26 janvier 2023

Washington Square - Henry James

20230125_130604b

" C'était trop grave ; toute ma vie en a été bouleversée. "

Médecin réputé, Austin Sloper n'a cependant pas pu empêcher le décès de son fils ni la perte de sa brillante épouse, dont la mort en couches l'a laissé seul avec une fille médiocre, Catherine. En grandissant, cette dernière confirme sa faiblesse d'esprit et de caractère. Lorsque Morris Townsend, un jeune homme ayant dilapidé son peu de fortune, commence à courtiser la jeune fille, cette dernière tombe sous son charme, encouragée par sa tante. Le Docteur Sloper ne partage pas l'opinion des deux femmes et est bien décidé à empêcher le mariage, quitte à léser cruellement Catherine. 

Voilà un roman que j'ai dévoré avec une avidité rare, profitant de chaque minute disponible pour le retrouver. Henry James s'y montre d'une ironie qui rappelle une certaine Jane Austen, même si l'héroïne ne bénéficie pas de la présence opportune d'un prétendant mieux ajusté. C'est donc le cynisme habituel de James qui l'emporte, pour mon plus grand plaisir, je dois le reconnaître, tant la psychologie des personnages est finement exposée.

On pourrait craindre, en lisant la trop bavarde quatrième de couverture, qu'il ne s'agit que d'un conte cruel, mais aussi mince que soit l'intrigue a priori, Henry James nous offre une étude de ses quatre personnages principaux si complexe qu'il est bien difficile de déterminer avec certitude qui sont les gagnants et les perdants, les malins et les imbéciles dans ce livre. Plus qu'une histoire d'amour ratée entre un probable coureur de dot et une jeune fille naïve, Washington square est aussi le portrait d'un homme, obtus et égoïste (sûrement en partie inspiré par le frère de l'auteur), d'une veuve idéaliste espérant pimenter sa terne existence et d'une jeune fille prématurément jugée par tous les autres. Trop occupés par leur propre existence, les trois individus pressant Catherine de se soumettre à leur volonté ne réalisent à aucun moment ce qui se joue réellement devant leurs yeux.

Comme toujours chez James, la fin est aussi frustrante que savoureuse.

Une merveille.

10/18. 283 pages.
Traduit par Claude Bonnafont.
1880 pour l'édition originale.


16 février 2022

Où va l'argent des pauvres ? - Denis Colombi

20220209_163705b

" À défaut de pouvoir faire sentir intimement ce qu’est la pauvreté, les travaux sociologiques qui se sont depuis accumulés peuvent au minimum nous permettre de saisir l’étendue des capacités et de l’inventivité que doivent mettre en œuvre les plus pauvres pour s’en sortir avec presque rien."

Rappelant la démarche sociologique, qui se confronte aux données et s'oppose en cela aux discours démagogiques de nombre d'orateurs, Denis Colombi nous montre à quel point notre avis sur la façon dont les pauvres gèrent leur argent est empreinte de mépris, de préjugés et d'ignorance.

Derrière l'argent se cache un rapport de force entre les classes. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les profiteurs de ce système ne sont pas que les grandes fortunes mais aussi les classes moyennes. De plus, les reproches faits aux pauvres sont parfois le résultat d'exigences venant des couches supérieures (qui imagine un maçon frêle ou une esthéticienne poilue ?).
La pauvreté n'est pas qu'un manque d'argent, c'est un statut social qui n'existe pas dans toutes les sociétés. C'est aussi une condition qui fait peur car infamante. Et gare à ceux qui essaient de faire des achats considérés comme hors de leur portée. Même ceux qui font fortune sont l'objet de méfiance.

" Les footballeurs, en un sens, ne sont pas riches : ils sont plutôt des pauvres qui ont de l’argent. L’expression peut sembler paradoxale, mais elle permet de souligner qu’ils restent identifiés comme des représentants des classes populaires bien qu’ils disposent, évidemment, de ressources économiques qui les en éloignent. "

Lorsqu'on regarde le coeur du problème, l'argent lui-même, il apparaît que les pauvres ne gèrent pas forcément moins bien leur argent, mais qu'ils le font différemment. Leurs choix s'expliquent aussi la plupart du temps selon une logique très compréhensible si tant est que l'on accepte d'admettre qu'on ne gère pas un budget où il faut compter à l'euro prêt et un revenu plus confortable de la même manière.

" Penser que ses propres façons de faire en matière d’économie devraient être universalisées parce qu’elles seraient partout et toujours efficaces relève de la pensée magique et non de l’argument rationnel. "

Comme le note l'auteur, on ne peut imputer une situation qui touche des millions de personnes à des erreurs personnelles. L'enjeu est collectif.
Ce livre fait quelques propositions, et en particulier celle de donner de l'argent, mais il est aussi intéressant dans la mesure où il confronte les gens, y compris les bien intentionnés (probablement les seuls qui liront ce livre...) à leurs erreurs et à leurs contradictions. Le minimalisme est un luxe que ne peuvent se permettre que ceux qui ont les moyens de payer les articles à l'unité ou ceux qui ont un carnet d'adresses suffisamment bien rempli pour se passer d'internet.

Une lecture que je vous propose de prolonger avec Le Peuple de l'abîme de Jack London (époque différente, mais initiative tout aussi percutante). Un dernier extrait pour la route :

" tout le monde, ou peu s’en faut, s’accorde sur l’idée qu’il faut aider les pauvres… du moment qu’il s’agit d’un vœu pieux, qui vole haut dans le ciel des principes sans avoir à s’incarner dans des propositions concrètes et réalisables. Dès lors que l’on fait l’effort de seulement imaginer une société sans pauvreté, les doutes s’installent et les bons sentiments renâclent : faire disparaître la pauvreté, bien sûr, évidemment, sans aucun doute, mais quand même… quand même pas au point d’accepter la redistribution des richesses, pas au point de n’avoir personne qui soit contraint de faire les tâches ingrates, pas au point de devoir payer certains travaux à un prix plus élevé que celui que garantit l’existence d’une « armée de réserve » de miséreux. "

Payot. 348 pages.
2020.

Posté par lillylivres à 14:23 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
Tags : , , , ,

22 juillet 2021

Honoré et moi - Titiou Lecoq

20210716_203754c

Honoré de Balzac est aujourd'hui un monstre incontestable de la littérature. A sa mort, tout le monde veut se l'approprier, à gauche comme à droite. Les féministes comme les misogynes peuvent se délecter de ses textes. Son oeuvre est intemporelle et permet d'expliquer jusqu'à l'élection d'Emmanuel Macron, ce Rastignac (entre autres personnages balzaciens) du XXIe siècle.
Pourtant, malgré le succès réel qu'il a rencontré de son vivant, Balzac n'a pas échappé aux critiques et aux moqueries. Incarnant la popularisation du roman au XIXe siècle, il a mis le sujet de l'argent sur le devant de la scène, aussi bien dans ses livres que dans sa vie. Un crime impardonnable, puisque cela signifiait que l'artiste ne vit pas d'amour et d'eau fraîche et qu'il doit travailler pour produire ses oeuvres.

" Quand Zweig parle "d'amour de l'argent", il ne semble pas envisager que Honoré avait simplement besoin de gagner sa vie. En réalité, ce n'est pas lui-même qu'il abîme, c'est l'idée que Zweig se fait de l'art, des artistes et des grands hommes. Honoré désacralise l'écriture et c'est insupportable aux yeux de certains. "

Il y a quelques semaines, j'ai décrété, sûre de moi, que je n'aimais pas du tout les essais trop familiers, les variations de registre et que j'étais une inconditionnelle de l'académisme dans le style. Il faut croire que Titiou Lecoq est l'exception qui confirme la règle.
Honoré et moi multiplie les écarts de langage, et son autrice s'adresse à ses lecteurs comme à des amis proches. Cela ne m'a pas empêchée d'apprendre des tas de choses, tout en ayant l'impression d'avoir passé quelques soirées à rire comme une hyène avec une copine, en disant du mal de quelqu'un qu'au fond on aime bien.

Titiou Lecoq nous offre un Honoré en chair et en os, écrivain mais surtout homme plein de faiblesses, d'illusions, de mauvaise foi. On le suit dans ses projets fous et ruineux. On découvre aussi ses techniques de travail, ses horaires farfelus et ses sources d'inspiration. Entre deux entreprises catastrophiques, on le voit dessiner peu à peu sa Comédie Humaine.

"Si son temps de labeur est partagé entre jour et nuit, c'est parce que la nature même de son travail est divisée en deux. : écriture et réécriture. Elle révèle que, d'une certaine manière, Balzac a inventé le traitement de texte avant les ordinateurs. Il déteste travailler sur ses manuscrits écrits à la main. Il a besoin de voir le texte imprimé pour continuer.  "

Réfutant la thèse selon laquelle l'écrivain aurait été la victime d'une mère destructrice, Titiou Lecoq n'oublie pas sa casquette de féministe. Pour cela, elle utilise aussi bien les fait que les propres ouvres de Balzac qui dénoncent les viols conjugaux et dépeignent avec une perspicacité surprenante les contraintes de la maternité. Ce qui lui a au passage valu d'être méprisé, puisqu'on ne traite pas de sujets aussi insignifiants (surtout quand, au même moment, un Victor Hugo s'attaque à la peine de mort). Dommage que Beauvoir n'ait pas analysé Balzac dans Le Deuxième Sexe, cela aurait été fabuleux.

Une biographie passionnante, alliant rigueur et subjectivité, et qui nous montre un homme loin du grand cliché de l'artiste, qui a utilisé la littérature pour vivre sa vie.

Les avis de Maggie, Claudialucia, Keisha et Choup.

L'Iconoclaste. 294 pages.
2019.

15 juillet 2021

Journal (1867) - Anna Dostoïevski

20210709_111635b

Après la mort de sa première épouse, Fiodor Dostoïevski se remarie avec sa sténographe, âgée d'à peine vingt ans. Le couple, pour se soustraire aux problèmes financiers que rencontre l'auteur, se rend à l'étranger. Après un désastreux séjour à Baden, où l'auteur perd ses biens et ceux de sa femme aux jeux, ils s'établissent à Genève. En septembre, Anna débute un journal dans lequel elle va consigner ses réflexions, son quotidien, ainsi que ses souvenirs autour de sa rencontre avec son mari.

Cette lecture est à recommander aussi bien aux admirateurs de Dostoïevski qu'à ceux qui aiment les journaux intimes. Comme le souligne la préface, le fait qu'il ait été rédigé par une autrice qui ne le destinait qu'à son propre usage et souhaitait sa destruction rend son propos spontané et sincère.

La vie d'Anna Dostoïevski n'est pas simple, malgré toute l'affection qu'elle porte à son mari. On ressent vivement les humiliations répétées dues au manque d'argent, qui la contraignent à se rendre chaque jour à la poste, dans l'espoir de recevoir quelque argent. A de maintes reprises, elle doit mettre en gages ses maigres possessions pour pouvoir manger et se loger. Le simple fait d'envoyer des lettres fait l'objet de réflexions intenses en raison du coût que cela implique. Enceinte, la situation matérielle d'Anna ne lui permet pas d'appréhender aussi sereinement qu'elle le désire l'arrivée de cet enfant.

Ce texte pourrait faire l'objet d'une lecture à la lumière de ce que dénoncent les féministes d'aujourd'hui, tant la charge mentale de ce couple repose sur cette femme qui doit ruser et mentir pour garder quelques ressources de secours. Son époux n'est pas toujours facile à vivre. Il lui reproche ses dépenses, critique sa mise, l'incendie lorsque sa mère lui envoie des lettres non affranchies, et à deux reprises part se ruiner aux jeux, la laissant seule avec ses angoisses à Genève.

Anna Dostoïevski n'est pas qu'une jeune fille follement amoureuse de son époux et jalouse (même si cela lui arrive). Elle est aussi intelligente, cultivée (elle dévore Balzac, Dickens et George Sand) et fait preuve d'une grande vivacité d'esprit, comme lorsqu'elle analyse avec humour le passage de Garibaldi à Genève. Son admiration ne l'aveugle que jusqu'à un certain point. A plusieurs reprises, elle laisse éclater par écrit sa colère contre l'attitude inconséquente de son époux. Elle sait lorsqu'il lui ment et ne comprend pas le soin qu'il prend de sa belle-soeur dont il paie l'appartement alors qu'elle-même est contrainte à vivre dans la pauvreté.

Les références au travail d'écriture de Dostoïevski sont peu nombreuses, bien que l'on devine qu'il est alors en pleine rédaction de Crime et Châtiment, et que c'est à l'occasion de la rédaction du Joueur que les deux époux se rencontrent. Ce journal est avant tout un document remarquable pour pénétrer l'intimité de l'un des plus grands auteurs russes.

Syrtes. 234 pages.
Traduit par Jean-Claude Lanne.
2019.

06 septembre 2018

Une Place à prendre - J.K. Rowling

placeBarry Fairbrother, conseiller paroissial à Pagford et père de quatre enfants très apprécié, s'écroule le soir de son dix-neuvième anniversaire de mariage, victime d'une rupture d'anévrisme. Les habitants de la bourgade sont choqués, mais très vite ce sont surtout les prétendants à sa succession qui se manifestent. D'un côté, certains voudraient préserver le travail de Barry en faveur d'un quartier défavorisé et d'une clinique à destination des toxicomanes. De l'autre, les notables locaux, emmenés par Howard Mollison, entendent bien profiter de l'occasion pour se débarasser de ceux qu'ils jugent indignes d'attention.

J'ai commencé cette lecture en imaginant retrouver l'auteur de Harry Potter dans son univers habituel. Si on peut retrouver dans ce livre le soin habituel que J.K. Rowling met dans ses personnages, le parallèle avec sa série phare s'arrête là. Et encore, je n'étais pas au bout de mes surprises. L'auteur a un style cru, sarcastique. Aucun de ses personnages, à l'exception des adolescents, qui sont avant tout des victimes, ne peut se vanter de vouloir autre chose que satisfaire sa petite personne. J'étais décidée à me moquer d'eux tout en grinçant occasionnellement des dents. Finalement, il n'y a rien d'amusant dans Une place à prendre. J'ai ragé contre ces ordures de Mollison, espérant jusqu'au bout qu'ils finiraient par mourir dans d'atroces souffrances, les mots de Parminder à sa fille harcelée et mal-aimée m'ont soulevé le coeur et les discours des conseillers paroissiaux sur l'argent inutilement dépensé pour les plus défavorisés m'ont trop rappelé les politiques actuelles pour que je me sente autrement qu'impuissante. Je crois que c'est ce qu'il y a de pire dans ce livre. Il a l'air caricatural, mais les propos tenus par les personnages, sur les services d'aide à l'enfance, la mixité sociale ou les allocations n'ont rien d'inventé.

« … mentalité d’assisté, disait Aubrey Fowley. Des gens qui n’ont littéralement jamais travaillé de leur vie.
— Et, voyons les choses en face, ajouta Howard, la solution à ce problème est très simple. Qu’ils arrêtent de se droguer. »

Il faut un temps d'adaptation avant d'identifier clairement la multitude de personnages, adultes et adolescents, dont nous suivons les traces. J'ai cru comprendre que certains avaient trouvé que l'auteur prenait trop de temps à poser son cadre, mais je n'ai pas eu ce sentiment. Ce n'est pas un roman rempli d'action, c'est certain, et j'imagine que cela a causé de nombreuses déceptions. Pour ma part, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Ce dont l'auteur parle, c'est de la vie de tous les jours, avec simplicité et éloquence. A moins d'être de mauvaise foi, après avoir lu ce livre, on ne peut plus considérer que vouloir une grossesse et vivre des allocations est forcément un acte stupide et égoïste. Parfois, c'est une question de survie, la seule porte de sortie possible.

Une fable sociale désenchantée et cruelle, qui prouve que J.K. Rowling est un auteur capable de proposer des oeuvres très différentes sans sacrifier son talent. J'ai hâte de la découvrir en tant qu'auteur de romans policiers désormais.

Karine a adoré mais Maggie a été très déçue (une telle discordance entre nous deux est surprenante ! ).

Grasset. 20h57.
Traduit par Pierre Demarty.
Lu par Philippe Résimont.
2012 pour l'édition originale.

pavé


28 août 2018

Les Fantômes du vieux pays - Nathan Hill

hill« Quand Samuel était enfant et lisait une Histoire dont vous êtes le héros, il plaçait toujours un marque-page à l’endroit où il devait prendre une décision très difficile, de sorte que, si l’histoire tournait mal, il pouvait revenir en arrière et recommencer autrement. »

Samuel Andresen-Anderson est apparu un jour sur la liste des futurs meilleurs écrivains américains grâce à la publication d'une seule nouvelle. Il n'a pas écrit une seule ligne depuis, l'avance versée par son éditeur pour son prochain roman lui a permis d'acheter une maison que la crise a dévaluée de façon spectaculaire, et sa carrière de professeur de littérature anglaise à l'université de Chicago l'ennuie. Pour contrer cette monotonie, il joue à Elfscape, un jeu en ligne dans lequel il fait équipe avec un certain Pwnage.
Tout bascule lorsqu'il reçoit un appel de l'avocat de sa mère qui lui apprend que cette dernière est accusée d'avoir agressé le gouverneur Packer, politicien n'ayant pas grand chose à envier aux membres les plus acharnés de l'alt-right américaine. Cette nouvelle est d'autant plus choquante pour Samuel qu'il n'a pas vu sa mère depuis qu'elle l'a abandonné à l'âge de dix ans.
Simultanément, Laura Pottsdam, une étudiante que Samuel a prise en flagrant délit de plagiat, mène une campagne afin de le faire renvoyer de l'université et son éditeur lui réclame le remboursement de la somme payée pour le livre qu'il n'a jamais écrit.

Alors que la rentrée littéraire 2018 commence, j'ai enfin pris le temps de lire cette parution 2017 qui avait été encensée par presque tout le monde.
Nathan Hill s'inscrit dans la lignée des auteurs américains de ce début du XXIe siècle en nous servant la tête de la société américaine sur un plateau. Tout y passe, les médias, le système scolaire, les réseaux sociaux, la société de consommation, la politique, le système électoral, les banques, la justice... Ses personnages sont souvent de parfaits produits de ce mode de vie individualiste et sans pitié pour ceux qui se montreraient trop honnêtes. Il nous sert nombre de phrases interminables, des listes de restaurants de fast-food, de produits bios, d'émotions standardisées donnant l'impression que l'on évolue dans un monde complètement fou dans lequel tout libre-arbitre est impossible.
Pire que cela, il fait preuve de beaucoup de cynisme, renvoyant dos à dos les actions des conservateurs et celles de ceux qu'il qualifie de militants libéraux. Comme si, finalement, on ne pouvait rien changer. Alors, on rit jaune. Beaucoup.

« Ils pensaient qu’ils étaient en train de changer le monde alors qu’ils aidaient Nixon à se faire élire. À leurs yeux, le Vietnam était intolérable, mais ils avaient répliqué en devenant eux-mêmes intolérables. »

« En fait, c’est assez génial. Les manifestants et la police, les progressistes et les conservateurs — ils ont besoin les uns des autres, ils n’existent pas les uns sans les autres, chacun a besoin d’un opposant à diaboliser. La meilleure façon de se sentir appartenir à un groupe, c’est d’en inventer un autre qu’on déteste. En un sens, aujourd’hui, c’était une journée extraordinaire, du point de vue de la publicité. »

Pourquoi Faye a-t-elle agressé ce gouverneur ? Pourquoi a-t-elle brutalement abandonné son fils ? Pour le savoir, nous remontons avec Samuel jusqu'en en 1968. Il a découvert que sa mère avait étudié durant un mois à Chicago, et qu'elle y avait été arrêtée pour prostitution. On y découvre une ville en ébullition, touchée par les émeutes ayant suivi la mort de Martin Luther King et foyer de protestation contre la guerre du Viêtnam. On y suit des cours pour être une bonne épouse docile, des jeunes gens idéalistes, des policiers lamentables et des journalistes bien frileux, qui commencent à céder aux sirènes du sensationalisme.

« Car c’est l’avenir de la télévision qui se joue sous leurs yeux : une pure sensation de combat. Le vieux Cronkite fait de la télévision comme on fait du journalisme papier, avec toutes les limites qui vont avec. La caméra de l’hélico, elle, donne une nouvelle perspective. Plus rapide, plus immédiate, plus riche, plus ambiguë — pas de filtre entre l’événement et la perception de l’événement. L’information et l’opinion des oncles face à l’information, lissées dans la même temporalité. »

Malgré toutes les qualités de ce roman, ce n'est pas un coup de coeur. Je l'ai trouvé moins maîtrisé que Freedom de Jonathan Franzen. Certains passages sont franchement longs et le propos devient assez naïf dans les dernières pages, où l'auteur se met à nous expliquer les choses de la vie de manière bien peu subtile. J'appréciais par ailleurs beaucoup l'idée de mêler cette histoire aux légendes norvégiennes, mais Nathan Hill exploite cela de façon maladroite (je ne pense pas que certaines révélations apportent grand chose à l'intrigue).

Un roman ambitieux, plutôt original dans sa forme et qui plaira à ceux qui aiment la littérature américaine malgré ses quelques maladresses (sans doute parce qu'il s'agit d'un premier roman).

D'autres avis chez Kathel, Karine, Claudialucia et Eva.

Gallimard. 706 pages.
Traduit par Mathilde Bach.
2016 pour l'édition originale.

pavc3a92018moyred

08 juillet 2018

Pot-Bouille - Emile Zola

pot bouille" - Tenez, je vous rapporte votre Balzac, je n'ai pas pu le finir... C'est trop triste, il n'a que des choses désagréables à vous dire, ce monsieur-là ! "

Si Au Bonheur des Dames a d'innombrables adeptes, Pot-Bouille, qui raconte les débuts d'Octave Mouret à Paris, semble moins connu et apprécié. Pour ma part, alors que je craignais d'être déçue, j'ai savouré ce livre de la première à la dernière ligne, alternant les versions papier et audio. 

Rue de Choiseul, l'immeuble haussmanien de Monsieur Vabre jouit d'une réputation très respectable. Tout juste arrivé de Plassans, Octave Mouret s'installe auprès des Campardon, qui vivent avec leur fille Adèle. Dans ce même immeuble vivent les Vabre, les Duveyrier, les Josserand et les Pichon qui emploient les bonnes logées au dernier étage.
En suivant chacun des personnages, nous découvrons bientôt une société où l'hypocrisie règne en maître.

Il est indéniable que Zola se montre d'une cruauté sans nom à l'égard de la petite bourgeoisie, mais la description de toutes les mesquineries des personnages du roman est rendue extrêmement drôle. Pendant tout le roman, j'ai vu en Mme Josserand une Mrs Bennet en puissance (le personnage de Jane Austen est une femme merveilleuse en comparaison de cette horrible femme), avec tous ses calculs pour marier ses filles et sa mauvaise foi inébranlable. Comme dans d'autres romans de la série, Zola ne parvient pas à décrire un mariage ou une agonie durant laquelle ses personnages ne se conduisent pas de façon pitoyable, et imaginer Berthe courant en chemise pour échapper à son mari qui vient de la surprendre avec son amant ne m'a pas paru cher payé pour son attitude à l'égard de son frère handicapé. Certes, on rit souvent jaune, et la démonstration est poussée à l'extrême, mais Zola n'est pas le seul auteur du XIXe siècle à avoir évoqué les mariages arrangés et leurs travers ainsi que le rapport malsain à l'argent dans de nombreuses familles.
Par ailleurs, sous ses airs de caricature, ce roman soulève des questions importantes, notamment en ce qui concerne les femmes. Zola nous livre des scènes crues mettant en lumière leur situation toujours plus difficile que celle des hommes dans des cas pourtant similaires. Une femme ne peut tromper son mari sans se déshonorer quand les frasques de ces messieurs sont un plaisir sans fin pour eux et leurs amis. De même, les bonnes, bien qu'elles ne soient pas décrites comme des saintes (loin de là), n'ont souvent pas d'autre choix que de céder aux avances de leurs employeurs, qui se fichent bien de savoir comment elle gèreront une grossesse non désirée hors mariage.
Sans même évoquer ces liaisons illégitimes, Zola, par l'intermédiaire de Berthe, donne l'une des définitions les plus justes que j'ai lues de la chasse aux maris, ramenant bonnes et maîtresses au même niveau :

" Toute l’histoire de son mariage revenait, dans ses phrases courtes, lâchées par lambeaux : les trois hivers de chasse à l’homme, les garçons de tous poils aux bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois ; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs de l’innocence spéculant sur les appétits des niais ; puis, le mari fait un beau soir, comme un homme est fait par une gueuse, le mari raccroché sous un rideau, excité et tombant au piège, dans la fièvre de son désir. "

Certes, là où une ouvrière termine en prison pour infanticide, une fille de bonne famille sera sauvée par la toute puissance des apparences qui règne dans la bourgeoisie, mais personne n'est complètement dupe.
Si Pot-Bouille ne peut détrôner Au Bonheur des Dames dans sa description des débuts du capitalisme et de la consommation de masse, nous voyons dès à présent les ravages d'un magasin aux stratégies commerciales agressives sur le petit commerce. Le futur empire d'Octave Mouret rachète des locaux et commence à grignoter des parts de marché. Le représentant des Rougon-Macquart n'est pas le seul personnage principal, mais on voit déjà se dessiner chez lui les traits de caractère qui feront de lui l'homme que rencontre Denise dans le roman suivant.

Zola semble assumer ce roman non pas comme un romancier mais presque comme un journaliste, ce qui l'amène à sous-entendre sa présence dans le roman. Je ne connais pas assez sa vie pour en deviner davantage, mais j'imagine qu'il a dû faire grincer bien des dents.

Les avis de Lili, Tiphanie et Karine.

Sixtrid. 14h36.
Lu par Marc-Henri Boisse.
1882 pour l'édition originale.

Posté par lillylivres à 18:36 - - Commentaires [23] - Permalien [#]
Tags : , , , , ,

22 août 2014

La bienfaitrice - Elizabeth von Arnim

la-bienfaitrice-elizabeth-von-arnimAnna Escourt est une source de déception perpétuelle pour sa belle-soeur Susie. A vingt-cinq ans, elle refuse de se marier et menace de partir balayer les rues plutôt que de continuer à dépendre des autres.
Lorsqu'elle reçoit à la mort de son oncle une propriété en Allemagne qui lui assure un revenu de deux cents livres par an, elle se rend immédiatement sur place en espérant ensuite rentrer en Angleterre et jouir à distance de sa nouvelle indépendance. Cependant, une fois arrivée, elle décide de rester et d'ouvrir sa demeure à des dames qui, comme elle, ont connu la pauvreté malgré leur haute naissance.

Voilà un roman absolument délicieux à découvrir aussi bien au bord de la plage qu'au coin du feu (oui, avec ce temps, j'ai fait les deux).
Anna est une de ces jeunes héroïnes anglaises comme on les aime. A la fois enthousiaste et naïve, elle met quelques temps à ouvrir les yeux dans ce monde d'hommes où les fortes têtes n'ont pas vraiment leur place. Sa famille veut qu'elle se marie, son régisseur allemand compte bien lui faire courber la tête, et ses ingrates pensionnaires la méprisent de les accueillir comme elle le fait au mépris des bonnes manières. 
Elizabeth von Arnim ne fait pas dans la dentelle, et rares sont les personnages qui ne nous deviennent pas odieux rapidement. Les femmes sont prisonnières de leur statut, qu'elles soient mariées, veuves ou célibataires. Susie est une parvenue, et tout son argent et son mariage avec un grand nom ne peuvent la faire intégrer les cercles qu'elle convoite. Les pensionnaires d'Anna, de haute naissance pour deux d'entre elles, préfèrent la faim et le froid plutôt que l'idée de travailler. Les hommes sont certains de leur supériorité, tyrannisent leurs épouses, et perdent la tête lorsqu'ils constatent qu'Anna est inconsciente que sa richesse nouvellement acquise n'est rien face à eux puisqu'elle appartient au sexe faible.

Heureusement que le bel Axel von Lohm est présent pour veiller au bien-être de la jeune fille. Face à tous ces vils personnages, il fait vraiment figure de chevalier en armure, mais on ne va pas faire les difficiles car il lui faut bien ça. Entre les manigances du régisseur qui rêve d'une briqueterie, le fils de la baronne qui fait une cour des plus lourdes et ridicules à Anna, le vicaire qui lui envoie des poèmes d'amour par le biais de sa nièce, le lecteur a de quoi s'amuser, mais notre héroïne le prend avec moins d'humour.

En résumé, on s'indigne, on rit et surtout on ne se prend pas la tête. Une lecture parfaite pour les vacances.

L'avis d'Eliza.
Archipoche. 360 pages.
1901 pour l'édition originale.

Posté par lillounette à 16:06 - - Commentaires [12] - Permalien [#]
Tags : , ,

30 juin 2013

Miss Mackenzie - Anthony Trollope

imagesSuite au décès de son frère, Margaret Mackenzie, une vieille fille de trente-cinq ans se retrouve à la tête d'une petite fortune et d'une jolie liste de soupirants.

Si vous cherchez une lecture victorienne plaisante, pleine de mordant et qui ne vous torturera pas trop les méninges, alors Miss Mackenzie est parfait pour vous. 
L'intrigue est très mince, et pourtant ce livre contient la plupart des ingrédients qui font qu'on aime les auteurs anglais, à commencer par la présence directe de ces derniers dans leurs livres. A l'instar d'une Jane Austen ou d'un Thackeray, Anthony Trollope s'amuse à commenter son récit, à critiquer ou à excuser ses personnages avec une délicieuse ironie.
La plus importante d'entre eux, Miss Mackenzie, est un personnage très bien croqué. Bien que vieille fille et réservée, elle n'a rien d'une gentille idiote que l'on pourrait manipuler à sa guise. Sa générosité lui joue des tours, mais elle est bien déterminée à se faire une place dans le monde. Une fois reçu son héritage, elle se rend donc à Littlebath, où il lui faut déterminer si sa position serait mieux assurée parmi les débauchés qui osent danser et jouer aux cartes ou dans le salon de la terrifiante Mrs Stumfold, l'épouse du pasteur. Miss Mackenzie se verrait bien mariée également, mais elle hésite entre le charmant Mr Rubb, associé de son frère, qui a malgré tout comme défaut d'être d'une honnêteté relative et surtout commerçant de profession, le révérend Maguire, un homme qui louche affreusement, et son cousin John Ball, futur baronnet ruiné, âgé, et à la tête d'une ribambelle d'enfants. Pour faire son choix, elle fait à nouveau preuve de clairvoyance, et refuse de se priver de romantisme en raison de son grand âge (trente-cinq ans, rappelons-le !). J'ai été agréablement surprise de lire un roman de cette époque et écrit par un homme doté d'un personnage féminin si fort.
L'entourage de notre héroïne n'est évidemment pas composé de saints personnages, ce qui donne lieu à des scènes délicieuses. J'avoue avoir connu quelques moments de léger ennui, tellement il est question d'argent durant cinq cents pages, mais je me suis régalée en lisant le compte-rendu des réunions stumfoldiennes à Littlebath, où l'on ne sait où donner de la tête tellement il y a de gens à claquer, ou encore en assistant au dîner ridicule donné par Mrs Tom Mackenzie avant qu'elle ne descende de ses grands-chevaux. Le bazar des orphelins de soldats nègres avec toutes ces pouffiasses victoriennes abandonnant toute fierté est aussi une merveille, tout comme les altercations entre Margaret et sa tante Lady Ball, dignes héritières d'Elizabeth Bennet et de Lady Catherine de Bourgh.

Je voulais découvrir Anthony Trollope depuis longtemps, et je ne suis pas du tout déçue par cette première rencontre !

Alors que le mois anglais se clôture, j'ai fait mes devoirs pour cette lecture commune avec Lou, Romanza et Virgule. Avec cette lecture, je réussis aussi mon challenge Myself, même si je ne serais pas contre une deuxième découverte de Trollope avant la fin de l'année.

Le Livre de Poche. 506 pages.
1865 pour l'édition originale.

3159037476

Challenge Myself

 

02 janvier 2010

American Psycho ; Bret Easton Ellis

9782020253802_1_Points ; 512 pages.
Traduit par Alain Defossé. 1991
.

Moi qui croyait être rodée en matière de beurkitude, je viens de me prendre un démenti cuisant en pleine face.

Patrick Bateman est un jeune homme qui correspond parfaitement au type que tout le monde déteste en cette période de crise économique. C'est un jeune loup de la finance superficiel, dédaigneux, obsédé par l'argent, les restaurants huppés, les marques, les belles cartes de visite, et son apparence physique. Accessoirement, il est aussi psychopathe.
Nous le suivons à travers son journal, dans une vie où tout le monde semble pareil à lui. Il est constamment entouré, ne dîne jamais seul, n'a aucune difficulté à ramener des filles chez lui, mais cela ne fait que davantage ressortir sa solitude. Il est riche, donne le sentiment d'être quelqu'un d'important, mais en dehors de quelques types assez inutiles, personne, pas même son avocat, ne connaît son nom.

J'ai ouvert ce livre sans avoir la moindre idée de ce que j'allais y trouver. Les cinq cents pages que composent ce livre pourraient être monotones, mais Patrick Bateman a un truc pour vous captiver qui fait qu'on ne peut pas lâcher son journal avant de l'avoir fini. Je n'ai eu aucun problème à lire les énumérations interminables de noms de marques (et lorsqu'on éprouve autant d'intérêt que moi pour ces choses là d'ordinaire, je vous assure qu'on pourrait aussi bien lire du chinois), les compte-rendus des soirées à répétition, les conversations dépourvues d'intérêt, parce que bien vite, on décèle toute la critique que contiennent les mots et les actes décrits. Tous les êtres que fréquente Bateman sont vides, à l'exception peut-être de sa naïve secrétaire, Jean. Lorsqu'il cite des psychopathes ou évoque ses crimes dans le détail au fil de la conversation, ses interlocuteurs font au mieux comme s'ils trouvaient ça drôle, au pire comme s'ils n'avaient rien entendu (c'est sans doute le cas d'ailleurs, tellement chacun est préoccupé avant tout de sa personne). 
Etrangement, c'est lorsqu'il cède à ses pulsions meurtrières que Bateman devient intéressant (pulsions réelles ou fantasmes, d'ailleurs). Certaines scènes sont carrément ignobles. Patrick Bateman, en plus d'aimer tuer, a une imagination débordante en la matière. Il torture ses victimes (il déteste particulièrement les sans-abri, les types qui réussissent mieux que lui, ainsi que les femmes) avant de les laisser agoniser, puis d'aller dîner tranquillement avec ses "amis" (ce qui fait que pendant quelques instants, on prie pour que la victime soit morte). Et c'est de pire en pire. En réalité, il est profondément malheureux parce qu'il se sent aussi vide que les autres.

"Comment pourrait-elle donc comprendre que rien ne pourrait jamais me décevoir, puisque je n'attends plus rien."

Et voilà comment le personnage le plus froid et le plus cruel parvient à attirer la pitié du lecteur...

Un livre qui m'a totalement conquise. J'avais peur que les cinq cents pages se fassent sentir, mais il n'y a pas le moindre coup de mou dans ce texte. C'est assez marqué années 80/90 (je pense aux réflexions sur le SIDA, aux réflexions musicales), mais le fond est indémodable. Et pour couronner le tout, je viens de réaliser que l'adaptation a comme acteur principal mon Christian à moi. 

C'est assez moyen comme billet pour débuter l'année, je m'en excuse...

Ofelia, veux-tu m'épouser ? (je plaisante, je voulais juste jouer les briseuses de ménage en ce début d'année)

challenge 100 ans billet

Posté par lillounette à 19:22 - - Commentaires [41] - Permalien [#]
Tags : , , , ,