Dans la mansarde - Marlen Haushofer
"J'ai un but précis mais je n'imagine pas ce que je ferais si je l'atteignais un jour. C'est peut-être une des raisons de mon absence de progression véritable. Je voudrais dessiner un oiseau qui ne serait pas le seul oiseau sur terre."
Une femme au foyer entre deux âges voit son quotidien bouleversé lorsqu'elle commence à recevoir les pages d'un journal qu'elle a tenu autrefois, après avoir été atteinte de surdité d'origine psychologique.
"La folie qui s'est emparée de toute ma génération est la conséquence d'événements que nous n'étions pas capables d'assumer."
J'ai découvert Marlen Haushofer grâce à une merveilleuse libraire il y a plus de dix ans. Si Une poignée de vie m'a ensuite déçue, ce n'est pas le cas de ce nouveau titre, à la fois différent et très proche du Mur invisible. Il y a chez cette autrice des motifs qui en font à la fois une autrice flirtant avec la science-fiction, une spécialiste de l'intériorité humaine en général et féminine en particulier, ainsi qu'une poétesse ayant une perception des beautés et des messages de la nature contagieuse.
Les angoisses de l'autrice concernant l'humanité sont intactes, tout comme cette culpabilité qui hante beaucoup d'oeuvres de langue allemande de cette époque. Qui envoie ces lettres ? Que s'est-il passé dans l'existence de cette femme pour qu'elle soit éloignée à jamais des siens et du bonheur ? Les non-dits, qui resteront intacts, ne nous apparaissent que par bribes. Nous contemplons leurs conséquences à travers le mariage brisé de la narratrice.
"L'essentiel est que nous soyons assis ici et que nous jouions une scène qui ne sonne pas vraiment juste mais qui se substitue très bien à l'autre scène, la vraie, qui, elle, n'est jamais jouée."
Tout, dans ce livre, semble indéfini. Le lecteur est plongé puis expulsé de cette vie dans laquelle les jours s'écoulent. Le quotidien, morne et répétitif, avec la seule mansarde éponyme comme refuge, est bouleversé de manière seulement temporaire. Notre narratrice, apathique en apparence mais intérieurement d'une lucidité folle, retourne sans mal vers le confort de ses repères. Sans doute parce qu'à défaut d'être une solide montagne, elle risquerait d'être telle "la courtilière qu'on humilie et qui s'étonne" si elle se rebellait, si elle se rappelait. Pour notre part, nous ne pouvons que plaquer nos projections sur les éléments qui nous sont offerts.
"Etre un humain est une condition bien précaire, peut-être ne sommes-nous plus depuis longtemps ce que l'on appelait autrefois des êtres humains, seulement nous ne le saurions pas."
Babel. 220 pages.
Traduit par Miguel Couffon.
1969 pour l'édition originale.