Elles se rendent pas compte ; Boris Vian
Le Livre de Poche ; 127 pages.
1950.
Lettre V du Challenge ABC :
Je sais, j'avais dit que je lirai L'écume des jours cette année, et pas Elles se rendent pas compte. Mais je trichais déjà à la base, puisque j'ai lu au moins la moitié de L'écume des jours quand j'étais au lycée*. Je n'y avais rien compris, ce qui explique pourquoi je l'avais refermé avant la fin. Toutefois, il m'a énormément marquée, puisque je m'en souviens encore très bien. Depuis, il attend que je le reprenne et que je le finisse. En fait, j'ai préféré lire Elles se rendent pas compte, parce que je sortais de plusieurs lectures franchement déprimantes, et j'avais besoin de rire un peu.
Francis est invité à une fête costumée chez son amie Gaya, une jeune fille de bonne famille. Il s'y rend déguisé en femme, et prend beaucoup de plaisir à tromper tout le monde sur son identité.
Sa pseudo enquête commence lorsqu'il aperçoit un type bizarre, et qu'il retrouve Gaya complètement droguée (ce qui l'amuse encore à ce stade). Peu après, Gaya lui annonce ses fiançailles, et Francis a du mal à se contenir lorsqu'il rencontre le promis, qui aime clairement les garçons, et qui fait partie d'une bande plus que louche.
Je me suis véritablement éclatée avec ce très court roman. Le tout est éminemment impertinent et provocateur. L'auteur se lâche complètement dans ses idées, utilise un langage familier, met des pointillés pour signaler les scènes de plaisir qui auraient pu choquer les bonnes âmes, en rajoute autant qu'il peut. On a droit à autant de sexe et de violence qu'il est possible d'en mettre en si peu de pages et en aussi peu de temps (le tout décrit d'une manière totalement réjouissante), les femmes et des hommes ne sont vraiment pas à leur place traditionnelle, le sauvetage de l'héroïne l'est encore moins...
Le personnage principal se retrouve ainsi propulsé en héros et n'est évidemment pas à la hauteur de sa mission, bien que plein d'imagination (autant pour se mettre dans le pétrin que pour s'en sortir d'ailleurs). Il faut vraiment le faire pour tenter d'échapper à ses poursuivants en se travestissant ou pour songer à acheter ceux qui veulent vous tuer en couchant avec (et en les remettant sur le "droit chemin" par la même occasion). D'ailleurs, ces méchants, s'ils font grimacer, ne font pas vraiment peur pour autant. On est loin des histoires de meurtre habituelles.
Je n'ai pas beaucoup plus à dire sur ce livre, mais il m'a procuré un excellent moment de lecture, et j'espère trouver très rapidement les autres livres "légers" de Boris Vian.
L'avis de Tamara.
* Mon père en a trois exemplaires, ce qui était plutôt intrigant.
Prodige ; Nancy Huston
Je n'étais pas revenue à Nancy Huston depuis L'empreinte de l'ange, qui m'a laissé un drôle de goût dans la bouche. Toutefois, j'ai n'ai pas pu m'empêcher d'acheter la moitié de la bibliographie de l'auteur, certaine que de belles découvertes m'attendaient encore.
Maya vient de naître, avec trois mois et demi d'avance. Les médecins sont pessimistes, mais Lara refuse de baisser les bras, et décide qu'elle sauvera son enfant. Elle lui raconte ainsi la vie qu'elle aura, la merveilleuse pianiste qu'elle sera, la cuisine qui sent l'ail de sa grand-mère, et Robert, son mari qu'elle aime et qui est fou d'elle, mais qui ne peut rester auprès des deux femmes de sa vie. "Parfois, peut-être... on ne peut pas tout avoir. Parfois on repousse ce qu'on a, simplement pour ne pas tout avoir. Je ne sais pas l'expliquer autrement."
Je suis vraiment gâtée côté lectures en ce moment. Ce livre est juste sublime. Les narrateurs sont nombreux, mais il n'y a que deux lignes de lecture. L'une suit Lara, celle qui joue la musique pour elle, qui y plonge toutes ses peines et tous ses espoirs. L'autre suit Maya, qui exprime ce que sont les choses. Tout au long du livre, on a le sentiment que ces deux courbes, la mère et la fille, s'affrontent et s'éloignent de plus en plus l'une de l'autre, mais le fait de ne pas savoir laquelle a le dessus évite tout pathos. Tout le roman se déroule dans un état de tension pour le lecteur, qui pressent un drame, mais qui ignore ce qu'il doit vraiment redouter.
On voit un rêve, plein de libellules, de papillons et de vers à soie, ainsi que de musique, la petite Maya prodigieuse. Tout le livre est baigné de délicatesse et d'images métaphoriques très belles, mais on ne peut en profiter pleinement, tellement les pages qui nous sont encore inconnue semblent nous promettre de cruelles déceptions. J'ai sourit parfois, comme lorsque Sofia, la grand-mère russe, raconte un concert de Glenn Gould, où les gens s'étaient tous précipités : "à l'époque on savait qu'un grand pianiste qui joue, c'est une urgence."
Mais j'ai surtout eu mal de voir Lara s'enfoncer comme cela. Elle est la rêveuse, aussi elle ne devrait pas être celle qui plonge, celle qui est blessée, celle qui perd espoir. Ou peut-être que si, rêver rend plus fragile sans doute.
Je n'avais pas vu venir la fin, ce qui prouve que Nancy Huston tenait parfaitement les fils de son histoire, et qu'elle n'est pas un auteur qui surprend son lecteur d'une seule façon.
J'ai refermé Prodige complètement secouée, à la fois émerveillée et pleine de tristesse. Un livre peut-être un peu moins maîtrisé que Lignes de faille, mais un coup de maître quand même.
Lumière pâle sur les collines ; Kazuo Ishiguro
10/18 ; 256 pages.
Traduit par Sophie Mayoux.
V.O. : A Pale View of Hills. 1982.
Lettre I du Challenge ABC :
Kazuo Ishiguro est l'un de mes auteurs préférés, même si jusque là je n'avais lu que Les vestiges du jour et surtout Auprès de moi toujours.
Avec Lumière pâle sur les collines, le premier roman de l'auteur, j'ai pu le suivre pour la première fois dans son pays d'origine, le Japon. Je pensais vraiment m'attaquer à une oeuvre assez mineure d'Ishiguro, mais je peux vous assurer que ce livre défend à lui tout seul le génie de l'auteur.
Etsuko est une Japonaise, qui a quitté son pays d'origine quelques années après la guerre, en compagnie d'un deuxième époux. De son premier mariage, elle avait eu une fille Keiko. Celle-ci vient d'être retrouvée pendue dans sa chambre à Manchester lorsque le livre débute, des années plus tard. Elle avait quitté sa mère depuis six ans, incapable de s'adapter à la vie en Angleterre et à sa nouvelle famille.
A l'occasion d'une visite de sa deuxième fille Niki, Etsuko se remémore son passé. Elle se souvient de Jiro, son premier mari, au temps où elle attendait Keiki. Elle revoit aussi les deux occupantes mystérieuses d'une petite maison près de chez elle, Sachiko et sa fille Mariko. Cette gamine qui aimait tant les chats, et qui ne voulait pas s'en aller.
Dans ce livre, on retrouve tout ce qui fait le charme d'Ishiguro. Son style d'abord, faussement détaché, qui nous fait pourtant ressentir parfaitement l'atmosphère dans laquelle l'histoire se déroule. Les phrases se suffisent à elles mêmes, et ne nécessitent aucun artifice. Une remarque ironique n'a pas besoin d'être signalée, ni même un immense chagrin.
Etsuko nous emmène à Nagasaki, ville qui, comme chacun le sait, a été particulièrement meurtrie par la Deuxième Guerre mondiale. Les familles sont détruites, et les repères ont disparu. Car au-delà des personnages que nous cotoyons et des bâtiments détruits, le Japon tout entier voit s'opérer des changements très importants. Les légendes entourant l'Histoire du Japon sont remises en cause, les tenants de l'ancienne doctrine sont poussés vers la sortie. Tout n'est qu'opposition entre les modes de vie occidental et japonais, et l'existence d'Etsuko sera exactement à cette image.
Elle est mariée à un homme qui ne partage pas les événements qui le touchent avec elle, et qui lui accorde une place qui ferait bondir à peu près n'importe quel individu qui a intégré les valeurs occidentales (dans mes rêves en tout cas). Son beau-père est quant à lui profondément choqué d'apprendre qu'une femme peut ne pas partager les opinions politiques de son mari. En face d'Etsuko, se reflète l'image de Sachiko qui, elle, ne rêve plus que d'ailleurs, et qui refuse d'attendre la vieillesse dans les pièces vides et silencieuses de la maison de son oncle. Elle ne peut accepter une vie dans laquelle les femmes se battent pour faire le repas, non parce qu'elles aiment faire la cuisine, mais parce que cela leur permet de s'occuper un peu. Elle préfère espérer en vain plutôt que de renoncer. Elle veut offrir le meilleur à sa fille, et essaie de se convaincre qu'elle fait le bon choix.
Aucun jugement n'est prononcé dans ce livre, et personne n'est diabolisé. Au contraire, si on ressort de ce roman avec le sentiment que quelque chose n'a pas marché, on réalise surtout que toute décision aurait nécessité des sacrifices. Etsuko le sait, et l'on voit apparaître chez cette femme la terrible résignation propre aux personnages d'Ishiguro. Il m'arrive parfois de me demander comment je réagirais si dans quelques années, je devenais quelqu'un que la fille d'aujourd'hui mépriserait. Ce roman montre bien à quel point il s'agit d'une situation compliquée sans réponse toute faite.
Lumière pâle sur les collines ne lève pas tous ses mystères, mais il s'agit surtout d'un livre magnifique et bouleversant. J'ai été soufflée.
L'avis d'Erzébeth, conquise elle aussi (et là je vois que Fashion n'aime pas Ishiguro !!). Erzébeth, si tu passes par là, j'aimerais bien discuter de quelques trucs avec toi.
Rose aussi a aimé.
Mon compte en banque tient aussi à remercier la personne qui a revendu Un artiste du monde flottant dans sa toute nouvelle édition Folio à mon bouquiniste, sans même l'avoir ouvert visiblement.
Last Exit to Brooklyn ; Hubert Selby Jr
Albin Michel ; 303 pages.
Traduit par J. Colza. 1964.
Je ne peux pas vous expliquer ce qui m'a poussée à ouvrir ce livre, cela m'obligerait à vous révéler une de mes tares. En France, je pense qu'Hubert Selby Jr est avant tout connu grâce à l'adaptation de son roman Requiem for a Dream, que je n'ai pas vu (je suis la fille qui a cru périr d'ennui devant Trainspotting). Pourtant, il s'est fait connaître aux Etats-Unis dès la publication de son premier roman, dont je vais vous parler.
Nous sommes à New York, dans le quartier de Brooklyn, dans les années cinquante. Aux abords d'une base militaire, on trouve le Grec, "un troquet minable ouvert toute la nuit à côté de la base militaire de Brooklyn", la bande à Vinnie, les travestis, Tralala, les autres, et aucune part de rêve.
A l'origine, les textes composant Last Exit to Brooklyn étaient des nouvelles. Le livre est de ce fait divisé en six parties qui ne se concentrent pas sur les mêmes personnages. Toutefois, cela ne les rend pas indépendantes les unes des autres. Le cadre utilisé est toujours le même, et l'on croise à plusieurs reprises certains individus. Et puis surtout, la vie menée par tous ces personnages est tellement semblable qu'ils sont presque interchangeables, des échos les uns des autres, comme le montre notamment la dernière partie. Il n'y a aucun espoir dans ce livre. Tout n'est que violence, drogue, alcool, et sexe déprimé. Les rares moments d'apaisement sont suivis d'une désillusion tellement grande qu'ils sont finalement davantage à craindre qu'à souhaiter. La société décrite est pourrie jusqu'à l'os. On cogne pour se distraire, la discussion n'est même pas une possibilité, et les enfants suivront inexorablement le chemin tracé par leurs parents.
Selby nous décrit toute cette déchéance avec un style qui amplifie encore notre sentiment d'écoeurement et de désespoir face à ces individus misérables, auxquels il n'est même pas toujours possible de s'attacher. Il écrit sans se soucier des règles de ponctuation, n'indique pas vraiment qui parle. On se croirait vraiment en train d'assister à la scène. J'ai particulièrement aimé les passages entre Vinnie et Mary, où l'auteur écrit en majuscules pour indiquer que les personnages hurlent.
Je n'ai pas tout apprécié dans ce livre. La partie sur Harry Black m'a même pas mal ennuyée, même si certains passages sont absolument grandiose. Les scènes de violence, dont je ne suis pourtant pas friande habituellement, montrent à quel point tous ces personnages sont pathétiques. On ne les sent vivre que dans ces moments. La fin de la partie aussi, quand Harry réalise que les mois qu'il vient de vivre sont derrière lui.
Il est en effet difficile de rester indifférent face à un tel livre. J'ai eu les larmes aux yeux à plusieurs reprises, et j'ai aussi frôlé l'écoeurement. Un dollar par jour, La reine est morte et Bout du monde sont mes parties préférées. Le poème lu par Georgette est magnifique, tout en mettant définitivement les choses au clair avec le lecteur. Tralala m'a aussi beaucoup émue, la seule femme qui tente de trouver une autre voie (et qui échoue, bien entendu).
Un livre qui remue beaucoup donc, et qui m'a permis de découvrir un très grand écrivain. Je mets un petit bémol à cause de l'histoire de Harry, mais sinon il entrait directement dans mon panthéon littéraire personnel.
A moi pour toujours ; Laura Kasischke
Belfond ; 401 pages.
Traduit pas Anne Wicke.
V.O. : Be Mine. 2007.
Depuis maintenant deux ans et demi que j'écris sur ce blog, j'ai appris à surmonter parfois mes préjugés à l'égard d'auteurs qui ne me tentaient pas, et cela a donné lieu à de très belles découvertes. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas...
Sherry est une femme qui a tout pour être heureuse. Un job intéressant, un mari amoureux, et un fils de dix-huit ans, Chad. Ce dernier vient cependant de quitter la maison, laissant derrière lui un grand vide. Le jour de la Saint-Valentin, Sherry reçoit un mystérieux billet sur lequel il est écrit : "A moi pour toujours". Elle en parle à son mari, qui étrangement semble très excité à l'idée que sa femme soit courtisée par un autre. Commence alors pour Sherry la recherche de l'auteur de ces quatre mots, qui l'entraîne bien plus loin qu'elle ne l'avait imaginé.
C'est très simple, ce livre me laisse franchement mitigée. Il se lit très vite, mais pas parce qu'il est captivant. Il y a beaucoup de cuit et de recuit dans ce roman. L'idée de départ est pourtant bonne. Tout s'écroule sans aucune raison particulière. Juste l'ennui, que ressent aussi le lecteur au début du livre. Quelques mots, qui suffisent à révéler à un personnage qu'il n'est pas aussi comblé qu'il le pensait. Mais, l'auteur s'embrouille très vite.
J'ai lu un peu partout que Laura Kasischke était très forte pour les rebondissements, je ne suis pas d'accord. Le principal malentendu était gros comme une maison, et même si je sais que l'on peut très facilement ne pas voir l'évident, je ne le trouve pas crédible une seconde passé un certain stade. Je ne croyais pas que Laura Kasischke oserait nous sortir ça. Bien sûr, à l'écrit, le discours des personnages peut être totalement à double sens. Mais pas à l'oral. Il y a des tons qui ne trompent pas. Laura Kasischke a eu une bonne idée, mais elle aurait dû soit s'arrêter avant, soit aller plus au fond des choses. Pourquoi ne pas justement laisser un peu planer le doute sur ce que Jon savait vraiment, inconsciemment, au lieu de s'en tenir à un simple "on ne connaît jamais les gens" ?
La révélation finale à propos de Garrett me laisse aussi perplexe, et bien trop excessive pour paraître vraie. En fait, tout comme le précédent malentendu, elle ne m'a surprise que dans la mesure où je faisais confiance à l'auteur pour ne pas me servir une réponse aussi banale. Quand un aspect qui possède une telle importance est raté, il est difficile d'apprécier le reste.
Bram sort du lot, et agit avec une passion puis un manque de conviction bien vus. Toutes les illusions évoquées dans ce livre sont vraies. J'ai aussi apprécié la toute fin, le fait que les choses rentrent dans l'ordre sans que rien ne soit réglé. Les seuls à avoir bougé ne sont pas ceux que l'on pensait. Et Laura Kasischke dresse parfois des tableaux très pertinents et plein de sarcasmes, qui en disent long et éclairent l'intrigue en peu de mots.
Cela ne fait cependant pas assez pour un livre que j'étais autant impatiente de découvrir. J'aurais peut-être dû commencer par Rêves de garçons comme je l'avais prévu...
Je ne ferme pas la porte à cet auteur. Cela fait plusieurs fois que je réécris ce billet, et j'ai du mal à exprimer clairement mon ressenti. Quand je réfléchis et que je relis des passages du livre, je comprends qu'il ait pu autant séduire. J'aurais sans doute été moins sévère si les effets de surprise avaient marché sur moi.
A part moi, tout le monde a adoré : Tamara, Loutarwen, Papillon, Praline et Ys.
Tobie des marais ; Sylvie Germain
J'ai acheté ce livre il y a des mois, suite à une recommandation de Lou. Je connaissais seulement l'auteur de nom jusque là, et je n'avais aucune envie de la lire. En fait, j'associais son nom à la couverture hideuse de l'édition Albin Michel de Magnus. Je suis ravie d'avoir mis mes préjugés de côté, parce que j'ai découvert une très jolie plume de la littérature française.
Un soir d'orage, un conducteur et son passager rencontrent un bambin en ciré jaune, avec un tomahawk en plastique vert pomme accroché dans le dos, qui pédale comme un fou sur un tricycle rouge. Son père l'a envoyé au Diable, après que sa mère soit rentrée chez elle décapitée sur le dos de sa jument. Ce petit garçon s'appelle Tobie, et la tête de sa mère reste introuvable. Fou de douleur, son père refuse de sceller la tombe de son épouse tant que le corps restera mutilé, et sombre dans la folie. C'est donc Déborah, l'arrière grand-mère de Tobie, qui vient s'occuper du petit garçon. Toute sa vie, cette femme que le destin a mystérieusement épargné, a vu les siens non pas mourir, mais disparaître.
Pour écrire son livre, Sylvie Germain, s'est appuyée très librement sur Le Livre de Tobie. Déborah est effectivement juive, même si elle a arrangé un peu sa manière de pratiquer sa religion. Il s'agit de la seule chose réconfortante qu'elle a pu conserver depuis sa Pologne natale jusqu'à Ellis Island, puis en Europe. Le reste n'est que malheur et malédiction, et Sylvie Germain nous le raconte avec un style d'une incroyable poésie et très imagé. Tobie des marais n'est pas un roman comme les autres. On se croit dans un conte plus que dans la réalité, mais les émotions qu'il provoque en sont d'autant plus fortes. J'ai particulièrement aimé l'image de la tombe qui pleure toutes les larmes que Déborah n'a pas su verser malgré les chagrins qu'elle a connus.
Les personnages appartenant à un même ensemble, à une même histoire, à une même famille, leurs drames se répondent, et nous permettent de voyager durant près d'un siècle, de traverser plusieurs guerres, et de voir comment un seul petit garçon peut tout apaiser.
Un livre triste et mélancolique, mais qui réconforte finalement. Sylvie Germain et moi n'en avont pas terminé.
Sanctuaire ; William Faulkner
Folio ; 375 pages.
Traduit par R.N. Raimbault et Henri Delgove, revu par Michel Gresset.
V.O. Sanctuary. 1931.
C'est en lisant les quelques pages dépourvues de ponctuation de Titus d'Enfer que j'ai été prise d'une folle envie de reprendre ce livre que j'avais feuilleté durant un cours magistral soporifique il y a quelques mois (Peake et Faulkner n'ont absolument rien en commun, c'est juste moi...).
De ce livre je pensais connaître l'intrigue, mais en fait les résumés que j'avais lus évoquent tous des événements qui interviennent très tard dans le récit. Je pense notamment au fameux épi de maïs que j'ai attendu pendant si longtemps que je me demandais si je ne me trompais pas de livre...
Des crimes sont bien commis, mais ils ne sont pas présentés de façon traditionnelle. Dans Sanctuaire, Faulkner étudie une fois de plus la noirceur et la déchéance des habitants du sud des Etats-Unis, à partir du viol d'une jeune fille et du meurtre d'un homme, qui entraînent l'arrestation d'un innocent. Cet état lamentable du sud apparaît d'autant plus clairement ici que l'un des personnages nous fait espérer un dénouement plutôt positif. Au lieu de cela, on a droit à un ouvrage qui se clôture de façon pour le moins ironique et insatisfaisante.
Je crois que je n'avais jamais perçu une telle noirceur dans les livres de Faulkner. Il ne juge pas, les personnages ne valent pas mieux les uns que les autres (sauf peut-être Benbow, mais il n'a clairement rien à voir avec le monde qu'il veut réformer), et je crois que là est bien ce qu'il y a de pire. Tous ces gens sont corrompus, débauchés, se contaminent mutuellement et s'enfoncent toujours plus profond dans la déchéance humaine. Et c'est comme ça. Certaines scènes sont absolument terribles, mais j'étais plutôt prête à rire tellement on est tombé bas.
En effet, en parallèle, l'auteur est plus qu'ironique, et l'hypocrisie de la société est parfaitement mise en valeur. Etre trafiquant d'alcool au moment de la Prohibition semble bien moins grave que de vivre avec quelqu'un (et d'en avoir un enfant) sans être marié. Cela vous place aussi en bonne position lorsqu'il s'agit de retrouver l'auteur d'un meurtre et d'un viol.
Sanctuaire est le livre de Faulkner que j'ai lu avec le plus d'avidité. La chronologie bouleversée et les informations qui arrivent un peu au compte-goutte rendent le roman encore plus captivant, je trouve que c'est encore plus flagrant que dans les autres romans de l'auteur que j'ai lus. Il faut attendre la fin du livre afin de connaître la totalité de l'histoire, et de pouvoir confirmer ce qui avait jusque là été surtout suggéré. Bon, j'ai quand même eu du mal avec quelques passages. Je suis quelqu'un qui a besoin qu'on lui explique clairement les choses et qui croyait connaître l'histoire, aussi ai-je lu plusieurs dizaines de pages avant de comprendre qui avait été tué (c'est très étrange de connaître le nom du meurtrier mais pas avec certirude celui de la victime), mais c'était entièrement ma faute.
Je crois que j'ai encore plus aimé ce livre que Le bruit et la fureur (Edit du 31/03/09, en fait non), et je suis convaincue que je le relirai. Difficile de croire que Faulkner ne l'a écrit que pour l'argent...
Titus d'Enfer ; Mervyn Peake
Phébus ; 502 pages.
Traduction de Patrick Reumaux.
V.O. : Titus Groan. 1946.
Après avoir été attirée par l'aspect de ce livre, apprendre qu'il s'agissait en fait d'un roman de fantasy (?) m'avait fait tourner le dos. Mais je ne désespère pas de connaître quelques bribes de ce genre un jour, donc j'avais dû le garder dans un coin de ma tête. Quand j'ai vu qu'il était épuisé, j'ai donc bien sûr couru l'acheter (je crois que c'est l'argument le plus convaincant qui soit pour me faire craquer pour un livre).
Un nouvel héritier vient de naître au château de Gormenghast. Titus, enfant très attendu mais pas vraiment aimé, sera donc le soixante dix-septième comte d'Enfer. Mais il naît dans une famille très étrange, sa mère ne s'intéressant qu'aux chats et aux oiseaux, et son père étant en proie à une mélancolie permanente. Le château, qui constitue presque un personnage à part entière du roman, est également peuplé d'autres individus, qui paraissent tous dépourvus de raison.
Un jour, un jeune marmiton s'échappe des cuisines, et décide de prendre le contrôle de Gormenghast à n'importe quel prix.
Il est très difficile de parler d'un livre comme celui-ci, mais je peux quand même vous dire que je l'ai plus qu'adoré, et que je meurs d'envie de me jeter sur la suite de cette histoire (même si je suis tombée sur un énorme spoiler en lisant un billet sur Gormenghast).
Mervyn Peake nous livre une oeuvre fascinante et très complexe. L'histoire semble particulièrement loufoque, avec des personnages dont les traits sont grossièrement tirés, dans une demeure absolument démesurée régie par un protocole ridicule. L'auteur semble s'être complètement lâché, et avoir pris un malin plaisir à rassembler tous les éléments fantastiques imaginables dans une seule oeuvre. Peake était caricaturiste, et le lecteur n'a pas besoin de voir les illustrations de ses personnages pour s'en apercevoir.
Cependant, comme tout fabuleux caricaturiste, Peake n'en décrit pas moins une réalité. L'univers qu'il crée tient parfaitement debout, car cette oeuvre qui parait si légère est en fait profondément déprimante. Les apparences ne nous trompent pas longtemps, et les bizarreries de langage des personnages finissent par faire mal. La famille d'Enfer est terriblement attachante. Ses membres sont terriblement seuls, avec chacun un lieu de refuge qui va se trouver sali par le machiavélique Finelame. J'ai trouvé en Fuschia une héroïne comme je les aime, même si sa sensibilité ne peut que lui coûter cher. Sa relation avec son père est très belle, et très réaliste. Même la comtesse Gertrude finit par devenir touchante. Il est étrange de constater que ce personnage, qui semble être le plus déconnecté de la réalité, se montre parfois bien plus perspicace que tous les autres réunis.
Les serviteurs ne sont pas en reste, particulièrement Craclosse et Lenflure, le serviteur squelettique et l'énorme cuisinier, qui s'engagent dans une lutte à mort, alors que le décor dans lequel ils se trouvent s'ébranle de façon de plus en plus inquiétante. Tout cela à cause du jeune Finelame. Je ne sais pas encore ce qu'il faut penser de lui. Sa quête me semble parfois se justifier, même si je le hais aussi.
Il m'a fallu quelques chapitres avant de comprendre où je me trouvais. Mais une fois l'histoire lancée, ce livre devient l'un de ceux qu'on ne peut plus quitter, et auxquels on pense longtemps après les avoir refermés. Un chef d'oeuvre.
On Chesil Beach ; Ian McEwan
J'ai acheté ce livre au moment de la rentrée littéraire 2008 je crois, mais c'est ma relecture d'Expiation qui m'a décidée à l'ouvrir.
Edward et Florence viennent de se marier. Ils s'aiment, mais alors qu'ils prennent leur dîner, la perspective de leur nuit de noces les effraie. Ils sont vierges. Il a peur de ne pas assurer, elle est convaincue qu'il est expérimenté, et le corps de son mari la dégoûte d'avance. On est en 1962, alors elle n'ose rien lui murmurer de plus qu'un timide "j'ai un peu peur".
Ian McEwan nous livre avec ce livre une histoire incroyablement sensuelle et délicate, même si elle est, comme toujours avec lui, un peu triste. Il fait parler tour à tour Edward et Florence, nous révèle leurs peurs, les non-dits entre eux, qui les amènent à se saborder eux-mêmes. C'est très court, mais l'auteur cerne admirablement ce couple, qui se connaît finalement très peu.
Cette soirée de noces est un tel désastre que cela en est presque comique. Pour calmer l'excitation qui monte en lui, Edward pense au visage d'un homme. Quant à Florence, elle est tellement terrifiée qu'elle prend toutes les initiatives avant même que son époux ait demandé quoi que ce soit...
Encore une fois, le dénouement n'est pas assuré d'avance. Florence et Edward rencontrent nombre de portes de sortie, qui leur demandent simplement le courage de parler. Il s'agit d'une action qui demande malheureusement beaucoup de courage en 1962. La révolution sexuelle n'a pas encore eu lieu, alors ces fameuses portes, ils se contentent de les claquer, impuissants.
La dernière page du livre est absolument parfaite, je vous laisserais donc la découvrir avec le reste du roman, qui est l'un des plus beaux que j'ai lus. Peut-être mon préféré de Ian McEwan, et ce n'est pas peu dire.
Les avis de InColdBlog, Levraoueg, Thom et Emjy (qui ont aimé).
Sybilline a été déçue.
Vintage ; 166 pages.
2007.
Le mystère d'Edwin Drood ; Charles Dickens
Laissez moi tout vous expliquer. Il y a quelques temps, j'ai décidé de lire Monsieur Dick ou le dixième livre de Jean-Pierre Ohl. La première page m'a convaincue que je ne pouvais qu'adorer ce livre, mais j'ai très vite renoncé à le lire avant de connaître Le mystère d'Edwin Drood, et le fameux Monsieur Dick du titre. Ce dernier roman est un inachevé de Dickens, et il a donné lieu à de nombreuses discussions depuis plus d'un siècle. Le problème avec ce roman, comme avec la plupart des livres de Dickens est que seule la Pléïade l'a édité en français. Je peux lire l'anglais, mais je suis très fainéante, et très impatiente, donc j'ai opté pour une méthode un peu étrange. Je me suis procuré L'affaire D. ou le crime du faux vagabond, qui contient le texte de Dickens, entrecoupé de chapitres écris par deux autres auteurs. Etant donné que je désirais me familiariser en toute innocence avec le texte original, je n'ai lu que les chapitres de Dickens.
Vous suivez ? Ça a été un peu laborieux : au début, je croyais que ce livre contenait d'abord le livre de Dickens, puis une version achevée. Vous imaginez ma surprise quand j'ai lu la première page en pensant qu'il s'agissait du texte de Charlie...
L'histoire se déroule dans le petit village de Cloisterham, à l'ombre de la cathédrale. Edwin Drood se rend chez son oncle John Jasper, qu'il aime tendrement et avec lequel il a un écart d'âge très peu important. Il vient pour rendre visite à celle qui lui a été fiancée par testament, la jeune Rosa, élève dans le collège de la ville. Edwin est désinvolte, et n'a pas conscience de ce que signifient réellement ses fiançailles, ce qui choque profondément Neville Landless, un jeune homme récemment arrivé à Cloisterham, qui a été ébloui par Rosa, et qui est sujet à des accès de violence. Les deux jeunes gens ont une altercation, puis un dîner est organisé afin de les réconcilier. Le lendemain, Edwin a disparu.
Il faut savoir que ce livre est terriblement frustrant. Il manque quand même la moitié du roman, et il s'agit de résoudre une disparition dans un milieu où chacun ou presque peut être le coupable. Alors oui, j'ai adoré découvrir de nouveaux personnages de l'auteur, lui qui sait si bien les croquer. On a droit à pas mal de scènes cocasses (j'aime particulièrement le face à face entre Edwin et Neville, et le sale gosse).
Mais on n'aura jamais le fin mot de l'histoire. Personnellement, je ne crois pas à la culpabilité de John Jasper (ce type m'a terrifiée autant que le le trouve à plaindre), sur qui les soupçons du lecteur sont très vite portés. Je suis loin d'avoir lu tout Dickens, mais pratiquement donner le nom du coupable avant le milieu de l'histoire me semble improbable. Personne ne savait que Rosa et Edwin avaient rompus leurs fiançailles. Nombreux étaient ceux qui les désapprouvaient. Le tuteur de Rosa me paraît tout aussi suspect que les autres (il est horrible avec ce pauvre Edwin, même s'il avait bien besoin de cela). En tout cas, je trouve étrange de publier un roman "policier" en feuilletons. Dickens n'avait peut-être pas d'autres options, mais cela devait exiger une attention de tous les instants, puisqu'il n'était ensuite possible de rien modifier...
Il est également frustrant de ne pas avoir plus qu'un bref aperçu de certains personnages (peut-être que Monsieur Dick ou le dixième livre me donnera de quoi calmer un peu ma frustration), et de ne pas savoir ce qu'est réellement devenu Edwin. Je l'aimais bien personnellement. J'ai vaguement trouvé une explication qui me satisfait dans L'Affaire D. (j'ai parcouru quelques pages) : il a cru que son oncle avait voulu l'étrangler, et s'est donc enfuit en Egypte. A la fin, il doit revenir. Si Dickens ne nous donnera jamais la réponse, autant choisir celle qui nous correspond le mieux.