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lilly et ses livres
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29 août 2022

L'Heure de l'étoile - Clarice Lispector

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" Si le lecteur est assez aisé pour mener une vie relativement confortable, qu’il aille donc voir comment vivent les pauvres ! S’il est pauvre, il ne me lira pas, car c’est chose superflue quand on ne mange jamais à sa faim. Quant à moi, je fais fonction de soupape de sécurité, en me mettant à la place d’une classe moyenne à l’existence ravagée. "

Qu'est-ce qui définit la condition humaine ? Où est notre humanité ?

L'intrigue tient en peu de mots. Rodrigo S.M., écrivain, prend sa plume pour nous raconter l'histoire d'une jeune fille pauvre, laide et sans éducation.

Ma première lecture de Clarice Lispector a été une telle épreuve que je n'étais pas franchement enchantée à l'idée de la relire. Heureusement, la session mensuelle des Classiques c'est fantastique m'a donné le courage d'ouvrir cette nouvelle contenue dans le coffret que j'avais acheté avec La Passion selon G.H. .

Ce texte est, de l'aveu même de l'autrice qui s'incarne ici dans un alter ego masculin, d'une forme étonnamment classique. " Aussi, contrairement à mes habitudes, tenterai-je d’écrire une histoire comprenant début, développement et grand final, suivi de silence et de pluie battante. " Ajoutez à cela une bonne dose d'humour (noir) de la part du narrateur, et vous obtiendrez une nouvelle lue avec plaisir qui vous triturera bien les méninges.

L'héroïne, dont le prénom est une malédiction à lui tout seul, grandit dans un Brésil où le capitalisme règne en maitre. Elle fait partie de cette masse de personnes dont les existences semblent indissociables les unes des autres tant elles se ressemblent. Il s'agit de réussir à se nourrir au jour le jour, de s'offrir, rarement, du rouge à lèvres ou une séance de cinéma et de permettre à d'autres de faire des profits. La jeune fille peut tout au plus espérer trouver un mari (même violent) et faire des enfants.

Le narrateur désespère, tout en admettant que sa propre existence n'a pas plus de sens que celle de son héroïne. Avec elle, il cherche une chose à laquelle se raccrocher. Mais quoi ? A quoi bon écouter la radio et entendre des émissions auxquelles elle ne comprend rien ? Un jour, elle se fait porter pâle et passe une journée sans les femmes qui partagent sa chambre.

" Jusqu’alors, elle n’avait jamais eu le privilège de jouir de sa propre personne. De ma vie, je n’ai jamais été aussi heureuse, se dit-elle. Elle ne devait rien à personne et personne ne lui devait rien. Elle s’offrit même le luxe d’éprouver un certain écœurement – mais un écœurement fort distingué. "

Est-ce que tout le monde a le droit de rêver ?

Lire Clarice Lispector, c'est accepter de ne pas tout comprendre. C'est aussi ouvrir les yeux sur des évidences que l'on a sous les yeux mais que l'on n'avait jamais pensé à formuler.

Editions des femmes. 110 pages.
Traduit par Marguerite Wünscher.
1977 pour l'édition originale.

Source: Externe

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22 août 2022

Trois - Valérie Perrin

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Adrien, Nina et Etienne se sont rencontrés à La Comelle en Saône-et-Loire le jour de leur rentrée en CM2. Pendant huit ans, ils ont été inséparables. Et puis la vie leur a roulé dessus. Ils n'ont pas su gérer les frustrations, les petites vexations, et aujourd'hui ils sont fâchés à mort. Autour d'eux évoluait une ombre, Virginie. C'est elle qui raconte leur histoire.

Je n'avais jamais entendu parler de Valérie Perrin avant l'année dernière où j'ai vu fleurir les avis sur ce roman. Même si les histoires d'amitié ayant tourné au drame n'ont rien de très original et bien que je lise peu de têtes de gondoles, je n'ai pas su dire non lorsqu'une copine m'a tendu son exemplaire quelques semaines plus tard.

J'ai globalement bien fait, puisqu'il m'a fallu trois jours (après presque un an dans ma bibliothèque) pour venir à bout des 670 pages de ce texte en grand format. Les chapitres sont courts, les allers-retours dans le temps tiennent rythment le livre, les non-dits tiennent en haleine. Il est indéniable que Valérie Perrin est une scénariste efficace.
Ce livre se lit comme une série d'été qui nous plonge dans une douce nostalgie. Il est très marqué par l'époque à laquelle il se déroule, les années 1990. Bien que je sois plus jeune que les personnages, les références musicales me parlent et les habitudes de ce trio ne sont pas très éloignées de ma propre expérience. En revanche, je ne suis pas certaine qu'il puisse vraiment plaire à des gens qui ont moins de trente ans.

Le dernier tiers du livre m'a moins plu. J'ai trouvé les "révélations" assez mal traitées dans la dernière partie du roman. Il se passe beaucoup trop de choses, les facilités sont trop nombreuses, et ces défauts m'ont fait un peu décrocher.  

Une lecture qui n'a pas bouleversé mon univers, mais dont je garderai un souvenir agréable.

Albin Michel. 668 pages.
2021.

Nouveau pavé d'été pour le challenge de Brize !

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20 août 2022

Kafka sur le rivage - Haruki Murakami

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Qu'ont en commun un jeune fugueur de quinze ans, une bibliothécaire quinquagénaire dont la vie a été brisée trente ans plus tôt et un vieil homme handicapé capable de parler avec les chats ? La réponse se trouve-t-elle dans le malaise inexplicable d'une classe entière dans les montagnes lors de la Deuxième Guerre mondiale ? Faut-il la chercher dans la prophétie condamnant le jeune Kafka à une destinée oedipienne ?

Je crois qu'il est temps de me résigner après quatre lectures de Murakami, cet auteur n'est pas fait pour moi. Kafka sur le rivage démarre en fanfare avec des personnages hautement charismatiques, des allers-retours dans le temps et une plongée progressive dans le fantastique. J'ai aimé suivre les questionnements du jeune héros et le cheminement encore plus touchant d'Hoshino, compagnon accidentel de Nakata, à travers les arts.

La chute est d'autant plus rude lorsque le soufflé retombe avec une histoire traînant en longueur et des scènes bien inutilement malaisantes. Lorsqu'on enlève la métaphore et que l'on regarde l'intrigue mise à nu, celle-ci apparaît dans toute sa minceur. Cela ne valait pas franchement le coup de s'infliger des violences sexuelles érotisées, un passage antiféministe gratuit et bien pédant (pour information, les propos stupides le restent même quand on les attribue à personnage "queer"). Comme dans 1Q84, Murakami finit par se perdre dans les fantasmes de ses personnages, délaissant ainsi ce qui faisait la saveur de son récit.

Frustrant.

Helène est bien plus convaincue que moi.

Belfond. 618 pages.
Traduit par Corinne Atlan.
2002 pour l'édition originale.

Sixième participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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18 août 2022

The Golden Notebook (Le Carnet d'or) - Doris Lessing

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" En fait, la fonction du roman semble changer : c’est maintenant un avant-poste du journalisme, nous lisons des romans pour nous documenter sur des zones de vie que nous ne connaissons pas — le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’armée américaine, un village minier, les coteries de Chelsea, etc. Nous lisons pour découvrir ce qui se passe. Un roman sur cinq cents ou sur mille possède la qualité qu’un roman devrait posséder pour être un roman : la qualité philosophique. "

Anna Wulf a connu un immense succès avec son premier roman, qui s'inspire de son passage en Rhodésie lorsqu'elle avait une vingtaine d'années. Elle est désormais mère célibataire d'une petite fille et vit sur ses royalties qui commencent à diminuer. Son ancienne logeuse et amie, Molly, vient de rentrer d'une année à l'étranger. 
Ancienne membre du parti communiste, abonnée aux relations amoureuses catastrophiques, précédemment en analyse et en panne d'inspiration, Anna raconte son existence dans quatre carnets thématiques.

Lire Le Carnet d'or est une expérience aussi riche que complexe. J'en suis ressortie épuisée, déprimée et globalement admirative. Ce n'est ni un roman, ni un essai, ni une autobiographie, mais un mélange de tout cela.

On plonge dans l'existence et dans les pensées d'une femme cherchant obstinément à saisir la véracité des situations tout en ne pouvant s'empêcher de leur donner un caractère fictionnel. Pour reprendre une récente observation d'Annie Ernaux, la réalité de ses expériences ne semble exister que lorsqu'elle les a couchées sur le papier.

" La littérature est l’analyse postérieure à l’événement. "

La création artistique est censée être pure pour Anna, qui se désole de voir la littérature utilisée à d'autres fins. Eternelle insatisfaite (nous ne pouvons jamais adopter tous les points de vue ni empêcher notre récit d'être imprégné d'émotions forcément subjectives et passagères), elle réécrit sans fin les mêmes histoires, vit sans fin les mêmes déceptions dans tous les domaines.

Les années cinquante ont été éprouvantes pour les idéalistes. Les atrocités soviétiques sont peu à peu révélées, la décolonisation amène les anciens anti-colonialistes à réévaluer leurs intentions réelles. Quand on a épuisé toutes les excuses possibles, il ne reste que les évidences. Et puis après ? Est-on condamné à renier complètement ses idéaux lorsque leur application concrète et la révélation des crimes commis en leur nom nous donnent le sentiment d'avoir été un imbécile ?

" Je me dis parfois que la seule expérience incapable de rien enseigner à personne est l’expérience politique. "

On a reproché aux féministes d'avoir volé ce livre en lui collant une étiquette qui ne décrit que partiellement l'oeuvre.* En effet, les thématiques qui traversent le livre sont nombreuses et évoluent en miroir les unes avec les autres pour montrer la complexité de nos envies et de nos intérêts. C'est presque aller à l'encontre de la volonté de l'autrice que de vouloir fragmenter ce livre.
Il est pourtant indéniable que la question des rapports entre les sexes est omniprésente et a dû toucher de nombreuses lectrices. Les "femmes libres", Molly et Anna, sont ainsi nommées avec beaucoup de cynisme. Les innombrables hommes que rencontre Anna, rare représentante du sexe féminin dans les activités extérieures en ce milieu du XXe siècle, sont tous dotés d'épouses assommées d'ennui dans leur foyer. L'insatisfaction sexuelle et l'absence de connivence intellectuelle règnent en maître au sein des couples.

Et pourtant, comme elle sait que les anciens militants sont parfois les conservateurs acharnés de demain, Anna a conscience que c'est l'approbation masculine qu'elle recherche avant tout, quitte à accepter les mensonges, la maltraitance, les insultes.

"Parfois lorsque je regarde en arrière, moi, Anna, j’ai envie de rire à voix haute. D’un rire épouvanté, d’un rire jaloux, celui de la connaissance face à l’innocence. Je serais maintenant incapable d’une telle confiance. Moi, Anna, jamais je ne me lancerais dans une liaison avec Paul. Ou Michael. Ou plutôt si, j’entamerais une liaison, mais en sachant exactement ce qui arriverait ; je me lancerais dans une relation délibérément stérile, limitée."

Le Carnet d'or est à la fois le roman d'une époque et un livre d'une éclatante modernité dont de nombreux passages résonnent plus que jamais aujourd'hui. Il est rare de lire un livre aussi sincère, dont l'héroïne accepte de se laisser décortiquer avec une impudeur pareille. A lire si vous avez le coeur bien accroché.

*Je pense surtout qu'il faut se demander pourquoi le monde a laissé ce livre être réduit à ce seul aspect (une piste : il est écrit par une femme);

Fourth Estate. 576 pages.
1962.

Nouvelle participation au challenge Pavé de l'été de Brize !

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5 août 2022

Anne de Green Gables - Lucy Maud Montgomery

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Publiées au début du XXe siècle, les aventures d'Anne Shirley se déroulent sur l'Île du Prince Edouard à l'est du Canada. Elles commencent lorsque Mirella et son frère Matthew Cuthbert décident d'adopter un garçon pour les aider dans leur ferme. Le mot est mal passé, et c'est finalement une petite fille maigrichonne, rousse et terriblement bavarde qui arrive chez eux.

En quête de lectures qui me permettraient de m'évader un peu, j'ai enfin découvert ce grand classique de la littérature jeunesse. Je crois que c'était le bon moment. Le moralisme qui imprègne le livre et les bavardages incessants d'Anne, qui dans d'autres circonstances auraient pu m'agacer, m'ont au contraire fait rire et rappelé les romans de la Comtesse de Ségur que je lisais enfant (même si je serai curieuse de voir si je les apprécierais autant aujourd'hui).

Il y a dans ce livre une recette magique, avec ce qu'il faut d'impertinence et de bêtises pour nuancer la piété et les bons sentiments. A Avonlea, les méchants ne sont pas vraiment méchants, mais assez pour qu'on aime les voir se faire taquiner. Les drames sont à la fois touchants et vaincus par un optimisme à toute épreuve.

Suivre une héroïne entière comme Anne, c'est oublier son quotidien. Guidée par une imagination débordante, ambitieuse et incroyablement douée pour se mettre dans des situations improbables, elle nous entraîne dans des décors délicieux et ne nous laisse pas nous ennuyer une seule seconde.

J'ai adoré.

Monsieur Toussaint Louverture. 381 pages.
Traduit par Hélène Charrier.
1908 pour l'édition originale.

 

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