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lilly et ses livres

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8 novembre 2023

Dans la mansarde - Marlen Haushofer

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"J'ai un but précis mais je n'imagine pas ce que je ferais si je l'atteignais un jour. C'est peut-être une des raisons de mon absence de progression véritable. Je voudrais dessiner un oiseau qui ne serait pas le seul oiseau sur terre."

Une femme au foyer entre deux âges voit son quotidien bouleversé lorsqu'elle commence à recevoir les pages d'un journal qu'elle a tenu autrefois, après avoir été atteinte de surdité d'origine psychologique.

"La folie qui s'est emparée de toute ma génération est la conséquence d'événements que nous n'étions pas capables d'assumer."

J'ai découvert Marlen Haushofer grâce à une merveilleuse libraire il y a plus de dix ans. Si Une poignée de vie m'a ensuite déçue, ce n'est pas le cas de ce nouveau titre, à la fois différent et très proche du Mur invisible. Il y a chez cette autrice des motifs qui en font à la fois une autrice flirtant avec la science-fiction, une spécialiste de l'intériorité humaine en général et féminine en particulier, ainsi qu'une poétesse ayant une perception des beautés et des messages de la nature contagieuse.

Les angoisses de l'autrice concernant l'humanité sont intactes, tout comme cette culpabilité qui hante beaucoup d'oeuvres de langue allemande de cette époque. Qui envoie ces lettres ? Que s'est-il passé dans l'existence de cette femme pour qu'elle soit éloignée à jamais des siens et du bonheur ? Les non-dits, qui resteront intacts, ne nous apparaissent que par bribes. Nous contemplons leurs conséquences à travers le mariage brisé de la narratrice.

"L'essentiel est que nous soyons assis ici et que nous jouions une scène qui ne sonne pas vraiment juste mais qui se substitue très bien à l'autre scène, la vraie, qui, elle, n'est jamais jouée."

Tout, dans ce livre, semble indéfini. Le lecteur est plongé puis expulsé de cette vie dans laquelle les jours s'écoulent. Le quotidien, morne et répétitif, avec la seule mansarde éponyme comme refuge, est bouleversé de manière seulement temporaire. Notre narratrice, apathique en apparence mais intérieurement d'une lucidité folle, retourne sans mal vers le confort de ses repères. Sans doute parce qu'à défaut d'être une solide montagne, elle risquerait d'être telle "la courtilière qu'on humilie et qui s'étonne" si elle se rebellait, si elle se rappelait. Pour notre part, nous ne pouvons que plaquer nos projections sur les éléments qui nous sont offerts.

"Etre un humain est une condition bien précaire, peut-être ne sommes-nous plus depuis longtemps ce que l'on appelait autrefois des êtres humains, seulement nous ne le saurions pas."

Babel. 220 pages.
Traduit par Miguel Couffon.
1969 pour l'édition originale.

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5 novembre 2023

Boussole - Mathias Enard

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"Nous-mêmes, au désert, sous la tente des Bédouins, pourtant face à la réalité la plus tangible de la vie nomade, nous nous heurtions à nos propres représentations qui parasitaient, par leurs attentes, la possibilité de l’expérience de cette vie qui n’était pas la nôtre ; la pauvreté de ces femmes et de ces hommes nous paraissait emplie de la poésie des anciens, leur dénuement nous rappelait celui des ermites et des illuminés, leurs superstitions nous faisaient voyager dans le temps, l’exotisme de leur condition nous empêchait de comprendre, certainement, leur vision de l’existence [...]. "

Au cours d'une longue, très longue nuit, Franz Ritter, musicologue viennois atteint d'un mal incurable, remonte le fil de sa passion pour l'Orient et pour Sarah, la femme qu'il a aimée toute sa vie.

Raconter les rapports, les liens, les affrontements, les incompréhensions et les fantasmes entre l'Orient et l'Occident, voilà une mission parfaitement impossible. Mille anecdotes dont le choix est forcément subjectif ne peuvent que fournir une vision très incomplète du sujet tout en le rendant indigeste. Et pourtant, à la manière des Mille et Une nuits (oeuvre si emblématique des projections de l'Occident sur cet ailleurs qui le fascine) et dans un style sublime (si travaillé qu'il devrait être ampoulé, mais Mathias Enard doit être magicien), Boussole nous embarque dans un voyage dont on voudrait qu'il ne s'achève jamais. On suit Annemarie Scharzenbach, Alois Musil et bien d'autres, dont nos personnages, à travers les routes d'Irak, de Syrie et d'Iran.

Tous sont pris par la fièvre orientaliste. Franz Ritter en tête, plaide coupable. Il refuse cependant de s'en tenir à une vision unique où l'Orient serait seulement la victime de l'Occident. Il révèle par de nombreux exemples ce que les échanges culturels ont produit (dont, a priori, L'Origine du monde). Des absurdités aussi, comme l'orientalisme nazi ou les barbaries dans les deux camps (l'humanité n'est pas différente à Damas ou à Paris).

" j’entendais un spécialiste du Moyen-Orient préconiser qu’on laisse partir tous les aspirants djihadistes en Syrie, qu’ils aillent se faire pendre ailleurs ; ils mourraient sous les bombes ou dans des escarmouches et on n’en entendrait plus parler. Il suffisait juste d’empêcher les survivants de revenir. Cette séduisante suggestion pose tout de même un problème moral, peut-on raisonnablement envoyer nos régiments de barbus se venger de l’Europe sur des populations civiles innocentes de Syrie et d’Irak ; c’est un peu comme balancer ses ordures dans le jardin du voisin, pas joli joli. Pratique, certes, mais pas très éthique. "

En cette période si déchirante pour l'humanité, où les discours fanatiques et les crimes atroces nous font croire que seule la haine peut exister et que nous n'avons rien en commun, Boussole est un roman essentiel, drôle et émouvant, qu'une médiocre chronique ne peut décrire honorablement.

" Weimar a été bombardée trois fois massivement en 1945. Tu imagines ? Bombarder une ville de soixante mille habitants sans enjeu militaire, alors que la guerre est presque gagnée ? Pure violence, pure vengeance. Bombarder le symbole de la première république parlementaire allemande, chercher à détruire la maison de Goethe, celle de Cranach, les archives de Nietzsche… avec des centaines de tonnes de bombes larguées par de jeunes aviateurs fraîchement débarqués de l’Iowa ou du Wyoming, qui mourront à leur tour brûlés vifs dans la carlingue de leurs avions, difficile d’y percevoir le moindre sens, je préfère me taire. "

Actes Sud. 377 pages.
2015.

Publié trop récemment, Boussole n'est pas (encore) un classique. Mais c'est un Goncourt, que je n'aurais pas lu si rapidement sans nos chères Fanny et Moka. Elles me pardonneront sûrement cette entorse au règlement.

Source: Externe

30 octobre 2023

Les Caves du Vatican - André Gide

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Véronique, Marguerite et Arnica sont les filles d'un amoureux des fleurs ayant choisi les noms de ses enfants en fonction de cette passion. La première est l'épouse d'Anthime Armand-Dubois, franc-maçon installé à Rome qui rejette la religion avec véhémence. La seconde est mariée à Julius de Baraglioul. Le couple vit à Paris avec Geneviève, leur fille. Quant à Arnica, après moults hésitations entre les meilleurs amis Amédée Fleurissoire et Gaston Blafafas, elle a épousé le premier, qui s'est engagé à ne pas consommer son mariage.
Lorsqu'un miracle se produit et qu'une horrible rumeur concernant le pape est révélée, l'ordre bien établi de ce petit monde est bousculé.

Les Caves du Vatican est un mélange de farce et de roman policier. Le livre ridiculise la piété de ses personnages. Pour Anthime, elle surgit de nulle part et l'amène à tout abandonner. Pour Amédée, elle est l'occasion de partir seul à l'aventure après une vie très tranquille. Il s'agit ici avant tout pour l'auteur de jouer avec les règles de la littérature. Les personnages sont des héros d'aventure quinquagénaires ignorant de tout et portant les noms les plus absurdes. Le sauvetage dont dépend la chrétienté toute entière est un formidable fiasco débutant avec des punaises de lit (une thématique très actuelle) et des puces, et s'achevant avec la bagarre la plus pathétique (et gratuite) de l'histoire. Quant au grand méchant de l'histoire, Lafcadio, le fils bâtard, il ne semble rivaliser avec un Raskolnikov que grâce à la médiocrité de ses victimes.

A l'instar des Faux-monnayeurs, on ne sait pas ici si l'on lit une histoire dans un roman, ou bien le roman d'un romancier médiocre en manque de reconnaissance. Probablement les deux.

Une lecture effectuée dans le cadre du duel Prix Goncourt/Prix Nobel pour Les Classiques, c'est fantastique de Fanny et Moka. André Gide a obtenu le Prix Nobel de Littérature en 1947.

Folio. 250 pages.
1914 pour l'édition originale.

Source: Externe

 

15 octobre 2023

A Suspicious River - Laura Kasischke

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Leila, vingt-quatre ans, travaille comme réceptionniste dans un motel du Michigan bordé par une rivière. Mariée à un homme obsédé par son alimentation et son corps, elle offre ses charmes sur son lieu de travail en échange de quelques dizaines de dollars.

Ce livre m'a été conseillé il y a plus de dix ans par une lectrice de mon blog qui le considérait comme le plus grand roman de Laura Kasischke. Cette dernière, spécialiste des fins à rebondissement qui ne me convainquent pas (sauf dans le thriller Esprit d'hiver), nous livre ici un texte moite, dont les répétitions finissent par nous donner la nausée. Leila est une femme abusée et désabusée, brisée dès l'enfance par le monde des adultes et des mesquineries d'école.

Sommes nous des êtres pleins, guidés par cette résilience avec laquelle la mode du développement personnel nous bassine à longueur de temps ? Si c'est le cas, pourquoi nous précipitons-nous vers ce qui fait de nous des objets ? Avons-nous tous, enfoui au plus profond de nous, un désir de mort qui se manifeste par le besoin de la plupart des gens de correspondre à de lisses standards ? 

A priori, le quotidien de cette jeune femme, qui se considère elle-même comme une poupée passive, comme un corps ne devant être qu'une source de jouissance pour le hommes, n'a rien à voir avec la vie des lecteurs de ce livre. Pourtant, il se dégage de son héroïne une humanité universelle. Celle de ceux qui n'avaient presque rien et que la brutalité et l'hypocrisie des hommes ont continué à dépouiller. Celle des petites villes où tout le monde connaît vos pires secrets et attend que vous trébuchiez de nouveau.

On quitte A Suspicious river avec un immense sentiment de malaise, le même que l'on ressent après la lecture de certains romans de Joyce Carol Oates. Je ne sais pas si j'ai aimé ce livre, mais il m'a fascinée et bousculée.

Points. 403 pages.
Traduit par Anne Wicke.
1996 pour l'édition originale.

7 octobre 2023

What I Loved (Tout ce que j'aimais) - Siri Hustvedt

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Leo et sa femme Erica sont écrivains. Lorsque Leo achète une oeuvre de Bill Wechsler, un artiste qu'il trouve prometteur, une amitié se noue entre les deux hommes. Elle durera toute leur vie et mêlera Erica, Lucille et Violet (les deux épouses de Bill), ainsi que les fils presque jumeaux des deux familles, Matt et Mark. 

La vie d'artistes dans le New York des années 1970 (même si l'histoire se déroule sur vingt ans), on peut dire qu'il n'y a priori pas plus cliché. Mais l'autrice retourne ce postulat avec un texte qui interroge le rôle de l'art dans un monde où le qualificatif d'oeuvre repose parfois plus sur la provocation et les bonnes relations que sur le talent.

Tout ce que j'aimais est un livre qui nous rappelle que la frustration et le doute sont inhérents à la condition humaine. Lorsque le nom d'Henry James finit par être cité, l'entreprise de l'autrice devient encore plus évidente. Siri Hustvedt essaie de tourner autour des scènes qu'elle décrit pour nous en faire percevoir les enjeux. Les personnages se rencontrent à l'âge adulte. Ils évoluent professionnellement et personnellement, au gré des rencontres et des drames de la vie. Ils essaient de grandir, d'utiliser l'art pour arrêter le temps.
Mais la réalité n'est qu'une perception subjective et éphémère. Elle évolue parfois jusqu'à se montrer contradictoire avec ce que l'on savait (ou croyait savoir). Elle dépend des autres, sans lesquels nous n'existons pas vraiment et avec lesquels nous jouons à un jeu de miroirs déformants. Nous incarnons souvent des rôles différents, dépendants des besoins des autres : un professeur pour ses élèves, un patient pour son médecin, un mausolée pour un absent. Lorsque l'illusion s'effondre, la déception est terrible. Et parfois, nous ne pouvons que la deviner et la redouter.

Pour être complètement honnête, j'ai trouvé qu'Hustvedt oubliait un peu son fil conducteur pour plonger dans le mauvais thriller dans la dernière partie du livre, mais je garderais surtout le souvenir d'un livre complexe et nostalgique, bien plus convaincant qu'Un été sans les hommes.

Sceptre. 370 pages.
2003.

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19 août 2023

Le Rouge et le Noir - Stendhal

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"Il devait à Mme de Rênal de comprendre les livres d'une façon toute nouvelle. Il avait osé lui faire des questions sur une foule de petites choses, dont l'ignorance arrête tout court l'intelligence d'un jeune homme né hors de la société, quelque génie naturel qu'on veuille lui supposer."

Fils mal-aimé d'un charpentier, Julien Sorel a été éduqué par le curé de Verrières dans le Doubs. Lorsque M. de Rênal, le maire, lui propose de devenir le précepteur de ses enfants, le vaniteux jeune homme qui se destine à une carrière religieuse accepte. Cette place lui permet de fréquenter la belle société, de nourrir son besoin de connaissances et aussi de découvrir l'amour avec la femme de son employeur.

Dans la série des parvenus, je demande Julien Sorel ! Le hasard de mes envies et des lectures communes m'a fait lire Le Rouge et le Noir juste après Illusions perdues. Les ressemblances sont évidentes. Les livres se passent à la même époque, débutent en Province avant de se dérouler à Paris, et leur personnage principal est un jeune homme ambitieux issu d'un milieu très populaire qui s'éprend d'une dame de la haute société.
Mais là où le livre de Balzac est dense et aborde avec férocité les classes dominantes, son confrère nous offre un texte plus épuré, une critique générale de son époque et un ton qui parfois renoue avec l'ironie qui est beaucoup plus présente dans La Chartreuse de Parme.

"Mais le duel n’est plus qu’une cérémonie. Tout en est su d’avance, même ce que l’on doit dire en tombant. Étendu sur le gazon, et la main sur le cœur, il faut un pardon généreux pour l’adversaire, et un mot pour une belle souvent imaginaire, ou bien qui va au bal le jour de votre mort, de peur d’exciter les soupçons."

Je comprends pourquoi Simone de Beauvoir salue Stendhal dans Le Deuxième Sexe (alors qu'elle critique violemment la plupart des auteurs masculins). Qu'il s'agisse de Mme de Rênal ou de Mathilde de la Mole, les personnages féminins bénéficient d'une véritable place. L'auteur évoque leur méconnaissance du monde et leur naïveté pour mieux montrer l'absence de considération pour l'éducation des femmes dans la France du début du XIXe siècle. Par ailleurs, leur portrait psychologique dans la relation qu'elles entretiennent avec Julien Sorel est largement creusé, et la fin montre qu'elles ne sont pas utilisées uniquement comme des faire-valoir du personnage principal avec un retournement de situation que je vous laisse découvrir. Mme de Rênal et Mathilde ne sont pas des victimes, elles font elles aussi leurs expériences.

"L'amour de tête a plus d'esprit sans doute que l'amour vrai, mais il n'a que des instants d'enthousiasme ; il se connaît trop, il se juge sans cesse ; loin d'égarer la pensée, il n'est bâti qu'à force de pensées."

Julien Sorel n'est pas un jeune homme toujours aimable. Il est vaniteux et suffisant. Il n'hésite pas à mettre la réputation des femmes dont il veut se faire aimer en péril. Et pourtant, dans ce XIXe siècle où nos meilleurs amis sont ceux qui se réjouiront le plus de notre chute, où les ambitions et l'église sont trop étroitement liées et où le mariage est forcément malheureux (qu'il y ait eu autrefois de l'amour ou qu'il n'y en ait jamais eu), il est difficile d'en vouloir à ceux qui essaient.

"M. Chélan avait été imprudent pour Julien comme il l’était pour lui-même. Après lui avoir donné l’habitude de raisonner juste et de ne pas se laisser payer de vaines paroles, il avait négligé de lui dire que, chez l’être peu considéré, cette habitude est un crime ; car tout bon raisonnement offense."

Hugo Romans. 680 pages.
1830 pour l'édition originale.

31 juillet 2023

Beloved - Toni Morrison

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Après la Guerre de Sécession, Sethe vit à Cincinnati avec sa belle-mère, Baby Suggs, et sa fille, Denver. Son mari a disparu. Quant à ses fils, ils se sont enfuis il y a des années, car la maison du 124 est hanté par le fantôme d'une petite fille de deux ans. Puis, Baby Suggs meurt. Un jour, Sethe trouve devant chez elle Paul D, un des anciens du Bon Abri.

Beloved n'est pas un livre qui laisse indifférent. La description de l'esclavage et les reflexions sur cette thématique m'ont évidemment bouleversée et passionnée. L'autrice montre sans retenue les horreurs de ce système qui traitait les Noirs comme des êtres sans le moindre droit, de leur naissance à leur mort souvent brutale. Aucune émotion ne leur est permise, et eux-mêmes apprennent très vite à ne pas s'attacher et à faire preuve d'une force et d'une capacité à l'oubli qui les sauve de la folie.
Toni Morrison s'interroge aussi sur la possibilité de quantifier la cruauté des maîtres. Bien que les anciens esclaves que nous suivons aient bénéficié durant quelques années d'un maître bien moins terrible que les autres (ce qui se traduit par une absence de viols, de sévices physiques ou de privations alimentaires...), ils ne sont pas tous d'accord sur les bénéfices qu'ils en ont tiré. Par ailleurs la précarité de cette situation a éclaté au grand jour à la mort du maître.

Le roman se déroule à une période charnière, alors que nos personnages sont libres en théorie. Cependant, la fin de l'esclavage ne met pas un terme à leur calvaire. La loi ne peut effacer d'une signature le racisme et la violence à l'égard des Noirs en place depuis des siècles. Et puis surtout, rien ne peut effacer les horreurs dont ont été victimes, ce que l'autrice construit avec brio dans une narration brouillée faisant alterner les narrateurs et les époques. 

J'ai cependant beaucoup plus de réserves concernant la partie fantastique du livre, que je trouve trop grossièrement utilisée, en particulier dans la dernière partie. Cela m'empêche d'avoir un avis complètement enthousiaste concernant cette lecture. Par ailleurs, je m'en veux d'avoir lu ce livre en français tant il me paraît évident qu'un tel texte doit être différent en version originale.

Il me faudra donc relire l'autrice. Avez-vous des titres à me conseiller ?

Une lecture faite pour la session mensuelle de Les classiques, c'est fantastique sur la littérature afro-américaine.

Source: Externe

10/18. 379 pages.
Traduit par Hortense Chabrier et Sylviane Rué.
1987 pour l'édition originale.

6 juillet 2023

Joseph Fouché - Stefan Zweig

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"Tout, dans ce visage, tout dans cet homme reflète, pour ainsi dire, une vitalité très limitée : on dirait quelqu’un aperçu à la lumière du gaz, livide et blafard."

Personnage resté dans les mémoires pour avoir élevé le machiavélisme au rang de discipline olympique, Joseph Fouché est l'un des hommes les plus haïs de l'histoire de France. Fils de marin devenu l'homme le plus redouté et indispensable de France, il a régné sur le pays pendant vingt-cinq ans, de la Terreur à la chute de Napoléon, en retournant sa veste au gré des changements de régime. Trois fois exilé, il reparaît, toujours plus fort et quitte à piétiner ses bienfaiteurs.

"Pendant toute sa vie il restera dans l’ombre – mais il enjambera les corps de trois générations ; Patrocle est depuis longtemps tombé, et Hector, et Achille, qu’Ulysse vit encore, Ulysse fécond en artifices."

Il n'est pas évident de percer les mystères de Joseph Fouché, la discrétion ayant été son arme principale. Par ailleurs, tous ses documents ont été détruits à sa demande à la veille de sa mort, que ce soit par un excès soudain de générosité ou par envie de garder jalousement et pour l'éternité les secrets récoltés tout au long de sa vie. Enfin, les Napoléon ont contribué à l'effacer en faisant disparaître les documents relatifs à son action en tant que chef de la police.

Sans ma lecture d'Une Ténébreuse affaire de Balzac, le seul, selon Zweig, a avoir su reconnaître le génie de Fouché (sans le rendre aimable pour autant), je n'aurais probablement jamais pris le temps de découvrir cette passionnante biographie. L'auteur fait renaître à travers son personnage la Révolution. On assiste aux échanges et aux rivalités entre les députés, ainsi qu'aux débats sur la mort du roi. Dans l'ambiance atroce de la Terreur, Fouché, dont le seul parti sera toujours celui des gagnants, garde un sang froid presque inhumain. Alors que la plupart des acteurs de la Révolution répugnent à faire couler le sang, Fouché, qui n'a jusque-là fait exécuter personne, devient le boucher de Lyon (puis se rétracte lorsqu'il sent le vent tourner). 

Ses grands adversaires seront des hommes comme lui, impitoyables, intellectuellement brillants et mégalomaniaques : Robespierre, le puritain, Talleyrand, comme lui ancien homme d'église opportuniste et Napoléon, le bourreau de millions d'Européens. Il les sert puis les trahit. La cruelle histoire les lie par la haine, la défiance, mais aussi un certain respect.

Plus qu'une simple biographie, Joseph Fouché est aussi une analyse politique et historique. Sa lecture nous permet de comprendre comment les événements relatés ont pu se produire. Comment des massacreurs peuvent être accusés de trop de clémence, comment un individu peut être amené à porter l'intégralité des crimes de ses nombreux complices, ou encore comment les réactionnaires finissent toujours par prendre leur revanche.

"Hélas ! l’histoire universelle n’est pas seulement, comme on la montre le plus souvent, une histoire du courage humain ; elle est aussi une histoire de la lâcheté humaine ; et la politique n’est pas, comme on veut absolument le faire croire, l’art de conduire l’opinion publique, mais bien la façon dont les chefs s’inclinent en esclaves devant les courants qu’eux-mêmes ont créés et orientés. C’est ainsi que naissent toujours les guerres : en jouant avec des paroles dangereuses, en surexcitant les passions nationales ; c’est ainsi que naissent les crimes politiques ; aucun vice, aucune brutalité sur la terre n’a fait verser autant de sang que la lâcheté humaine."

A bon entendeur...

Le Livre de Poche. 279 pages.
Traduit par Alzir Hella et Olivier Bournac.
1930 pour l'édition originale.

17 juin 2023

La Vie tumultueuse de Mary W. - Samantha Silva

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Lorsqu'elle met au monde celle qui écrira plus tard Frankenstein, Mary W. épouse Godwin, trente-huit ans, est presque rentrée dans le rang. Cela ne l'empêche pas d'avoir mené une vie hors des normes de la société et surtout d'écrire une œuvre étonnante dans laquelle elle n'hésite pas à interpeller Edmund Burke, Rousseau ou Talleyrand. Durant les dix jours qui précèdent sa mort du fait de ses suites de couche, Mary raconte son histoire à celle qu'elle surnomme "petit oiseau". Sa sage-femme, Mrs B. observe cette étrange femme et est le témoin impuissant des traitements infligés par les médecins, dans un XVIIIe siècle qui ne connaît pas encore les règles d'hygiène élémentaires.

Si Mary Shelley est souvent occultée par l'ombre de son époux, on connaît encore moins sa mère, Mary Wollstonecraft, pourtant l'une des pionnières du féminisme en Angleterre. Fondatrice d'une école, grande voyageuse, femme aussi courageuse qu'impertinente, on découvre un être hors du commun qui n'hésite pas à se lancer à l'assaut du monde qui lui promettait une vie de misère. De son enfance misérable à sa jeunesse rebelle, puisqu'elle refuse de se marier, se dresse contre un beau-frère maltraitant et essaie de vivre entourée de femmes, on découvre les rencontres qui ont façonné Mary W., du père de son amie d'enfance à son mari, en passant par le peintre Füssli et l'aventurier qui sera le père de sa première fille. Plus tard, on assiste à la Révolution française de l'intérieur puisque le combat féministe de la jeune femme s'inscrit dans les idéaux (bien vite oubliés) de cet événement.

Les romans historiques contemporains et les biographies romancées sont des genres qui me déplaisent généralement beaucoup. Je suis toujours mal à l'aise face à la frontière incertaine séparant la fiction de la réalité, et certaines formulations ici m'ont semblé anachroniques. Le travail de recherche de l'autrice semble cependant très solide et j'ai lu ce livre en une seule journée, preuve qu'il a suscité ma curiosité.

Je remercie les Presses de la cité et l'organisation du Mois Anglais qui m'ont permis de gagner ce livre l'an dernier. Il sort en poche le 5 octobre chez 10/18.

Source: Externe

1 juin 2023

Sarn - Mary Webb

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Le nom des Sarn vient du lieu où la famille vit modestement depuis plusieurs générations. Au milieu des bois, près de l'étang, ils cultivent fruits et céréales et élèvent quelques bêtes. Dans ces contrées partagées entre les croyances païennes et le christianisme puritain, Prue est née avec un bec-de-lièvre. Malédiction ou tare physique, cela la condamne aux moqueries et au célibat. Lorsque le père meurt, son frère, Gédéon, décide de sortir de sa condition à la force de ses bras et de ceux de sa famille.

Encore un livre qui attendait de nombreuses années dans ma bibliothèque et dont la lecture aura été un immense plaisir. Lire Mary Webb, c'est pénétrer dans le monde enchanteur de Prue Sarn, qui s'emerveille de la beauté des libellules et des nénuphars ainsi que de la contemplation de la valse des saisons.
Malgré les querelles, la communauté vit en bonne entente et la solidarité est ancrée parmi les habitants. La plupart des gens vont à l'église tout en respectant les coutumes qui obligent à prévenir les corneilles des décès. Et si les hommes sont souvent autoritaires et butés, c'est un plaisir de voir les femmes (et un homme) leur tenir tête et les manipuler pour parvenir à leurs fins.

Cependant, Mary Webb ne ressemble pas à Thomas Hardy seulement pour son amour de la campagne anglaise. La fragilité du bonheur, de la condition féminine et la brutalité de la société, incarnée avant tout par Gédéon, apparaissent aussi dans Sarn. Il y a ici une sorte de manichéisme (et donc de moralisme) qui aurait pu m'agacer en temps normal, mais la forme adoptée par Mary Webb est celle du conte et l'autrice laisse le lecteur interroger de lui-même les actions de celui qui s'entête tellement qu'il en oublie le sens de ses actions.

Une lecture commune fait avec Lili pour la première session de cette nouvelle saison des Classiques c'est fantastique sur le thème "En un mot" (et j'ai découvert avec étonnement que de nombreux livres entraient dans cette catégorie) et pour ouvrir ce nouveau Mois Anglais.

Source: Externe

Grasset. 375 pages.
Traduit par Jacques de Lacretelle et Madeleine T. Guérite.
1924 pour l'édition originale.

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