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Alors qu'il est ivre et amer, Michel Henchard "vend" sa femme et sa fille à un marin de passage lors d'une foire. Le lendemain, affolé par son geste, il tente de les retrouver. Ses recherches resteront vaines. Il fait alors le serment de ne plus boire une goutte d'alcool pendant vingt ans, soit l'âge qu'il a au moment de sa faute. Alors que ce délai est presque écoulé et qu'il est devenu marchand de blé et maire de la respectable ville de Casterbridge, les deux disparues refont surface.

Quel enchantement que de retrouver la plume de Thomas Hardy en cette période de l'année ! Il saisit comme peu d'autres l'atmosphère et les paysages de l'Angleterre rurale du XIXe siècle. A Casterbridge, on voit défiler fermiers et marchands de blé, travailleurs et bourgeois. La spéculation qui va bon train et les aléas de la météo peuvent faire monter un homme tout en haut de l'échelle sociale ou le rejeter dans les quartiers les plus tristes de la ville.

La menace est d'autant plus grande que la morale n'est jamais loin chez Hardy. Gare à ceux qui fautent ! Contrairement à d'autres romans de l'auteur, nous n'avons pas ici de personnage particulièrement attachant. Henchard est aussi prompt à se repentir de ses erreurs qu'à céder à l'impulsion du moment. Jalousie, cruauté et vanité rodent en permanence autour de cet homme terrifié par la solitude qui s'arrange pour éloigner tous ceux qui tentent de l'aimer. Ferfrae, son protégé puis rival, est plus appréciable, mais il n'a pas l'envergure d'autres fermiers de l'auteur.
De même, les personnages féminins sont soit trop effacés soit au contraire trop égoïstes pour susciter une véritable empathie. Ils n'en sont pas moins des objets d'étude fascinants. Elizabeth-Jane et sa mère sont effacées et naïves. Cela ne permet ni de retenir l'attention d'un homme ni d'échapper aux comportements que la très stricte société victorienne abhorre et punit avec la plus grande sévérité. Quant à Lucetta, pauvre jeune fille déshonnorée que la fortune a rendue indépendante et ambitieuse, elle provoque l'agacement du lecteur (provoqué par l'auteur) tout en incarnant pour le lecteur contemporain un exemple de personnage tentant de forcer le destin (ce qui n'est jamais une bonne idée quand on est une création de Thomas Hardy).

Ce livre n'a pas la beauté des Forestiers, incontestablement mon roman préféré de Thomas Hardy jusqu'à présent, mais cela ne l'empêche pas d'être un texte à découvrir absolument.

Archipoche. 448 pages.
Traduit par Philippe Neel.
1886 pour l'édition originale.