Le Rouge et le Noir - Stendhal
"Il devait à Mme de Rênal de comprendre les livres d'une façon toute nouvelle. Il avait osé lui faire des questions sur une foule de petites choses, dont l'ignorance arrête tout court l'intelligence d'un jeune homme né hors de la société, quelque génie naturel qu'on veuille lui supposer."
Fils mal-aimé d'un charpentier, Julien Sorel a été éduqué par le curé de Verrières dans le Doubs. Lorsque M. de Rênal, le maire, lui propose de devenir le précepteur de ses enfants, le vaniteux jeune homme qui se destine à une carrière religieuse accepte. Cette place lui permet de fréquenter la belle société, de nourrir son besoin de connaissances et aussi de découvrir l'amour avec la femme de son employeur.
Dans la série des parvenus, je demande Julien Sorel ! Le hasard de mes envies et des lectures communes m'a fait lire Le Rouge et le Noir juste après Illusions perdues. Les ressemblances sont évidentes. Les livres se passent à la même époque, débutent en Province avant de se dérouler à Paris, et leur personnage principal est un jeune homme ambitieux issu d'un milieu très populaire qui s'éprend d'une dame de la haute société.
Mais là où le livre de Balzac est dense et aborde avec férocité les classes dominantes, son confrère nous offre un texte plus épuré, une critique générale de son époque et un ton qui parfois renoue avec l'ironie qui est beaucoup plus présente dans La Chartreuse de Parme.
"Mais le duel n’est plus qu’une cérémonie. Tout en est su d’avance, même ce que l’on doit dire en tombant. Étendu sur le gazon, et la main sur le cœur, il faut un pardon généreux pour l’adversaire, et un mot pour une belle souvent imaginaire, ou bien qui va au bal le jour de votre mort, de peur d’exciter les soupçons."
Je comprends pourquoi Simone de Beauvoir salue Stendhal dans Le Deuxième Sexe (alors qu'elle critique violemment la plupart des auteurs masculins). Qu'il s'agisse de Mme de Rênal ou de Mathilde de la Mole, les personnages féminins bénéficient d'une véritable place. L'auteur évoque leur méconnaissance du monde et leur naïveté pour mieux montrer l'absence de considération pour l'éducation des femmes dans la France du début du XIXe siècle. Par ailleurs, leur portrait psychologique dans la relation qu'elles entretiennent avec Julien Sorel est largement creusé, et la fin montre qu'elles ne sont pas utilisées uniquement comme des faire-valoir du personnage principal avec un retournement de situation que je vous laisse découvrir. Mme de Rênal et Mathilde ne sont pas des victimes, elles font elles aussi leurs expériences.
"L'amour de tête a plus d'esprit sans doute que l'amour vrai, mais il n'a que des instants d'enthousiasme ; il se connaît trop, il se juge sans cesse ; loin d'égarer la pensée, il n'est bâti qu'à force de pensées."
Julien Sorel n'est pas un jeune homme toujours aimable. Il est vaniteux et suffisant. Il n'hésite pas à mettre la réputation des femmes dont il veut se faire aimer en péril. Et pourtant, dans ce XIXe siècle où nos meilleurs amis sont ceux qui se réjouiront le plus de notre chute, où les ambitions et l'église sont trop étroitement liées et où le mariage est forcément malheureux (qu'il y ait eu autrefois de l'amour ou qu'il n'y en ait jamais eu), il est difficile d'en vouloir à ceux qui essaient.
"M. Chélan avait été imprudent pour Julien comme il l’était pour lui-même. Après lui avoir donné l’habitude de raisonner juste et de ne pas se laisser payer de vaines paroles, il avait négligé de lui dire que, chez l’être peu considéré, cette habitude est un crime ; car tout bon raisonnement offense."
Hugo Romans. 680 pages.
1830 pour l'édition originale.