu, inconsolé, sont ainsi. Plus rien ne peut vêtir ceux dont le coeur gît dans la nuit, dont les pensées s'effrangent au fil des rues désertes." Il n'y a pas un seul dialogue dans ce livre, les apparitions sont toujours furtives, mais la Pleurante est dotée d'un pouvoir de fascination suffisant pour porter le récit. "Elle a toujours cette allure de quelqu'un qui s'en va, de quelqu'un qui s'éloigne pour ne plus revenir, et cependant, chaque fois qu'elle paraît, elle arrive en plein coeur du témoin de son apparition. Elle avance à rebours dans le regard et la mémoire."

Je n'ai pas été captivée par chaque page de ce livre, et j'ai parfois trouvé les effets de style un peu lourds. Toutefois, La Pleurante des rues de Prague demeure un bel ouvrage qui nous donne envie de le chérir, et de découvrir toujours plus Sylvie Germain.

Les avis de Sylvie, Nanne (qui nous offre en plus de superbes photos) et Michel.

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04 octobre 2008

Der Andere ; Bernhard Schlink

41ZPZLLAl_2BLFolio Bilingue ; 171 pages.

Lisa vient de mourir d'un cancer, laissant ainsi son mari seul. Celui-ci est complètement désorienté. Un jour, il reçoit une lettre adressée à sa femme provenant d'un homme qu'il ne connaît pas. Il apprend ainsi que son épouse, avec laquelle il croyait être très complice, a eu un amant. En colère et jaloux, il décide de démasquer cet amant en correspondant avec lui, puis en lui rendant visite.

Il fut un temps où j'étais capable de lire l'allemand sans trop de difficultés. Comme j'aime bien Bernhard Schlink d'ordinaire, je me suis dit qu'il était tout désigné pour faire un nouvel essai.
C'était la première fois que je lisais un texte de Schlink qui n'avait aucun lien avec la Seconde Guerre mondiale, même s'il s'agit une nouvelle fois d'une histoire de secret de famille.
En fin de compte, je n'ai pas trop aimé. Le ton employé par Bernhard Schlink est comme toujours assez neutre, mais cette fois cela crée une distance gênante entre le lecteur et l'histoire. Je n'ai ressenti aucune empathie pour le mari trompé, d'autant plus qu'il est du genre à avoir du mal à exprimer ce qu'il ressent. Quant à l'amant, il est tout ce qu'il y a de plus méprisable.
Même en ce qui concerne la construction de la nouvelle, je n'ai pas été convaincue. Il n'y a pas vraiment de chute, il s'agit plutôt d'une sorte de retournement de situation un peu bizarre. En fait, je crois aussi que j'ai de plus en plus de mal à apprécier les nouvelles.

Tant pis, je lirai plutôt les romans de Schlink qui ont une dimension historique... En ce qui concerne la lecture en allemand, je dois avouer que, n'étant pas convaincue par l'histoire, j'ai adopté le texte français au bout de quelques dizaines de pages afin d'aller plus vite.

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